Les trois forces chrétiennes qui forgeront la libération de notre peuple

 

Trente-deuxième dimanche du temps ordinaire; 11 novembre 1979; Lectures : I Roi 17,10-16; HĂ©breux 9,24-28; Marc 12,38-44.

 

 

L’Église, école de ceux qui forgent l’Histoire

 

La Parole de Dieu lance un défi à l’Histoire, c’est ainsi que cela a toujours été et si les chrétiens, nous ne parvenons pas à l’incarner et à en faire notre vie, ce défi de l’Histoire aura la réponse de Dieu dans notre propre vie. C’est pourquoi je vous invite à faire cette réflexion avec un désir sincère d’incarner cette Parole de Dieu profondément dans notre vie, non seulement de manière individuelle, mais aussi de manière communautaire, de telle sorte que le Salvador puisse avoir en cette heure de crise, d’espoirs et d’afflictions, un Peuple de Dieu qui soit espérance et lumière pour notre propre histoire.

 

Puebla employa cette magnifique dĂ©finition de l’Église : « L’Église, Ă©cole de ceux qui forgent l’Histoire. Â» Comme il serait merveilleux que nous soyons tous des artisans de notre propre histoire. L’Église, pour plusieurs qui n’emploient que des critères politiques et conjoncturels, rend la rĂ©alitĂ© opaque, ils ne la sentent pas opportune dans certaines occasions. Mais l’Église flotte au-dessus de toutes les vicissitudes et au-dessus de toutes les conjonctures parce qu’elle est une Ă©cole qui forge des hommes et des femmes pour l’Histoire, qu’elle possède une parole pour chaque moment et une attitude de communautĂ© en tant que Peuple de Dieu en accord avec le temps et la gĂ©ographie oĂą vit et passe celui-ci.

 

 

L’Histoire défie les chrétiens

 

Pour moi, il n’y a pas de satisfaction plus profonde que cette conviction que je m’efforce de vous communiquer et la rendre plus profonde en moi : que dans la mesure oĂą nous sommes Église, c’est-Ă -dire des chrĂ©tiens vĂ©ritables, qui incarnent l’Évangile, c’est dans cette mesure que nous serons des citoyens opportuns et les Salvadoriens dont nous avons besoin Ă  l’heure actuelle. Si nous nous Ă©loignons de cette inspiration de la Parole de Dieu, nous pouvons ĂŞtre des hommes de conjonctures, des opportunistes politiques, mais nous ne serons certes pas les chrĂ©tiens qui sont toujours des forgeurs d’histoire.

 

 

Deux attitudes extrĂŞmes : « Passifs Â» et « Activistes Â»

 

De nos jours, dit Puebla, lorsqu’il se produit des crises Ă  l’intĂ©rieur des peuples, nous retrouvons ces deux positions extrĂŞmes : celle des passifs et celle des activistes. Les passifs qui attendent que tout vienne Ă  eux comme si cela dĂ©pendait de Dieu, ils prient beaucoup, mais ils se taisent et n’agissent pas. Les activistes, au contraire, pensent que Dieu est très loin et que ce sont les humains uniquement qui font l’Histoire et ainsi ils adoptent des positions qui correspondent au moment, Ă  l’opportunitĂ© et ils se croient capables de juger tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Les activistes se disent les artisans de l’Histoire. Ni les uns ni les autres n’ont raison. La vĂ©ritable attitude est celle que Dieu enseigna Ă  son peuple, IsraĂ«l est le peuple que Dieu prĂ©para pour ĂŞtre l’exemple de toutes les histoires de tous les peuples.

 

 

Israël rencontre Dieu dans son histoire

 

Que fait Israël dans les différentes conjonctures de son histoire? Premièrement, il rencontre Dieu dans son histoire et, deuxièmement, il sent qu’il y a une alliance entre lui et le Dieu de l’Histoire. Et lui, l’Israélite, est l’artisan de son histoire. Et à leur deux, Dieu et l’homme, parce qu’ils ont fait cette alliance de libération, ils libèrent toujours le peuple. Jamais l’homme seul, jamais Dieu seul, Dieu et l’homme vont faire l’Histoire ensemble et la plus belle fleur de cette pédagogie c’est le Christ.

 

 

JĂ©sus : Confiance totale dans le Père

 

C’est pourquoi, quand le Divin MaĂ®tre qui est Ă©galement le patriote modèle, nous enseigne dans son Évangile la Parole qui fait de nous les hommes actuels, de tous moments, les chrĂ©tiens. Il nous a laissĂ© une mystique que je voudrais qu’elle soit celle de chacun d’entre nous. Le Christ a une confiance totale dans le Père, c’est pourquoi Il nous conseille : « Ne voyez-vous pas les lis des champs, ne voyez-vous pas les oiseaux du ciel et comme mon Père en prend soin? Il ne tombe pas une feuille d’arbre, il ne tombe pas un cheveu de la tĂŞte de quelqu’un sans que mon Père n’accorde sa permission. Â» Quelle confiance absolue que celle du Seigneur!

 

 

Coresponsabilité, engagement

 

Mais Il n’est pas passif, c’est l’homme qui ressent avec son Père la coresponsabilité de l’Histoire et qui s’engage dans l’Histoire, qui s’incarne avec les pauvres de son peuple et vit leur histoire et il s’efforce de capter la volonté du Père dans cette histoire, non pas comme Lui, le Fils la veut, mais comme le Père la veut.

 

 

Attendre son heure

 

C’est pourquoi lorsqu’on veut faire pression sur Lui, Il dit : « Mon heure n’est pas encore arrivĂ©e. Â» Il marche en syntonie en recherchant la volontĂ©, l’opportunitĂ©, le moment du Père. Il attend son heure.

 

 

Libérer la douleur par la douleur

 

Une autre chose que nous avons oubliĂ©e en ces heures de libĂ©ration, le Christ l’a enseignĂ© Ă  son peuple : c’est dans la douleur que doit ĂŞtre rachetĂ©e la douleur du peuple. Ce n’est pas uniquement en criant pour les droits humains, mais en sachant aussi ressentir la douleur et la souffrance dans nos engagements. On dit souvent que les hommes pèchent parce qu’ils souffrent, mais c’est le contraire : ils souffrent parce qu’ils pèchent. La douleur, l’esclavage, la pauvretĂ©, l’analphabĂ©tisme, la faim, la marginalisation, l’injustice sociale, tout ce qui est la trame de fond de toutes ces crises de notre patrie sont le produit du pĂ©chĂ© et le pĂ©chĂ© ne se rachète qu’avec rĂ©paration. Il n’y a pas de RĂ©demption si ce n’est par la mort douloureuse du Christ.

C’est pourquoi le Seigneur enseignait que ce n’est pas en criant de manière démagogique, que ce n’est pas par des violences et en faisant des revendications uniquement, sinon en assumant la douleur du peuple et en donnant à celle-ci le sens de la Rédemption, non pas d’une manière passive, mais sous une forme active. La douleur est la force la plus grande et nous sommes en train de la perdre.

 

 

Saint Marc : la Croix, Source de la Vie Pascale

 

C’est pourquoi j’aime ouvrir aujourd’hui les pages des Saintes Écritures où saint Marc, sur le point de terminer sa mission de guide pour cette année, nous situe devant la passion du Christ, au cours de cette dispute avec ses ennemis, avec ses adversaires, où Il éclaircit sa pensée, sa vie et ce que doit être sa Rédemption.

 

Pour éclairer cette phase de la vie du Christ, la liturgie prend un passage de l’Ancien Testament qui le complète et un passage des Actes des Apôtres qui vécurent profondément les enseignements du Seigneur et nous transmirent sa pensée.

 

Qu’ils ne viennent pas dire après cela que nous ne lisons pas la Bible. Non seulement nous la lisons, mais nous l’analysons, nous la cĂ©lĂ©brons, nous l’incarnons et nous voulons en faire notre vie. C’est cela le sens de l’homĂ©lie : incarner dans le peuple la Parole de Dieu. Ce n’est pas de la politique quand dans l’homĂ©lie nous dĂ©nonçons les pĂ©chĂ©s politiques, sociaux et Ă©conomiques. Il s’agit de la Parole de Dieu qui s’incarne dans notre rĂ©alitĂ© qui bien souvent, ne reflète pas le Règne de Dieu, mais le pĂ©chĂ©, pour dire aux hommes et aux femmes quels sont les chemins de la RĂ©demption.

 

Nous retrouvons dans la Parole d’aujourd’hui les trois forces que le Christ nous offre pour libérer, pour nous sortir de la crise du pays. Puissions-nous tous, gouvernants et gouvernés, pauvres et riches, organisés et non organisés, sentir que nous devons participer à notre histoire. Qu’il n’y ait aucun passif. Il ne doit pas non plus y avoir aucun activiste parce que si le Seigneur ne construit pas la civilisation, c’est en vain que travaillent toutes les organisations et toutes les forces que les hommes veulent créer comme définitives et décisives. Quelles sont ces trois forces?

 

Plan d l’homĂ©lie :

1) L’Esprit de Pauvreté

2) Le Sens de Dieu

3) L’Espérance dans le Mystère du Christ

 

 

1) L’Esprit de Pauvreté

 

 

A) L’obole de la veuve

 

Dans l’Évangile (Mc 12,38-44) se dĂ©marque aujourd’hui la figure sympathique d’une pauvre veuve qui, pendant que les riches offraient leur surplus, mettait tout ce qu’elle avait pour se nourrir. Et le Christ l’admire (12,43-44) : « En vĂ©ritĂ©, je vous le dis, cette veuve, qui est pauvre, a mis plus que tous ceux qui mettent dans le TrĂ©sor. Car tous ont mis de leur superflu, mais elle, de son indigence, a mis tout ce qu’elle possĂ©dait, tout ce qu’elle avait pour vivre. Â»

 

 

Opposition des attitudes des pharisiens et des scribes

 

Jésus, pendant tout son ministère, s’efforça de démasquer l’hypocrisie. C’est pourquoi Il compare à ce geste authentique de pauvreté, l’autosuffisance, l’orgueil des puissants, même s’il s’agit de ministres de l’Église et, surtout, lorsqu’ils se glorifient de leurs richesses, quand ils adorent l’idole de l’argent.

 

 

La veuve donne tout.

 

Qu’est-ce qui se démarque dans ce passage de la veuve qui donne tout ce qu’elle possède?

 

« Elle a tout donnĂ©! Â» La pauvretĂ© ce n’est pas se dĂ©faire du superflu. La pauvretĂ© c’est donner et non pas seulement donner, c’est donner de soi-mĂŞme. La pauvretĂ© c’est se donner, ne rien avoir, vouloir seulement avoir Dieu comme absolu et ne pas mettre sa confiance dans les biens de ce monde. C’est en cela qu’est le pĂ©chĂ© de la richesse. Ce n’est pas que les richesses soient mauvaises en soi, si Dieu les a crĂ©Ă©es, mais, comme dit saint Paul : « Elles doivent ĂŞtre employĂ©es comme des moyens pour le Règne de Dieu. Faites-vous des amis de votre richesse afin que lorsque vous mourrez, vous les receviez Ă  nouveau dans les demeures Ă©ternelles. Â»

 

C’est la richesse bien administrĂ©e, celle qu’on ne donne pas avec orgueil quelque chose qui est notre superflu, mais comme quelque chose qu’on offre avec son propre cĹ“ur, avec sa propre vie, comme Ă  un frère, non pas avec paternalisme ou comme dit le Concile : « Nous ne devons pas donner par charitĂ© ce que nous devons par justice. Â» Ils donnent des rĂ©ceptions de NoĂ«l, d’anniversaire, et ils se croient de grands bienfaiteurs alors qu’ils ne paient mĂŞme pas un juste salaire Ă  leurs employĂ©s. Ils veulent donner par charitĂ© ce qu’ils doivent par justice.

 

Il ne suffirait pas de donner par justice, rien de plus, sinon qu’il faut donner avec amour et sentir que le travailleur est mon frère. Tous ceux qui partagent la vie avec moi doivent partager les biens que Dieu donne pour la fĂ©licitĂ© de tous. C’est la grande transformation dont notre temps a besoin et cela signifie d’avoir une foi profonde dans l’unique absolu. La pauvre veuve enrichit de sa pauvretĂ© le culte de Dieu. Ce sont lĂ  des pièces qui parviennent jusqu’au trĂ´ne de Dieu. Celui-ci n’a pas besoin de notre argent, mais quand l’argent qu’on lui offre contient tout notre cĹ“ur et tout notre amour, alors Dieu est louĂ©. L’argent peut aussi se convertir en louanges au Seigneur et cela signifie avoir une grande confiance : rien ne me manquera, si je le donne au Seigneur, propriĂ©taire de toutes les choses, comment pourrait-Il me refuser ce dont j’ai besoin pour me nourrir?

 

Et la veuve Ă©tait heureuse parce qu’elle se confiait dans l’unique Absolu. En Ă©change, dit le Christ : « Les autres, les pharisiens et les scribes, autosuffisants, se pavanent sur les places avec leurs ornements, ils profitent du culte pour s’enrichir et ils trompent les veuves en feignant de faire de longues prières. Â»

 

Comme est forte cette parole du Christ, mĂŞme pour nous les ministres de l’Église, parce que nous aussi, avec ces ornements sacerdotaux, nous pouvons cesser d’être des intercesseurs devant Dieu pour nous convertir au pĂ©chĂ© de l’orgueil et de la vanitĂ©. Et Ă  nous aussi le Seigneur dit : « Attention, que ces ornements et toute cette dignitĂ© de votre sacerdoce, et toute cette supĂ©rioritĂ© d’appartenir Ă  ces catĂ©gories dirigeantes, en tant que dirigeants politiques, Ă©conomiques ou sociaux, ne doit pas ĂŞtre pour vous un privilège, mais un service. Â» Il faut nous convertir, et moi le premier. Nous devons tous sentir que la vie et les biens que le Seigneur nous a donnĂ©s, notre capacitĂ© d’avoir Ă©tudiĂ©, nos moyens Ă©conomiques, politiques, sociaux, religieux, tout cela doit ĂŞtre pour le service du Seigneur.

 

 

B) Élie et la veuve

 

En comparant cet exemple de l’Évangile me vient cette lecture pittoresque du prophète Élie avec une autre veuve, la veuve de Sarepta (I R 17,10-16).

 

Deux exemples de foi et de confiance en Dieu, de don total aux autres.

 

On appelle Élie : l’homme de Dieu. Et la pauvre veuve croit l’homme de Dieu parce qu’il lui parle au nom du Seigneur. « Donne-moi Ă  manger. Â» Elle lui dit : « Je n’ai rien d’autre qu’un peu de farine et un peu d’huile, je suis en train de faire chauffer le four, je vais faire un petit pain pour moi et mon fils, nous allons le manger et il ne nous restera plus rien, nous allons mourir de faim. Â» Et l’homme de Dieu lui dit : « D’aucune manière, fais le pain que tu es en train de faire, mais donne-moi aussi une part. Â»

 

Et cette veuve, comme celle de l’Évangile, se dĂ©fait du seul petit pain qui est la subsistance de toute sa vie puisqu’il ne lui reste dĂ©jĂ  plus rien. Mais Dieu bĂ©nit la foi du prophète et la confiance de la veuve. « Le Seigneur l’a dit, Â» lui dit le prophète. Et la veuve croit au Seigneur. Ça, c’est la pauvretĂ© authentique. Il n’y a plus rien, mais on a le meilleur qui soit : la confiance en Dieu. Et il commença Ă  avoir du pain et il ne manqua plus de pain, ni d’huile, durant toute cette fameuse sĂ©cheresse qu’eut la terre de Palestine sans connaĂ®tre de pluie ni de rĂ©colte, oĂą plusieurs moururent de faim. Ces pauvres qui se confièrent en Dieu eurent le nĂ©cessaire.

 

 

C) Qu’est-ce que la pauvreté?

 

Très chers frères, Ă  la lumière de ces exemples si beaux que nous ont racontĂ©s les Écritures, voyons comment Puebla la dĂ©finit (1148) : « Pour le chrĂ©tien, le terme “pauvreté” n’est pas seulement l’expression de privations et de marginalisations desquelles nous devons nous libĂ©rer. Il dĂ©signe aussi un modèle de vie qui apparaĂ®t dĂ©jĂ  dans l’Ancien Testament sous le modèle des “pauvres de Yahv锠». C’est ainsi que la Bible appelait les pauvres de Dieu. Ce mode de vie pauvre est exigĂ© dans l’Évangile de tous les croyants en JĂ©sus-Christ et c’est pourquoi nous pouvons l’appeler « la pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique Â». Saint Paul concrĂ©tisa cet enseignement en disant que l’attitude du chrĂ©tien doit ĂŞtre celle de celui qui use des biens de ce monde (dont les structures sont si transitoires) sans en faire des absolus, puisqu’ils ne sont que des moyens pour accĂ©der au Royaume. La pauvretĂ© c’est sensiblement de ne pas se faire un absolu de la richesse, mais de lui donner plutĂ´t son sens relatif et avoir comme unique absolu Dieu, propriĂ©taire de toutes choses.

Puebla dit (1147) : « L’engagement avec les pauvres et les opprimĂ©s et l’apparition des communautĂ©s de base ont aidĂ© l’Église Ă  dĂ©couvrir le potentiel Ă©vangĂ©lisateur des pauvres, en tant qu’interpellation constante, l’appelant Ă  la conversion, pour autant que nombres d’entre eux, rĂ©alisent dans leur vie les valeurs Ă©vangĂ©liques de solidaritĂ©, de service, de simplicitĂ©, de disponibilitĂ© pour accueillir le don de Dieu. Â» Les pauvres nous Ă©vangĂ©lisent. C’est pourquoi l’Église Ă©vangĂ©lise les pauvres, comme disait le Christ, parce que les pauvres l’évangĂ©lisent tout autant. Les pauvres sont les forgeurs de notre histoire.

 

(Puebla 1149) : « La pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique unit l’attitude de l’ouverture confiante Ă  Dieu avec une vie simple, sobre et austère qui Ă©loigne la tentation de la convoitise et l’orgueil. Â» C’est ici que se trouve le mal de nos esclavages : la convoitise, l’orgueil. Ne les possèdent pas seulement ceux qui ont de l’argent, les possèdent aussi les pauvres qui ne sont pas pauvres, les ont Ă©galement ceux qui croient libĂ©rer le pauvre et qui sont plus avares, remplis de convoitises et d’orgueil. (Puebla 1150) : « La pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique se met en pratique… non par imposition, mais par amour, pour que l’abondance des uns remĂ©die aux besoins des autres. Â»

 

D) Les biens de la pauvreté

 

Je crois que ces considĂ©rations sont suffisantes. Je voudrais seulement dire pourquoi l’esprit de pauvretĂ© nous est si nĂ©cessaire en cette heure. Je vais prendre la pensĂ©e du Pape Paul VI qui disait qu’en ce moment historique, le principal c’est d’avoir la charitĂ© et la pauvretĂ©. Et lorsqu’il analyse la pauvretĂ©, il dit : « Nous pensons Ă  la libĂ©ration intĂ©rieure que produit l’esprit de pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique. Â» LibĂ©ration intĂ©rieure! Personne n’est aussi libre que celui qui est pauvre en esprit, celui qui n’est pas attachĂ© Ă  l’argent, ni ne divinise les richesses. « PauvretĂ© Ă©vangĂ©lique qui donne la libertĂ© de l’esprit et nous fait comprendre les phĂ©nomènes humains reliĂ©s aux facteurs Ă©conomiques. Â» Le pauvre ne nie pas que pour rĂ©aliser le progrès on ait besoin d’argent, mais il sait comprendre la valeur de ce progrès pour qu’il ne soit pas humiliant, pour qu’il ne fasse pas seulement au profit de quelques privilĂ©giĂ©s, mais pour qu’il se rĂ©alise vĂ©ritablement pour tous les fils de Dieu.

 

Cette liberté d’esprit donne également au progrès et à la richesse, leur juste et sévère appréciation qui leur convient. Il ne faut pas diviniser le progrès comme si sans lui nous ne pouvions pas vivre. Il faut tenir compte que Dieu est en premier et qu’avec Dieu, est l’être humain. Si un progrès éloigne de Dieu, ou écarte, mutile ou outrage l’être humain, ce n’est pas un véritable progrès. Seul celui qui possède l’esprit de pauvreté saura mettre Dieu et l’être humain qui sont la clé de toute civilisation, au-dessus de tout. Il ne s’agit pas simplement d’avoir de grands édifices, de grands champs d’aviation, de grandes autoroutes, si ces biens ne servent qu’à une infime minorité privilégiée et non pas au peuple avec le sang duquel on fait toutes ces choses.

 

« La pauvretĂ© nous rend Ă©galement aptes Ă  donner Ă  l’indigence un intĂ©rĂŞt plus affectueux et gĂ©nĂ©reux. Personne ne comprend le pauvre aussi bien qu’un autre pauvre. MĂŞme quand il s’agit du vrai pauvre qui ne donne avec amour que ce qu’il est, sa sollicitude envers ceux qui souffrent l’indigence. Et finalement, l’esprit de pauvretĂ© nous rend capables de dĂ©sirer que les biens Ă©conomiques ne soient pas source de luttes, d’égoĂŻsme et d’orgueil entre les hommes, mais qu’ils soient plutĂ´t orientĂ©s par des voies de justice et d’équitĂ© vers le bien commun et par le fait mĂŞme, plus abondamment distribuĂ©s. Â»

C’est cela la parole de l’esprit de pauvretĂ©. C’est pourquoi, frères, en terminant cette rĂ©flexion, je fais un appel en cette heure oĂą s’initie un processus nouveau pour notre patrie : que nous le supportions tous. On entend beaucoup parler de la possibilitĂ© d’un contrecoup manigancĂ© par la droite. Il est naturel que, lorsque la droite sent qu’on porte atteinte Ă  ses privilèges Ă©conomiques, elle remue ciel et terre pour maintenir son idole de l’argent. Puisse Dieu que cela ne se produise pas, puisse Dieu que cet appel de la Parole de Dieu qui nous dit que la valeur absolue de Dieu se trouve au-dessus de toutes les idoles et qu’il n’existe pas de libertĂ© plus grande que celle d’avoir le cĹ“ur dĂ©tachĂ© des biens de la Terre, qu’il n’y a pas de bassesse, ni de sous-dĂ©veloppement plus dĂ©shonorant que la convoitise, faire consister la vie en une soif insatiable de possĂ©der et ne pas voir le vĂ©ritable bien qu’est le fait d’être chrĂ©tien, ĂŞtre de Dieu pour donner aux choses leur valeur relative.

 

Je le rĂ©pète Ă  ceux qui sont encore agenouillĂ©s devant leur argent, qu’ils sachent se dĂ©prendre Ă  temps par amour avant qu’on leur arrache par la violence. C’est cela le danger de l’extrĂŞme droite. Et non seulement de l’extrĂŞme droite, mais de tous. Ma vision est pastorale, parole de l’Évangile que je prĂŞche depuis le Christ et je dis que le grand danger de la vĂ©ritable civilisation c’est l’amour dĂ©mesurĂ© des biens de la Terre. L’exemple de ces deux veuves et du prophète Élie sont des appels Ă©loquents de Dieu en une heure bien opportune pour le Salvador : dĂ©tachement pour avoir la libertĂ© et c’est seulement Ă  partir de cette libertĂ© du cĹ“ur que nous pourrons travailler Ă  la vĂ©ritable libĂ©ration de notre peuple. 11/11/79, p.422-426, VII.

 

 

2) Le Sens de Dieu

 

 

A) Contraste entre la véritable et la fausse religion

 

Je vais mĂ©diter en ce second point, sur le fait que les paroles d’aujourd’hui nous donnent aussi un sens de Dieu. Je l’ai dĂ©jĂ  presque insinuĂ© lorsque j’ai dit, imitant JĂ©sus-Christ : nous ne pouvons pas servir deux maĂ®tres, nous ne pouvons pas ĂŞtre Ă  la fois esclaves de Dieu et esclaves de l’argent. Ou bien nous servons l’un et nous dĂ©prĂ©cions l’autre, ou nous servons le second et nous dĂ©prĂ©cions le premier. Quand allons-nous comprendre?

 

L’autre jour, nous avons demandĂ© Ă  un de ces hommes qui proclament la libĂ©ration dans le sens politique : « Qu’est-ce que signifie pour vous l’Église? Â» Et il prononça ces paroles scandaleuses : « C’est qu’il y a deux Églises, l’Église des riches et l’Église des pauvres. Nous croyons dans l’Église des pauvres, mais nous ne croyons pas dans l’Église des riches… Â»

 

Il s’agit naturellement d’une phrase démagogique et je n’admettrai jamais une telle division de l’Église. Il n’y a qu’une Église, celle que le Christ enseigne, l’Église qui doit se donner de tout son cœur parce que celui qui se dit catholique et qui adore ses richesses, qui ne veut pas se détacher d’elles, n’est pas chrétien. Il n’a pas compris l’appel du Seigneur, il n’est pas Église. Le riche qui est agenouillé devant son argent, même s’il va à la messe et même s’il accomplit des actes de piété, si son cœur n’est pas détaché de l’idole de l’argent, ce n’est pas un chrétien. Il n’y a qu’une Église, celle qui adore le Dieu véritable et celle qui sait donner aux choses leur valeur relative.

 

 

La veuve : attitude de dĂ©votion

 

Le sens de Dieu est exactement celui-ci. Cette veuve dĂ©montre une attitude de dĂ©votion, elle encourage le culte du temple avec sa petite offrande, mais elle sait que sa valeur ne se trouve pas dans le montant d’argent, mais dans le sacrifice spirituel : se donner Ă  Dieu! C’est ce qui appela l’attention du Christ. Cette femme Ă  donner tout ce qu’elle avait parce qu’elle se confiait en Dieu et Celui-ci n’y manquera pas.

 

 

Les scribes : premières places, rapines sous prĂ©texte de prière

 

L’attitude des autres hommes qui sont aussi dans le temple, mais qui ambitionnent les premiers postes et qui exploitent le sens de la prière pour commettre des rapines. Quelle honte quand le service religieux se convertit en une manière de gagner de l’argent! Il n’y a pas de scandale plus horrible. Et je dirais Ă  mes frères prĂŞtres et aux institutions catholiques, aux congrĂ©gations et aux collèges et Ă  tous ceux qui se prĂ©tendent membre et qui veulent ĂŞtre Église : faites bien attention de tomber dans cette malĂ©diction de JĂ©sus-Christ qui fustigea sĂ©vèrement, devant l’exemple de la dĂ©votion authentique de la veuve, l’attitude des faux religieux qui font consister en emphases et en extĂ©rioritĂ©, leurs mauvaises intentions qu’ils portent Ă  l’intĂ©rieur d’eux-mĂŞmes.

 

 

B) Deux exemples de foi et de confiance en Dieu

 

Les deux exemples de l’Ancien Testament, Élie et la veuve de Sarepta sont Ă©galement des exemples d’une obĂ©issance Ă  Dieu. Quel titre merveilleux pour un prophète! « L’homme de Dieu. Â» C’est ainsi qu’on appelait Élie. Et parce qu’il Ă©tait l’homme de Dieu, la pauvre veuve sent aussi le sens de Dieu Ă  travers ses paroles et se confie dans le Seigneur.

 

 

C) Le prophète qui parle au nom de Dieu fait de sa pauvreté un culte.

 

C’est aussi notre grandeur comme ministre de Dieu. Je vous remercie, chers fidèles, du respect et de l’affection que vous avez pour vos ministres de Dieu, pour ses prêtres. Puisse Dieu, que nous sachions toujours répondre comme Élie, avec une simplicité de don à Dieu et d’identification aux problèmes de vous tous qui nous permet ainsi de vivre une réalité qui n’est qu’éclairée que lorsqu’elle est orientée vers Dieu. Vous, Peuple de Dieu, et nous, ministres de Dieu, sachons orienter notre activité, notre vie, vers Dieu, d’où dérivent toutes les forces pour les règlements politiques, sociaux et économiques. C’est un temps propice au Salvador pour que nous orientions tous vers le Dieu Tout-Puissant, nos efforts, nos préoccupations et qu’au milieu de notre travail de libération, au cœur de ce processus qui vise à libérer le peuple des esclavages de sa crise, de ses violences, sachons que Dieu seul détient la clé et comme le Christ, attendons sa volonté et observons sa main qui indique l’heure. Nous voulons Lui être fidèles!

 

 

D) Message du Concile aux gouvernants.

 

Je demande pour notre peuple cette dĂ©couverte de Dieu que le Concile adressait aux gouvernants. Le Concile s’est adressĂ© en particulier Ă  toutes les catĂ©gories sociales et l’une de ces catĂ©gories est celle des gouvernants des peuples. Si vous m’écoutez ces paroles du magistère universel de l’Église, transmises par mes humbles moyens. Ce message dit que l’Église respecte leurs lois et leur autoritĂ© : « Mais nous avons une parole sacro-sainte Ă  leur dire : Dieu seul est grand. Dieu seul est le commencement et la fin. Dieu seul est la source de votre autoritĂ© et le fondement de vos lois. C’est Ă  vous d’être sur cette Terre les promoteurs de l’ordre et de la paix entre les hommes. Mais n’oubliez pas : c’est Dieu, le Dieu vivant et vĂ©ritable qui est le Père de tous les hommes. Â»

 

J’augure pour les autoritĂ©s du pays, pour qu’elles soient vĂ©ritablement un reflet de la paternitĂ© de Dieu. Nous souffrons dĂ©jĂ  assez, le peuple est très fatiguĂ© et très meurtri. Nous avons besoin d’autoritĂ©s qui soient vraiment le reflet de Dieu qui est le Père et qui ne peut supporter davantage qu’on châtie ses enfants. Un peuple qui rencontre dans ses autoritĂ©s un sens de justice, de paix, d’ordre, d’amour, est un peuple heureux parce que de son autoritĂ© il peut s’élever vers le Dieu vĂ©ritable. Lorsqu’on nous met sous le nez nos dĂ©nonciations et qu’on veut nous rappeler que toute autoritĂ© vient de Dieu, sachons rĂ©pondre ce que nous disons actuellement avec la mĂŞme intĂ©gritĂ© : oui, elle vient de Dieu et c’est pourquoi ceux qui l’exercent doivent en user comme Dieu le veut, mais lorsqu’une autoritĂ© ne s’emploie plus comme Dieu le veut, elle ne vient plus de Dieu, elle devient une offense Ă  Dieu et il est temps de dire comme les apĂ´tres : « Nous ne pouvons pas obĂ©ir aux hommes avant d’obĂ©ir Ă  Dieu. C’est Ă  Dieu que nous devons obĂ©ir… Â»

 

 

E) Découvrir Dieu dans l’Histoire

 

Nous dĂ©couvrons Dieu dans notre histoire. C’est lĂ  une caractĂ©ristique merveilleuse des chrĂ©tiens qui savent dĂ©couvrir Dieu dans leur histoire. Écoutez ce que dit Puebla (251) : « Les citoyens de ce peuple, Peuple de Dieu, doivent marcher sur Terre comme des citoyens du Ciel, avec leur cĹ“ur enracinĂ© en Dieu, au moyen de la contemplation et de la prière. Attitude qui ne signifie pas une fuite devant les problèmes terrestres, sinon une condition pour un don fĂ©cond aux humains. Parce que ceux qui n’ont pas appris Ă  adorer la volontĂ© du Père dans le silence de la prière parviendront difficilement Ă  le faire quand sa condition de frère lui exigera renoncement, douleur et humiliation. Â»

 

Quelle belle harmonie entre le Ciel et la Terre que celle qui se retrouve dans le cĹ“ur du chrĂ©tien! Et combien plus humble est-il dans le Ciel de son Dieu, combien davantage il s’unira Ă  l’histoire de cette Terre. C’est pourquoi j’insiste : « Prions, mais non pas avec une prière qui aliène, non pas avec une prière qui nous fait fuir la rĂ©alitĂ©. N’allons jamais Ă  l’Église en fuyant nos devoirs de la Terre. Allons Ă  l’Église pour prendre des forces et du discernement pour ensuite retourner accomplir mieux nos devoirs familiaux, nos devoirs politiques, nos devoirs au sein de notre organisation, avec une orientation saine des biens de cette Terre. Ceux-lĂ  sont les vĂ©ritables libĂ©rateurs. Â» 11/11/79, p.426-428, VII.

 

 

3) L’Espérance dans le Mystère du Christ

 

Passons à la dernière pensée qui nous donne la lumière suffisante pour que nous atteignions le point culminant de cette réflexion en Celui qui se fit Médiateur entre Dieu et le genre humain.

A) Le temple et le prĂŞtre, signes du temple dĂ©finitif, du sacerdoce et du sacrifice dĂ©finitif du Christ. Cette lecture de l’épĂ®tre aux HĂ©breux (9,24-28) m’inspire, oĂą JĂ©sus-Christ nous est prĂ©sentĂ© comme le prĂŞtre qui est entrĂ© pour prendre possession de l’autel dĂ©finitif de la gloire. Le Christ est entrĂ© non pas dans un sanctuaire construit par des hommes sinon dans le Ciel lui-mĂŞme, pour se mettre devant Dieu et intercĂ©der pour nous. Et faisant allusion au culte du Temple de l’Ancien Testament oĂą le prĂŞtre suprĂŞme entrait chaque annĂ©e pour y offrir des sacrifices et tous les jours ils offraient des sacrifices sur l’autel dit saint Paul : « Or, pour le Christ, ce ne fut pas ainsi. Le Christ s’est manifestĂ© une seule fois au point culminant de l’Histoire, pour dĂ©truire le pĂ©chĂ© par son propre sacrifice. Â» La destinĂ©e est celle-ci. C’est pourquoi le Christ nous a offert bien plus qu’un sacrifice, mais de ce sacrifice qui culmine avec sa mort sur le Calvaire qui fut acceptĂ©e par Dieu et couronnĂ©e par la RĂ©surrection.

« Une seule fois au point culminant de l’Histoire. Â»

 

C’est cela la mort et la rĂ©surrection, ils sont le point culminant de toute l’Histoire. Si les peuples et les hommes se sauvent, c’est parce que leur Salut dĂ©rive de cette mort et de cette RĂ©surrection. C’est pourquoi les chrĂ©tiens savent que la transformation de notre pays est dĂ©jĂ  dĂ©crĂ©tĂ©e dans le Christ RĂ©dempteur. Et les chrĂ©tiens savent qu’en ce monde, aussi horrible de tĂ©nèbres qu’ils soient entourĂ©s, est en train de poindre la clartĂ© de la vĂ©ritable RĂ©demption depuis le jour oĂą le Christ est mort et est ressuscitĂ©. C’est ce que nous appelons le mystère pascal : la mort et la RĂ©surrection du Christ. C’est le mystère de Pâques.

 

La Pâque des Juifs annonçait ces Pâques, passage de la mort à la vie qui se donne dans le Christ. Libération qui fut déjà signifiée en arrachant le peuple à l’esclavage en Égypte pour le conduire à la liberté des enfants de Dieu, à la Terre promise et qui n’est rien d’autre qu’un symbole du pèlerinage des chrétiens, peuple dans le désert de la vie vers la terre de la promesse éternelle. Ce n’est pas une libération au-delà de l’Histoire seulement, sinon qu’elle se reflète ici déjà, parce qu’ici est la semence, le ferment, qu’ici est le sépulcre, qu’ici est la croix et qu’ici est le lieu et l’heure où le Christ mourut dans notre Histoire. Depuis ce moment culminant, depuis ce sacrifice qui est vie et résurrection, Il donne sens à tous les mouvements libérateurs.

 

C’est pourquoi, si une libĂ©ration, si une organisation proclame une libĂ©ration sans le Christ, sans Pâques, sans croix, ce n’est pas une libĂ©ration vĂ©ritable et ils ne seront pas de vĂ©ritables libĂ©rateurs. C’est ce que je disais Ă  l’instant avec Puebla : « L’Église forgeur des libĂ©rateurs de l’Histoire. Â» Seul celui qui porte dans son cĹ“ur la foi et l’espĂ©rance dans la mort du Christ qui sauva le monde parce qu’Il paya tous les pĂ©chĂ©s des ĂŞtres humains et qu’Il ressuscita pour ne plus mourir, pour offrir la vĂ©ritable libertĂ©, la dignitĂ© des enfants de Dieu. Ceux qui ont renoncĂ© au pĂ©chĂ©, ceux qui professent la vĂ©ritable dignitĂ© humaine, ceux-lĂ  seront les seuls vrais libĂ©rateurs.

 

 

La douleur rachète

 

Je voudrais reprendre maintenant cette pensĂ©e de Puebla, très chers frères, lorsqu’il dit (279) : « Le continent a besoin d’hommes et de femmes conscients que Dieu les appelle Ă  agir en alliance avec Lui. Des gens au cĹ“ur docile, capables de faire leurs les chemins et le rythme que la Providence indique. Particulièrement capables d’assumer leur propre douleur et la douleur de nos peuples et les convertir avec un esprit pascal, en exigence de conversion personnelle, en source de solidaritĂ© avec tous ceux qui partagent cette souffrance et en dĂ©fi pour l’initiative et l’imagination crĂ©atrices. Â»

Notre espĂ©rance pascale donne un sens au marginal, Ă  l’analphabète, Ă  celui qui meurt de dĂ©nutrition et elle ne fait pas que crier que cela ne peut ĂŞtre ainsi, sinon qu’elle dit Ă  celui qui souffre : « Tu vas peut-ĂŞtre mourir, offrons cela en RĂ©demption. Â» C’est pourquoi je vous disais au cours de mon appel pastoral au milieu de cette nouvelle conjoncture du pays : que tous ceux qui ont offert leur vie, leur hĂ©roĂŻsme, leur sacrifice, s’ils l’ont offert avec un dĂ©sir sincère d’apporter la vĂ©ritable libertĂ© et la dignitĂ© Ă  notre peuple, ils se sont incorporĂ©s au grand sacrifice du Christ. Mais cela doit ĂŞtre ainsi, en assumant la douleur comme une pièce qui achète la libertĂ©. Il n’est pas uniquement question de secouer le joug, sinon comme le Christ qui se soumet au joug romain sous l’oppression de Ponce Pilate, sous l’effroyable machination de l’empire, Il meurt sur la croix avec un cri d’amour parce qu’Il a rachetĂ© le monde en acceptant cette douleur, cette humiliation et c’est lĂ  que commença Ă  briller la grande libertĂ© qui se lève pour tous les peuples. Ce mĂŞme Christ est Celui que portent tous ceux qui dĂ©sirent la LibĂ©ration, nous devons nous efforcer de Le vivre aussi intensĂ©ment.

 

Je fais ici appel, à travers la radio, à tous ceux qui souffrent sur leur lit de malades, aux hôpitaux, aux pauvres qui souffrent et ne peuvent laisser leurs humbles chaumières parce qu’ils n’ont même pas la monnaie pour se payer le voyage en camionnette jusqu’à une clinique. Offrons au Seigneur, non pas dans un sens passif, sinon avec l’activité omnipotente de la douleur, en l’unissant au Christ qui depuis la croix, depuis sa mort, nous rachète. Et vous verrez, très chers pauvres, chers opprimés, chers marginaux, chers affamés, chers malades, que l’aurore de la Résurrection fulgure déjà. Pour notre propre peuple, afin qu’advienne cette heure, et nous devons comme chrétiens non seulement l’espérer dans ses dimensions politiques et conjoncturelles, sinon dans des dimensions de foi et d’espérance. C’est cela la mission que j’accomplis et c’est pourquoi ma parole veut être une parole d’espérance et de foi en Jésus-Christ.

 

 

Notre mort… notre jugement, un signe de ce qui demeure

 

C’est pour cela que saint Paul nous rappelle aussi, auprès de cette mort rĂ©demptrice du Christ, notre mort Ă  tous. Quelle terrible parole que celle de saint Paul aujourd’hui (He 9,27) : « Les hommes ne meurent qu’une fois, après quoi il y a un jugement. Â» Bienheureux les morts qui s’incorporèrent Ă  la mort rĂ©demptrice du Christ parce que je dois dire avec douleur et tristesse que ce ne sont pas toutes les morts qui sont rĂ©demptrices. Il y a des morts par suicide, il y a des morts qui se sont exposĂ©s imprudemment pour se faire tuer, il y a des morts de haine avec des armes, il y a des morts de vengeance et celles-ci ne sont pas des morts de RĂ©demption. Les morts de RĂ©demption sont celles qui ont appris Ă  dire avec le Christ au moment du rictus final : « Père, pardonne-leur parce qu’ils ignorent ce qu’ils font… Â»

 

C’est pourquoi saint Paul nous appelle Ă  incorporer notre vie et notre mort Ă  la Mort et Ă  la Vie Ă©ternelle de notre Seigneur JĂ©sus-Christ. Et n’allons pas penser que cela nous aliène. Je l’ai rĂ©pĂ©tĂ© un millier de fois parce que j’ai entendu cette calomnie des milliers de fois : « Que les chrĂ©tiens, parce qu’ils pensent Ă  la vie Ă©ternelle, oublient les problèmes de la Terre. Â» Au contraire, parce que nous pensons Ă  la Vie Ă©ternelle nous donnons leur vĂ©ritable dimension aux projections limitĂ©es de la Terre, nous qui avons les dimensions illimitĂ©es de l’éternitĂ©. 11/11/79, p.428-431, VII.

 

 

Faits de la semaine

 

Nous avons les éléments suffisants pour analyser depuis ici, le pourquoi de notre histoire. Et je me réjouis d’être en train de faire cette réflexion au sein de mon Église, de notre Église, en vous appelant tous à ce que nous soyons vraiment dignes de ce Peuple de Dieu et que chaque jour notre archidiocèse s’identifie davantage à ce sentir pastoral depuis lequel nous pouvons réaliser, chacun selon sa propre vocation, notre mission politique également. Mais dans un peuple si politisé qu’au Salvador, nous courrons le danger de croire que l’unique dimension humaine est la politique et c’est une grande erreur. La politique est une des dimensions, mais elle n’est pas toute la dimension humaine. La principale dimension humaine est celle sur laquelle nous réfléchissons depuis le début, ce qui vient de Dieu et qui fait de l’humain un véritable réceptacle de Dieu et à partir de cela, ayons la lumière pour éclairer les autres domaines, familiale, politique, social et économique. Un de ceux-ci est le politique, il n’est pas le seul. C’est pourquoi mon but dans la prédication c’est exactement d’apporter la Parole de Dieu pour qu’elle éclaire les secteurs où chacun de nous sommes actifs. 11/11/79, p.431, VII.