Le Mystère pascal
Troisième dimanche de Pâques; 9 avril
1978; Lectures : Actes 2,14.22-28; I Pierre 7,17-21; Luc 24,13-35.
L’Année liturgique
Il se peut qu’il y ait des
déficiences humaines, mais ce qui importe malgré cela, c’est le message qui
illumine cette réalité. Si cette année liturgique n’illuminait jamais notre
réalité, elle serait comme une ligne parallèle qui ne rencontrera jamais la
vie. À partir de là , nous pouvons dire que l’homélie est déjà une parole
consacrée pour expliquer. Le célébrant doit appliquer les lectures de la Parole
aux situations concrètes de l’assemblée qui se réunit pour leur dire, ce ne
sont pas des considérations historiques, il s’agit de notre réalité présente.
Cette Parole qui a été lue, même si elle fut écrite il y a plusieurs siècles,
est une Parole d’un Dieu éternel qui parle aujourd’hui, ici, à ses Salvadoriens
rĂ©unis dans la cathĂ©drale ou autour d’un poste de radio pour prendre part Ă
cette réflexion. 09/04/78, p.143, IV.
Je crois que l’intérêt que suscite la
prédication, de nos jours, est que nous parlons de l’amour véritable, du
pardon, de la justice et de la
paix. Non pas une paix gagnée à coups de répression, la paix
des cimetières, mais une paix solide qui se fonde sur les bases de la justice
et de l’amour. C’est pourquoi nous affirmons que la paix que nous prêchons ici
est la paix du Christ, celle dont Il a dit qu’elle sème la division. La paix
véritable sème la division parce que ce n’est pas tout le monde qui comprend la
profondeur de la justice oĂą se situent les racines de la paix. Certains
préféreraient entendre une prédication douce qui n’offense pas et qui parle
d’une fausse paix. 09/04/78, p.147, IV.
Le Concile Vatican II ne peut pas
être compris si on n’a pas une idée de ce qu’est le mystère pascal qui donne
son origine et son style à l’Église de tous les temps. L’Église n’est rien
d’autre qu’une messagère du mystère pascal.
1) Qu’est-ce que le Mystère Pascal?
Le Concile le définit ainsi :
« Le Christ, Notre Seigneur, mena à terme l’œuvre de la Rédemption des
hommes et de la parfaite glorification de Dieu que préfigurèrent les prodiges
du peuple de l’Ancien Testament. Cette œuvre, le Christ la mena à terme
principalement par le mystère pascal de sa bienheureuse Passion, Résurrection
d’entre les morts et par sa glorieuse Ascension. Par ce mystère pascal, en
mourant, Il détruisit notre mort et en ressuscitant Il renouvela la vie,
puisque, du côté du Christ sur la croix, est né l’admirable sacrement de toute
l’Église. […] Ces deux aspects du Christ, souffrant et mourant pour détruire
notre mort et nos péchés, et ressuscitant et montant au ciel pour nous rendre
la vie et nous ouvrir les portes de l’espérance, c’est ce que nous appelons le
Mystère Pascal. 09/04/78, p.149-150, IV
Pourquoi l’appelons-nous le Mystère
Pascal?
Parce que cette œuvre fut réalisée
par le Christ au moment de la Pâque. Observez comment fut cette Pâque que le
Christ nomma : « Son heure. » « Mon heure s’approche,
l’heure où le Fils de l’Homme sera glorifié. » « La
Pâque. » Et quand arriva l’heure, il envoya ses disciples préparer
la Pâque à Jérusalem.
En second lieu, on appelle pascal ce
mystère du Christ parce que cette cène fut sa dernière Pâque et depuis que Jean
Baptiste le présenta au monde comme étant l’Agneau Pascal, Il est l’Agneau qui
est immolé à la Pâque et que les Israélites mangent pour symboliser la
protection de Dieu, leur sacrifice Ă Dieu. Ce Jeudi saint, quand toutes les
familles d’Hébreux mangeaient l’agneau pascal, le Christ aussi, avec ses
disciples, mangea un agneau. À ce moment le Christ pensait qu’Il allait
terminer sa mission : « Demain, Je serai cloué sur la croix, l’Agneau
sanglant qui enlève les péchés du monde. »
Agneau Pascal!
En troisième lieu, nous appelons ce
mystère de la Rédemption le mystère pascal parce que ce repas du Jeudi saint
servit au Christ pour unir la Pâque de l’Ancien Testament avec celle des
chrétiens. Aujourd’hui, par exemple, nous célébrons la messe, cet autel est
celui de la Pâque où sont immolés le Corps et le Sang du Seigneur. Il est
l’Agneau et j’ai l’honneur de vous le signaler dans l’hostie lorsque je vais
dire : « Voici l’Agneau de Dieu, Celui qui enlève les péchés du
monde. » « Prenez et mangez », dit le Christ. Ceci est la Pâque
par laquelle est immolé avec le sang divin, l’Agneau qui enlève les péchés du
monde. […]
La messe de chaque dimanche, la messe
de nos défunts, la messe de la première communion, la messe du mariage, la
messe pour demander lumière et consolation au Seigneur, est le sacrifice du
Christ, c’est le repas du Seigneur qui se fait Pâques en toutes les
circonstances de la vie. C’est
pourquoi le Concile conseille qu’on ne donne pas ce ton sombre aux messes des
défunts, comme si tout était terminé, mais qu’on leur donne plutôt un sens
pascal. La messe du défunt peut très bien être présentée avec des vêtements
blancs et des chants d’alléluia, parce que même si la famille éprouvée pleure,
ces larmes sont illuminées par la Pâque du Christ. 09/04/78, p.150-151, IV.
2) La Pâque de l’Ancien Testament, la
Pâque que le Christ recueillie
Les historiens ont découvert que la
Pâque des juifs possède une origine naturelle plus ancienne que celle du peuple
d’Israël. Il s’agit probablement d’une fête qui avait lieu à la pleine lune qui
suivait l’équinoxe du printemps. Cette pleine lune de la Semaine sainte servait
aux bergers pour chanter leur joie de savoir que les froids de l’hiver étaient
passés et pour célébrer l’arrivée du printemps. Pâque signifie
« passage », le passage de l’hiver au printemps qui était célébré par
une nuit de pleine lune parce qu’on allait émigrer du désert vers les
pâturages.
Même lors de la période agricole
d’Israël, ces coutumes prévalaient. Elles avaient cours à la même époque que
cette autre fête, la fête des azymes, que le Christ célébra également. Les
agriculteurs recueillaient alors la récolte de blé et pour signifier le passage
de la vieille récolte à la nouvelle, on mangeait du pain sans levain, constitué
uniquement de blé nouveau pour rendre grâce à Dieu. C’est là l’origine de cette
fête des azymes, du passage du vieux au nouveau, du passage de l’ancienne à la
nouvelle récolte.
Ainsi, ce concept de Pâque fut assumé
par l’Israël naissant en Égypte, lorsque Dieu révéla au peuple persécuté et
opprimé qu’en cette nuit qui était aussi une nuit de pleine lune du printemps,
Il passerait avec son ange. Là où les portes seraient marquées du sang de
l’agneau qu’avaient mangé les familles israélites, nul ne périrait, mais les
portes des Égyptiens qui étaient sans cette protection du sang virent mourir
avec angoisse tous leurs premiers-nés. En cette nuit d’extermination passa
Dieu, la Pâque de Dieu, le passage de Dieu. Comme est terrible le passage de la
justice de Dieu qui vient remettre Ă sa place ce peuple oppresseur, ingrat
envers les pèlerins d’Israël! Tous les premiers-nés d’Égypte moururent. Par
contre, les familles marquées du sang de l’agneau mangèrent leur Pâque,
revêtues de leurs habits de pèlerins parce qu’en cette nuit débuta l’Exode. La
Pâque, c’est l’Exode, la sortie d’un peuple qui est retenu captif, en
esclavage, «vers une terre que Je vous montrerai. » Et ils partirent.
« Cette nuit sera célébrée, leur commanda Moïse, toutes les années de
l’histoire. »
Cela signifiait donc une nuit de
libération : le passage de l’esclavage à la liberté, le passage de
l’oppression à une terre promise, mais aussi le passage de la mer Rouge qui allait
confirmer par un miracle stupéfiant, le passage du peuple d’Israël où demeura
englouti l’armée des Égyptiens. Le passage fut célébré lorsque le peuple pèlerin
parvint à Guilgal et réalisa son premier sacrifice en terre promise. Quelle
joie, quelle gratitude! Depuis lors, Pâque est célébré à chaque année comme une
fête d’indépendance, comme une fête du passage de l’esclavage au Salut, une
fĂŞte de vie, une fĂŞte oĂą on reconnaissait le Dieu Sauveur qui agit au moyen de
l’instrument que fut Moïse. C’était une fête d’Action de grâce à laquelle
s’unirent d’autres éléments bibliques, par exemple : la création de
l’homme, l’Alliance, le sacrifice d’Isaac.
Tout cela venait l’enrichir comme une
rivière qui naît petite et qui devient un torrent à la plénitude des temps.
Quand le Christ célébra la Pâque avec ses disciples, c’était toute cette
histoire qui était commémorée. Nous comprenons maintenant le sens des lectures
d’aujourd’hui (Ac 2,14.22-28; I Pie 1,17-21; Lc 24,13-35). La Pâque chrétienne,
la Pâque que le Christ célébra en assumant tous ces vieux symboles de l’Ancien
Testament pour les remplir de sa réalité rédemptrice qu’Il allait réaliser par
sa mort, sa résurrection et son ascension au ciel.
Pâques, c’est ce mystère du Christ
parce que dans ce Christ mort pour nous, ressuscité pour nous, vivant
éternellement pour nous, nous voyons le style de notre Église. Le catholique
qui n’a aucune idée de ce qu’est le Mystère pascal ne peut pas connaître son
Église. C’est pourquoi j’ai voulu qu’en cette ambiance de Pâques de 1978, vécue
au Salvador d’une manière similaire aux Israélites en Égypte, nous nous
souvenions que Dieu marche avec nous. 09/04/78, p. 151-153, IV.
3) Quelle est la signification pour
les chrétiens des Pâques que le Christ nous laissa?
Les Pâques chrétiennes possèdent ces
quatre caractéristiques :
1. Des Pâques qui sont la cause de
notre Salut, des Pâques libératrices.
2. Des Pâques sacramentelles, signe
qui renferme et occulte des réalités divines que nous ne voyons pas.
3. Des Pâques ecclésiales, des Pâques
communautaires que nous ne devons pas vivre individuellement, mais en peuple,
en commun.
4. Des Pâques eschatologiques, des
Pâques que nous espérons.
Qu’est-ce que cela veut dire? C’est
ce que nous dit aujourd’hui saint Pierre dans le premier sermon du
christianisme : « Il a rompu les liens de la mort. » Ou
lorsqu’il dit dans son épître d’aujourd’hui : « Il nous a rachetés. »
Mais de quoi nous a-t-il rachetés? Il nous a racheté de la vie stérile. Comme
il est dit dans la Première épître de Pierre (1,18-19) : « Vous
connaissez le prix payĂ© pour vous libĂ©rer de la vie stĂ©rile que vous meniez Ă
l’image de vos pères; votre liberté n’a pas été achetée par de l’or ou de
l’argent, substances périssables, mais par le Précieux Sang du Christ, Agneau
sans tache et sans défaut. » C’est cela, la Rédemption, un rachat qui ne
se paye ni avec l’or et l’argent!
C’est pourquoi, si nous nous
concentrons maintenant sur l’Évangile de Luc 24,21, les disciples découragés et
désillusionnés qui marchaient sur le chemin d’Emmaüs et disaient :
« Nous espérions, nous, qu’Il serait le Libérateur attendu d’Israël, mais
trois jours sont passés depuis lors. » C’est cela la désillusion lorsqu’on
ne recherche que des libérations temporelles. Frères, je désire insister
beaucoup sur ce point, parce qu’on m’accuse de prêcher une libération
révolutionnaire sur cette terre. Personne ne croit ces balivernes, mais je veux
confirmer une fois encore que la libération que j’annonce n’en est pas une qui
conduit à la désillusion des disciples d’Emmaüs. Ces mêmes apôtres lorsqu’ils
assistèrent à l’Ascension demandèrent au Christ : (Ac 1,6)
« Seigneur, le temps est-il venu où tu vas rétablir la royauté en
Israël? » Il s’agissait d’une espérance politique, un espoir terrestre et
myope, sans horizon. C’est l’espérance que possèdent de nombreux mouvements de
libération de notre temps, ceux qui n’espèrent pas avec l’espérance chrétienne,
mais qui croient qu’ils vont tout résoudre par la force de la violence, de la
haine, de la lutte des classes. Cela n’est pas la libération du Christ, cela ne
peut pas être la libération de l’Église.
Ă€ ces disciples qui avaient cette
illusion tronquée, le Christ dit : (Lc 24,25) « Insensés! Ô cœurs
trop lents à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes. » Un chrétien ne
peut pas oublier que les véritables Pâques qu’il célèbre tous les dimanches
dans sa messe, que la véritable espérance que, comme chrétien, il abrite dans
son cœur, est une libération du péché, une libération qui nous fait
véritablement rompre les chaînes qui nous retiennent intimement. Cette
espérance nous assure également de rompre les chaînes de la mort et de l’enfer
et d’avoir la sainte liberté que possèdent les enfants de Dieu. Il n’y a pas
d’hommes plus libres que celui qui s’est libéré du péché, de la peur de la mort
et de l’enfer parce qu’il sait qu’il aime Dieu et qu’il suit le Christ qui est
vivant et qui lui donnera la véritable libération.
La véritable libération est celle que
le Christ commença à décrire aux disciples d’Emmaüs : (Lc 24,26-27)
« Le Christ devait souffrir pour entrer dans sa gloire. Puis à partir des
prophètes à commencer par Moïse, il leur explique tout ce qui a été écrit à son
sujet. »
La Rédemption, la libération que
l’Église prêche et espère, n’est pas une libération qui conduit à la désillusion. Même
lorsque les choses vont mal, même lorsqu’il faut mourir sur une croix, même
lorsqu’on doit être torturé et mourir dans l’indignité de ceux dont on ne veut
pas entendre le cri de la véritable libération, ce sont là des épisodes de
guerre où le Christ sauve le monde. N’oublions pas, frères, que la libération
est encore en train de se réaliser et c’est pourquoi nous mourons toujours,
c’est pour cela qu’il existe des cimetières. Si le Christ a triomphé de la mort
pourquoi est-ce que nous mourons? Parce que la Rédemption n’est pas encore
achevĂ©e. Et saint Paul le dit : « La dernière ennemie du Christ Ă
être vaincue sera la mort. » C’est ce que nous a dit également saint
Pierre dans son épître d’aujourd’hui (I P 1, 17-21) lorsqu’il parle de l’agneau
qui fut immolé…
Quand on inaugure un Ă©difice, nous ne
voulons pas être déçus en le voyant entouré d’échafaudages et de déchets de
construction. Au jour de l’inauguration, nous enlèverons donc les échafaudages
et nous nettoierons bien afin de mettre en valeur cette belle construction. Il
en est de même de la libération du Christ : maintenant, nous travaillons,
c’est pourquoi il demeure ce déchet qu’est la mort, qu’il y a ces échafaudages
imparfaits, qu’il existe, au cœur même de l’Église des déficiences et des
péchés, parce que cela n’est pas encore l’Église triomphante du ciel, c’est
celle qui est encore en train de se faire parmi des hommes pécheurs, envieux et
mesquins, comme nous sommes tous. Elle travaille Ă la RĂ©demption.
C’est pourquoi il ne faut pas espérer
un paradis, une Rédemption qui ne serait le fait que de l’effort humain et des
idéologies de la terre. L’Église
ne peut pas être communiste, l’Église ne peut pas être libératrice au sens des
libérations terrestres seulement. Elle les inspire, oui, parce qu’elle porte
une espérance qui est la force qui peut rendre efficaces toutes les libérations
si elles veulent être chrétiennes. 09/04/78, p.153-154, IV.
Des Pâques sacramentelles
Nous disons que nos Pâques sont
sacramentelles, c’est-à -dire qu’elles sont un sacrement. Le sacrement est un
signe sensible qui révèle une grâce invisible. Nous allons recevoir la
communion, un sacrement, je sens qu’il a la saveur du pain, mais ma foi
découvre qu’en ce signe du pain le Christ est présent. Je vais élever une
hostie de pain, mais elle est déjà convertie en corps du Christ et nous
l’adorons tous parce que nous savons que c’est là qu’Il se cache sous le signe
du pain et du vin, la présence même de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cela veut
dire, frères, que toute cette force libératrice du Christ sur le Calvaire,
ressuscitant et montant au ciel, est avec son Église. Je vous ai lu au début de
l’homélie, cette précieuse pensée du Concile quand il dit que : « Du
côté du Christ endormi, naquit l’admirable sacrement de l’Église. »
L’Église est un grand sacrement, elle
est la présence du Christ dans le monde. Vous et moi, frères, soyons saints,
faisons transparaître la présence du Christ libérateur en ce monde. C’est cela
être sacrement. Sacrement, également, parce qu’en chaque sacrement que l’Église
donne, le Christ est présent avec toute sa force, avec toute sa vie divine,
cela veut dire que le ciel est déjà présent sur cette terre, que le Règne des
cieux est déjà au milieu de nous. Tous ceux qui croient dans la vie
sacramentelle de l’Église, tous ceux qui conduisent un enfant au baptême, qui
se confessent pour recevoir le pardon de leurs pĂ©chĂ©s, tous ceux qui viennent Ă
la messe avec une foi et une espérance qui s’appuient sur le Christ, sentent
que le Christ ressuscité et glorieux vit ici dans cette Église et qu’Il
continue de pardonner, de triompher de la mort et de travailler Ă la grande
libération des hommes.
Ce passage de l’Évangile est typique.
Le Christ marche avec les disciples sur le chemin d’Emmaüs et ceux-ci
s’étonnent de son ignorance des derniers événements. (Lc 24,18-19.21-23) :
« Tu es bien le seul homme, séjournant à Jérusalem, à ignorer ce qui est
arrivé ces jours-ci. » « Quoi donc? », demanda-t-il. « Ce
qui est advenu à Jésus le Nazaréen, qui, puissant par ses actes et ses paroles,
s’était montré un grand prophète. Nous espérions, nous, qu’il serait le
libérateur d’Israël attendu, mais trois jours sont passés depuis lors. Quelques
femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S’étant rendues au
tombeau tôt le matin, elles n’ont pas trouvé son corps. » C’est cela le
calcul humain lorsque nous perdons de vue le Christ caché sous les traits de ce
pèlerin! C’est pourquoi lorsqu’ils parvinrent à la ville d’Emmaüs, celui-ci
leur dit : « Merci pour votre compagnie, mais je dois poursuivre ma
route. » Et ceux-ci lui disent : « Demeure avec nous, Seigneur,
ne vois-tu pas qu’il se fait déjà tard. » Il les avait gagnés. Et quand
ils préparèrent le repas et s’assirent pour manger, Jésus rompit le pain et ils
Le reconnurent, mais Ă ce moment Il disparut. Et alors vient ce commentaire (Lc
24,32) : « Est-ce qu’un feu ne brûlait pas dans notre cœur tandis
qu’Il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures? » Et ils
coururent à Jérusalem pour rejoindre la communauté.
C’est cela le sacrement. C’est
pourquoi, frères, nous sommes conscients qu’il nous faut recevoir les
sacrements avec davantage de connaissances. Cela ne vaut rien d’amener un
enfant pour qu’il reçoive la confirmation s’il ignore totalement ce dont il
s’agit. Ou encore faire un baptême seulement pour faire une fête, sans savoir
ce que représente ce sacrement. Le Christ passe vêtu comme un pèlerin et nous
ne le reconnaissons pas, comme cette belle chanson qui dit : « Je
suis le Seigneur et vous ne me connaissez pas, Je suis votre Dieu qui est
présent dans la messe du dimanche que vous abhorrez. » C’est là la raison
pour laquelle nous ne sommes pas catholiques ni ne participons des sacrements,
parce que nous sommes comme ces pèlerins d’Emmaüs qui marchent avec Lui sans le
reconnaître. Connaissons-le, il n’est pas nécessaire de le voir.
« Bienheureux celui qui croira
sans avoir vu! » a dit le Christ à Thomas dimanche dernier. Il fait
maintenant la leçon à ces deux disciples en disparaissant au moment où ils le
reconnaissent. Il n’aime pas être visible tant que dure cette vie qui doit en
être une de foi et d’espérance. 09/04/78, p.155-156, IV.
Des Pâques communautaires
C’est pourquoi, frères, la troisième
caractéristique de nos Pâques est d’être communautaire. Depuis que Moïse donna
l’ordre : « Que chaque famille tue un agneau et que si la famille est
petite, elle doit appeler ses voisins pour partager la Pâque. » C’est
depuis lors que cette fĂŞte de famille passa Ă ĂŞtre une fĂŞte de la Patrie, de
telle sorte que pour Pâques, même aujourd’hui, les Juifs de différents points
du monde s’efforcent d’être à Jérusalem pour célébrer Pâques dans un sens
patriotique. Comme si le 15 septembre nous nous efforcions de venir d’où nous
habitons pour célébrer ensemble la fête de notre indépendance. 09/04/78, p.156,
IV.
Des Pâques eschatologiques
Et finalement, frères, les Pâques des
chrétiens sont des Pâques eschatologiques. Est eschatologique l’avènement du
Salut final, à la fin des temps. Saint Pierre nous a dit aujourd’hui que le
Christ était l’Agneau prévu depuis le commencement des temps et qui viendrait
se manifester à la fin des temps. Entre cet agneau annoncé depuis le
commencement des temps et celui qui viendra comme juge de l’Histoire à la fin
des temps, se situe l’histoire que nous tissons. C’est pour cela que les hommes
qui vivent dans l’histoire doivent partir de cet Agneau qui vécut avant
l’histoire et qui demeure comme but de celle-ci. Ne perdons pas de vue cette
perspective lorsque nous luttons pour des améliorations de nos conditions de
vie sans tenir compte de ces horizons eschatologiques.
Tant que nous avons la foi et l’espérance
dans ce Christ qui doit revenir, en cet au-delà qui se situe après nos échecs,
notre mort et nos difficultés, nous garderons cette perspective, celle de
l’Église de Pâques, de l’Église de l’espérance. Et l’Évangile nous indique
également ce sens eschatologique (Lc 24,25) : « Sots, insensés! Ne
devait-Il pas souffrir tout cela pour pouvoir ensuite entrer dans sa
gloire? » Il nous faut souffrir et nous ne devons pas en être étonnés, ni
être scandalisés des douleurs que cela nous occasionne, des échecs inattendus.
Combien de fois avons-nous entendu quelqu’un pleurer auprès d’un être cher,
blasphémant presque : « Si Dieu m’aime, pourquoi me l’a-t-il
enlevé? » Dieu t’aime et c’est pourquoi Il te l’a enlevé, parce qu’Il veut
que cet être soit au-devant de toi et que dans l’au-delà tu puisses être réuni
avec lui. Celui qui lutte pour la libération et qui voit ses espoirs fracassés,
la tentation lui vient de dire : « Cela ne se réglera pas par
l’espérance chrétienne, il faut recourir à la violence. » Mensonge! Dieu
est patient parce qu’Il est éternel, espère avec Lui le ciel définitif, le
triomphe définitif, les Pâques véritables! […]
L’Église n’a pas de systèmes sociaux,
elle ne possède pas de partis politiques. L’Église donne une inspiration
d’espérance, un sens eschatologique à l’histoire et commande à ses fils qui
vivent dans le monde et qui ont la tâche de le construire, de faire selon vos
propres critères, une démocratie plus parfaite et un système social plus juste.
C’est à vous qu’il revient de le faire!
L’Église est suffisamment occupĂ©e Ă
rappeler cette espérance chrétienne qui sera toujours la critique de tous les
systèmes. C’est pour cela qu’elle les critique à partir de la perspective du
système de la félicité éternelle et que l’Église peut dire à chaque système
historique : cela n’est pas bon, cela est injuste, ceci est mieux de cette
façon. Elle éclaire depuis la perspective de l’espérance les réalités de la terre. C’est cela la
mission de l’Église. 09/04/78, p.157-158, IV.