La Pauvreté des Béatitudes, Force de la véritable libération du Peuple
Sixième dimanche du temps ordinaire;
17 février 1980; Lectures : Jérémie 17,5-8; I Corinthiens 15,12)16-20; Luc
6,17.20-26.
Le carême, Itinéraire vers Pâques et
la PentecĂ´te
Vivons ce temps qui va nous rendre
capables d’entreprendre, en ce mercredi, ce long pèlerinage vers Pâques et la
PentecĂ´te, les deux grands buts du carĂŞme. L’être humain ne se mortifie pas Ă
cause d’une passion maladive pour la souffrance. Dieu ne nous a pas faits pour
la souffrance. S’il y a des jeûnes, s’il y a des pénitences, des prières, c’est
parce qu’il existe un but très positif que l’humain atteint en son terme :
la Pâque, ou encore, la Résurrection. Tout cela afin que nous ne célébrions pas
un Christ qui ressuscite différent de nous, mais que, durant le carême, nous
nous rendions capables de ressusciter avec Lui Ă une vie nouvelle et que nous
devenions ainsi les hommes nouveaux et les femmes nouvelles dont notre pays a
un urgent besoin. Ne crions pas seulement que nous voulons des changements de
structures, parce qu’il ne sert à rien d’avoir des structures nouvelles si nous
n’avons pas des hommes et des femmes renouvelés qui construisent et dirigent
ces structures.
Opportunité des lectures
d’aujourd’hui : Les Béatitudes
La Résurrection…
Aussitôt après vient la Pentecôte, la
venue de l’Esprit Saint. Rendons-nous aptes pour que notre cœur soit comme un
vase propre, disponible à la venue de l’Esprit de Dieu, avec toute sa force de
sainteté, pour transformer la face de la Terre. C’est ce qui manque dans notre
patrie : beaucoup d’Esprit de Dieu, de sens de la Résurrection et de
rénovation de vie.
Forge de chrétiens libérateurs et
artisans du destin de la patrie
Le carĂŞme nous invite Ă regarder Ă
l’intérieur et à nous rénover. C’est pourquoi je crois que les lectures
d’aujourd’hui (Jer 17,5-8; Cor 15,12)16-20; Lc 6,17.20-26) sont précisément un
appel à cette rénovation intérieure. Le prologue du carême des lectures
d’aujourd’hui est précieux parce que je crois que dans le document de Puebla se
trouve une constatation qui nous remplit d’espérance si nous savons vraiment la
comprendre (Puebla 1129) : « En Amérique latine, la pauvreté est
palpable comme un sceau qui marque les immenses majorités, lesquelles, en même
temps, sont ouvertes non seulement aux béatitudes et à la prédilection du Père,
mais à la possibilité d’être de véritables protagonistes de leur propre
développement. »
Les pauvres sont un signe en Amérique
latine. Les majorités de nos pays sont pauvres et c’est pourquoi ils sont
habilités à recevoir ces dons de Dieu et une fois remplis de Dieu, ils seront
capables de transformer leur propre société. J’aime voir, qu’auprès de ces
pauvres, Puebla dit que les jeunes sont également ce signe. Très chers jeunes,
vous êtes comme les pauvres d’Amérique latine, les signes de la Présence de
Dieu.
Les pauvres et les jeunes constituent
la richesse et l’espérance de l’Église en Amérique latine et leur
évangélisation est tout autant une priorité. C’est-à -dire que notre Église sent
une affection spéciale pour la majorité pauvre et pour les jeunes. Jeunes et
pauvres vont construire notre Patrie; nous pouvons avoir véritablement
confiance que c’est ainsi que cela doit être si nous nous disposons comme
peuple pauvre et comme peuple jeune - ce que nous sommes dans notre immense
majorité - à ce que la Résurrection du Seigneur rencontre dans ces deux grands
signes présents au Salvador, pauvres et jeunes, les éléments capables de
reconstruire. Ne désespérons pas parce que, si cela est l’espérance de
l’Amérique latine au Salvador, il y a beaucoup d’espérance parce qu’il y a
beaucoup de pauvres et de jeunes.
C’est pourquoi j’ai choisi comme plan
de mon homĂ©lie d’aujourd’hui, un passage d’un texte des documents de MedellĂn
qui parle de la pauvreté. Il dit que la pauvreté est une dénonciation, un
esprit et un engagement. Ces trois points que nous indique MedellĂn, sont une
force de libération.
Plan de l’homélie :
1) La Pauvreté est une dénonciation
divine
2) La Pauvreté est un esprit
3) La Pauvreté est un engagement.
Nous aurons aujourd’hui, si Dieu le
veut, une idée claire de ce que nous avons tant de fois répété, à savoir :
que l’Église a assumé une option préférentielle pour les pauvres… et que seule
peut exister une Église véritable, celle qui se convertit et s’engage avec le
peuple souffrant et pauvre… » 17/02/80, p.231-232, VIII.
1) La Pauvreté est une dénonciation
divine
Paroles de MedellĂn (14,4) :
« La pauvreté comme carence des biens de ce monde est, en tant que tel, un
mal – manquer des biens de ce monde est un mal – Les prophètes la dénonçaient
comme contraire à la volonté du Seigneur et la plupart du temps, comme fruit de
l’injustice et du péché des hommes… »
Je vais renforcer cette pensée avec
les textes liturgiques d’aujourd’hui (Jer 17,5-8; I Cor 15,12)16-20; Lc
6,17.20-26). Comment cela se fait-il que la pauvreté est une dénonciation?
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A) DĂ©nonciation de JĂ©sus :
« Malheur à vous, les riches! »
Quelle autre chose fait JĂ©sus dans
l’Évangile des Béatitudes?
Comme il est enchanteur d’être en
train de réfléchir avec ce Jésus qui descend de la montagne (Lc 6,17.20-26).
Ses expressions de l’Évangile possèdent une profonde façon de voir Jésus.
Regardons-le descendre des hauteurs pour se confondre dans la plaine avec le
commun des mortels. Descendant, il se mit à leur adresser la parole… et c’est
ainsi que débute l’Évangile (Lc 6,20) : « Heureux, vous les pauvres,
car le Royaume de Dieu est à vous. »
Il y a des pauvres… des gens affamés…
qui pleurent parce qu’il y a des riches.
Ces quatre béatitudes sont en
opposition; elles dénoncent parce qu’il y a des pauvres, parce qu’il y a des
gens qui ont faim, parce qu’il y a des gens qui souffrent. Ceux-là sont
bienheureux parce qu’ils souffrent et qu’ils pleurent, parce qu’ils ont faim.
Pourquoi cela existe-t-il? L’Évangile d’aujourd’hui est terrible quand il nous
indique les causes de ces carences (Lc 6,24-25) : « Mais malheur Ă
vous, les riches! car vous avez votre consolation. Malheur Ă vous qui ĂŞtes
repus maintenant! car vous aurez faim. Malheur, vous qui riez maintenant! car
vous connaîtrez le deuil et les larmes! » L’accent de tous les prophètes de
l’Ancien Testament, résonne dans la voix du Christ. Comme sont terribles les
prophètes lorsqu’ils dénoncent ceux qui ajoutent maison sur maison et ceux qui
ajoutent terrains sur terrains et qui se rendent maîtres de tous le pays.
L’existence de la pauvreté comme
carence du nécessaire est une dénonciation. Frères, ceux qui disent que
l’évêque, l’Église et les prêtres ont causé le malaise dans le pays, veulent
jeter un nuage de poussière sur la réalité… Ceux qui ont commis le grand mal ce
sont ceux qui ont rendu possible l’injustice sociale si horrible dans laquelle
vit notre peuple… Les pauvres indiquent le véritable chemin de l’Église. Une
Église qui ne s’unit pas avec les pauvres pour dénoncer, à partir d’eux, les
injustices qui sont commises envers eux, qui ne s’engage pas avec eux, n’est
pas la véritable Église de Jésus-Christ.…
Résumé de mon discours de Louvain
Je veux profiter de cette opportunité
pour vous rapporter ce que fut prĂ©cisĂ©ment le thème de mon discours Ă
l’Université de Louvain alors qu’on m’indiqua, dans son cycle de conférences,
le thème général de toute cette année : Foi et Politique.
I) Les pauvres ont marqué la pastorale
de notre archidiocèse
J’ai donc choisi pour nuancer ce
concept : « La Dimension politique de la Foi, à partir des pauvres ».
Je me suis efforcé de dire comment, pour nous au Salvador, la clé pour
comprendre la foi chrétienne, ce sont justement les pauvres.
B) Ils ont été la clé pour comprendre
la foi chrétienne
Notre monde salvadorien n’est pas une
abstraction; ce n’est pas un cas parmi tant d’autres qu’on entend de par monde
dans des pays développés comme le vôtre. C’est un monde qui, dans son immense
majorité, est formé d’hommes et de femmes pauvres et opprimés; et de ce monde
des pauvres, nous disons qu’il est la clé pour comprendre la foi chrétienne,
l’agir de l’Église et la dimension politique de cette foi et de cet agir
ecclésial.
Les pauvres sont ceux qui nous disent
ce qu’est le monde et quel est le service que l’Église doit rendre à ce monde…
Les pauvres sont ceux qui nous disent ce qu’est la politique. Dans son origine,
le mot politique faisait référence à la « polis », qui veut
dire : Cité. Les pauvres nous disent ce qu’est la « polis », ce
qu’est la cité et ce que signifie réellement pour l’Église vivre dans le monde,
dans la « polis », dans la citĂ©. Permettez-moi, leur ai-je dit, Ă
partir des pauvres de mon peuple, que je veux représenter, de vous expliquer
brièvement la situation et l’agir de notre Église dans le monde où nous vivons.
Et j’ai commencé à leur raconter l’aventure de notre Église, ici au
Salvador : « Qu’est-ce que nous faisons? »
En premier lieu, nous nous incarnons
chez les pauvres; nous voulons ĂŞtre une Église qui se sent rĂ©ellement coude Ă
coude avec le peuple pauvre du Salvador et nous notons ainsi que, chaque fois
qu’il y a ce rapprochement avec le pauvre, nous découvrons le visage véritable
du Serviteur Souffrant de Yahvé. C’est là que nous connaissons de plus près le
mystère du Christ qui s’est fait homme et qui s’est fait pauvre pour nous.
Annoncer la Bonne Nouvelle
Que fait d’autre l’Église d’ici? Elle
annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres, mais non pas dans un sens démagogique,
comme si nous voulions exclure les autres; bien au contraire. Ceux qui, siècle
après siècle, n’ont entendu que des mauvaises nouvelles et qui ont vécu les
pires réalités, entendent par le biais de l’Église, les paroles de Jésus :
«Le Règne de Dieu s’approche pour nous! Bienheureux êtes-vous les pauvres parce
que le Règne de Dieu vous appartient! » Et à partir de là , également, une Bonne
Nouvelle qui annonce aux riches qu’ils doivent se convertir aux pauvres pour
partager avec eux les biens du Règne de Dieu.
Engagement pour la défense des
pauvres
Une autre chose que fait l’Église du
Salvador, c’est de défendre les pauvres. Les majorités pauvres de notre pays
rencontrent dans la voix de l’Église, celle des prophètes d’Israël. Il y en a
parmi nous qui vendent le juste pour de l’argent et le pauvre pour une paire de
sandales, comme disent les prophètes… Ceux qui accumulent des violences et des
butins dans leurs palais, ceux qui Ă©crasent les pauvres, ceux qui font
s’approcher un règne de violence et qui sont allongés sur des lits de marbre,
ceux qui ajoutent maison sur maison et qui annexe champ sur champ et qui
finissent par occuper tout l’espace disponible, afin de demeurer seuls dans le
pays. Ces textes des prophètes ne sont pas des voix lointaines que nous lisons
avec révérence dans notre liturgie; ce sont des réalités quotidiennes, dont
nous vivons quotidiennement la cruauté et l’intensité.
Persécutés pour la défense des
pauvres
C’est pourquoi l’Église souffre le
destin des pauvres : la persécution. Notre Église se glorifie d’avoir mêlé
son sang de prêtres, de catéchistes et de communautés, aux massacres du peuple
et d’avoir toujours porté la marque de la persécution. Précisément parce
qu’elle dérange, on la calomnie et on ne veut pas entendre en elle la voix qui
réclame contre les injustices.
II) L’Église a enseigné une
conscience plus grande du péché
Mais pour cela, la seconde partie de
mon discours portait sur ce dont l’Église s’est enrichie dans cette dimension
politique de la foi Ă partir du peuple, Ă partir du pauvre.
Conscience plus claire du péché.
De lĂ a surgi un sens plus clair de
ce qu’est le péché. Ce que nous disons aujourd’hui, précisément, c’est que la
pauvreté dénonce le péché. Dans son rapprochement des pauvres, l’Église
comprend que le péché est une chose grave. Le péché est ce qui donna la mort au
Fils de Dieu et le péché continue d’être ce qui donne la mort aux fils de Dieu.
Cette vérité fondamentale de la foi, nous la voyons à l’œuvre quotidiennement
dans les situations de notre pays. On ne peut pas offenser Dieu sans offenser
le frère. Ce n’est pas, pour autant, par pure routine que nous répétons une
fois de plus l’existence de structures de péché dans notre pays. Elles sont un
péché parce qu’elles produisent les fruits du péché : la mort des Salvadoriens,
la mort rapide de la répression ou la mort lente de l’oppression structurelle.
C’est à cause d’elles que nous avons dénoncé le péché de l’injustice.
Une meilleure clarté sur
l’Incarnation et la Résurrection
Ce mystère de la pauvreté nous a également
mieux fait comprendre la RĂ©demption de JĂ©sus-Christ qui se fit en tout
semblable à nous pour nous racheter de nos péchés et pour nous révéler le sens
de Dieu. Dieu veut nous donner la vie et toute personne qui enlève ou qui
estropie la vie en mutilant, en torturant, en réprimant, nous révèle également
par contraste, l’image divine du Dieu de la vie, du Dieu qui respecte la
liberté des hommes.
Ceci est le premier point de mon
homélie d’aujourd’hui et je me réjouis d’avoir fait ces considérations dans un
pays très organisé comme l’est la Belgique. Cela leur fit comprendre un peu ce
qui est difficile à saisir dans ces contrées, à savoir : une Église qui ne
fait pas de politique mais qui depuis la Parole prophétique de Dieu, dénonce,
dans une réalité qui parle d’elle-même, les injustices subies par le peuple.
C) La Pauvreté est une dénonciation
envers l’Église elle-même
La pauvreté est également sainte
parce qu’elle réclame et dénonce l’Église elle-même. Cette pensée est aussi de
Puebla quand il dit (1147) : « L’engagement avec les pauvres et les
opprimés et l’apparition des communautés ecclésiales de base, ont aidé l’Église
à découvrir le potentiel évangélisateur des pauvres en tant qu’interpellation
permanente, l’appelant à la conversion parce que plusieurs d’entre eux
réalisent dans leur vie les valeurs évangéliques de solidarité, de service, de
simplicité et de disponibilité pour accueillir le don de Dieu… »
Parce que tous ceux qui dénoncent
doivent être disposés à être dénoncés et si l’Église dénonçait les injustices,
elle est aussi disposée à entendre les reproches et elle est obligée de se
convertir. Et les pauvres, sont le cri constant qui dénonce non seulement
l’injustice sociale mais aussi le peu de générosité de notre propre Église…
17/02/80, p.232-236, VIII.
2) La Pauvreté est un esprit
De sorte que, premièrement, la
pauvretĂ© est une dĂ©nonciation mais qu’elle est Ă©galement un esprit. MedellĂn
dit à ce propos (14,4) : « La pauvreté spirituelle est le thème des
pauvres de Yahvé. La pauvreté spirituelle est l’attitude d’ouverture à Dieu, la
disponibilité de celui qui attend tout du Seigneur. Même s’il valorise les
biens de ce monde, il ne s’attache pas à eux et il reconnaît la valeur
supérieure des biens du Règne. »
« Par le Règne de Dieu – Proximité
de Dieu, une Promesse… »
La pauvreté est donc une
spiritualité; c’est une attitude du chrétien, c’est une disponibilité de l’âme
ouverte à Dieu. C’est pourquoi Puebla disait que les pauvres sont une espérance
en Amérique latine, parce qu’ils sont les plus disponibles pour recevoir les
dons de Dieu. C’est pour cela que le Christ dit avec tant d’émotion :
« Bienheureux vous les pauvres parce que le Règne de Dieu est à vous! Vous
êtes les plus aptes à comprendre ce que ne comprennent pas ceux qui sont agenouillés
devant les fausses idoles et qui s’y fient. Vous qui n’avez pas ces idoles, qui
ne vous fiez pas sur cela parce que vous n’avez ni argent ni pouvoir, vous qui
êtes dépourvus de tout, combien plus pauvres êtes-vous, combien davantage êtes
vous propriétaires du Règne de Dieu. À condition que vous viviez réellement
cette spiritualité parce que la pauvreté que Jésus-Christ rend digne, n’est pas
une pauvreté matérielle; ne rien avoir, cela est un mal. C’est une pauvreté qui
prend conscience, c’est une pauvreté qui accepte la croix et le sacrifice mais
non pas avec conformisme mais parce qu’elle sait que cela n’est pas la volonté
de Dieu.
Mais le pauvre évangélique sait aussi
que dans la mesure où il fait de sa pauvreté une conscience, une spiritualité,
un don de soi, une disponibilité au Seigneur, il se fait saint et à partir de
cette sainteté il saura être un meilleur libérateur de son propre peuple.
L’Église est en train de forger ces libérateurs du peuple. Vous chrétiens, dans
la mesure où votre pauvreté se convertit en spiritualité, dans cette mesure
également, vous êtes des libérateurs de notre peuple.
L’Histoire d’Israël a pour scène la
Terre Promise
Observons bien Ă quel moment le
Christ dit ces béatitudes pour voir leur portée. Ne les enlevons pas du
contexte de toute l’histoire d’Israël. Comment naquit Israël? D’une promesse de
Dieu à un ancien qui s’appelait Abraham et qui, pour comble, était stérile. Il
vivait avec une femme qui était aussi stérile. Sans qu’il ait eu d’enfants,
Dieu lui dit : « De ta descendance, Je vais faire un grand
peuple. » Cela commence par un signe de pauvreté, presque de limitation
absolue : Ils ne peuvent pas avoir d’enfant et Dieu leur dit qu’Il va leur
donner une descendance aussi nombreuse qu’un peuple. Cette promesse est
acceptée par la foi d’Abraham et ce peuple va devenir réalité. Et ce peuple rencontre
en Dieu une promesse : je vais te donner une terre. Et au moyen d’un
guide, MoĂŻse, Il les conduit Ă cette Terre promise oĂą Dieu leur offrira sa Loi
et son Alliance.
Conquise…perdue par le péché… dominée
par Rome
Mais ce peuple ne fut pas fidèle et Ă
cause de son infidélité il va être déporté. C’est dans la déportation qu’il
pleure avec regrets ce que Dieu lui avait donné et ce qu’il a perdu par le
péché. Il s’agit également d’un signe de pauvreté : « Maintenant,
dit-Il, le peuple se repent. » Les prophètes appellent au repentir et
obtiennent le pardon de Dieu et le peuple revient de Babylone et il se réjouit
une autre fois dans son pays. Mais en ce pays il se produit tant de
vicissitudes politiques…. dont celle qui nous intéresse plus particulièrement
aujourd’hui : celle qu’un jour l’Empire Romain prit possession de cette
terre et la domina par son administration, par son armée. Un peuple dominé!
C’est en ce peuple dominé par Rome qu’arrive le Christ. À ce peuple soumis
politiquement à un pouvoir étranger, à un impérialisme, le Christ prêche les
béatitudes : « Bienheureux les pauvres, parce que le Règne de Dieu
vous appartient! »
Je vous ai rappelé le contexte pour
que nous ne mystifiions pas les Béatitudes de l’Évangile, parce que saint
Mathieu, dans une réflexion plus difficile à comprendre, nous dit :
« Bienheureux les pauvres d’esprit. » Et plusieurs ont tergiversé
cette phrase jusqu’au point de vouloir dire que tous sont pauvres, jusqu’Ă
celui qui opprime les autres. Ce n’est pas si sûr. Dans le contexte de
l’Évangile « pauvre d’esprit » signifierait plutôt, comme Luc qui dit
simplement « pauvre », celui qui manque, celui qui vit une
oppression; c’est lui dont Dieu a besoin pour sortir de cette situation.
Le Libérateur
Mais Jésus-Christ ne se présente pas
avec des armes ni avec des mouvements révolutionnaires, même s’Il donne une
doctrine pour que toutes les révolutions de la Terre s’inscrivent dans la
grande libération du péché et de la Vie éternelle. Il donne des horizons à ceux
qui luttent pour les libérations du peuple. Lorsque le Christ dit :
« les pauvres d’esprit », Il se réfère aux Israélites, sans leur
enlever leur patrie. C’est leur dire aussi : vous aussi devez être libres,
vous devez secouer un jour le joug de ceux qui ont envahi cette terre, mais
vous devez le faire à partir de cette spiritualité des pauvres. Marie, la
Vierge, la plus spirituelle de Yahvé, lorsqu’elle chante dans son Magnificat que
Dieu libère les humbles et les pauvres, quand elle dit textuellement :
« Dieu renvoie les riches les mains vides et comble de biens les
pauvres, » faut-il comprendre ici que résonne également cette dimension
politique?
Â
Marie en arrive aussi Ă dire une parole
qu’aujourd’hui nous qualifierions « d’insurrectionnelle » :
« Il détrône les puissants quand ceux-ci sont un obstacle à la
tranquillité du peuple…! » C’est cela, la dimension politique de notre
foi : Marie l’a vécue, Jésus l’a vécue. Il était un authentique patriote
d’un peuple qui était sous domination étrangère et que Lui, sans doute, rêvait
de voir libre. Mais, pourtant, Il dut payer le tribut Ă CĂ©sar :
« Rendez à César ce qui appartient à César et donnez à Dieu ce qui Lui
revient. » C’est cette spiritualité que d’une manière plus explicite, nous
a dit la première lecture (Jr 17,5-8). Sans doute que lorsque le Christ
parlait, Il rappelait l’écho des anciens prophètes.
Confiance en Dieu, non dans l’homme
Ainsi comme aujourd’hui, l’Église en
apportant un texte de l’Évangile du Christ, cite une Parole de L’Ancien
Testament, de sorte qu’avec les BĂ©atitudes aux pauvres, Ă ceux qui ont faim, Ă
ceux qui souffrent, à ceux qui pleurent, nous entendons aussi l’écho de Jérémie
(17,5-6) : « Maudit l’homme qui se confie en l’homme, qui fait de la
chair son appui et dont le cœur s’écarte de Yahvé! Il est comme un chardon dans
la steppe : il ne ressent rien quand arrive le bonheur, il se fixe aux
lieux brûlés du désert, terre salée où nul n’habite. » La vision de l’aridité
pour l’être humain qui a mis sa confiance dans les choses de la Terre. C’est
pourquoi, malheur Ă vous les riches! parce que si maintenant vous paraissez
semblables Ă des arbres feuillus, demain vous serez des arbres secs comme les
steppes et vous serez arides à cause de votre propre égoïsme… Le contraste des
prophètes : « Béni celui qui se confie dans le Seigneur. »
Il ne vous semble pas entendre ici
l’écho du Christ (Jr 17,7-8) : « Béni l’homme qui se confie en Yahvé
et dont Yahvé est la foi. Il ressemble à un arbre planté au bord des eaux, qui
tend ses racines vers le courant : il ne redoute rien quand arrive la
chaleur, son feuillage reste vert; dans une année de sécheresse il est sans
inquiétude et ne cesse pas de porter des fruits. » Ceux-là sont les
véritables pauvres; la spiritualité des pauvres c’est substantiellement une
grande confiance dans le Seigneur et la malédiction des riches c’est qu’ils
s’éloignent du Seigneur et mettent toute leur confiance dans la chair,
c’est-à -dire, dans des valeurs terrestres.
C’est pourquoi, mes frères, ce n’est
pas un prestige pour l’Église d’être bien avec les puissants. Le véritable
prestige de l’Église c’est de sentir que les pauvres la sentent comme une des leurs,
de sentir que l’Église vit une dimension sur la Terre d’oĂą elle fait appel Ă
tous, aux riches également, pour qu’ils se convertissent et se sauvent depuis
le monde des pauvres, parce que ceux-ci uniquement sont les bienheureux…
La Résurrection… Fondement solide de
cet Esprit
Et sur ce point de l’esprit, de la
pauvreté comme esprit, je veux situer également la deuxième lecture
d’aujourd’hui (I Co 15,12)16-20) parce que celle-ci donne des bases à notre
espérance. Saint Paul écrit aux chrétiens de Corinthe où circulaient des idées
erronées contre la Résurrection : « La résurrection n’existe pas! »
Et ils se moquaient de Paul lorsqu’il parlait de la Résurrection et Paul
affermissait sa foi. Déjà depuis dimanche dernier, il nous dit qu’il y a eu des
témoins que le Christ est ressuscité : « Cinq cents disciples et en
dernier Il m’est apparu à moi qui vous le dis, moi qui persécutait l’Église et
qui n’était pas disposé à croire aux histoires de l’Église. Je l’ai vu et je me
suis converti à Celui que je vous prêche. »
Saint Paul est un merveilleux témoin
de la Résurrection parce s’il y avait un homme qui ne voulait pas croire en
Jésus ni en la Résurrection, c’était Saul le persécuteur. Il croyait que les
chrétiens trompaient ses compagnons juifs et c’est pourquoi il les persécutait.
Et à ce Paul, convaincu que le Christ est mort, apparaît le Christ vivant et
après cela le nouveau converti est capable de donner sa vie pour cette grande
vérité : « Non dit-il aux Corinthiens dans l’erreur, le Christ est
ressuscité…! Et si vous dites que les morts ne ressuscitent pas, pourquoi ai-je
vu le Christ ressuscité? »
Et si le Christ est ressuscité, la
rĂ©surrection des hommes existe Ă©galement et si cette dernière existe, c’est lĂ
que s’affermit notre foi et notre espérance parce que si le Christ n’était pas
ressuscité, nous serions les plus misérables des hommes, croyant dans un
mensonge. Mais le Christ est ressuscité, le Christ vit et c’est là notre grande
foi et notre confiance, la grande spiritualité des pauvres. Il est notre Dieu,
le Dieu des pauvres comme le chantent nos chansons populaires… 17/02/80,
p.236-239, VIII.
3) La Pauvreté est un engagement.
Comme dernier point de ma réflexion
d’aujourd’hui je veux laisser cette idée : que la pauvreté est une force
de libération parce qu’en plus d’être une dénonciation du péché et d’être une
spiritualité chrétienne, elle est, en troisième lieu, un engagement.
Le mot chrétien signifie pour moi en
premier lieu, que je dois donner l’exemple de cette appartenance ; et pour vous
tous très chers prêtres, religieuses et vous tous, les baptisés qui se nomment
chrĂ©tiens, Ă©coutez ce que dit MedellĂn : « La pauvretĂ©, comme
engagement qui assume volontairement et par amour la condition des nécessiteux
de ce monde pour témoigner du mal qu’elle représente et de la liberté
spirituelle devant les biens, continue en cela, l’exemple du Christ qui fit
siennes toutes les conséquences de la condition pécheresse des hommes et qui “étant
riche, se fit pauvre pour nous sauver.” »
C’est cela, l’engagement d’être
chrétien : suivre le Christ dans son incarnation; et si le Christ est le
Dieu majestueux qui s’est fait homme, humble jusque dans la mort des esclaves
sur une croix et qu’Il a vécu avec les pauvres, c’est ainsi que doit être notre
foi chrétienne. Le chrétien qui ne veut pas vivre cet engagement de solidarité
avec le pauvre, n’est pas digne de s’appeler chrétien…
Cet engagement apporte la persécution
Le Christ nous invite Ă ne pas avoir
peur de la persécution parce que, en faisant du pauvre notre frère, celui qui
s’engage avec les pauvres doit courir le même destin que les pauvres. Et au
Salvador nous savons déjà ce que signifie le destin des pauvres : être
porté disparu, être torturé, être capturé, réapparaître une fois mort.
Le Don du Christ : L’annonce de
la Bonne Nouvelle aux pauvres
Et ceux qui recherchent les
privilèges de ce monde et non pas les persécutions de cet engagement, doivent
écouter les antithèses terribles de l’Évangile (Lc 6,22-23) :
« Heureux êtes-vous, quand les hommes vous haïront, quand ils vous
frapperont d’exclusion et qu’ils insulteront et proscriront votre nom comme
infâme à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez
d’allégresse, car voici que votre récompense sera grande dans le ciel. »
Je tiens à féliciter avec une allégresse et une gratitude immense les prêtres, et
plus particulièrement ceux qui sont davantage engagés avec les pauvres; ils
sont encore plus diffamés. Lorsqu’ils sont plus engagés envers la misère de
notre peuple, ils sont davantage calomniés. Je veux me réjouir avec les religieux
et les religieuses, avec les communautés chrétiennes, avec les catéchistes qui
sont engagés avec ce peuple au point de souffrir avec lui et qui pendant que
fuient les lâches, demeurent en poste…
Et ceux qui veulent fuir les
conséquences de la persécution, de la calomnie, de l’humiliation, écoutez ce
que le Christ a dit en ce dimanche (Lc 6,26) : « Malheur, lorsque
tous les hommes diront du bien de vous! C’est de cette manière, en effet, que
leurs pères traitaient les faux prophètes. » Comme est triste l’adulation
du monde! Si les chrétiens qui souffrent la calomnie et la persécution,
voulaient être bien, il leur serait très facile de trahir leur christianisme et
de vivre agenouillés devant l’argent comme vivent ceux qui sont bien en ce
monde, « mais malheur à vous! »
La Mort… le Péché… Expression ultime
de la Pauvreté…
Dans la seconde lecture d’aujourd’hui
(I Co 15,12)16-20), est aussi confirmée cette vérité de la pauvreté comme
engagement. Les manifestations extrêmes de la pauvreté sont le péché et la
mort. Il n’y a pas de gens plus misérables que ceux qui sont dans le péché et
il n’y a pas d’être plus pauvre qu’un cadavre. C’est envers eux que s’est engagé
le Christ, envers les pécheurs et les morts. C’est pourquoi la Rédemption du
Christ implique toute les libérations de la Terre, lesquelles ne seront pas
complètes tant qu’elles ne parviendront pas à libérer les pécheurs du péché et
les défunts de la mort; et c’est ce que nous offre le grand Libérateur.
Bienheureux ceux qui travaillent aux
libérations politiques de la Terre en tenant compte de la Rédemption de Celui
qui sauve du péché et de la mort.
Le Christ Ressuscité :
Engagement valeureux avec les pauvres
C’est pourquoi, la seconde lecture
d’aujourd’hui affermit le cœur d’un peuple qui lutte pour sa Résurrection.
Croyez en la Résurrection, ne doutez pas que le Christ est ressuscité et qu’Il
nous a sauvés, depuis sa croix, du péché et de la mort. Nous mourons tous mais
celui qui croit dans le Christ ne mourra pas pour toujours et lĂ -haut dans le
Ciel, nous chanterons la victoire des libérations de la Terre. La grande
Libération est celle du Christ et celui qui intègre à la lutte de libération de
son peuple, la foi en Jésus-Christ, porte la garantie d’une Libération
intégrale, complète et immortelle. Celui qui voudrait s’écarter de cette
Libération chrétienne et faire seulement consister sa lutte en des choses
temporelles, en de meilleurs salaires, en des impĂ´ts plus bas, en changement
d’hommes et de femmes dans la politique, en changement de structures qui demain
seront déjà vieilles, devrait savoir que tout cela est temporel, transitoire.
Ce qui demeure dans l’âme de tout cela c’est d’avoir travaillé ainsi mais avec
une âme de chrétien.
C’est pourquoi, ceux qui vivent dans
les groupes organisés ou dans des partis politiques, ne doivent pas oublier,
s’ils sont chrétiens, de vivre profondément cette intensité de la spiritualité
de la pauvreté, de vivre intensément cet engagement chrétien avec les pauvres.
Ils sont nombreux, grâce à Dieu, parce que plusieurs surgirent de nos
communautés ecclésiales. Ce qui est dommage cependant, c’est que plusieurs ont
perdu leur foi et se sont déjà coupés du principal.
Mais ceux qui luttent dans les
organisations politiques populaires et qui n’ont pas trahi leur foi, qui
continuent de fréquenter leurs communautés chrétiennes pour alimenter de foi
leur lutte et pour confronter à leur foi, leurs critères politiques, ceux-ci
font très bien. C’est ce que j’ai voulu dire dans ma quatrième lettre pastorale
lorsque je dis aujourd’hui qu’une des nécessités les plus urgentes de la
pastorale de l’archidiocèse est la pastorale d’accompagnement, c’est-à -dire de
suivre, pour qu’ils mûrissent dans la foi, ces jeunes, ces hommes et ces femmes
qui appartiennent Ă des groupes politiques, pour qu’ils vivent cet engagement Ă
partir de leur foi, sans la trahir, en sachant que la foi possède une dimension
politique mais qu’elle est toujours la foi dans l’éternelle Résurrection du
Seigneur et dans l’arrachement de l’homme au péché.
Puisse Dieu qu’on ne déprécie pas
l’Église lorsqu’elle s’insurge à partir de cette perspective, contre les
imperfections et les abus, contre les stratégies, contre les limitations des
groupes politiques! Ne prenez pas cela mal; écoutez-la comme une mère et comme un
maître de la foi si vous voulez faire vraiment honneur à votre titre de
chrétien. Vivez-le en vérité, parce qu’il ne sert à rien de s’appeler chrétien
seulement pour le titre si on ne l’est pas véritablement… 17/02/80, p.240-242,
VIII.