L’Église de l’Alliance et de la Pauvreté

 

Vingt-deuxième dimanche du temps ordinaire; 28 aoĂ»t 1977; Lectures : EcclĂ©siaste 3,19-21)30-31; HĂ©breux 12,22-23; Luc 14,1)7-14.

 

L’Église proclame, comme toujours, à la lumière du jour, que son message continue d’être celui de Jésus-Christ. Elle n’enseigne pas en théorie de nous aimer, mais que c’est en s’incarnant dans la réalité que nous nous aimerons les uns les autres. Là où l’on se hait, là où l’homme s’est converti en un loup pour l’homme, c’est l’extorsion de l’homme par l’homme qui continue d’être une triste réalité. L’exploitation n’a pas lieu d’être dans un environnement chrétien et l’Église veut débusquer du monde le péché qui salit l’histoire. Je répète que l’histoire de chaque peuple, concrètement dans l’histoire de notre pays, du Salvador, Dieu veut l’employer pour son Histoire de Salut. C’est pourquoi l’Église, envoyée par Dieu pour purifier l’Histoire pour en faire une source de Salut, devra continuer de dénoncer les péchés dans l’Histoire. Qu’importe où l’on rencontre le péché, il constitue une entrave au Règne de Dieu qui ne peut s’implanter en ce monde parce que le péché l’en empêche. C’est pour cela que les communautés chrétiennes continuent d’être fidèles à leur mission de chasser le péché du monde, en demeurant fidèles à Jésus-Christ. 28/08/77, p.193, I-II.

 

Les communautés ont besoin de prêtres; Dieu suscite en elles les vocations. Il manque seulement la formation. Mais, ces communautés ecclésiales de base, ce dialogue qui se fait plus intime dans les paroisses sont malheureusement interprétés comme de la subversion, comme une intrusion de l’Église en politique. Il s’agit plutôt d’une maturation de la foi que nous recherchons pour éveiller le sens de la dignité de l’homme, de la famille, pour dire à l’être humain d’entreprendre sa promotion chrétiennement, qu’il vive sa propre destinée, qu’il la construise par ses propres efforts. […]

 

Notre patrie a beaucoup à attendre des groupes humains qui se conscientisent, qui se rendent dignes et qui naturellement doivent être critiques des effets de l’injustice. C’est cela qui dérange et c’est pourquoi on les maltraite. C’est précisément pour cela que l’Église doit poursuivre sa mission pour ne plus avoir un peuple endormi dans l’ignorance. Pour que nous cessions d’entendre cette calomnie du communisme que l’Église est l’opium du peuple. Au contraire, l’Église éveille bien mieux les consciences que toutes les idéologies de la Terre pour une éternité, une espérance qui contribue à ce que l’humain soit davantage l’artisan de son propre destin et de sa propre communauté. 28/08/77, p.194, I-II.

 

Il y a des changements dans cette Église parce que l’Église est le Corps du Christ dans l’Histoire, c’est-Ă -dire qu’elle doit ĂŞtre le Christ en cette heure et en ce pays. Elle doit parler comme le Christ parlerait aujourd’hui, ici, dans cette chaire, dans cette cathĂ©drale. Et si elle le fait, elle est l’authentique Église du Christ et elle doit s’élever contre tous ceux qui offensent la loi de Dieu et qui essaient d’entraver le projet du Règne de Dieu en ce monde. Une politique abusive de son pouvoir, un capital Ă©goĂŻste, idolâtre de l’argent, ainsi que certains pauvres qui ne veulent pas s’amĂ©liorer afin d’être eux aussi les acteurs de leur propre destinĂ©e, tous ceux-lĂ  sont pĂ©cheurs; et la voix du Christ qui dĂ©nonçait le pĂ©chĂ© de son Ă©poque, d’HĂ©rode, de Pilate et des pharisiens, serait celle qui dĂ©noncerait aujourd’hui toutes ces manifestations d’entrave Ă  l’unique Seigneur de l’Histoire : Christ, Dieu, Roi de nos cĹ“urs.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) L’Église de l’Alliance de Dieu et des hommes

2) L’Église de la véritable pauvreté

 

 

1) L’Église de l’Alliance de Dieu et des hommes

 

Quiconque se rappelle ici ces pages si belles de l’Exode où Dieu se présenta comme pour se faire craindre d’un peuple enclin à l’idolâtrie. Il est l’unique Dieu véritable, le Dieu vivant, et ce Dieu voulut établir une alliance avec un peuple qui l’adorerait Lui seulement, qui au milieu de tant de peuples idolâtres rendrait un culte unique au seul Dieu véritable. C’est pour cela qu’Il signa sur cette montagne, remplie de sa majesté, les tables de la loi. Les dix commandements de la loi de Dieu qui continuent de prévaloir avec toute leur force dans notre ère chrétienne furent promulgués à l’époque du Dieu terrible, sous un Dieu qui faisait peur. Vous n’avez pas entendu cette voix du peuple qui en L’entendant demanda à Moïse que Dieu cesse de leur parler parce qu’ils en avaient peur.

 

C’est ainsi que fut préservée la foi dans le Dieu unique. Et l’Alliance de la loi ancienne fut respectée par ce peuple tant qu’il y avait ces manifestations de Dieu. Mais lorsque se présentait la tentation de l’idolâtrie, ce peuple tombait dedans. Quand ce peuple se laissait influencer par l’or, l’argent, le pouvoir politique, il faisait des alliances avec les rois de la Terre, il se vendait pour de l’argent et c’est alors que venaient les châtiments de Dieu.

 

La déportation d’Israël à Babylone, les châtiments de Dieu avec les maladies, diverses manifestations dans le peuple, la Bible les interprète comme le signal d’un Dieu qui réclame son alliance. Leurs idolâtries, leurs péchés, les éloignaient de Dieu et Celui-ci les châtiait non pour les rejeter à jamais, mais pour les attirer à Lui à nouveau.

Vous ĂŞtes du nombre de ceux qui sont venus ici pour entendre la parole de saint Paul qui dit (He 12,22-23) : « Vous vous ĂŞtes approchĂ©s de la montagne de Sion et de la citĂ© du Dieu vivant, de la JĂ©rusalem cĂ©leste, et des myriades d’anges, rĂ©union de fĂŞte, et de l’assemblĂ© des premiers-nĂ©s qui sont inscrits dans les cieux, d’un Dieu juge universel, et des esprits des justes qui ont Ă©tĂ© rendus parfaits… Â» Il me semble y voir nos martyres de l’archidiocèse, ceux qui sont morts aujourd’hui, victimes de l’injustice et de la calomnie.

 

Vous êtes déjà parvenus à votre destination, derrière cette procession d’anges, de nobles, de bienheureux qui continuent de suivre cette procession de l’archidiocèse à laquelle nous faisions allusion tout à l’heure, dans les paroisses, dans les chapelles, dans les cantons qui demeurent fidèles à leur foi. Votre espérance est certaine parce qu’elle s’appuie sur le Médiateur de la Nouvelle Alliance, de Jésus qui est le motif de mon espérance.

 

Frères, ne suivons jamais l’Église pour les hommes qui la composent, ses évêques, ses prêtres, nous sommes pécheurs. Priez pour que nous demeurions fidèles comme vous, mais ma foi d’évêque s’appuie en Jésus. Priez pour que la foi de mes chers prêtres s’appuie en Jésus, pour que la foi de mes chères religieuses, si unies, si engagées dans une quantité d’œuvres, s’appuie également en Jésus. Priez pour que la foi de tant de séculiers qui ont rencontré dans l’Église une raison de croire et d’espérer. Cette raison de la foi et de l’espérance c’est Jésus vivant, ressuscité qui est la tête de toute cette longue procession d’anges, de bienheureux et de fidèles qui demeurent en pèlerinage en ce monde.

 

Jésus est la source de l’espérance, en Lui s’appuie ce que j’enseigne, en Jésus se trouve la vérité de ce que je dis. L’Église, dis-je dans ma lettre pastorale, n’est pas autre chose que le Corps de Jésus. Il est la forteresse de l’Église, parce que ce n’est pas simplement un homme, sinon un Dieu qui se fit homme, qui vit et qui règne pour les siècles des siècles. 28/08/77, p.197-199, I-II.

 

 

2) L’Église de la véritable pauvreté

 

HumilitĂ© et pauvretĂ© sont deux sĹ“urs jumelles. Autrement dit, elles sont une seule et mĂŞme chose. Le vĂ©ritable pauvre est celui qui ne possède rien et qui sait qu’il ne compte sur rien, que tout ce qu’il a lui provient de Dieu. Lorsque la Vierge dit dans son prĂ©cieux Magnificat (Lc 1,53) : « Il a comblĂ© de biens les affamĂ©s et renvoyĂ© les riches les mains vides. Â» Que veut-elle dire? Ce n’est pas parce que la Vierge dĂ©prĂ©cie les riches, mais les autosuffisants, les orgueilleux, ceux qui n’ont pas besoin de Dieu, ceux qui sont idolâtres des choses de la Terre. Ils se fient Ă  leur argent davantage qu’à Dieu, plus que dans l’amour Ă  leur prochain. Ils se fient Ă  leur pouvoir, parce qu’aujourd’hui ils ont les armes, ils accablent et ils sont orgueilleux.

 

Ceux-lĂ  sont ceux que Dieu renvoie les mains vides. Mais celui qui est humble, mĂŞme s’il possède du pouvoir, mais qui ne met pas sa foi en cela et qui sait que ces choses s’en vont avec le vent. Les hommes ne sont pas stables au pouvoir, ils passent. La vĂ©ritable humilitĂ© consiste Ă  tout espĂ©rer de Dieu; et si aujourd’hui j’ai un pouvoir sur la Terre, je dois reconnaĂ®tre qu’il me vient de Dieu et que je dois l’utiliser selon Dieu. Car Dieu peut aussi dire, comme au roi Saul : « Ce roi ne me satisfait plus, je le renvoie les mains vides et Ă  sa place je mettrai cet humble pasteur, David, un roi selon mon cĹ“ur. Â»

 

Le pouvoir de la Terre se perd, frères, souvenez-vous que l’humilité est la vérité. Celui qui est véritablement riche s’appuie sur la richesse de Dieu, et ceux-là sont les véritables membres de l’Alliance. Cette Église de l’archidiocèse, héritière de l’Alliance d’Abraham, de Moïse et du Christ, est maintenant véritablement authentique, parce qu’elle ne s’appuie plus sur aucun pouvoir, sur aucun argent. Aujourd’hui l’Église est pauvre, aujourd’hui l’Église sait que les puissants la rejettent, mais que l’aiment ceux qui mettent leur confiance en Dieu.

 

Je vous invite, très chers fils de l’Église à ne jamais trahir cette alliance avec notre Dieu parce que c’est ce qu’Il abhorre. Quand son peuple n’a plus foi dans sa propre valeur et qu’il s’appuie sur Babylone ou sur l’Égypte, Dieu le rejette et le peuple est alors victime de son propre manque de confiance. Mais lorsqu’Israël était encerclé d’ennemis puissants et qu’elle mettait sa confiance dans le Dieu unique, Israël vainquait. C’est l’Église que je veux, une Église qui ne s’appuie pas sur les privilèges et les valeurs des biens de la Terre, une Église toujours plus détachée des biens terrestres, des choses humaines pour pouvoir les juger avec plus de liberté depuis la perspective de l’Évangile, de sa pauvreté. Il ne s’agit pas d’une pauvreté démagogique parce que cela n’est pas la pauvreté. Celui qui feint d’être pauvre pour faire la révolution, semer la haine, celui-là n’est pas pauvre, il porte en soi une confiance dans sa révolution et cela déjà ne le fait pas authentiquement pauvre. Parce que l’Église ne se fie en aucune révolution de la Terre, elle ne sème pas la haine, parce que là nous ne rencontrerons rien qui puisse semer l’amour à Dieu et l’amour envers le prochain, au Règne de Dieu sur la Terre, à partir de la véritable pauvreté, de la véritable humilité. C’est cela, l’Église dont nous rêvons, celle que je crois que nous sommes en train de construire dans notre archidiocèse. 28/08/77, p.199-200, I-II.