L’Église de l’Esprit saint et de la Croix

 

Vingt-troisième dimanche du temps ordinaire; 4 septembre 1977; Lectures : Sagesse 9,13-19; PhilĂ©mon 9b-10,12-17; Luc 14,25-33.

 

Cette Église que nous possĂ©dons, que nous sommes arrivĂ©s Ă  connaĂ®tre par la grâce de Dieu, non par nos mĂ©rites, cette Église que nous avons l’immense honneur de servir, n’est pas une invention de la sagesse humaine, mais la rĂ©alisation des idĂ©aux de Dieu sur la Terre. Pour comprendre cela, et nous ne le comprendrons jamais entièrement sur cette Terre, efforçons-nous Ă  tout le moins de ne pas nous opposer en pĂ©chant contre l’Esprit saint. Tâchons de pĂ©nĂ©trer toujours davantage en ce mystère chaque dimanche oĂą la Parole de Dieu nous dĂ©signe avec clartĂ© ce qu’Il veut de l’Église en ce monde, au cĹ“ur de l’humanitĂ© qu’Il aime et Ă  qui Il envoie l’Église pour la sauver et l’illuminer. Les deux points que je dĂ©velopperai sont les suivants :

 

 

1) L’Église et l’Esprit saint

 

 

2) L’Église de la Croix et du détachement

 

C’est ce que je développerai à la suite des lectures que nous venons d’entendre, (Sg 9,13-19; Ph 9b-17; Lc 14,25-33). Je m’appuie sur la seconde lecture, l’épître de Paul à Philémon qui nous présente la figure de l’authentique chrétien, de l’authentique promoteur de la libération humaine et de la justice sociale dans l’Église.

 

 

1) L’Église et l’Esprit saint

 

En premier lieu, la première lecture nous invite Ă  nous Ă©lever derrière la sagesse de Dieu, parce que (Sg 9,14-17) : « Les pensĂ©es des mortels sont timides, et instables nos rĂ©flexions; un corps corruptible, en effet, appesantit l’âme, et cette tente d’argile alourdit l’esprit aux mille soucis. Nous avons peine Ă  imaginer ce qui est sur la Terre, et ce qui est Ă  notre portĂ©e nous ne le trouvons qu’avec effort, mais ce qui est dans les cieux, qui l’a dĂ©couvert? Et ta volontĂ© qui l’a connue sans que tu aies donnĂ© la Sagesse et envoyĂ© d’en haut ton Esprit saint? Â» C’est cela, l’Église, un creuset de l’humanitĂ© oĂą Dieu verse son Esprit divin pour qu’à partir de lĂ , elle puisse illuminer l’humanitĂ© tout entière.

 

Plus vous vous croyez scientifiques, plus je vous défie de découvrir une opposition véritable entre votre science qui vous rend si fier et l’humble foi de notre Dieu qui nous a révélé le dessein du Salut éternel! La science ne saurait être authentique tant qu’elle ne s’est pas confrontée avec l’humble foi. Le véritable sage est celui qui dans les différents domaines des sciences atteint cette sagesse. L’humble l’atteint par sa prière et sa simplicité. Le sage et le rustique, s’ils sont des hommes de foi, devront demeurer humbles pour observer les desseins de la sagesse divine qui veut nous sauver, non par la science humaine, mais par la sagesse de l’humilité, de la croix, de l’austérité et du sacrifice. 04/09/77, p.203, I-II.

 

Les contemplatifs, ceux qui laissent les préoccupations matérielles pour se consacrer au grand travail de contemplation de la beauté de Dieu, puis de là nous apportent les beautés qui enchantent l’humanité, cela demeure un travail actuel dans l’Église. Qui dirait aujourd’hui dans cette ère d’activisme qu’il existe des monastères d’hommes et de femmes contemplatives, et que les communautés religieuses ont des heures de profondes méditations où ils délaissent leurs occupations pour se consacrer à la contemplation. De même, pour les prêtres, si nous désirons demeurer fidèles à notre mission, nous savons que tout ne consiste pas en prédication et en travail et ce qui nous fait avancer bien souvent, c’est lorsque nous sommes agenouillés devant le Seigneur en prière contemplative. C’est de là que provient tout ce que nous disons, comme une expérience de félicité, de satisfaction profonde et c’est ce que nous appelons aujourd’hui l’Église.

 

Le cardinal Pironio, grand promoteur de la libération authentique en Amérique latine, en arrive à dire que si cette soif de libération des peuples opprimés, marginalisés dans la pauvreté, dans la faim, dans l’analphabétisme, crient pour une libération à laquelle ils ont droit, que c’est l’Esprit saint qui clame à l’intérieur de cette multitude affamée et que l’Église ne peut demeurer sourde à cette voix de l’Esprit saint qui clame à travers ces gens. C’est pourquoi l’on qualifie l’Église de subversive et de tous les qualificatifs imaginables alors qu’elle est guidée par la voix de l’Esprit qui clame à partir de la misère de notre monde. Il appelle à une plus grande justice, à une plus grande fraternité entre les hommes. C’est la voix de l’Esprit qui l’appelle et pour savoir ausculter cette voix de l’Esprit et pour lui apporter la réponse qu’elle attend, l’Église doit se mettre en prière devant l’Esprit saint. Et, grâce à Dieu, il y a beaucoup de prières dans notre Église. L’équilibre de cette voix de l’Esprit qui clame du cœur de la misère humaine de nos peuples est la voix qui clame depuis la contemplation et la prière, c’est ce qui fait de l’Église, l’authentique libératrice de l’Amérique latine, libératrice qui se fonde sur la force de la sagesse de Dieu, libératrice à partir de l’Esprit saint. 04/09/77, p.204-205, I-II.

 

Je vous ai dĂ©jĂ  dit que certains ont mis de cĂ´tĂ© la prière comme quelque chose de dĂ©passĂ©. La prière continue d’être valide, vous ai-je dit, nous pourrions rĂ©pĂ©ter encore cet exercice aujourd’hui : tente de t’imaginer le plus grand possible, car tout est bien peu pour celui qui s’est fait Ă  l’image de Dieu. Qui es-tu? Tu es l’image de Dieu, tu as beaucoup d’infini, beaucoup d’incommensurable, tu es grand, il n’y a pas de doute. La prière ne va pas vous diminuer, elle ne vous demande qu’une seule chose, combien davantage l’humble cache ses qualitĂ©s, celui qui comme Marie sait dire : « Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses. Â» Chacun de nous possède sa grandeur, Dieu ne serait pas l’auteur de ma vie si j’étais quelqu’un d’inutile. Je vaux beaucoup, tu vaux beaucoup, nous valons tous beaucoup parce que nous sommes les crĂ©atures de Dieu et Dieu a produit Ă  profusion des merveilles en chacun de nous.

 

C’est cela, la lutte authentique de l’Église et tant qu’on portera atteinte aux droits humains, tant qu’il y aura des arrestations arbitraires, tant qu’il y aura des tortures. L’Église se sentira persĂ©cutĂ©e et dĂ©rangĂ©e. Parce que l’Église apprĂ©cie l’être humain et ne peut tolĂ©rer qu’une image de Dieu soit piĂ©tinĂ©e par ceux qui s’abrutissent en foulant au pied d’autres hommes. L’Église veut prĂ©cisĂ©ment embellir cette image, c’est pourquoi je vous dis : combien plus lorsque tu penses Ă  tes capacitĂ©s intellectuelles, volitives, d’organisation, de beautĂ©, etc. Mais tout cela aura une fin. Arrive alors le moment oĂą tu comprends tes limites, sache qu’il demeure quelque chose de plus grand en toi. En ce moment, tu es dĂ©jĂ  en train de prier, tu reconnais que tu n’es pas un Dieu, qu’aussi grand que tu puisses ĂŞtre il existe une limite oĂą tu Ă©prouves la nĂ©cessitĂ© de Dieu. Tu en as besoin et c’est alors que tu dis : « Seigneur, pour ce qui me manque, pour ma petitesse. Â» C’est alors que je commence Ă  apercevoir depuis la limite de ma grandeur, l’infinie grandeur de Dieu et que dĂ©bute ma contemplation, ma prière, ma supplique, ma demande de pardon parce que je l’ai offensĂ©, mais c’est surtout de l’Action de grâce dont j’ai besoin : « Seigneur, sans Toi je ne suis rien. Â»

 

Faire cela, mes frères, plusieurs fois, vivre de cela, c’est rĂ©pondre Ă  la parole d’aujourd’hui, lorsqu’elle nous dit en terminant cette lecture (Sg 9,18) : « Ainsi ont Ă©tĂ© rendus les droits, les sentiers de ceux qui sont sur la Terre, ainsi les hommes ont Ă©tĂ© instruits de ce qui te plaĂ®t et, par la Sagesse, ont Ă©tĂ© sauvĂ©s. Â»

 

Qu’il est facile d’être agréable à Dieu, il suffit de reconnaître sa sagesse infinie et de s’inspirer d’elle pour notre propre sagesse, de développer toutes nos capacités, mais en ressentant toujours le besoin de Dieu. C’est cela, le service que l’Église apporte à l’humanité actuelle. Parce que l’Église veut se purifier de tout ce qui embrouille cette sagesse divine, qu’elle cherche à être la sagesse des humains, parce que l’Église appelle à la conversion et dénonce le péché contre la sagesse divine, à ceux qui mettent leur espérance dans les fausses idoles. C’est pourquoi on la persécute, pour la cause de la sagesse de Dieu, parce qu’elle affirme davantage en son cœur qu’il ne vaut pas la peine de plaire aux hommes et aux femmes, surtout lorsqu’ils sont orgueilleux et idolâtres, alors que nous courrons le risque de perdre la simplicité de la sagesse divine.

 

C’est ce que nous devrions demander au Seigneur : « PrĂ©serve-nous, Seigneur, par la simplicitĂ© de ta sagesse, que nous n’allions pas nous perdre pour des intrigues ou pour vouloir gagner socialement ou politiquement, pour vouloir nous Ă©lever sur la Terre. Â» « Malheur Ă  ceux qui veulent sauver leur vie, dit le Christ, ils la perdront. Par contre, ceux qui la risqueront Ă  cause de moi la sauveront. Â» Et de ceux-ci il en existe bon nombre dans notre archidiocèse, des hommes qui exposent leur vie au risque de la perdre, comme l’ont perdue et continue de la perdre nombre de nos catĂ©chistes, de nos prĂŞtres, de gens qui, pour demeurer fidèles Ă  leur mission et Ă  la sagesse de Dieu, deviennent indĂ©sirables, persĂ©cutĂ©s par la sagesse humaine et qui pĂ©rissent de façons cruelles comme nous l’avons encore vu ces derniers jours. 04/09/77, p.204-206, I-II.

 

 

2) L’Église de la Croix et du détachement

 

JĂ©sus-Christ dit : « Mets-toi Ă  mĂ©diter sur ta capacitĂ© de dĂ©tachement, ta capacitĂ© de Croix. Je ne t’offre pas une couronne de roses, ni des avantages sociaux ou politiques. Je t’offre uniquement la Croix. Celui qui veut venir avec moi doit ĂŞtre si dĂ©tachĂ© que mĂŞme l’amour qu’il porte Ă  sa mère ou Ă  son Ă©pouse ne doit pas constituer un obstacle pour me suivre. Â» L’amour du Christ est si absolu, la lumière de la sagesse divine que le Christ a apportĂ©e au monde est si limpide que pour Le suivre on ne peut Le suivre Ă  moitiĂ©. S’il est normal d’aimer sa mère, son Ă©pouse et ses enfants, la patrie et tout ce que la Terre contient, cela doit ĂŞtre dans un sens hiĂ©rarchique, sous la hiĂ©rarchie de l’Amour absolu, sous la disposition de tout Lui abandonner lorsque le Christ nous appelle Ă  tout laisser. Comme nous sommes prompts Ă  rechercher la protection sur cette Terre et combien nous mettons peu notre confiance dans la Croix!

 

Cependant, c’est le détachement que la foi nous demande. C’est la Croix du Christ qui est la clé de la véritable libération. Si aujourd’hui nous parlons beaucoup de libération, s’il existe de nombreux faux libérateurs, le libérateur chrétien doit composer, comme clé et comme pratique, avec la Croix du Christ.

 

La Croix c’est le Salut. Mais la Croix ne doit pas s’appuyer sur les choses de cette Terre parce qu’elle apporte la sagesse et la force de Dieu. Elle nous offre sa protection, elle ne demande pas et elle n’a pas besoin de la protection de la Terre. L’Église offre sa protection Ă  qui veut l’accepter, pour l’éternitĂ©, pour l’absolu, mais lorsqu’elle s’engage dans le tĂ©moignage de cette Croix dĂ©tachĂ©e et persĂ©cutĂ©e, elle se sait aimĂ©e de Dieu. Les appuis de la Terre rendent moins Ă©loquente sa crĂ©dibilitĂ©, elle doit demeurer disposĂ©e, dit le Concile, Ă  renoncer Ă  tous les avantages de la Terre afin de se manifester dĂ©nudĂ©e, crue comme l’est la Croix authentique de notre Seigneur JĂ©sus-Christ. […] 

Depuis le Calvaire de chaque autel de la messe dominicale, elle continue Ă  nous dire : « Ceci est le pain qui se convertit en mon corps, le calice de mon sang, qui apporte le pardon aux hommes. Â» Et c’est uniquement Ă  partir du pardon de la Croix que nous pouvons espĂ©rer la libĂ©ration de l’AmĂ©rique latine et de ses peuples. Qui veut ĂŞtre mon collaborateur? Qui veut embrasser cette Croix pour l’apporter au monde et la planter comme signe de l’unique Salut? Puisse Dieu, mes frères, qu’au fond du cĹ“ur de chacun de ceux qui participent Ă  cette rĂ©flexion, nous disions au Seigneur que nous embrassons sa Croix et que nous voulons vivre une Église qui soit vĂ©ritablement signe et sacrement de Salut pour notre patrie et pour notre temps. 04/09/77, p.207-209, I-II.