Homélie de la fin de la neuvaine en
l’honneur du père Rafael Palacios
30 juin 1979
Plan de l’homélie :
1) La valeur divine de l’eucharistie
2) La grandeur divine du sacerdoce
3) L’éloquence humaine et divine du
Peuple de Dieu
1) La valeur divine de l’eucharistie
Ce que nous proclamons avant tout
c’est la grandeur divine de l’Eucharistie. Le Très Saint Sacrement est nommé
par le Concile « de but et de source de toute la vie chrétienne. » Il
dit en toute confiance que l’Église se constitue dans l’Eucharistie. Celle-ci,
lorsqu’elle est concélébrée, comme actuellement par plusieurs prêtres, exprime
merveilleusement l’unité de l’unique sacrifice que chaque messe représente.
Nous ne multiplions pas le sacrifice du Christ lorsque nous célébrons la messe,
mais nous le rendons présent dans les circonstances où est célébrée cette
messe. Quand tous les prĂŞtres convergent vers un seul autel, devient plus
éloquent le signe que la messe n’est rien d’autre qu’un seul sacrifice, celui
du Christ Notre-Seigneur. C’est la présence de l’amour de Dieu qui en Jésus-Christ
devient Rédemption, miséricorde, pardon, force libératrice des peuples.
C’est pourquoi nous voulons féliciter
ces chers prĂŞtres qui ont fait un effort pastoral pour donner Ă la messe sa
véritable valeur divine. Nous savons qu’il y a des paroisses où l’on enlève
cette multiplication des messes à des fins particulières et qu’on n’y célèbre
plus, par exemple, qu’une seule messe pour les défunts de ce jour ou de cette
neuvaine. Parce que je crois que cette concélébration donne vie à cette idée
grandiose que le Christ nous laissa comme mémorial de sa passion et de sa mort,
l’Eucharistie, pour que nous la vénérions, pour que nous mettions en elle toute
notre confiance. La messe unique rend sa valeur Ă la messe que nous avons tant
dépréciée.
Il existe de nombreux péchés contre
la messe et contre l’Eucharistie. Le Premier de ceux-ci, c’est l’absence du
Christ. Si l’Eucharistie est la présence de l’amour miséricordieux qui en
Jésus-Christ racheta le monde, le péché – et quand je dis pécher, je fais
référence à toutes ces situations de crimes, de violences, d’assassinats,
d’injustices, etc. – est l’absence de Dieu. Nous n’arriverons pas à l’extrême
de dire qu’on ne doit pas célébrer l’Eucharistie tant que le péché est
intronisé en ce monde, parce que grâce à Dieu, même dans cette ambiance de
paganisme et de profanation, la petite communauté chrétienne est le germe de
l’espérance et de la
Rédemption. La messe doit être célébrée comme une présence de
lumière qui commence à dissiper la densité de tant de ténèbres. Je crois donc
qu’un peuple qui se nomme chrétien et qui a intronisé le péché ne mérite plus
que la messe soit célébrée. Si la messe doit être lumière de Rédemption chez
les peuples, elle doit chasser le péché. Le signe d’aujourd’hui, la messe
absente de nombreux endroits de notre archidiocèse veut signifier ceci :
une dénonciation contre l’absence que les hommes provoquent à ce Dieu d’amour
qui veut ĂŞtre avec nous et que nous rejetons par nos attitudes violentes et
injustes.
La présence de l’Eucharistie dans le
monde se veut également une lumière de cette Rédemption dont nous parle saint
Paul, de cette nature qui gémit sous le poids du péché. L’injustice, le
désordre, l’outrage, ont fait que la création de Dieu (si belle qu’Il vit que
cela était bon), nous l’avons mise sous les chaînes du péché. Elle gémit dans
les douleurs d’enfantement, en espérant l’heure d’un monde nouveau, d’une
création qui redeviendra la merveilleuse résidence de Dieu avec l’humanité.
L’absence de messe dans le diocèse se veut également cela. La présence de la
messe dans la Cathédrale veut être comme la torche qui illumine les communautés
chrétiennes pour qu’elles sachent reconnaître plus consciemment la beauté de
ses messes, bien célébrées et bien senties comme une impulsion de sainteté et
de RĂ©demption pour nous et pour les autres.
Un autre péché contre l’Eucharistie
c’est l’usage que nous en faisons. Cette présence unique de la messe dans la
Cathédrale dénonce les nombreux abus que, même au sein de notre Église, nous
commettons envers la
Sainte Eucharistie. Que ce soit par égoïsme, lorsqu’on tente
de la soumettre aux commodités des gens : ma messe qui correspond à mes
convenances, la messe qui est recherchée d’une manière égoïste comme si Dieu
était un garçon de la famille ou du quartier où l’on veut célébrer une messe
très appropriée aux convenances de ces caprices égoïstes. C’est aussi la messe
qui est soumise à l’idolâtrie de l’argent et du pouvoir, lorsqu’on l’utilise
pour justifier des situations pécheresses, quand on emploie la messe pour
s’attirer les faveurs du peuple et qu’il n’y a pas de différence avec l’Église,
que ce qui importe le moins c’est la messe et que le plus important c’est de
paraître dans les journaux, de faire prévaloir des convenances simplement
politiques. Comme nous avons profané la messe en l’utilisant à ces fins! La
messe ne doit pas être utilisée. La messe est la lumière qui éclaire toutes les
activités humaines et les êtres humains sont ceux qui se soumettent avec amour
et gratitude, avec adoration et humilité au geste divin du Christ qui veut
multiplier la présence de son sacrifice au milieu de nous.
La messe se prostitue Ă©galement dans
notre Église lorsqu’elle est célébrée par cupidité et quand nous faisons de la
messe un commerce. Cela semble un mensonge de dire que se multiplient les
messes dans le seul but de faire de l’argent. Cela ressemble au geste de Judas
qui vendit le Seigneur. Ces prêtres mériteraient que le Christ prenne à nouveau
le fouet du temple pour leur dire : « Ma maison est une maison de
prières et vous en avez fait une caverne de voleur. » Cette messe unique
veut récupérer toute sa grandeur et dire au Seigneur : pardonne-nous
Seigneur, parce qu’on nous a enlevé un prêtre qui pouvait célébrer et
multiplier ta présence d’amour sur la Terre! » Nous ressentons la valeur
de ce bien lorsqu’il vient à manquer. Ne jouons pas avec l’Eucharistie. Donnons
à notre messe paroissiale, à la messe de notre communauté, de notre secteur,
toute l’importance d’aller partager l’amour avec le Seigneur et avec nos
frères. Allons à la messe pour faire l’Église, pour créer la communauté comme
le désirait le père Palacios qui célébra toujours l’Eucharistie dans un sens
communautaire et qui n’accepta jamais que la messe soit profanée à des fins
inavouables que je viens de dénoncer. 30/06/79, p.34-35, VII.
2) La grandeur divine du sacerdoce
Par cette messe unique, nous
proclamons la grandeur divine du sacerdoce. Je tiens Ă remercier ces chers
prêtres qui sont ici présents pour le grand bien qu’ils font en célébrant la
messe dans leurs paroisses, avec le sacrement qu’ils apportent de l’autel pour
animer notre peuple dans les situations difficiles que nous vivons. Très chers
prêtres, notre vocation, oint de l’ordination sacerdotale, nous a fait
sacrement jumeau de l’Eucharistie, sacrement d’amour. Comme l’Eucharistie, le
sacerdoce prêche dans le monde par sa seule présence, la miséricorde du
Seigneur, la force rédemptrice de Dieu. En multipliant par ces gestes
consacrĂ©s, la messe sur les autels de notre diocèse, le prĂŞtre nous signifie Ă
quel point le Christ nous aime et comment Il veut partager avec nous son amour.
Le prêtre donne à la communauté le sens eucharistique. Dans le signe du pain et
du vin, les mains sacerdotales offrent le fruit du travail, les espoirs et les
angoisses, les joies et les tristesses de l’humanité. Une communauté est comme
décapitée lorsqu’elle n’a plus de prêtre qui célèbre la messe et divinise tout
ce que produit le génie humain par ses mains et sa force créatrice. C’est
pourquoi le prêtre est nécessaire dans chaque communauté.
Le Pape Jean-Paul II parlant du Jeudi
saint, disait que dans son pays, il y a des endroits où il n’y a pas de prêtre.
On met une étole sur l’autel et on lit pendant toute la messe, mais quand
arrive le moment de prononcer les paroles de la consécration, il y a un silence
parmi l’assemblée, personne ne peut dire ces mots, il manque un prêtre. Et il
se produit, dit le Pape, que ces silences soient interrompus par des pleurs,
par des sanglots qui rappellent avec nostalgie l’absence d’un prêtre. Je crois
que c’est aujourd’hui également le vide de nos églises sans messe et sans
prĂŞtre. Nous voulons par ce geste rappeler le manque que nous fait ressentir
l’absence du père Rafael Palacios ainsi que celle des quatre autres prêtres
assassinés et le besoin que nous avons de prêtres. De telles sortes que cette
absence du père Palacios dans son presbytère nous affecte tous.
Cela a été un crime de le tuer, non
seulement un homicide, mais Ă©galement un sacrilège parce qu’on s’en est pris Ă
la personne du Christ que le prêtre représente. Non seulement un crime et un
sacrilège, mais aussi un attentat contre le peuple. Le peuple demeure sans
prêtre, même les criminels en ont besoin et la peine d’excommunication que
l’Église applique à ceux qui tuent ou posent leurs mains violentes sur un
prêtre n’est pas un geste vain, c’est l’expression d’un peuple qui répudie ceux
qui ont levé leur main pour enlever la vie de l’un de ses prêtres.
Cet outrage à la communauté est la
raison de votre présence, très chers frères et sœurs. Votre présence ici
proclame la foi que vous avez dans ce sacrement qui dépose dans l’homme la
capacité du Christ pour pardonner, pour donner son corps divin et son sang,
pour accompagner les pèlerins de la vie dans leur ultime voyage vers
l’éternité, pour prêcher la Parole divine, pour enseigner la paix et l’amour
aux peuples. C’est pourquoi est injuste, en cette heure de vengeances
irrationnelles, la mort violente d’un prédicateur de la paix. En ce tourbillon de
vengeance, la mort d’un prêtre apparaît extrêmement significative. Cinq prêtres
déjà viennent de nous le rappeler le manifeste qui a été lu au commencement de
la messe.
Aucun autre diocèse d’Amérique latine
ne peut offrir au Seigneur cinq hosties de son presbytère. Serait-ce là notre
gloire ou la honte d’un peuple qui ne sait pas apprécier les prêtres? Ce qui
est certain c’est que votre présence ici dans la cathédrale et l’absence de
célébration eucharistique dans le reste du diocèse, apparaissent comme une
réclamation de ceux qui forment les communautés chrétiennes envers ceux qui
nous haïssent et nous persécutent pour que nous apprenions à reconnaître la
valeur d’un prêtre. Vous l’aimez ou vous le haïssez, il est le ministre de
l’amour et du pardon. Vous l’aimez ou vous nuancez son message, vous le
calomniez, vous le diffamez et l’assassinez, mais le prêtre flottera toujours
comme une présence du Christ qui fut également assassiné.
La prêtrise dans notre archidiocèse
peut mener jusqu’à recevoir ce sceau de Jésus : « S’ils m’ont
persécuté, ils vous persécuteront également. » Je crois que nous sommes
devant un aspect typique de l’authenticité de la prédication de notre Église.
De Rafael Palacios, je peux vous certifier, de même que les communautés qui le
connurent de près, qu’il était bien loin de provoquer la violence, de semer la
haine et il ne méritait pas la mort qu’on lui donna. Il enseigna l’amour et il
s’agissait d’un homme d’une profonde réflexion qui crut toujours davantage en
la force de l’amour qu’en la force de la violence. Il
s’efforça de créer des communautés. C’était son idéal : créer des
communautés inspirées de l’amour de Jésus-Christ. 30/06/79, p.36-37, VII.
3) L’éloquence humaine et divine du
Peuple de Dieu
Finalement, mes frères, je voudrais
que ces morts de prêtres, des prêtres solidaires du peuple, s’unissent aux
nombreuses morts d’autres catégories humaines. De sorte que nous pouvons
présenter, avec le sang des enseignants, des ouvriers, des paysans, le sang de
nos prêtres. C’est cela la communion de l’amour. Il serait triste que dans un
pays où l’on assassine si horriblement, nous ne pouvions compter aussi des
prêtres parmi les victimes. Ils sont le témoignage d’une Église incarnée dans
les problèmes de son peuple. Nous pouvons dire que cette messe unique n’est pas
seulement célébrée en l’honneur du père Rafael Palacios, nous nous rappelons
également ces cinq prêtres assassinés. Cette célébration veut être la
réclamation d’un peuple pour le sang de tous ses frères chrétiens et non
chrétiens. La vie est toujours sacrée. Le commandement du Seigneur, tu ne
tueras pas, rend toute vie sacrée, même celle d’un pécheur. Le sang versé clame
toujours vers Dieu et ceux qui assassinent sont toujours des tueurs.
Pour terminer, je voudrais
interpréter le langage humain et divin de ce peuple. Je voudrais interpréter
votre présence en cette messe unique comme une voix de prière. Le peuple prie,
l’Église ne crie pas vengeance, elle s’élève en prière et ce qui l’intéresse
d’abord et avant tout c’est le nouvel émigrant qui est parti pour l’éternité.
Le père Palacios a besoin de la prière du peuple qui dit au Seigneur :
« Celui-ci est notre prêtre, donne-lui, Seigneur, le pardon pour les
péchés qu’il pourrait avoir commis, donne-lui la lumière qui brille dans cette
recherche de la vérité qui l’a toujours guidée. » Une vie avide d’études
caractérisait le père Palacios. Donne-lui le repos pour son travail et pour les
incompréhensions qu’il a dû souffrir.
C’est notre prière posthume qui
accompagne le prêtre mort, mais d’où dérive aussi une prière de paix pour notre
peuple qui en a tant besoin. C’est une voix de dénonciation comme nous l’avons
déjà exprimée. C’est une voix qui fait appel à la conversion de tous ceux qui
célèbrent cette eucharistie et de tous ceux qui ne comprennent pas l’Église
dans son message.
« Nous écrivons ces choses,
disait saint Clément de Rome, non seulement pour vous admonester, mais
également pour nous exhorter puisque nous sommes dans la même arène. »
Frères, nous luttons dans le même
stade, nous vivons la mĂŞme histoire, nous courrons les mĂŞmes risques, le mĂŞme
défi s’impose à nous. Le même défi que Dieu posa au père Palacios et auquel il
sut répondre si héroïquement. Ce même défi se pose à nous : évêques et
prêtres, fidèles et religieuses, communautés ici présentes, nous vivons dans la
même arène et nous courrons sous le même empire du même défi du Seigneur.
L’heure est rigoureuse pour tous, pour ceux qui abandonnent les préoccupations
vaines et superficielles pour revenir à la glorieuse et vénérée règle de notre
tradition. Voyons combien beau et agréable apparaît ce sang, comme il est
accepté aux yeux du Créateur parce que ce sang versé se joint à celui de
Jésus-Christ. Reconnaissons alors combien est précieux pour Dieu ce sang qui
obtint pour le monde la grâce de la pénitence parce qu’il fut versé pour notre
libération.
Passons maintenant à l’Eucharistie où
le Corps et le Sang du Seigneur recueillent le sens de tant de sang versé, où
ils le divinisent, l’anoblissent et le purifient de toute souillure qu’il put
avoir. Et, avec le Sang du Seigneur dans cette Eucharistie, nous offrons non
seulement notre prière pour le père Palacios et pour tous les défunts pour qui
nous désirons prier, mais nous recueillons aussi le défi de cet esprit martyr
dont nous parle le Concile et disons-lui comme cet apĂ´tre au Seigneur :
« Allons-y et si cela est nécessaire nous mourrons avec Lui. » Ainsi
soit-il. 30/06/79, p.37-38, VII.