Les trois dimensions des véritables
grands se révèlent dans le Christ
Vingt-cinquième dimanche du temps
ordinaire, 23 septembre 1979; Lectures : Sagesse 2,17-20; Jacques 3,16-18
et 4,1-3; Marc 9,29-36.
L’être humain, premier chemin que
l’Église doit parcourir dans l’accomplissement de sa mission.
Dans cette quatrième lettre pastorale
se distingue, conformément à la pensée du Pape actuel et de Puebla, la doctrine
sur l’homme. Dans une soif de vouloir être docile à cette volonté, nous
copions : « La personne humaine, par sa dignité et en tant qu’image
de Dieu, mérite notre engagement pour sa libération et de sa réalisation totale
en Jésus-Christ. C’est seulement dans le Christ que se révèle la véritable grandeur
de l’homme et de la femme et c’est seulement en Lui qu’est pleinement connue sa
réalité la plus intime. C’est pourquoi nous nous adressons à la personne pour
lui annoncer la joie de se voir assumer et exalter par le propre Fils de Dieu
qui voulut partager avec elle les joies, les labeurs et les souffrances de
cette vie et l’héritage d’une vie éternelle. »
Nous avons besoin de connaître le
mystère du Messie.
C’est ce que nous venons faire chaque
dimanche, connaître le Christ et son grand mystère. En nous efforçant de
connaître ce mystère, nous nous découvrons nous-mêmes. Nul ne possède une idée
exacte de l’être humain comme celui qui réfléchit en Jésus-Christ. « Le
mystère de l’homme, a dit Vatican II, ne peut être déchiffré que dans le mystère
du Fils de Dieu qui se fit homme. »
Première partie : saint Marc et
le mystère du Messie
La lecture de l’Évangile de saint
Marc (9,29-36) qui marque cette année, dimanche après dimanche, notre étude du
Christ, nous a présenté le premier aspect qui est le mystère du Fils de Dieu,
du Messie, jusqu’à cette merveilleuse confession de saint Pierre :
« Tu es le Messie! »
Seconde partie : Le mystère du
Fils de l’Homme
Mais le Christ commence la seconde
partie de son Évangile en nous expliquant que ce Messie est également le Fils
de l’Homme. C’est ainsi que pourrait s’intituler la deuxième partie de
l’Évangile de saint Marc : l’Évangile du Fils de l’Homme. Parce que c’est
là où le Christ définit la figure du Messie, non pas un faux messie triomphant,
de conquĂŞtes faciles, de dominations mondiales qui adviennent presque
spontanément, miraculeusement. Non! C’est un messianisme qui est conquis par la
croix, dans la souffrance et dans la douleur. C’est un Messie qui doit incarner dans
sa grandeur divine la douleur du Serviteur de Yahvé. Le Serviteur qui apparaît
déjà dans Isaïe : sur qui on crache, qu’on fouette et qu’on couronne avec
des épines, humilié comme nul autre avant Lui. Cela surprend ceux qui
espéraient un Messie triomphant : comment un Messie peut-il être souffrant?
Ce mélange de triomphe et de douleur est ce qui travaille le Christ dans ces
pages que nous considérons présentement.
C’est pour cela que la doctrine sur
l’homme et notre réflexion sur le Christ sont parallèles. Et je crois, plus que
jamais, qu’au Salvador nous avons besoin de connaître le Christ. Aujourd’hui,
nous avons besoin de chrétiens qui à partir du christianisme, sauront être de
véritables libérateurs de la personne humaine. Sinon, nous aurons des
mouvements politiques violents, agressifs, d’extrême droite ou d’extrême
gauche. Mais cela ne nous donnera pas l’homme et la femme véritable. C’est du
christianisme, de vous, d’où sortiront les véritables libérateurs dont la
patrie a besoin.
Soyons chrétiens, ne nous surprenons
pas de l’audace de l’Église actuelle. Avec la lumière du Christ, éclairons
l’être humain jusque dans ses antres les plus horribles : la torture, la
prison, le dépouillement, la marginalisation, la maladie chronique. L’homme
opprimé doit être sauvé non par un salut révolutionnaire uniquement, mais
également avec la sainte révolution du Fils de l’Homme qui meurt sur la croix
pour laver l’image de Dieu qui a été souillée dans l’humanité actuelle qui est
si esclave, si égoïste et si pécheresse.
Dans le Christ se révèlent les trois
dimensions des véritables grands.
Seuls seront grands ceux qui
remplissent ces trois dimensions :
Plan de l’homélie :
1) La justice éprouvée dans la
persécution
2) Un service motivé par l’amour
3) Une Transcendance qui identifie Ă
Dieu les plus petits et les plus humbles
1) La justice éprouvée dans la
persécution
A) Parallèle évangélique; première
lecture (Sg 2,17-20).
Quel merveilleux parallèle nous offre
la première lecture du Livre de la Sagesse qui nous parle de la persécution des
impies contre le juste! Comme les paroles que nous avons entendues dans
l’Évangile (Mc 9,29-36) quand on nous narre la moquerie des ennemis du Christ
crucifié et en train de mourir : « Il disait qu’il était Fils de
Dieu. Qu’il se sauve! Nous croirons en Lui s’il descend de la croix! »
C’était la moquerie des impies contre le juste comme nous l’avons lu
aujourd’hui dans la première lecture du Livre de la Sagesse.
Deuxième annonce de la Passion… une
tâche difficile
Ce parallèle avec l’Évangile
d’aujourd’hui nous raconte la seconde annonce de la Passion du Christ. Trois
fois dans l’Évangile de saint Marc : la première fois ce fut dimanche
dernier. Dans la pittoresque région de Césarée de Philippe, là -bas, sur les
flancs du mont Hermon, près du lac de Génésareth. Il descend aujourd’hui de ces
hauteurs et parvient jusqu’à l’endroit qu’Il appelait « sa ville »,
Capharnaüm. Qui sait si ce n’est pas dans la maison de Pierre que s’est déroulé
l’épisode d’aujourd’hui?
En arrivant, le Christ explique Ă
nouveau que le Fils de l’Homme doit souffrir et être livré, qu’Il va être tué,
mais qu’au troisième jour Il ressuscitera! Encore une fois, nous avons ici une
précieuse synthèse de l’annonce du Christ. C’est cela, le Christ, Lui que nous
allons proclamer au moment de la consécration : « Nous annonçons ta
mort, nous proclamons ta Résurrection. » C’est ici que se trouve l’essence
du christianisme : le Christ doit mourir humilié pour ressusciter le
troisième jour. C’est cela le chemin du Salut véritable.
« Ils ne comprenaient pas cette
parole et ils avaient peur de l’interroger. » (Mc 9,32)
C’est le Fils de l’Homme et l’annonce
de sa souffrance ne fut pas comprise par les apĂ´tres. Ils avaient peur de
L’interroger parce qu’ils avaient l’intuition qu’Il allait affirmer et
éclaircir horriblement ce qu’Il devait souffrir. Et comme nous ne voulons rien
savoir des choses qui nous dérangent… Ici s’explique pourquoi on ne veut pas
accepter une Église persécutée, pourquoi on ne veut pas entendre le mot
persécution et il semble que tout ne soit que démagogie. Ils craignent de
demander au Christ le pourquoi de la souffrance. Au lieu de refuser une explication
crue et sanglante, il faut l’affronter et demander et faire nôtre cette
persécution. C’est ce que le Christ veut : « N’ayez pas peur, vous devez
me suivre si vous voulez être fidèles! Renie-toi toi-même, prends ta croix et
suis-Moi! C’est seulement ainsi qu’il y aura de véritables disciples. Je ne
veux pas de chrétiens peureux. N’ayez crainte! Soyez bien conscients de la persécution. Sachez
que cela est l’unique chemin authentique de celui qui veut sauver le monde avec
Moi. »
B) La raison de la persécution?
Pourquoi la persécution
existe-t-elle? Parce que c’est la véritable force de la Rédemption de la
volonté de Dieu : « Père, si cela est possible, éloigne de moi ce
calice. Mais ne fais pas ce que je veux sinon ta propre volonté. » Et le
Christ dut boire le calice amer de la passion.
Lorsque Pierre sortit une épée de son
sac pour défendre le Christ, Celui-ci lui dit : « Range ton épée parce
que celui qui combat par l’épée périra par l’épée. Ne crois-tu pas que le Père
pourrait m’envoyer deux légions d’anges pour me libérer? » Mais il est
nécessaire de porter la croix et apparaître semblable à un vil condamné à mort.
Peu importe, c’est ainsi que le veut le Père. C’est la volonté du Père que le
péché du monde soit lavé par le sang du Christ, Fils de Dieu, parce que ce
péché est très grave. Puisse Dieu, pensions-nous quand nous sommes rebelles que
la véritable rébellion est celle-ci : la sainte rébellion de Dieu qui ne
se soumet pas au péché de l’homme sans lui demander une purification. Il fut
nécessaire de demander le sang de son propre Fils et Il ne Lui pardonna pas
pour que ses épaules portent toutes nos iniquités.
C) Pourquoi la bonne conduite
est-elle un reproche pour les méchants?
La première lecture (Sg 2,17-20) nous
donne la raison de la persécution. Hier, des catéchistes m’ont
demandé : « Pourquoi la persécution? » Si nous prêchons le bien,
pourquoi refuse-t-on de nous entendre? Si nous nous réunissons pour réfléchir
sur la Parole de Dieu, pourquoi disent-ils que nos réunions sont subversives?
Savez-vous pourquoi? Puisse Dieu que nous ayons la sagesse de la première
lecture d’aujourd’hui. Les impies disent : « L’attitude du juste reproche
nos péchés! » C’est la première raison : l’attitude des justes est un
reproche pour celle des injustes. C’est comme lorsque le jour se lève et que
les ténèbres doivent fuir. La sainte justice de Dieu ne peut pas cohabiter avec
le péché du monde. Le monde doit persécuter la croix. Le Christ
l’a dit : « Ils aimèrent davantage les ténèbres que la
lumière. » Ici nous pouvons savoir de qui nous sommes, de Dieu ou des
ténèbres.
« C’est l’heure où l’on
reconnaît qui est qui. » Qui sont les véritables disciples du Christ
malgré la persécution, les malentendus et la calomnie? Ils ne flanchent pas
parce qu’ils savent que la lumière arrive.
D) Pourquoi la persécution
éprouve-t-elle l’idéal transcendant du véritable grand?
Une autre raison que nous rencontrons
dans la première lecture d’aujourd’hui c’est que la persécution éprouve,
qu’elle rend manifeste l’idéal transcendant de celui qui la porte à l’intérieur
de soi. « Il se dit fils de Dieu! Éprouvons-le pour voir s’il se
sauve! » Pauvre eux, ils croient que tout se termine avec l’histoire
temporelle! Ils croient qu’en humiliant un chrétien par la torture et
l’emprisonnement, ils triomphent.
Saint Augustin disait, en parlant des
martyrs : « Voyez-vous le bourreau avec son épée triomphante sur le
cadavre du martyr? Qui a vaincu? Il n’y a pas de doute que c’est la victime qui
a vaincu! Celui qui a vaincu par la force brute de l’épée n’a pas compris la
grandeur de celui qui a su donner sa vie pour un idéal si élevé. C’est
celle-ci, la victoire véritable qui a vaincu le monde. »
Cette heure de l’épreuve passera et
demeurera l’idéal resplendissant pour lequel moururent tant de chrétiens. Nous
sommes en train de vivre une nuit noire, mais le chrétien perçoit qu’après la
nuit fulgurera l’aurore et se lèvera alors dans nos cœurs l’espérance qui nous
manque. Le Christ marche avec nous! N’ayons pas crainte, nous sommes des fils
de Dieu, même s’ils se moquent de ce titre comme ils se moquèrent du
Christ : « Il prétend qu’il est le Fils de Dieu, alors qu’il se sauve. »
Et ils se moquaient en pensant qu’ils avaient triomphé sur le Fils de Dieu. Le
Christ pouvait descendre de sa croix et les éliminer, réduire ses ennemis en
poussière, cependant, Il cache toute sa grandeur parce qu’Il doit sauver le
monde avec cette conviction que les aveugles ne peuvent comprendre.
C’est pour cela que la persécution
est nécessaire afin que ceux qui portent cette espérance profonde dans leur
âme, la soumettent à l’épreuve et pour que peut-être ainsi se convertissent les
incroyants et aussi pour qu’ils sachent que les horizons de l’histoire ne se
terminent pas avec la vie, mais qu’il existe un au-delà où parviennent les
idéaux des véritables fils de Dieu.
Éloge de Jean Paul II à Paul VI :
« Apôtre du Crucifié »
« Il connaissait la dimension
intérieure de la croix. Il
ne fut pas étranger aux insultes et au manque de respect qu’il souffrit en tant
que maître et serviteur de la vérité. Il ne fut pas étranger non plus à la
peine et à l’angoisse. »
J’ai eu la chance de voir de très
près le Pape Paul VI et on voyait dans son regard triste la sérénité du
véritable persécuté par l’injustice. L’encyclique Populorum Progressio fut qualifiée par les grandes revues du
monde : « de réchauffé du marxisme ». Sa magnifique encyclique Humane Vitae, où il interdit toutes les
offenses aux sources de la vie, véritable défenseur de la civilisation, fut
vilement calomniée comme « ignorant ». Le Pape dit lorsqu’il signa
cette encyclique : « Cela nous a coûté tout un Gethsémani – la prière
du Christ avant d’être livré – parce que nous savons que ce que nous affirmons
est difficile, mais nécessaire. » Il fut véritablement l’apôtre du
Crucifié!
Lui qui connaissait la philosophie et
la théologie profonde de la croix et qui la porta dans l’intimité de son cœur.
Il n’est pas chrétien celui qui n’a pas compris cette dimension : du juste
éprouvant, sans honte, sa justice dans la persécution pour notre Église. Même
si on veut calomnier le motif de la persécution en disant que c’est parce que
l’Église se mêle de politique, qu’elle est devenue communiste, qu’elle est
subversive. Nous savions déjà ce que ces termes signifiaient, depuis qu’on les
appliqua au Christ pour le conduire au gibet. Mais Il savait qu’Il ne mourait
pour aucune de ces raisons, qu’Il mourait pour obéir au Père qui voulait
éprouver dans l’intimité de son cœur la dimension immense des véritables
grands : la dimension de la souffrance et de la douleur.
Que personne ne s’étonne d’être
innocent et de devoir souffrir. Comme celui qui porte la croix est innocent et
digne devant Dieu! Cette semaine, j’ai célébré les funérailles d’un enfant qui
est mort victime du cancer. Je disais à ses parents affligés et à ceux qui
assistaient Ă la messe : que personne ne se scandalise que Dieu utilise
ces mesures. Cela semble une injustice. Pourquoi cet innocent? Non! Serait-ce
que Dieu veut démontrer devant le Ciel et l’Histoire que sur cette Terre tout
est perdu? De cette Terre oĂą il y a tant de violences et de haine, tant de mal
et de péchés, Dieu est capable d’arracher une fleur si pure, l’emporter à son
Royaume et la mettre auprès de son trône. Les innocents n’ont pas honte d’être
innocents, ni se scandalisent de la souffrance. Ils sont les fleurs pures que Dieu
cultive dans cette vallée de vase et de péchés. Ils sont les saintes victimes
dont Dieu a besoin pour sa purification.
Dans ce mĂŞme hĂ´pital souffre
aujourd’hui une petite fille. Elle a peut-être dix ans et elle est déjà victime
du cancer. Ils l’ont opérée à la tête et sans doute qu’elle va mourir. Pourquoi
cela, Seigneur? Ici, le Livre de la Sagesse nous donne la réponse :
« Les impies veulent jeter ces injustices au visage de Dieu. Mais Dieu
répond en disant que la bonne conduite des innocents est le reproche des
pécheurs et en disant aussi qu’il est nécessaire de manifester au monde la
transcendance de l’être humain qui ne termine pas sa course dans l’histoire,
mais qu’au contraire, Dieu le cultive pour la vie éternelle. » Ceci n’est
pas de l’opium, c’est donner sa véritable valeur à la vie qui souffre ici bas.
Combien de souffrance! Combien de
pauvretĂ©! Combien de cabanes ont-elles amenĂ© notre gouvernement lui-mĂŞme Ă
dire : « Les gens y vivent dans des conditions où l’hygiène, la santé
et la subsistance font absolument défaut. » Pourquoi, Seigneur? Le péché
des méchants. En regardant ces injustices, le pécheur se scandalise tout
naturellement, tout en continuant de savourer son confort sans laisser de place
pour que le pauvre qui souffre puisse construire une habitation décente. Il lui
jette au visage la propre injustice qu’il est en train de commettre. Mais Dieu
sanctifie la douleur et nous devons nous convertir. Comme disait le Pape en
parlant de la Vierge au pied de la croix : « Ce n’était pas une
souffrance d’aliénation. Marie n’acceptait pas avec un esprit conformiste ces
injustices de l’empire. Marie sait, et elle le chante dans son Magnificat, que
Dieu est capable de renvoyer les orgueilleux les mains vides et si cela est
nécessaire de détrôner les puissants lorsque l’injustice est trop
grande. »
Puisse Dieu que la leçon du Christ
qu’Il veut nous donner à travers l’Évangile de saint Marc soit comprise et
vécue en ces temps où nous en avons vraiment besoin. Nous avons besoin que
notre pauvreté, que notre marginalisation, notre souffrance, notre faim, notre
sous-développement ne soient pas seulement une inspiration de violences, de
vengeances ou de haine, mais qu’ils soient surtout l’inspiration d’une
véritable libération. Offrez cela comme le Christ qui accepta la croix qui
était la volonté de son Père. Mais non pas pour mourir d’une manière
conformiste sous l’oppression, sinon pour convertir sa Résurrection de
l’oppression en la véritable force libératrice de notre peuple. 23/09/79,
p.277-282, VII.
2) Un service motivé par l’amour
Pensée que nous donnent les lectures d’aujourd’hui.
Une autre dimension des vrais grands. « Je ne suis pas venu pour être
servi sinon pour servir et donner ma vie pour le Salut d’une multitude. »
Ces mots sont du Christ qui voulut nous enseigner la leçon que durent apprendre
humblement les apôtres dans le passage de l’Évangile d’aujourd’hui (Mc
9,29-36).
A) Discussion des apĂ´tres
Ils venaient en discutant :
« Qui est le plus grand dans le Règne des cieux? » Lorsque le Christ,
qui devine les pensées humaines, leur demanda, en arrivant à Capharnaüm (Mc
9,33) : « De quoi discutiez-vous en chemin? » Ils n’osèrent pas
le Lui avouer, car c’était un thème si honteux devant un Christ si humble, que
de parler de ces prétentions.
Nous avons oublié le véritable esprit
des chrétiens et nous pensons à celui qui va être le plus grand, à celui qui
peut être plus, qui possède le plus, qui est le plus puissant politiquement.
Ces grandeurs de la Terre n’ont pas de valeur aux yeux du Christ. Parce que si
un homme parvenait Ă gravir ces postes de direction dans la politique, dans le
social, dans l’économique, il ne doit pas faire consister sa grandeur en son
appui sur ces choses matérielles qui s’échappent des mains lorsque l’on ne s’y
attend pas.
Le plus grand c’est celui qui sert le
mieux.
(Mc 9, 35) : « Si quelqu’un
veut ĂŞtre le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de
tous. » Discutez alors à la lumière de ce principe chrétien pour savoir
qui est le plus grand parmi vous. Sera plus grand celui qui sert avec le plus
d’humilité et d’amour. Si un homme, pour le bien de la société, est élu
ministre ou président de la république, évêque ou serviteur, il est d’abord et
avant tout un serviteur du peuple de Dieu. Il ne faut pas oublier cela!
L’attitude qu’il faut prendre dans ces charges n’est pas de dire :
« Je commande et ici je fais despotiquement ce que je veux. » Tu n’es
pas plus qu’un homme, ministre de Dieu et tu dois demander la main du Seigneur
pour servir le peuple selon la volonté de Dieu et non selon tes caprices.
La volonté de Dieu est celle qui
prévaut dans le service de l’autorité. Il est sûr que plusieurs ont voulu nous
reprocher comme une subversion, le fait que nous prêchons contre l’autorité.
Nous n’avons jamais prêché contre l’autorité véritable. Oui! Nous avons prêché
contre l’abus d’autorité! Toute autorité vient de Dieu et il faut la respecter. Si une
autorité est grande, c’est précisément quand elle administre cette autorité en
sachant qu’elle vient de Dieu et qu’elle appartient à un ordre moral qu’il ne
faut pas transgresser. Mais quand cette autorité outrepasse cet ordre moral et
commande des choses inconcevables, des outrages du peuple, et toutes sortes
d’abus d’autorité, c’est l’heure où saint Paul lui-même nous dit :
« Toute autorité vient de Dieu. » Rappelons-nous aussi de cet autre
texte de saint Pierre : « Nous devons obéir à Dieu avant les
hommes. »
B) L’Église au service des hommes, le
diaconat
Quand le Christ organisa son Église,
Il enseigna à ses apôtres la véritable caractéristique de l’Église. Une autre
appellation de l’Église est « diaconat ». C’est un mot grec qui veut
dire « service ». Le mot naquit lorsque les apôtres ne suffisaient
plus à la tâche de prendre soin des chrétiens qui allaient en augmentant. Ils
appelèrent alors sept hommes remplis de l’Esprit de Dieu et ils leur donnèrent
le titre de « diacre » qui signifie « serviteur ». Alors,
on donna aussi à l’Église le nom de diaconat, service, l’Église est service.
Le Concile Vatican II a voulu
remettre les choses Ă leur place. Il dit que les Ă©vĂŞques ne veulent plus ĂŞtre
comme des princes et qu’à cause de cela, la figure de notre ministère a été
grandement déformée. Nous ne sommes pas des princes, ni des rois. Nous ne
sommes pas venus pour ĂŞtre servis, mais que nous devons ĂŞtre, comme le dit le
Concile : « Les ministres qui possèdent la sainte puissance, sont au
service de leurs frères. »
Je suis votre diacre, chers frères,
je suis votre serviteur et toute la pastorale qui découle de la responsabilité
du pasteur doit se mettre entièrement dans cette attitude de service :
prêtres, religieuses, communautés. Je me réjouis énormément que notre
archidiocèse comprenne chaque jour davantage ce sens du service. Si par hasard,
il demeurait quelques relents d’impérialisme, de puissance terrestre, de
paternalisme, je vous invite tous : prêtres, communautés religieuses,
supérieures et supérieurs de communauté, à ce que votre rôle ne soit pas
seulement d’être chef, mais d’être serviteur de la communauté, celui qui sait
entendre les désirs et les orienter vers Dieu pour servir les besoins du
peuple…
À vous, laïcs, qui n’êtes ni évêques,
ni religieux, ni religieuses, que vous dit le Concile? « Servant le Christ
aussi dans les autres, conduisez vos frères, dans l’humilité et la patience
vers le Roi pour qui servir, c’est régner. » Quand je dis que je suis le
diacre, votre serviteur, je ne cherche pas Ă ĂŞtre populaire pour recevoir des
applaudissements. D’aucune manière, je n’ai recherché cela. Vous me les avez
donnés spontanément et je ne m’en enorgueillis pas parce que je sais qu’il
s’agit de l’expression d’un peuple qui se sent en communion avec celui qui leur
adresse cette parole et que je m’efforce de servir, précisément, dans ses
sentiments les plus profonds.
Je dis que ce n’est pas de
l’opportunisme sinon que bien plus encore, pardonnez-moi de vous le dire :
ce qui m’intéresse ce n’est pas tant de gagner votre sympathie que celle de
Dieu. Il ne m’importe pas tant de régner sur les cœurs dont, grâce à Dieu, je
ressens l’affection qui me constitue presque roi de cette communauté, mais qui
me fait surtout me sentir roi devant Dieu. Le servir, c’est régner et je
voudrai le servir encore plus humblement dans le peuple, pour régner davantage…
Tout comme cette devise du Concile
qui affirme : « Servir c’est rĂ©gner », nous pourrions dire Ă
l’envers : « Régner c’est servir. » C’est-à -dire que celui qui
parvient à occuper un poste d’autorité doit considérer cela comme un service et
c’est seulement à partir de ce service qu’il pourra régner. C’est pourquoi il y
a tant de malaises, parce que nous n’avons pas compris la joie d’être
serviteur, parce que nous discutons encore sur le chemin, comme les apĂ´tres,
pour savoir : « Qui est le plus grand ici sur la Terre? » Parce
que nous ne faisons consister la joie et le pouvoir uniquement dans des vanités
de la Terre. Puisse
Dieu, qu’ils se convertissent et que nous convertissions tous
ceux qui ont des charges d’autorité afin qu’ils n’aillent pas croire qu’ils
occupent ces charges à cause de leur propre grâce, mais par la volonté de Dieu.
Que ce Dieu qui va demander des
comptes à tous, jusqu’au plus humble, demande des comptes avec plus de rigueur
à celui qui avait l’autorité entre ses mains, pour qu’il administre selon le
cœur de Dieu. « Malheur aux puissants, dit la Bible, parce qu’ils seront punis
plus sévèrement par Dieu. » Nous pourrions parler longtemps de cet aspect.
Et ce serait la plus grande leçon de ce dimanche : être humble. Faire
consister notre joie dans le service que nous rendons Ă Dieu en servant la
personne pauvre. C’est ce vers quoi nous conduit ma troisième réflexion, une
troisième mesure de l’homme et de la femme selon le Christ. 23/09/79,
p.282-284, VII.
3) Une Transcendance qui identifie Ă
Dieu les plus petits et les plus humbles
Ici, nous allons faire hommage Ă
l’année internationale de l’enfant. Quelle belle image du Christ prenant un
enfant parmi la foule et le posant sur ses genoux pour en faire le symbole de
sa prédication! Le Christ est l’interprète du message de l’enfant. Quel bien
ferions-nous en cette Année de l’enfance, au lieu de toutes ces choses
sentimentales et romantiques qui laissent les enfants dans la misère et la
pauvreté! Un ami me disait : « Hier soir, quelle douleur j’ai
ressentie en voyant une pauvre petite qui dormait sur le trottoir d’un boulevard
de la capitale, avec un paquet de journaux qu’elle n’avait pas réussi à vendre.
Elle n’est pas rentrée chez elle, une punition l’y attendait sûrement parce
qu’elle n’avait pas accompli sa tâche. Il était presque 23 heures. » C’est
cela la triste réalité que vivent nos enfants.
A) Scène de l’enfant
Le Christ prend un de ces enfants et
Il le dépose au centre de l’assemblée. Quelle belle parabole vivante du Christ!
Alors, nous dit la parole de l’Évangile de saint Marc (9,37) :
« Quiconque accueille un enfant comme celui-ci à cause de mon nom, c’est
moi qu’il accueille; et quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il
accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » Voyez quelle belle relation existe
entre l’enfant et Dieu à travers le Christ. Jusqu’au plus petit, l’enfant est
grand quand le Christ l’assume comme sa propre cause. C’est cela la lutte de
l’Église lorsque Puebla dit : « L’option préférentielle pour les
pauvres », parce que l’enfant est l’image la plus éloquente de la
pauvreté.
Invitation Ă la transcendance Ă
partir de la petitesse
J’ai lu dans le commentaire de ce
texte de saint Marc, une note historique qui dit : « L’enfant, dans
le droit antique n’était pas une personne dans le plein sens légal… En plus de
devoir vivre sous l’autorité de ses parents, il n’avait pas la capacité de
l’auto-affirmation, ni l’indépendance pour agir. » C’était évidemment la
négation de lui-même. Le Christ dit : « Celui qui désire venir à ma
suite, qu’il se renie lui-même », autrement dit, qu’il se fasse enfant.
L’être humain qui n’a droit à rien, celui qui ne peut pas se déplacer si ce
n’est qu’avec l’aide de son père ou de sa mère. C’est pourquoi la fragilité de
l’enfant est autant abusée et si peu respectée. Mais quand cette faiblesse,
cette fragilité, est recueillie par le Christ dans l’Évangile d’aujourd’hui, Il
lance un défi au monde entier (Mc 9,37) : « Quiconque accueille un
enfant comme celui-ci à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille; et
quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »
Celui qui respecte les enfants est
voulu par le Christ et par Dieu, mais non pas dans un sens romantique comme
nous venons de le dire. Les enfants sont sympathiques et il est dangereux que
nous demeurions seulement dans la sympathie humaine. Ils sont si sensibles, si
innocents, n’importe quelle attention leur plaĂ®t. Ils semblent n’appartenir Ă
personne parce que quiconque arrive auprès d’une mère qui réprimande son enfant
et lui dit : « Prête-le moi, » et on le prend comme s’il s’agissait
du nôtre. Un sourire d’enfant vaut des millions. Combien vaut davantage pour
moi qu’un enfant ait confiance au point de me sourire, de m’embrasser et de me
donner un baiser à la sortie de l’Église, que d’avoir des millions et de faire
peur aux enfants.
Un enfant vaut beaucoup, non
seulement sous son aspect humain, mais surtout, dans la perspective que le
Christ nous a donnée aujourd’hui : à partir de la perspective de la foi,
l’accueillir en son Nom. C’est ce qui est divin dans le christianisme,
accueillir l’enfant au nom du Christ, c’est-à -dire, comme s’il s’agissait
réellement de l’enfant Jésus, comme si nous sentions réellement le Fils de
l’Homme dans toute sa grandeur divine incarnée en cet enfant. C’est pour cela
que Puebla dit, en parlant de l’option préférentielle pour les pauvres, que ce
n’est pas une démagogie, ni une division que nous voulons apporter, encore
moins une lutte des classes, mais au contraire, nous faisons une invitation Ă
toutes les classes sociales sans exception pour qu’elles considèrent comme leur
la cause du pauvre, plus encore, comme celle du Christ qui nous dira Ă la fin
des temps sur un ton semblable à celui qu’il nous a dit aujourd’hui :
« Tout ce que vous aurez fait pour eux, c’est à moi que vous l’aurez
fait. »
C’est transcendant. Je dis dans ma
quatrième lettre pastorale : « La transcendance que l’Église enseigne
n’est pas une aliénation, ce n’est pas aller au Ciel pour penser à la vie
éternelle et oublier les problèmes de la Terre, c’est une transcendance qui se
fait à partir du cœur de l’homme. » C’est se mettre dans l’enfant, se
mettre dans le pauvre, se mettre dans le sans-abri, se mettre dans l’infirme,
dans la cabane, dans la hutte, c’est d’aller partager avec lui. Et à partir des
entrailles même de sa misère, de sa situation, de le transcender, de l’élever,
de le promouvoir et de lui dire : « Tu n’es pas un déchet, tu n’es
pas un marginal », mais de lui dire au contraire : « Tu as
beaucoup de valeur, tu en as autant que celui qui vit dans les grandes demeures
que tu vois et que tu ne pourras jamais posséder. Tu es égal, tu es un homme,
une femme, et comme tous les autres, images de Dieu, tu es appelé au
ciel. » C’est cela la transcendance qui donne la véritable dimension des
grands hommes et des grandes femmes.
Quand un homme se laisse transcender,
quand un homme ne se ferme pas aux limites des libérations temporelles, quand
un homme se croit non seulement un leader pour conduire les autres Ă un
massacre, mais quand il incarne un leadership pour donner Ă tous ceux qui
l’accompagnent une dimension de véritable grandeur, de transcendance divine,
c’est cela, la véritable libération que l’Église enseigne. Si l’Église prêchait
autre chose, elle se mutilerait elle-même et elle perdrait son originalité, la
force de sa libération. La libération que l’Église prêche est celle qui part du
cœur de l’être humain : le libérant du péché pour l’élever jusqu’à Dieu et
le faire fils de Dieu.
Parmi ces mesures de la dimension
transcendante, le Pape Paul VI, qui analysa profondément l’humanité actuelle,
disait : « Il faut cultiver également l’esprit de pauvreté. L’esprit
de pauvreté qui est loin de toute convoitise qui fait consister la grandeur de
l’homme à avoir plus, en échange, la véritable grandeur c’est d’être
plus. » C’est ici que le Pape disait : « Cultivons cet esprit de
pauvreté qui rend véritablement grand et transcendant l’être humain parce qu’il
l’enlève de sa position inclinée devant l’argent, pour l’agenouiller devant
Dieu. »
B) La transcendance divise les hommes
entre justes et injustes
C’est exactement dans cette dimension
de la transcendance oĂą nous rencontrons la ligne qui divise entre les
véritables grands, les saints et les impies, les méchants et les matérialistes.
Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les lectures d’aujourd’hui.
Les impies… visions terrestres du
juste
La première lecture nous présente les
impies à partir d’une vision terrestre (Sg 2,17-20) : « Voyons si ses
dires sont vrais, expérimentons ce qu’il en sera de sa fin. Car si le juste est
Fils de Dieu, Il l’assistera et le délivrera des mains de ses adversaires.
Éprouvons-le par l’outrage et la torture afin de connaître sa douceur et de
mettre à l’épreuve sa résignation. Condamnons-le à une mort honteuse puisque,
d’après ses dires, il sera visité. » Quel langage que celui de la Bible,
qui pourrait employer un langage aussi criminel de nos jours!
Pourquoi les tue-t-on? On les tue
parce qu’ils dérangent. Pour moi ce sont de véritables martyrs au sens
populaire. Naturellement, je ne me prononce pas sur le sens canonique, oĂą ĂŞtre
martyr suppose un progrès pour l’Église universelle. Je respecte cette loi et
je ne dirai jamais que nos prêtres assassinés ont été des martyrs qui ne sont
pas encore canonisés. Mais, oui, ce sont des martyrs dans le sens populaire. Ce
sont des hommes qui ont prêché, précisément, cette identification avec la
pauvreté, ce sont des hommes véritables qui ont été jusqu’aux limites
dangereuses où les escadrons de la mort menacent, où quelqu’un peut être
dénoncé et où il finit par être tué comme on tua le Christ.
Ceux-lĂ sont ceux que nous appelons
les véritables justes. Et s’ils avaient des fautes… Qui n’en a pas? Qui n’a
rien à se reprocher? Les prêtres qui ont été tués furent des hommes et ils
eurent leurs fautes. Mais le fait de s’être laissé tuer sans s’enfuir, de ne
pas avoir été lâches et de s’être placés dans ces situations de torture, de
souffrance et d’assassinat, est aussi valable pour moi, qu’un baptême de sang,
car ils ont été purifiés. Nous devons respecter leur mémoire!
La Sagesse qui vient d’en haut
produit la justice comme fruit de la paix.
Dans la seconde lecture d’aujourd’hui
(Jc 3,16-18 et 4,1-3), nous apercevons encore plus clairement la frontière qui
divise les impies et les justes persécutés. Saint Jacques pose
clairement : « La sagesse qui vient d’en haut est celle qui produit
la justice, la paix et tous les biens. »
Le mot sagesse
Par contre, dit-il, la fausse
sagesse, qu’il appelle « les désirs du plaisir qui combattent dans votre
corps. » Quelle source immonde nous sommes! C’est de là , de ces désirs de
plaisir qui combattent dans le corps de l’homme d’où surgit cette longue liste
de la seconde lecture d’aujourd’hui : « envies, batailles, désordres,
toutes sortes de maux, luttes, conflits, égoïsme, assassinats, ambitions, débauches
de plaisir. » Deux sources diamétralement opposées.
La sagesse qui vient d’en haut, celle
que le Christ nous enseigne, celle de savoir donner Ă la vie la dimension du
service, de l’amour, de la souffrance, de l’altruisme; et la sagesse qui naît des
désirs du plaisir de l’homme. Qui combattent dans le corps! Nous ressentons
tous ce désir du plaisir dont nous parle si graphiquement l’apôtre Jacques. Il
nous décrit presque la situation du Salvador lorsqu’il dit : « D’où
viennent les guerres, d’où viennent les batailles parmi vous? N’est-ce pas
précisément vos passions qui combattent dans vos membres? Vous convoitez et ne
vous possédez pas., alors vous tuez. Vous êtes jaloux et ne pouvez l’obtenir?
Alors, vous bataillez et vous faites la guerre. Vous demandez et ne recevez pas parce que
vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions. » Ces choses ne
doivent pas être demandées à Dieu. Celui-ci ne peut pas être complice de nos
sans gĂŞne, mais Dieu va ĂŞtre collaborateur de notre souffrance. 23/09/79,
p.284-288, VII.