L’Église en prière, Église
missionnaire
Vingt-neuvième dimanche du temps
ordinaire; 16 octobre 1977; Lectures : Exode 17,8-13; II Timothée
3,14-4,2; Luc 18,1-8.
L’Église comprend que sa compétence
n’est pas de caractère sociologique, elle n’est pas technicienne en matière
ouvrière, mais elle sait qu’il y a un ministère du Travail et qu’il existe
aussi une volonté de concorde entre les hommes qui peut être exploitée. Je peux
uniquement affirmer en tant que pasteur, que nous devons veiller Ă ce que la
justice, le respect de la dignité des hommes, même s’il s’agit des plus humbles
travailleurs, soient respectés parce que c’est la volonté du Seigneur.
En ce sens, également, je me réjouis
d’être en syntonie avec d’autres confessions religieuses qui ne sont pas
membres de l’Église catholique. Certains protestants, certains pasteurs sont
venus démontrer leur solidarité avec l’Église dans son effort de prêcher la justice.
Nous travaillons aussi en collaboration lorsqu’il s’agit de ces sujets.
L’Église accepte pleinement ce travail, parce qu’il ne s’agit pas ici d’une
question de confession religieuse, mais de la défense de la vie humaine, de la
justice. En ce sens, ils peuvent être toujours sûrs que l’Église sera avec le
droit, avec le pauvre, avec celui qui souffre, mais en mĂŞme temps, elle
revendiquera contre les abus. À partir de la perspective de Dieu, l’Église
illumine ces réalités et lance un appel aux humains, un appel à la cordialité,
à la raison, à ne pas désirer régler les choses par la force irrationnelle du
plus fort, mais par la force de la raison qui est la force de Dieu.
Sachez également que l’Église appuie
pleinement les justes revendications des paysans. Ce sera bientĂ´t le temps des
récoltes du café, de la canne à sucre, du coton, et nous avons vu dans les
journaux la volonté de ces gens, qui en ces jours seulement, gagneront leur
principal revenu de l’année. Celui qui vit de près ces terribles réalités, sait
que le salaire du cueilleur de café, de canne ou de coton, est la plupart du
temps déjà engagé pour payer les dettes de l’année dernière parce qu’il a
souvent dû vivre à crédit pour pouvoir nourrir sa famille. Et maintenant, que
ces produits de notre terre, bénie de Dieu, ont atteint des prix élevés, il est
juste que ceux qui en font la récolte participent également à cet
enrichissement.
C’est cela, la simple justice
chrétienne. Qu’il y ait du partage, que l’on sache remercier Dieu pour le don
reçu, les prix élevés des produits afin que justement tous les hommes et les
femmes nous nous sentions, non seulement de sentiment, mais en vérité, tous
frères et sœurs. Je dirais également que l’Église n’est pas technicienne pour
indiquer le juste prix des choses; nous savons qu’il existe un ministère qui se
doit d’être juste et qui ne doit pas imiter le juge de la parabole
d’aujourd’hui (Lc 18,1-8) qui ne respectait ni Dieu ni les hommes, mais qui
avait du respect uniquement pour les puissants de la Terre et qui pour cela ne
faisait pas de cas de la veuve qui lui réclamait justice.
Nous sommes tous témoins, je crois,
de spectacles si tristes, si déprimants. Et nous allons voir encore une fois
sur ces terres où l’on produit le café et les autres produits agricoles, le
pauvre travailleur devoir récupérer ses forces d’une dure journée de labeur en
dormant à même le sol, aux intempéries, parfois sous le froid, sur les bancs
publics. C’est un spectacle qui nous dit bien que si nous désirons réellement
une patrie Ă visage humain, nous devons avoir davantage de justice et de
compréhension.
1) L’Église en prière
Dans la première lecture (Ex 17,8-13)
d’aujourd’hui, se démarque la figure d’un homme que je voudrais qu’on
interprète comme la figure de l’Église en prière. Là , dans la vallée, se
livrait une bataille qui était dirigée par Josué, chef du peuple d’Israël, face
aux Malachites qui s’opposaient au passage des Israélites dans leur pèlerinage
vers la Terre promise. Les Malachites dominaient la situation de ceux qui se
dirigeaient vers le sud. Le Peuple de Dieu devait les vaincre pour pouvoir
passer. Il s’agissait d’une de ces guerres justes, lorsque tous les moyens
humains, naturels, ont été épuisés. C’est un peu comme lorsqu’on a recours à la
grève. La guerre est l’ultime recours
lorsqu’on a tenté de négocier et
qu’on ne peut pas s’entendre de bon gré. La guerre juste est précisément la
réclamation d’un droit qu’on ne veut pas donner de bon gré. Ainsi le peuple
d’Israël doit passer, selon les ordres de Dieu, vers la Terre promise, mais il
y a un obstacle, les Malachites, et c’est avec toute la sainteté de Moïse et de
Josué qu’on déclare la guerre. Mais le plus beau dans cette histoire c’est que
pendant que Josué dirigeait son armée sur le champ de bataille, Moïse était en
prière sur la montagne avec le bâton que Dieu lui avait donné comme signe du
pouvoir divin, avec lequel il avait fait tant de prodiges en le soulevant vers
le ciel de ses mains. Lorsqu’il levait ses bras, l’armée d’Israël progressait,
et lorsque Moïse, fatigué, baissait les bras, son armée reculait. Alors, deux
assistants de Moïse, Aaron et Jur, lui soutenaient les bras pour qu’ils ne
s’abaissent pas.
C’est cela, la figure de l’Église que
j’aimerais que nous gravions dans nos âmes. Le pasteur de l’Église, les
dirigeants de ce Peuple de Dieu, nous avons besoin de maintenir continuellement
nos bras au ciel dans la prière. Et nous avons besoin de tout le peuple des
convertis pour qu’il nous assiste, comme Aaron et Jur, en faisant oraison. Je
crois que jamais comme en ce moment auparavant, ce diocèse n’a eu cette figure
de l’Église en prière. Cela me remplit le cœur de savoir qu’autant de gens me
disent : « Nous vous recommandons à Dieu, nous prions pour vous.
Je voudrais dénoncer à temps que
l’Église connaît le danger d’une bataille avec les forces du mal et que les
forces de l’enfer, le diable, ce n’est pas une illusion. Sur la Terre, il a de
nombreux ministres; plusieurs le servent et collaborent Ă son Ĺ“uvre. Alors Dieu
doit avoir pour lui les forces du Peuple de Dieu qui en prière fait monter sa
clameur. 16/10/77, p.278, I-II.
Je vous invite à être tous des âmes
en prière. Nous avons besoin aujourd’hui d’intégrer, à ce mouvement de
promotion humaine, un sens transcendant par l’Église qui l’appuie comme une force
principale. Si une personne veut promouvoir la société seulement
Ă©conomiquement, socialement et politiquement sans prier, mais seulement en recherchant
les choses de la Terre, ce sera une promotion immanente, une promotion
terrestre, une promotion qui durera tant qu’iront bien les choses mais qui tôt
ou tard s’estompera, parce qu’elle n’a pas placé sa confiance dans cette
transcendance qui est la force du chrétien. C’est à dire que même si nous nous
efforçons d’atteindre tout ce qui est possible sur cette Terre, nous
n’atteindrons rien si Dieu ne construit pas un nouvel ordre des choses, parce
que c’est Dieu qui s’est offert comme Sauveur et qu’il est le seul à pouvoir
racheter notre situation.
Il nous demande, oui, la
collaboration et nous devons pour notre part, y mettre tous les efforts qu’Il
nous demande, comme Josué dans la vallée (Ex 17,8-13), saignant et luttant,
affrontant le danger, mais au mĂŞme moment, MoĂŻse priant ,suppliant Dieu. Une
seule chose : l’immanence, celle qui lutte en ce monde; et la
transcendance, celle qui avec les mains élevées supplie Dieu : « Toi
seul Seigneur peut nous apporter la victoire de la justice, de la paix et de
l’amour en ce monde si nécessiteux. » C’est ainsi que nous devons
construire, avec la prière et le travail. « Ora et labora », comme
cette belle consigne des Bénédictins qui passent toute leur journée à travailler
mais en faisant de leur travail une prière continuelle au Père : une
Église en prière.
Nous devons intégrer cette valeur de
la prière à la promotion humaine parce que si nous ne prions pas, nous
regardons les choses avec myopie, avec ressentiment, avec haine, avec violence.
C’est seulement en nous immergeant dans des moments de prière intime avec le
Seigneur, que nous apprendrons à voir dans le visage de l’homme, surtout du
plus souffrant, du plus pauvre et du plus repentant, l’image de Dieu. C’est
alors que nous travaillerons pour lui. C’est uniquement à partir de la
contemplation de la prière que nous pourrons percevoir cette force de l’Esprit,
qui est en train de tisser l’Histoire. Les hommes peuvent abuser de Dieu, mais
jusqu’à un certain point où Celui-ci nous dira : « Ça suffit! » C’est
l’heure que nous attendons avec impatience, ne croyant plus qu’elle va venir,
mais elle viendra. 16/10/77, p.279, I-II.
2) Église missionnaire
Comme le dit saint Paul (II Tm
3,15) : « C’est depuis le plus jeune âge que tu connais les saintes
Lettres. Elles sont Ă mĂŞme de te procurer la sagesse qui conduit au Salut par
la foi dans le Christ Jésus. » C’est ce qui est grand dans notre foi. Ce
n’est pas une philosophie pour être heureux sur cette Terre. Ce n’est pas une
psychologie de ces cours qui abondent pour ĂŞtre de bons vendeurs.
Ce n’est pas une psychologie
uniquement pour rendre l’humain heureux et pour lui enlever ses préoccupations
terrestres. C’est une sagesse qui vient de Dieu. Ici encore, il y a la transcendance.
Seul ce qui vient de Dieu peut apporter le Salut, parce que le Salut vient du
Seigneur. C’est pourquoi saint Paul dit (II Tm 3,16-17) : « Toute Écriture
inspirée de Dieu est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la
justice : ainsi l’homme de Dieu se trouve-t-il accompli, équipé pour toute
œuvre bonne. »
Frères, si l’Église se préoccupe
d’apporter l’Évangile à tous les horizons, ce n’est pas par volonté de
s’ingérer dans les affaires des États, comme si un pays voulait s’ingérer dans
les affaires de notre pays. Ceux qui parlent d’une Église comme d’un pouvoir
étranger, n’ont rien compris de ce qu’est l’Église. L’Église est comme cette strophe
que l’on chante le jour des Rois Mages qui vont adorer l’Enfant Jésus dont le
roi Hérode est jaloux parce qu’il croit que son trône va lui être usurpé. Et
l’Église lui chante : « N’aie pas peur Hérode, Il ne vient pas
s’emparer d’un pouvoir temporel Celui qui nous apporte le Règne des
cieux. »
C’est ce qu’apporte l’Église aux
règnes et aux pouvoirs de la Terre, l’Esprit du Ciel. L’Église apporte son
l’Évangile en respectant l’Histoire, la nature, la façon d’être de chaque
peuple, mais en le corrigeant, en l’élevant et en le remplissant de vertu, pour
que le Salvadorien soit un meilleur Salvadorien, pour que l’Africain soit un
meilleur Africain. C’est un règne de Dieu qui s’injecte comme une injection
dans toutes les races, dans toutes les cultures, sans leur enlever leur
originalité propre en tant que culture, en tant qu’homme que l’Église élève. De
sorte que moi, et chacun d’entre vous, avec une religion bien vécue, nos
défauts s’estompent peu à peu, ce qui révèle de plus en plus l’être chrétien.
Le chrétien n’est pas autre chose que l’homme parfait. Les vertus humaines sont
nécessaires, parce que le christianisme ne détruit pas les vertus humaines d’aucun
être humain, d’aucun peuple; il les respecte et c’est cela, sa mission.
Lorsqu’à partir de cette cathédrale
je dénonce ces injustices, je reproche ces outrages, je déclare que je ne suis
pas d’accord avec certaines attitudes, ce n’est pas moi qui parle; je ne suis
que le messager de cette Parole qui est envoyée à tous les peuples pour les
reprendre, pour les corriger et les exhorter. Celui qui m’écoute, ce n’est pas
moi qu’il entend quand ma faible parole humaine parvient au cœur de chacun de
vous. Vous qui m’écoutez et moi-même qui apprends de vous, tâchons d’être
meilleurs, chacun dans sa propre vocation. Moi comme pasteur, les prĂŞtres qui
m’écoutent, les religieuses que je remercie également de leur présence ici dans
la cathédrale, et ceux qui au loin m’entendent à l’aide de leur appareil de
radio : les jeunes, les couples, les professionnels, les riches, qui ne
sont pas exclus; je les aime eux aussi, mais je veux qu’ils se convertissent Ă
cette vérité qui sauve. Car je ne veux pas qu’après avoir été heureux sur
Terre, ils aillent à la damnation éternelle pour ne pas avoir été de meilleurs
administrateurs des biens que Dieu leur a confiés. Les pauvres marginalisés,
ceux avec qui je me solidarise Ă©galement, je veux leur dire :
« Corrigez-vous, améliorez-vous, travaillez. Laissez les vices »,
afin d’être des hommes et des femmes en vérité. C’est ce que prêche l’Église.
« Les missions » ne disent pas
qu’il y a seulement ceux qui sont dans l’Église qui vont être sauvés et que
nous devons convertir tous les autres Ă notre foi catholique. La mission
proclame également, qu’il existe de nombreuses lumières du Christ dans les
terres païennes, qu’il y a plusieurs vérités et plusieurs grâces que le Christ
et l’Esprit saint apportent aussi aux peuples qui ne connaissent pas Dieu.
Ceux-ci se sauveront par leur fidélité à leurs lois païennes; mais l’Église
sent qu’elle est dépositaire d’une Rédemption entière dans le Christ.
Toutes ces valeurs religieuses qu’on
retrouve dans le judaïsme, dans l’Islam, dans les fausses religions, sont comme
des aspirations à la vérité pleine et entière du Christ, envers l’Église unique
que le Christ veut. C’est cela, la mission : utiliser ces valeurs humaines
et les évaluer pour les élever vers Dieu. De sorte que l’œuvre missionnaire de
l’Église en soit une de promotion humaine au niveau mondial, pour réaliser le
grand projet de Dieu : que tous les êtres humains, nous ne formions qu’une
seule famille dont le Christ sera l’unique tête. Un jour le Christ pourra
placer aux pieds de Dieu, l’humanité tout entière formée des diverses races,
des divers modes de penser, mais acceptant tous la véritable foi en
JĂ©sus-Christ. 16/10/77, p.280-282, I-II.