La Croix de la Vie
Vingt-deuxième dimanche du temps
ordinaire; 3 septembre 1978; Lectures : Jérémie 20,7-9; Romains 12,1-2;
Matthieu 16,21-27.
Je voudrais ajouter aux lectures
bibliques (Jr 20,7-9; Rm 12,1-2 : Mt 16,21-27), ce passage du Concile
Vatican II où est décrit le chemin du Peuple de Dieu, de l’Église (L.G.
9) : « Au milieu des embûches et des tribulations qu’elle rencontre,
elle est soutenue, dans sa marche, par le secours de la grâce divine que lui a
promise le Seigneur, afin que, dans la condition de l’humaine faiblesse, elle
ne laisse pas d’être parfaitement fidèle, mais demeure la digne épouse de son
Seigneur et se renouvelle sans cesse elle-même, sous l’action de l’Esprit
saint; jusqu’à ce que, par la croix, elle parvienne à la lumière qui ne connaît
pas de déclin. »
Il existe à l’intérieur de cette même
Église, les faiblesses de la chair et au dehors d’elle, un ensemble de
tribulations et de persécutions. Tout cela constitue la Croix de l’Église. Et
ce dimanche, nous allons éclairer à l’aide de la Parole de Dieu qui nous parle
de la Croix, et à la fin de notre réflexion, nous éclairerons les réalités qui
nous entourent et celles qui appartiennent à l’intimité de notre Église. Nous
allons demander au Seigneur ce que vient de nous dire le Concile. Que malgré
les difficultés de sa propre chair, des tribulations et des persécutions du
mal, de l’indifférence qui nous entoure, nous soyons le Peuple de Dieu, fidèle
à son Seigneur, jusqu’à ce que par la Croix, nous atteignons la lumière. Conservez
cette phrase qui est comme la synthèse de ma pauvre parole de ce matin :
la Croix de la Vie.
Plan de l’homélie :
1) La Croix provoque les crises les
plus profondes de la vie
2) Seule la Croix peut donner sens Ă
la vie
3) Sans la Croix la vie est un Ă©chec
1) La Croix provoque les crises les
plus profondes de la vie
Mais auparavant, qu’est-ce que
signifie la Croix dans l’Évangile d’aujourd'hui? Parce que je ne voudrais pas
que l’on ait de notre religion une idée de conformisme. « Soyez patients,
endurez, déjà s’approche la vie éternelle. » C’est ce que nos ennemis
qualifient d’opium pour endormir le peuple. Mais l’Église n’est pas opium,
l’Église est un stimulant, elle provoque pour que nous vivions cette sainte
agressivité que Dieu a donnée à tous les hommes. Mais comme je dis dans ma
Lettre pastorale (août 1978), une agressivité qui doit être bien canalisée, par
le Christ, non pour détruire, sinon pour construire. La Croix n’est pas une
patience sans courage, elle n’est pas passivité, ni conformisme sans effort.
Quand saint Marc a décrit ces mots
sur les lèvres du Christ : « Celui qui désire me suivre, qu’il se
renie lui-même, qu’il prenne sa croix et me suive », il a voulu se faire
l’écho des premières persécutions. L’Évangile fut écrit quelques années après
que le Christ l’eut prêché. C’était le fruit des réflexions de la communauté et
celle-ci pouvait faire référence, comme nous le faisons au cours de nos
homélies, aux persécutions et à ses martyrs. C’est de là que provient leur
compréhension de la Parole de la
Croix. Un courage qui s’expose pour le Christ, une défense de
la justice de l’Évangile, un travail pour la construction d’un monde meilleur.
Observons s’ils y parvinrent. Là à Rome, sur les colonnes païennes est plantée
la Croix du Christ comme pour signifier le triomphe, la victoire de la foi. À
la base, il y a beaucoup de sang de martyrs, mais les chrétiens purent dire que
ce sang est une semence de la rénovation de la société. Un monde
nouveau surgit des batailles de la Croix.
Il y a aussi le signe de la Croix,
dans la Parole d’aujourd’hui, surtout à la lumière de la seconde lecture, cela
signifie l’accomplissement de la volonté de Dieu. Gravons cela dans notre
esprit : la Croix est l’accomplissement de la volonté de Dieu et
n’attribuons pas à celle-ci le fruit de notre paresse, ne rendons pas Dieu
coupable des injustes inégalités, ne Le rendons pas responsable du
sous-développement des hommes. Dieu ne veut pas cela, c’est pourquoi quand Paul
VI modifia le sens de la pénitence pour le peuple chrétien, il dit qu’il avait
différentes façons d’interpréter le sens de la pénitence de la vie chrétienne.
D’une manière, l’on peut jeûner dans
les pays développés où l’on mange bien alors qu’on jeûne autrement dans les
pays sous-développés où la faim est presque la norme quotidienne. La pénitence
dans ce cas, disait-il, c’est de mettre de l’austérité là où existe un grand
confort matériel et donner valeur et solidarité à ceux qui souffrent; et
travailler pour un monde plus juste là où l’on vit presque toujours dans le
jeûne. C’est cela la pénitence, c’est cela la volonté de Dieu. Ce sont des paroles
que j’appuie, des phrases de saint Paul, des documents de l’Église qui
interprètent pour le monde d’aujourd’hui le sens de la Croix, contre une fausse
interprétation qui n’est pas la Croix du Christ – comme dit Pie XI quand à Rome
fut hissé la croix d’Hitler. « On a arboré à Rome une croix qui n’est pas
celle du Christ. » Et ce Pape courageux se retira de Rome.
Parce que la Croix du Seigneur est
différente des croix que les hommes veulent arborer, parce que la Croix du
Seigneur est distincte des croix avec lesquelles on veut nous endormir. Cela
étant, saint Paul et le Christ Lui-même nous disent qu’il n’est pas digne du
Christ celui qui ne prend pas la Croix du Christ pour le suivre. C’est ce que
j’ai dit dans ma première réflexion d’aujourd’hui : la Croix provoque les
crises les plus profondes de la vie.
Prenons par exemple cette vie modèle
qu’est celle du Christ. L’Évangile de saint Matthieu nous situe en un moment
crucial de la mission de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ : Il est avec ses
disciples, Ă l’écart de l’incomprĂ©hension et Il arrache aux apĂ´tres, lĂ Ă
Césarée de Philippe, la première confession de son messianisme. Cela satisfait
le Seigneur qui sent que sa semence de foi dans le cœur des apôtres est en
train de fructifier, ils mûrissent dans la foi. C’est déjà l’heure de faire la première
annonce qui transpose le messianisme glorieux du Fils de Dieu vivant Ă son
envers, le Serviteur souffrant, le Serviteur de Yahvé et c’est alors qu’Il
annonce pour la première fois que le Fils de l’Homme doit monter à Jérusalem,
que les prĂŞtres et les dirigeants du peuple vont influencer le peuple pour
L’accuser, pour Le calomnier et pour Le faire condamner à mort sur la Croix.
Mais le troisième jour, Il
ressuscitera.
Pour la première fois, surgit des
lèvres du Seigneur, le mystère pascal qu’Il sera Lui-même, le mystère qui va
nous réunir tous les dimanches parce que c’est pour cela que nous venons à la
messe, chaque dimanche, pour recueillir les paroles du Seigneur :
« Nous annonçons ta mort, nous proclamons ta Résurrection », c’est de
cela que vit le Peuple de Dieu. Et le Christ, pour la première fois révèle le
mystère, non seulement de sa Résurrection, – parce qu’il est très facile de
suivre un Christ glorieux, le Messie, Fils du Dieu vivant, Celui qui doit venir
sur les nuées du Ciel pour juger tous les hommes –, mais le plus difficile
c’est que l’annonce de ce messianisme a aussi comme envers une autre face très
distincte, douloureuse et humiliante; le Christ souffre ici la crise de la tentation. Un des siens,
précisément celui qui vient de le confesser comme étant le Fils du Dieu vivant,
va ĂŞtre pour lui une source de scandale et de gĂŞne (Mt 16,22-23) :
«Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant : « Dieu
t’en préserve, Seigneur! Non, cela ne t’arrivera point »!Mais lui se
retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan! Tu me fais
obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des
hommes! »
La Croix provoque chez le Christ
Lui-même, la défense de sa mission, qui est croix et sacrifice. Comme il était
facile de suivre comme Pierre, de fuir comme fuient aujourd’hui de nombreux
chrétiens. Il est très facile de se cacher, « ne crée pas de conflits,
prudence… il faut être plus prudents. » Mais le Christ ne fut pas de ce genre.
Et à celui qui Lui conseillait de ne pas s’exposer au danger, Il l’appelle
Satan, Il le nomme scandale. Scandale est un mot d’origine grecque qui signifie
entrave. La pierre qui est mise pour faire obstacle sur le chemin. C’est cela
la crise de la vie, comme la crise du marcheur qui va et qui rencontre un
obstacle sur son chemin, la tentation de rebrousser chemin, ou la valeur de
surmonter l’obstacle.
La Croix est toujours un scandale. La
Croix provoque toujours des crises. Sinon nous ne voyons pas que saint Pierre
est en train de souffrir une crise dans sa foi. Le Christ vient de le dire (Mt
16,17-18) : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette
révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est
dans les cieux. Eh bien! Moi je te dis : tu es Pierre, et sur cette pierre
je bâtirai mon Église. » Celui qui est présentement à Rome, Jean-Paul
I, était Pierre à ce moment de l’Évangile que nous étudions présentement :
le représentant du Christ. Et en cette heure solennelle, alors qu’il reçut
cette promesse dirions-nous, d’un dimanche comme celui-ci, il va être couronné
Pape et il sent la tentation de sa foi. Frères, nous ne sommes sûrs de rien,
nous vivons tous ces terribles moments de crise, même le Pape. C’est pourquoi
nous ne devons pas nous Ă©tonner de ces crises de la foi. Pierre eut peur,
il voulut conseiller le Christ selon des pensées d’hommes et non selon celles
de Dieu. Il fit pression sur le Christ. Comme sont terribles les pressions
lorsqu’on ne veut pas s’écarter de ce que Dieu veut, pour que nous agissions
comme les hommes veulent. Mais l’exemple le plus émouvant ce matin, est celui
de la première lecture, celle du prophète Jérémie (20,7-9). Je ne rencontre pas
dans la Bible des phrases qui expriment plus vivement la crise d’un homme dans
ses relations avec Dieu.
(Jr 20,7-9) : « Tu m’as
séduit, dit-il, Yahvé, et je me suis laissé séduire; tu m’as maîtrisé, tu as
été le plus fort. Je suis prétexte continuel à la moquerie, la fable de tout le
monde. Chaque fois que j’ai à parler, je dois crier et proclamer :
« Violence et dévastation! « La parole de Yahvé a été pour moi source
d’opprobre et de moquerie tout le jour. » Imaginez frères et sœurs, le
tempérament de Jérémie, un prophète doux, un prophète plus incliné à l’amour,
un prophète de finesses spirituelles qui représente précisément, dans l’Ancien
Testament, la figure très douce du Christ; donc ce prophète d’amour, de
douceur, de tendresse, de bonté est choisi par Dieu pour annoncer à un peuple
pécheur, la destruction, la menace de Dieu s’ils ne se convertissent pas. Et
cela lui coûte! (Jr 20,9) : « Je me disais, dit-il, “Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en
son Nom”; mais c’était
en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir,
mais je n’ai pu. » C’est cela la crise du prophète. Il ne voulait pas dire
ce qu’il avait à dire, mais Dieu lui ordonne de le faire.
Vous voyez que la Croix n’est pas
conformisme, elle exige souvent à l’être humain, parfois même contre son tempérament,
contre sa façon d’être. C’est ce que le Christ demande à Pierre : ne
t’accommode pas, ne t’installe pas, nous allons vers Jérusalem pour souffrir.
C’est ce que déplore le prophète Jérémie, c’est ce qu’il ressent dans cette
mission très difficile et c’est ce que dans cette première réflexion j’aimerais
dire à mes chers chrétiens : quand le Christ nous dit, non plus à Pierre
ou à Jérémie, ni aux élus de la Bible, sinon à nous tous… le Peuple de Dieu.
Cette page de l’Évangile décrit les conditions des disciples de Jésus (Mt
16,24-25) : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie
lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. Qui veut en effet
sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie Ă cause de moi la
trouvera. » Ce sont des paroles qui provoquent des crises. Je suis
témoin de nombreux hommes et de nombreuses femmes qui vivent cette crise
présentement. Et cela me fait souffrir quand il s’agit de gens qui ont été très
généreux et très courageux et qui aujourd’hui sont pétrifiés par la peur. Mais je suis
heureux lorsque je m’aperçois que cette crise est utile à plusieurs, comme
l’est la crise que provoque une maladie. Celle-ci, disent les médecins, est ce
moment où le malade va se diriger vers la mort ou vers la santé, pour plusieurs
cette crise les conduit vers la santé tandis que pour d’autres, c’est une crise
de mort.
C’est l’Évangile, c’est la Croix!
Très chers frères, je vous invite à ce que nous ne vivions pas un christianisme
sans Croix. Je vous invite Ă confronter, avec valeur, la vie de chacun avec la
Croix qui me provoque. Et si vraiment, comme dit ce poème du Christ
brisé : chaque soir, je m’agenouille au pied du Crucifié et je Lui
embrasse les pieds, non pas d’une façon romantique, superficielle, mais avec un
baisé de conviction pour Lui dire que je suis disposé à L’aimer même s’il me
faut pour cela mourir avec Lui, crucifié. Que tu veuilles embrasser ses pieds
quand ce Christ représente peut-être ton pire ennemi et que tu doives lui
pardonner. C’est difficile. Nous provoquons ces crises pour que resurgisse un
christianisme authentique.
Vous savez bien comment les orfèvres
éprouvent l’authenticité de l’or et de l’argent. Ils ont une pierre de touche,
ils frappent le métal contre cette pierre et au son ils peuvent calculer ses
carats. La Croix est une pierre de touche. Frappons notre vie contre la Croix
et écoutons comment elle résonne. Elle sonne comme de la lâcheté, avec de la
peur, elle sonne selon les pensées des humains et non selon celles de Dieu. La
Croix est l’épreuve authentique de celui qui désire suivre le Christ, c’est
pourquoi le Seigneur dit : « Que celui qui désire me suivre se charge
de sa croix. » 03/09/78, p.160-163, V.
2) Seule la Croix peut donner sens Ă
la vie
Le christianisme n’est pas du
masochisme, cette philosophie qui enseigne qu’il faut souffrir pour souffrir.
Non! Dieu ne nous a pas fait pour la souffrance! Dieu a voulu nous faire pour
le bonheur. Ainsi comme la mère aime son fils qui doit être opéré, elle sait la
douleur qu’implique cette opération, mais pour le bien de son enfant, elle l’y
soumet. Elle dit au médecin : faites ce que vous pouvez et elle ressent la
douleur, mais son fils est sauvé parce que l’opération était nécessaire. Il en
est de même lorsque le Christ annonce sa passion : « Et le troisième
jour Il ressuscitera. » Quelle promesse plus belle sur le calvaire et sur
la Croix! Ressusciter est le destin de l’être humain, mais comme il appartient
à une race pécheresse, qu’il a offensé Dieu, il a besoin pour parvenir à la
RĂ©surrection, de passer par le creuset de la Croix et de la souffrance. Et si
nous endurons l’épreuve de la Croix avec le Christ, dit saint Paul, avec Lui
nous ressusciterons!
Porter la Croix signifie ceci :
suivre Jésus, sauver la vie, et parvenir à la récompense glorieuse. Il y a une
phrase paradoxale dans l’Évangile d’aujourd’hui (cf. Mt 16,25) :
« Celui qui dĂ©sire sauver sa vie la perdra et celui qui perdra sa vie Ă
cause de moi se sauvera! » Qu’est-ce que peut bien vouloir dire ce jeu de
mots? Mais la philosophie du christianisme est davantage qu’un jeu de mots.
Celui qui veut ĂŞtre bien, qui rejette les souffrances de la vie, celui qui veut
sauver sa vie présente perdra la vie éternelle. Et plus encore, déjà dans
l’histoire présente, personne n’est aussi heureux qui peut dire au Christ sa
loyauté, son altruisme et sa générosité. Nul n’est autant libre, nul n’a
rencontré une vie aussi remplie que celui qui n’a pas peur de la perdre pour le
Christ. Celui qui a peur de la perdre n’est pas libre, il vit dans la crainte, il
est conditionné. Ah! J’ai ce problème. Ah! Je dois faire cela. Ici, la Croix
est résolue par la négative, mais elle seule peut donner un sens à la vie.
Je voudrais me concentrer plus
particulièrement sur le sens divin que saint Paul mentionne aujourd’hui dans
son épître aux Romains (12,1-2), quand il dit que la vie du chrétien, le corps
du chrétien doit être devant Dieu comme une hostie vivante, agréable à Dieu.
Observez qu’ici la Bible donne à notre corps, à notre vie, un sens d’hostie, un
sens d’holocauste, un sens divin que chacun possède, même le plus humble. Et je
voudrais que cette parole soit entendue de tous ceux qui m’écoutent, quelles
que soient les circonstances où ils m’entendent à la radio, certains malades
qui dĂ©sespèrent dans leurs douleurs, peut-ĂŞtre un pauvre qui ne rĂ©ussit pas Ă
trouver du travail et qui n’a rien à manger, ou encore, un autre qui travaille
et que le travail ne nourrit pas, un autre qui a trop et qui est égoïste… Je ne
sais pas qui m’écoute actuellement. J’aimerais remercier l’attention de ceux
qui se trouvent dans la cathédrale ce matin. Et je vous dis à tous, très chers
frères dans la foi, que si tout cela existe : la souffrance, la pauvreté,
le travail, les dettes, peu importe ce dont il s’agit, nous l’offrons à Dieu, pour
le remercier, pour faire sa volonté, nous sommes des hosties agréables à Dieu,
victimes de cette douce odeur qui s’élève sur l’autel du Père.
Alors que nous nous retrouvons Ă un
moment de l’histoire de l’Église, de la vie et de la mort d’un pontife, je veux
rappeler ces paroles immortelles de Jean XXIII, lorsque son médecin lui dit que
sa maladie était grave et qu’il devait s’étendre. Cet ancien répondit :
« Le lit aussi est un autel et il a besoin d’une victime pour l’offrir Ă
Dieu. C’est ce que je suis maintenant, cette victime de l’autel du
lit.» C’est comme cela qu’il mourut, presque à la vue de tous. Je n’ai
jamais vu une mort plus publique que celle qui nous était relatée minute après
minute, la vie qui était en train de s’éteindre, l’hostie qui était en train de
se consommer. Comme apparaît beau ce corps en ces derniers moments, même s’il
s’agit d’un obèse comme l’était celui du pape Jean XXIII, mais converti en
hostie agréable par ce bel esprit que renfermait ce corps, par l’idéologie
chrétienne qu’il avait donnée à toute sa vie. Il n’y a pas de corps sans valeur
pour le Seigneur.
Malheureusement, ici aussi nous
pouvons dire comme le Christ Ă de nombreux hommes et Ă de nombreuses
femmes : tu penses selon les hommes et non selon Dieu. Tu regardes avec
des regards de concupiscence vicieuse et non avec des yeux d’élévation. Mais si
nous regardons tous les corps, du plus beau au plus misérable, au plus
répugnant, dirions-nous comme saint Paul : tout corps est une hostie quand
il vit dans l’offrande à Dieu, ses énergies, sa voix, son chemin, ses mains,
son intelligence, sa profession et son travail, tout pour la gloire de Dieu,
c’est la Croix, c’est la gloire de Dieu dans la vie.
Le baptême, très chers frères, nous
identifie avec cette beauté de notre Christ. Le Concile Vatican II dit, en
parlant précisément de vous, les laïcs (L.G. 10) : « En effet, par la
régénération et l’onction de l’Esprit saint, les baptisés sont consacrés pour
être une maison spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices
spirituels, moyennant toutes les œuvres du chrétien, et d’annoncer les louanges
de Celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière. Que tous les
disciples du Christ, en persévérant dans la prière et en louant Dieu ensemble,
s’offrent donc eux-mêmes comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu,
qu’ils rendent partout témoignage au Christ et, à qui le demande, rendent
compte de l’espérance de la vie éternelle qui est en eux. » Il s’agit
d’une invitation et puissent mes paroles rencontrer cet écho que je vous
souhaite ce matin, de donner Ă la vie de tous et chacun, ce sens divin de la Croix. Embrassons
avec courage la Croix de notre devoir et remplissons nos obligations, aussi
routières qu’elles soient, non pas uniquement pour gagner un salaire, des
applaudissements, tout cela demeure sur la Terre. La finalité de notre vie est la gloire de
Dieu. Aussi humble que soit une vie, cela la rend glorieuse. 03/09/78,
p.163-165, V.
3) Sans la Croix la vie est un Ă©chec
Qu’est-ce que signifie le refus de la
Croix? Qu’est-ce que l’échec de la vie? Saint Paul dans la seconde lecture
d’aujourd’hui (Rm 12,2) nous dit : « Ne vous modelez pas sur le monde
présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous
fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, et ce qui est bon, ce qui lui
plaît, ce qui est parfait. » Cela serait rejeter la Croix, se
conformer à ce monde, vivre selon le monde et non selon l’Évangile. Le monde
dit que l’argent est le bonheur et le Christ dit : Bienheureux les pauvres
d’esprit! Le Christ dit qu’il faut pardonner et le monde dit l’adage
paĂŻen : Ĺ’il pour Ĺ“il, dent pour dent, vengeance, violence et haine. Ne
vous satisfaites pas de la pensée du monde parce qu’ici nous pourrions décrire
à l’infini ces deux lignes de pensée qui chaque fois s’éloigne l’une de
l’autre. La ligne de la conformité à la volonté de Dieu et celle qui veut être
conforme Ă ce monde.
Pauvres de vous qui enfoncez chaque
jour davantage votre pensée et vos critères avec la vision de ce monde. Le
plaisir de la chair, le vice, les drogues, la prostitution, l’argent, le vol,
les enlèvements, tout ceci sont les chemins de ce monde. Ne faites pas
correspondre votre vie avec la pensée du monde. C’est ce que le Christ dit
autrement à Pierre : « Tu penses comme les hommes et non comme
Dieu. » C’est cela la grande tâche de l’évangélisation, transformer
la pensée des hommes en la pensée de Dieu. Pour moi ce matin, cela est précieux
parce que c’est ce que je m’efforce d’accomplir : transformer la mentalité
humaine en celle de Dieu.
Une autre phrase du Christ dit la
même chose : vouloir sauver sa vie, c’est aussi refuser la Croix. On ne peut sauver
sa vie sans courir le risque de la perdre pour toujours. C’est pourquoi
l’Évangile se termine par cette phrase qui a converti tant de pécheurs et les a
rendus saints : « À quoi servirait-il à un homme de gagner le monde
si à la fin il perd sa vie! » C’est une légende, mais plusieurs croient
que certaines personnes ont fait un pacte avec le diable. C’est lorsque tout
réussit à quelqu’un, ils disent que le diable lui vient en aide et qu’après il
emportera son âme. Cela n’est pas une vérité de foi, mais il est certain que
pour plusieurs, seul importe d’accumuler les biens de ce monde et pour cela ils
risquent de perdre la vie. C’est
ce que nous pouvons souvent observer. Certains reçoivent de grands héritages,
les héritiers qui recueillent sans effort ce qui a été accumulé par d’autres,
dilapident leur fortune si bien qu’à la fin nous pouvons dire que l’argent également
est sacré et qu’il faut savoir le mettre au service de la volonté de Dieu.
C’est pourquoi très chers frères,
cela marque aussi la vie de l’Église. Lisez le commencement de la pensée du
Concile : « Cette Église, n’est pas une chose abstraite, c’est nous
qui la formons, nous sommes l’Église, dans la mesure où nous vivons cette
Croix, nous élevons l’Église et dans la mesure où nous nous éloignons de cette
Croix – nous les chrétiens – dans cette mesure, nous l’évacuons, nous laissons
l’Église sans sens. C’est là ma principale préoccupation, de vouloir construire
avec le Christ, une Église selon son cœur. Les autres choses, ce qui va suivre
maintenant : les événements de la réalité qui sont illuminés par l’Église,
sont des choses accidentelles qui passent, elles font partie de l’histoire de
cette semaine.
C’est pourquoi je vous supplie que, Ă
l’intérieur de mes homélies, davantage que ce genre de radio-journal que la
fonction prophétique de l’Église m’oblige à réaliser, vous sachiez reconnaître
les efforts de ce pauvre pasteur qui s’efforce de construire une Église selon
le cœur de Dieu. C’est cela l’affirmation que je répète et que je ne voudrais
pas que vous confondiez, à savoir, ce qu’est l’Église véritable de la croix du
Christ, avec une espèce d’opposition politique, avec une espèce de fantaisie
pour gagner la renommée ou pour être opportuniste. Cela m’attriste, Seigneur,
d’avoir à dire ces choses, mais si ces événements se produisent, ils m’obligent
à dénoncer les péchés du monde, pour les détruire comme Tu veux que le Peuple
de Dieu les détruise. 03/09/78, p.165-166, V.