Les Trois Conditions pour entrer dans
le Règne de Dieu
Vingt-huitième dimanche du temps
ordinaire; 14 octobre 1979; Lectures : Sagesse 7,7-11; HĂ©breux 4,12-13;
Marc 10,17-30.
Introduction
La seconde lecture (Hb 4,12-13) que
vous avez entendue aujourd’hui décrit l’attitude véritable d’un chrétien qui va
à la messe le dimanche. C’est une épître écrite pour les chrétiens qui
s’étaient converti du judaïsme, mais qui, à l’heure de la persécution et en
ressentant de la nostalgie pour leur ancienne religion juive, courraient le
grave danger d’apostasier leur foi. C’est à ceux-là que s’adresse cette épître
dont les chapitres 3 et 4 seraient une très belle lecture pour les chrétiens
salvadoriens de notre temps.
Les chapitres 3 et 4 (HĂ©breux)
comparent le pèlerinage du désert à un chemin de libération vers le Repos.
L’auteur de l’épître remonte aux origines du peuple hébreu lorsque Moïse les
fit sortir d’Égypte et que pendant quarante ans ils durent marcher au désert
pour atteindre la Terre promise. Cet épisode de l’Exode servit aussi dans
l’Ancien Testament, comme source de motivation et d’espérance quand les
Israélites furent déportés en exil à Babylone. Les prophètes rappelaient le
prodige de Dieu qui les avait fait sortir d’Égypte, ils leur disaient d’avoir
confiance et que se produirait un nouvel Exode de Babylone vers la Terre Sainte.
C’est la même comparaison que saint
Paul emploie dans ces deux chapitres, mais en ne faisant plus cette fois
référence au peuple juif, mais aux Juifs déjà convertis, comme nous, au
christianisme. Il leur dit : « Tout ceci n’était rien d’autre qu’une
image : la libération d’Égypte, la marche au désert, l’arrivée au Repos du
Seigneur. » C’est ainsi qu’on appelait la Terre promise : le Repos du
Seigneur. C’est la figure de cette libération que le peuple chrétien combat
pour l’arracher du péché. La longue pérégrination à travers le désert, c’est
notre vie où nous rencontrons de nombreuses tentations contre la fidélité,
contre la confiance, contre le pouvoir de Dieu. Souvenez-vous lorsqu’auprès des
rochers du désert ils avaient faim et voulaient se mutiner contre Moïse parce
qu’il les avait fait sortir d’Égypte. Ce fut un moment difficile de cette pérégrination
et c’est pourquoi ce lieu fut appelé « Lieu de la Tentation. »
Cependant, Dieu fit des prodiges, Il fit jaillir de l’eau de la roche pour
qu’ils puissent poursuivre leur route.
Le sens du Repos, du Jour du
Seigneur.
Notre repos n’est pas celui de la
Terre promise, notre repos c’est le Ciel, le sanctuaire où ce nouveau Moïse,
Jésus, a pénétré avec toute la Rédemption, en ouvrant la porte à tous ceux qui
veulent être sauvés.
Ce ne sont pas tous qui y entreront
Mais ainsi, comme les pèlerins du
dĂ©sert, ce ne sont pas tous qui parviendront Ă la terre du repos parce qu’Ă
cause de leurs péchés, Dieu abandonna à la mort de nombreux Israélites qui
sortirent d’Égypte et qui ne connurent pas la joie de parvenir au but de cette
pérégrination.
Seuls y entrèrent ceux qui crûrent et
qui persévérèrent.
Mais ceux qui eurent la foi et ceux
qui naquirent au désert pendant ces quarante années et qui s’associèrent à ce
peuple de foi et d’espérance dans les promesses de Dieu parvinrent au repos.
L’épître aux Hébreux nous rappelle alors un psaume qui commémore cet événement
et qui dit (He 3,7-8) : « Aujourd’hui si vous entendez sa voix,
n’endurcissez pas vos cœurs comme cela c’est produit dans la Querelle, au jour
de la Tentation dans le désert… » C’est ici que s’insèrent ce passage qui
vous a été lu et qui dit : « La Parole de Dieu est vive et efficace,
plus tranchante qu’une épée à deux tranchants, pénétrante jusqu’au point où se
divisent l’âme et l’esprit, l’articulation et la moelle. Elle juge les
désirs et les intentions du cœur. Rien ne demeure caché, tout apparaît clair et
découvert aux yeux de Celui à qui nous devrons rendre des comptes. » Avec
cette motivation, saint Paul veut nous encourager les chrétiens à ne pas
défaillir dans la foi parce que la parole de Dieu qui nous alimente, dimanche
après dimanche, ainsi que chaque fois que nous méditons en famille ou en
communauté les Saintes Écritures, est une Parole qui nourrit, c’est une Parole
qui juge, qui comme une épée, pénètre l’intimité du cœur jusqu’où se distingue
l’âme et l’esprit. Il s’agit d’une distinction assez discutée dans la Bible,
mais ici il semble vouloir dire : si l’être humain n’est pas seulement un
corps et une âme, mais que cette âme, partie spirituelle de la personne,
s’ouvre en une capacité pour recevoir un esprit nouveau, la vie divine de Dieu,
ainsi, jusque-là pénètre cette Parole, précisément pour remplir cette
potentialité de l’homme que seul Dieu peut remplir.
L’épître aux Hébreux invite ainsi les
chrétiens, non seulement les juifs, mais nous tous, convertis à cette foi, à ce
que notre messe du dimanche soit en vérité un jour d’alimentation de notre vie
spirituelle. Cette exhortation possède une grande actualité : dimanche,
Jour du Seigneur, jour de repos, est comme une figure qui apparaît dans
l’histoire si laborieuse des hommes pour leur annoncer le grand repos qui nous
attend. Chaque dimanche, lorsqu’à la messe nous sentons que vraiment, le
pèlerinage de notre désert s’arrête auprès des sources de la Parole qui nous
alimente, cherchons à nous alimenter pour que la semaine qui débute nous trouve
optimistes et animés.
Actualité… efficacité… profondeur
Que personne n’abandonne pendant ce
pèlerinage du désert, que nul n’aille apostasier sa confiance dans le Seigneur.
Ici nous parvenons Ă ce Dieu qui nous adresse son message dans le dialogue de
la Parole divine durant notre liturgie jusqu’au jour où sa Parole vivante,
pénétrant jusqu’au plus profond de nos intentions, nous jugera et nous donnera
un endroit dans son repos éternel. N’allons pas être de ceux qui seront exclus
de ce repos, n’allons pas ĂŞtre de ceux qui moururent au dĂ©sert sans parvenir Ă
la Terre promise.
Ceci est mon grand pèlerinage en tant
que pasteur et ce sont vous-mêmes qui m’animez avec votre intention, avec votre
persévérance, avec votre désir de venir vous alimenter de ces Paroles divines.
Ainsi nous avons rendu hommage aujourd’hui à la seconde lecture et avec cette
foi dans la Parole de Dieu et cette confiance de Lui être toujours fidèle
malgré les tentations et les persécutions, des flatteries ou les difficultés du
monde. Nous venons aujourd’hui étudier un problème d’une très grande actualité
qu’abordent l’Évangile et la première lecture (Sg 7,7-11).
Problème de ce dimanche… Actualité
pour la crise du pays
Le problème de grande actualité que
je crois être la cause de la crise de notre pays, comme nous l’avons indiqué si
souvent, est un problème de hiérarchie de valeurs. Il y a ceux qui accordent
une valeur absolue aux richesses, à la propriété, au pouvoir politique, aux
choses de la Terre. Par
contre, aujourd’hui, le Christ nous enseigne que l’unique valeur absolue est
Dieu et sa suite.
C’est pourquoi dans ma quatrième
lettre pastorale je dis que parmi les services que l’Église apporte aujourd’hui
Ă la crise du Salvador, nous pouvons retrouver cette grande contribution :
celle de dénoncer les idolâtries de notre société, de relativiser ce que
plusieurs adorent comme des idoles et comme absolu. C’est ce que vient faire la
parole du Christ aujourd’hui : nous enlever un grand obstacle Ă
l’implantation du Règne de Dieu.
Si ici nous prĂŞchons avec toute la
clarté qui heurte sans doute les idolâtres des biens de ce monde, ce n’est pas
pour faire du mal, ni pour faire de la démagogie, c’est parce que le Christ
commande à ses prédicateurs d’annoncer le véritable Règne de Dieu parmi les
hommes et de dénoncer tout péché qui s’oppose au Règne de Dieu… C’est ce à quoi
nous convie la messe quand, dans les lectures, nous pouvons rencontrer ceci
comme thème de notre réflexion.
Plan de l’homélie :
1) Accomplir les commandements
2) Esprit de pauvreté et détachement
3) Suite de JĂ©sus (le principal)
1) Accomplir les commandements
A) Pittoresque narration de
l’Évangile de saint Marc. La Parole sonde la sincérité.
Imaginez-vous un jeune qui arrive en
courant et se jette aux pieds de JĂ©sus et Lui demande la chose la plus
importante qu’un homme puisse faire pour Dieu (Mc 10,17-19) : « Bon
Maître, que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle? »
Jésus lui dit : « Pourquoi
me dis-tu bon? Nul n’est bon que Dieu seul. Tu connais les commandements :
ne tue pas, ne commets pas l’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux
témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère. »
Quelle belle leçon donne le Christ au
jeune anxieux de rencontrer le chemin du Salut! Puisse Dieu, nous venions tous
avec cet esprit à la messe du dimanche : « Maître bon, que
devons-nous faire pour sortir le pays de cette crise? Maître bon, toi qui
calmais les tempĂŞtes, pourquoi ne se calme pas cette heure de crimes et de
violences dans notre patrie? Que dois-je faire pour ĂŞtre heureux au milieu de
tant de disgrâces? Qu’est-ce qui apportera la tranquillitĂ© Ă ma conscience, Ă
ma famille, et à ma société? » Et nous ne trouverions pas d’autre réponse
que celle du Christ : « Nul n’est bon que Dieu seul. » Quelle
confession plus belle de la bonté!
Dieu est la source de la bonté! Et
s’il y a quelque chose de bon sur la Terre, c’est parce qu’elle est le reflet
de Dieu. Si une mère fut bonne, c’est parce que Dieu lui donna cette capacité
de bonté. Si un ami est bon, s’il y a sur la Terre des gens bons, et il en
existe vraiment, le Christ nous oriente vers sa source : « Toute
bonté dérive de l’unique source, seul Dieu est bon en toute chose. » Tous
les autres sont bons par participation à la bonté divine. Mais ils peuvent
également cesser de participer à cette bonté et se convertir à la méchanceté.
On en vient Ă dire ce dicton : corruptio optimi pessima. La corruption
du meilleur est le pire. Lorsqu’un homme qui a été bon perd l’essence de la
bonté, il devient cruel. On dit qu’au début Néron n’avait pas le courage de
tuer un petit animal, il était trop bon. Et après, il ne s’horrifiait pas de
voir brûler les chrétiens comme des torches humaines. C’est dangereux de perdre
la bonté! Lorsqu’on ne tient pas compte du fait que c’est de Dieu d’où dérive
la bonté du cœur, l’être humain qui oublie Dieu, commence à perdre sa bonté.
Dieu seul est bon, ne l’oubliez pas. Si vous voulez être bons, faites d’abord
ceci : Croire en Dieu. Et croire en Dieu non pas sous une forme théorique.
Ce Dieu qui t’a créé, qui t’a donné l’intelligence, la vie, le cœur, une
famille, etc. possède une loi : garder ses commandements. C’est le chemin
de la vie Ă©ternelle : garder les commandements. Et le Christ commence Ă
les énumérer.
Détérioration morale (quatrième
lettre pastorale)
Il serait bon, ce matin oĂą nous
connaissons les chemins de la bonté et du bien, de rappeler que dans notre
lettre pastorale, avec l’aide de tous ceux qui m’ont apporté leurs suggestions
lors de l’enquête, nous ressortions cette terrible conclusion :
« Notre détérioration morale est évidente. De toutes parts, nous voyons
régner ce que le Seigneur appela le mystère de l’iniquité. Et le devoir
pastoral de l’Église ne peut cesser de dénoncer ce règne du péché et d’appeler
avec insistance à la responsabilité personnelle de chacun et de chaque groupe
familiale et sociale, ainsi comme Ă©galement, et surtout, aux hommes et aux
groupes de pourvoir, qui directement ou indirectement bénéficient de cette
situation, ceux qui détiennent dans leurs mains les moyens les plus efficaces
pour apporter remède à une telle détérioration. » Et nous énumérons
ensuite les grandes lacunes de notre société, que ce soit dans l’ordre
d’administration publique comme dans l’ordre privé. Je crois qu’il n’est pas
nĂ©cessaire de rĂ©sumer ce bourbier parce qu’ici nous sommes tous tĂ©moins, qu’Ă
chaque semaine, nous nous retrouvons devant des événements qui sont
véritablement le règne du péché.
Examinons notre contexte Ă cette
lumière. […]
Je me réjouis de voir, en cette heure
où nous avons dit que tous doivent se prononcer et dire un mot, si ce n’est pas
de l’annonce du Règne de Dieu, pour le moins de dénonciation des offenses
contre la loi de Dieu. Nous avons vu une déclaration de la Société Dentaire
du Salvador sur la réalité nationale. Entre autres choses, ce commentaire y est
fait : « Devant un état de choses où prévaut l’injuste sur le juste,
avec une longue succession de gouvernements chaque fois plus impopulaires, avec
un grand capital qui sauf exception, fait preuve de manque de sensibilité
sociale, avec une loi qui s’applique aux uns, mais pas aux autres et devant ces
classes sociales, les unes qui ont tout et les autres auxquelles tout leur
manque… On dit ensuite : le capital rétrograde doit se convaincre qu’il
n’est plus un seigneur féodal. Il doit être humain et traiter ses employés,
aussi humbles soient-ils, avec la dignité et le respect qu’ils méritent en tant
qu’être humain. Nous ne nous trompons pas en affirmant que l’argent, le pouvoir
et les influences qu’ils génèrent, fait des dieux de plusieurs, à tel point
qu’ils deviennent insensibles à la douleur et aux besoins de ceux qui
travaillent pour eux. »
Je citerai après une autre
déclaration qui m’apparaît suprêmement valide pour dire comme le Christ :
retourner aux commandements! Où on ne vole pas, où on ne commet pas l’adultère,
où on ne divinise pas les créatures ni les hommes, où nous reconnaissons tous
que seul Dieu est bon et seul celui qui accomplit la loi est Ă©galement bon. Et
tous ceux qui tuent, qui torturent, qui trahissent la loi de Dieu, sont
mauvais. Et s’ils veulent se sauver et entrer au Royaume, ils doivent se
repentir et se convertir, être obéissants à la loi de Dieu. C’est le premier
chemin : les commandements de la loi de Dieu!
Comme il serait bon ici, davantage
que de prêcher, de nous mettre tous à réfléchir en silence : en quelle
matière est-ce que je désobéis à la loi de Dieu? Combien de causes du mal
enlèverions-nous de notre société si tous ceux qui sont ici nous convertissions
de nos désobéissances à la loi de Dieu et que nous sortions d’ici pour
accomplir dorénavant, la vérité, la justice, l’amour, tout ce que nous demande
la loi de Dieu. C’est indispensable, très chers frères, et la loi de Dieu n’est
pas une chose surérogatoire (supplémentaire). Il appartient à l’essence même de
la personne humaine, à tel point que ce n’est pas Dieu qui est le premier
concerné par l’obéissance à cette loi. C’est nous-mêmes que nous détruisons en
désobéissant à la loi de Dieu. Une société où, au lieu de prévaloir la loi de
Dieu, le Décalogue, les commandements, prévalent les envies, les égoïsmes, les
outrages, donne le résultat que nous vivons présentement. Ne soyons pas
dupes : le Salvador s’est éloigné de Dieu et c’est uniquement en écoutant
les réponses que le Christ fait au jeune que notre pays pourra rencontrer le
chemin de son Salut : Accomplis la loi du Seigneur!
B) « Tout cela je l’accomplis
depuis mon jeune âge. » « Jésus le regarda avec affection. »
Ce pittoresque récit de l’Évangile se
poursuit lorsque le jeune dit au Christ : « Tout cela je l’accomplis
depuis mon jeune âge. » Et plus pittoresque encore dans ce récit, est le
regard que Jésus posa sur lui : « Il le regarda et l’aima. » Le
dialogue de la bonté! Puisse Dieu, si le Seigneur nous regarde aujourd’hui, le
fait-Il avec amour, qu’Il ne nous regarde pas avec le reproche avec lequel Il
devait regarder les hypocrites, les pharisiens, les adultères et les pécheurs.
Parce qu’un regard du Christ, sévère comme ceux qu’Il dirigeait à ces ennemis,
devait être terrible comme un fouet, tandis qu’un regard d’amour du Christ pour
un jeune qui accomplit la loi de Dieu est comme une caresse. Il n’y a pas de
caresse semblable que de voir le Christ qui me sourit, satisfait de ce que
j’accomplisse mon devoir.
C) « Une chose te manque. »
Et, néanmoins, le Christ lui dit une
autre parole : « Une chose te manque. » Ici, il y a un défi du
Christ à la bonté naturelle des hommes et des femmes. Il ne suffit pas d’être
bon, il ne suffit pas de cesser de faire le mal, mon christianisme est quelque
chose de plus positif, ce n’est pas une négation. Plusieurs disent :
« Si je ne tue pas, je ne vole pas et que je ne fais pas de mal à personne. »
Cela ne suffit pas, il te manque encore quelque chose! 14/10/79, p.340-343,
VII.
2) Esprit de pauvreté et détachement
A) « Va, vends ce que tu
as. »
Cette bonté du jeune était très amère
parce que le Christ lui dit : (Mc 10,21-22) : « Une seule chose
te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres et tu auras
un trésor dans le ciel; puis, viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots,
s’assombrit et il s’en alla attristé, car il avait de grands biens.
Ce n’est pas que le Christ ait une
dent contre les riches, ni l’Église d’ailleurs, ni la prédication de l’Église
ne sont un acharnement contre les riches. D’aucune manière! Nous venons de dire
« Jésus fixa son regard sur lui et l’aima » et Il le voulait pour
disciple, Il lui enseigna le véritable chemin. Si l’Église prêche également une
parole qui est dure, que le Christ va dire maintenant, ce n’est pas par
mauvaise volonté, mais pour indiquer le chemin qui conduit à la félicité.
(Mc 10,23-24) : « Alors
Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples : “Comme il sera
difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu!” Les
disciples étaient stupéfaits de ces paroles. » Cela était naturel, pour
des hommes formés dans l’Ancien Testament qui faisait consister le bonheur, la
bénédiction de Dieu, dans la possession des biens matériels, longue vie, et
félicité sur cette Terre. Mais le Christ vient mettre les choses en ordre et
dire que s’il est vrai que la richesse est bonne et que la félicité existe
aussi en ce monde, il ne faut pas les diviniser. C’est pourquoi le Christ
corrige immédiatement les disciples qui s’étonnent : « Mes enfants,
qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu pour ceux qui mettent leur
confiance dans l’argent. » C’est ce qui est mal. Avoir de l’argent ce n’est
pas mal, mais mettre sa confiance dans l’argent c’est convertir l’argent en un
dieu. En Dieu seul nous devons mettre notre confiance. L’argent se perd, il ne
demeure attaché à personne. L’expérience de la vie nous le démontre :
celui qui place sa confiance dans les choses terrestres n’est jamais heureux.
Qu’il est difficile d’entrer dans le
Règne de Dieu pour ceux qui mettent leur confiance dans l’argent! Et il emploie
cette terrible comparaison (Mc 10,25-27) : « Il est plus facile à un
chameau de passer par le trou de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le
Royaume de Dieu! » Ils restèrent interdits à l’excès et se disaient les
uns aux autres : « Et qui peut être sauvé? » Fixant sur eux son
regard, Jésus dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais non
pour Dieu : car tout est possible pour Dieu. » Par cela Il signifie
qu’il peut y avoir des richesses, où l’homme se convertit à user des richesses
au service de l’amour, de la justice, pour faire le bien. Mais ceci est un
miracle que Dieu seul peut faire. En vérité, si les riches ne mettaient pas
leur confiance dans l’argent, mais en Dieu, et qu’ils demandaient à Dieu
comment utiliser cet argent, ils seraient saints et rendraient la Terre
heureuse.
L’esprit de détachement est
nécessaire à la liberté
Après cela a lieu un discours
pittoresque avec saint Pierre, lequel n’était pas riche, il était un pauvre
pêcheur des rives du lac, mais il sentait la liberté de celui qui a tout
laissé, parce qu’il n’est pas question ici d’avoir beaucoup ou peu. Ceux qui
ont peu peuvent être également attachés à leurs biens et ne pas avoir la
liberté des pauvres. Et ce pauvre qui a laissé le peu qu’il possédait Lui dit
(Mc 10,28-30) : « Voici que nous, nous avons tout laissé et nous
t’avons suivi. » Jésus déclara : « En vérité, je vous le dis,
nul n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause
de moi et à cause de l’Évangile, qui ne reçoit le centuple dès maintenant, au
temps présent, en maisons, frères, sœurs, mère, enfants et champs, avec des
persécutions et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » Ou encore, que
l’esprit de détachement est nécessaire pour avoir la véritable liberté.
Vertus urgentes : esprit de
pauvreté et charité
Je vous rappelle, et hier j’ai lu
avec beaucoup de plaisir, la première encyclique du Pape Paul VI lorsqu’il
parlait de la rénovation du monde en indiquant deux vertus urgentes :
Premièrement : l’esprit de pauvreté et, après, la charité, l’amour. Ce
sont lĂ deux grands manques de notre temps.
Et quand ce Pape parle de l’esprit de
pauvreté, il dit : « Pourquoi en fais-je mention? Parce qu’il est
proclamé dans le saint Évangile. Il est si intrinsèque au dessein de notre
destinée dans le Règne de Dieu, il le voit si en danger par la valorisation des
biens dans la mentalité moderne, il est si nécessaire pour nous faire
comprendre autant de faiblesses et de ruines de notre temps et pour nous faire
comprendre Ă©galement, quelles doivent ĂŞtre la teneur de notre vie et la
meilleure méthode pour annoncer aux âmes la religion du Christ. » Ce
détachement nous donne la véritable liberté.
Dans ce mĂŞme texte, Paul VI nous dit
pourquoi l’esprit de pauvreté est la véritable libération de l’être
humain : « La libération intérieure produite par l’esprit de pauvreté
évangélique nous rend plus sensibles et plus aptes à comprendre les phénomènes
humains reliés aux facteurs économiques. » Nul ne peut trouver la relation
qui existe entre les malheurs actuels du Salvador et cette avarice des classes
puissantes, comme celui qui possède l’esprit de pauvreté. Celui qui n’a pas cet
esprit n’a pas les yeux clairs pour voir que le détachement apporte une grande
liberté et une grande sensibilité pour affronter les grands problèmes
économiques et sociaux du Salvador. « Pour savoir donner également à la
richesse et au progrès le juste et, avec fréquence, la sévère appréciation qui
lui convient. » Le progrès et la richesse doivent être jugés par le
critère chrétien et ne doivent pas toujours être le critère absolu comme si
tout était du progrès. Un progrès qui laisse autant de gens dans la misère
tandis que quelques-uns seulement en bĂ©nĂ©ficient. « Pour donner Ă
l’indigence la sollicitude qu’il se doit et aussi pour désirer que les biens
économiques ne soient plus source de lutte, d’égoïsmes, d’orgueil entre les
hommes, mais qu’ils soient orientés par des voies de justices et d’équité vers
le bien commun et, par le fait même, pour qu’ils soient plus abondamment
distribués. »
Si l’origine fondamentale de nos maux
est l’injustice sociale, seul l’esprit de pauvreté et de détachement peut nous
rendre heureux. C’est pourquoi le Christ, aujourd’hui, inculque autant cet
esprit de détachement et de pauvreté.
Option préférentielle pour les
pauvres
Lorsque le dernier événement
ecclésial grandiose de notre Amérique, la rencontre de Puebla, indique
Ă©galement un chemin pour rencontrer le bonheur de notre peuple, il emploie ces
mots : « Option préférentielle pour les pauvres. » Cela ne
signifie pas qu’il faille déprécier les riches et ne nous intéresser qu’aux
pauvres. J’ai déjà répété la formule de Puebla qui me semble merveilleuse, qui
est une invitation Ă toutes les classes sociales, riches et pauvres, Ă nous
intéresser comme de notre propre cause, de celle du pauvre que le Christ a
identifié à lui-même : « Tout ce que vous faites à lui, c’est à moi
que vous le faites. » Quand arrivera ce jour, frères, où nous convertirons
vraiment au pauvre, comme le Christ le dit au jeune? : « Il ne suffit
pas d’accomplir les commandements, l’esprit de détachement et de pauvreté est
nécessaire. » Je vous invite à ce que, tout comme la Parole de Dieu qui
pénètre comme une épée jusqu’au plus profond de chaque cœur, nous analysions
notre attachement aux choses de la Terre, grande ou petite, peu importe,
l’attachement est une attitude personnelle qui disgracie l’être humain qui vit
attacher, même si c’est à sa propre misère sur Terre. 14/10/79, p.343-345, VII.
3) Suite de JĂ©sus
Le Christ dit au jeune homme :
« Puis suis-moi. » C’est le principal.
« Ce que vous aurez abandonné
pour moi, pour l’Évangile. » Ou encore, qu’il existe un aspect positif
dans la libération.
Aspect positif : libération de
quelque chose pour quelque chose d’autre.
La libération que le christianisme
annonce est une libération de quelque chose qui rend esclave pour quelque chose
qui nous rend dignes. C’est pourquoi ceux qui parlent seulement des esclavages,
de la partie négative de la libération, n’ont pas toute la force que l’Église
peut apporter Ă une personne. Luttez, oui, contre les esclavages de la Terre,
contre l’oppression, contre la misère, contre la faim. Tout cela est
certain, mais pourquoi? Pour quelque chose, comme dit saint Paul dans une
phrase merveilleuse : « Être libre pour l’amour. » Être libre
pour quelque chose de positif c’est ce que le Christ dit :
« Suis-moi. » C’est la chose la plus positive qui puisse être.
Le véritable libérateur est celui qui
comprend que s’il lutte contre les esclavages, c’est pour se diriger vers
quelque chose de positif. L’épisode que nous avons commenté de l’Exode est la
sortie de l’esclavage d’Égypte, mais pour quelque chose de positif, pour la
Terre promise, pour le repos, pour la dignité de l’être humain. Si quelqu’un se
contentait uniquement de se déprendre stoïquement des biens matériels, mais
qu’il ne le faisait pas avec amour, en recherchant Dieu et son Évangile, nous
aurions quelque chose de très anormal. C’est pourquoi nous pouvons dire que
tous ces libérateurs, tous ces révolutionnaires qui font uniquement consister
leur lutte en quelque chose de négatif, de violent, dans un esprit de revanche,
de haine, parce qu’ils veulent en finir avec l’ennemi, sont très mutilés. Quel
dommage qu’autant de générosité soit dépensée aussi négativement!
Une fois, un communiste s’est
converti au christianisme parce que quelqu’un lui donna un Évangile à lire. Une
fois converti au christianisme, il exprima ses sentiments dans une prière très
précieuse : « Seigneur, maintenant que je Te connais, je Te demande
deux grâces : que Tu donnes à la générosité de mes anciens camarades,
cette connaissance de Toi, et à mes compagnons chrétiens, donne-leur la
générosité de mes camarades. »
Quel dommage que les chrétiens, ayant
tant de valeurs positives, d’affirmations si parfaites contre les esclavages,
contre le mal sur la Terre, nous soyons si indolents et que nous n’utilisions
pas le trésor de cette valeur positive de suivre le Christ. Il est dommage que
nos athées, les révolutionnaires sans Dieu, soient plus capables de se
sacrifier pour leur cause que nous pour la grande cause positive du Christ. Je
fais un appel, si nous sommes véritablement chrétiens et que nous venons
ratifier notre foi dans la messe du dimanche, pour que cette Parole soit comme
une épée pénétrante et qu’elle ne nous laisse pas tranquille jusque dans la
division de l’esprit et de l’âme, dans les situations les plus intimes de
l’être, pour que cette Parole nous pose problème, qu’elle nous questionne,
qu’elle ne nous laisse pas dormir tranquille tant que nous n’aurons pas fait
quelque chose pour le Règne du Christ et l’Évangile.
Avec raison, ce jeune eut peur de
suivre le Christ. Il pensa qu’uniquement en ne faisant pas de mal, en
accomplissant les commandements d’une manière paresseuse, indolente, que cela
suffisait. Comme il y a de nombreux chrétiens qui croient pouvoir juger les
autres parce qu’ils se disent bons et ne font pas le mal. Ce n’est pas cela que
veut le Christ, le Seigneur est mort pour quelque chose de plus positif.
« Pour que déjà , dit saint Paul, nous ne vivions plus pour nous, mais pour
Celui qui mourut pour nous. »
Sagesse, Le Christ : hiérarchie
des valeurs
Il y a un avantage Ă suivre le Christ
que nous fait comprendre la première lecture d’aujourd’hui (Sg 7,7-11). Le
Livre de la Sagesse, mĂŞme s’il appartient Ă l’Ancien Testament, permet dĂ©jĂ
d’entrevoir la sagesse chrétienne. Il est d’un auteur qui était sans doute imbu
de la mentalité grecque d’Alexandrie et qui voyait ce que je viens de vous
dire : la lâcheté de ses anciens coreligionnaires juifs et, par contre,
une philosophie grecque qui gagnait plus d’enthousiasme que la Bible elle-même.
Il se décida alors à extraire de la Bible toutes les motivations pour animer
ses coreligionnaires et c’est ainsi que fut écrit le Livre de la Sagesse.
Il feint une relation de Salomon
priant Dieu de lui concéder la sagesse (Sg 7,7-8) : « C’est pourquoi
j’ai prié, et l’intelligence m’a été donnée, j’ai invoqué, et l’esprit de
Sagesse m’est venu. Je l’ai préféré aux sceptres et aux trônes et j’ai tenu
pour rien la richesse en comparaison d’elle. » Bienheureux celui qui,
lorsqu’il parvient à comprendre la sagesse, la richesse, l’infinie beauté de
Dieu, ne s’émerveille plus des idoles de la Terre!
(Sg 7,9) : « Je ne lui ai
pas égalé la pierre la plus précieuse; car tout l’or du monde, au regard
d’elle, n’est qu’un peu de sable, à côté d’elle, l’argent ne compte que pour de
la boue. » Ah! si l’être humain découvrait comme l’or est vain, comme
l’argent est pauvre, comme sont misérables les biens de la Terre quand ils ne
sont pas illuminés par la sagesse de Dieu!