La Mission de l’Église au milieu de
la Crise du Pays
Vingt-neuvième dimanche du temps
ordinaire; 21 octobre 1979; Lectures : IsaĂŻe 53,10-11; HĂ©breux 4,14-16; Marc
10,35-45.
Plan de l’homélie :
1) La Mission de l’Église
2) La crise du pays et les péchés du
peuple
3) Le Christ modèle et force du
véritable libérateur
1) La Mission de l’Église
a) JĂ©sus marche vers JĂ©rusalem et Il
annonce son destin de souffrance
La description que l’Évangile de
saint Marc (10,35-45) nous fait du Christ ce matin est précieuse. Un peu avant
le passage qui vous a été lu, le Christ nous est décrit en train de marcher
au-devant des apôtres vers Jérusalem, leur annonçant pour la troisième fois (Mc
10,33-34) : « Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de
l’homme sera livrĂ© aux grands prĂŞtres et aux scribes; ils le condamneront Ă
mort et le livreront aux paĂŻens, ils le bafoueront, cracheront sur lui, le
flagelleront et le tueront, et après trois jours il ressuscitera. »
Son Église poursuit le même chemin
avec désintéressement
Il marche au-devant! Voyez quels sont
les traits de saint Marc, comme celui qui est pressé, comme celui qui ouvre le
chemin à tous ceux qui l’accompagnent, comme s’Il indiquait aux apôtres qui
sont son Église, quel doit être également leur chemin : allez heureux vers
leur vocation de souffrance et de persécution. C’est cela la destinée de
l’Église, la même que celle du Christ. Les apôtres avaient peur.
Jacques et Jean sont épris d’ambition
Nous avons ce dialogue qui dĂ©crit Ă
quel point les apôtres étaient encore imparfaits et dénudés. Vous avez entendu
comment les deux plus fougueux, ceux que le Christ appela les fils de Zébédé,
Jacques et Jean, lui disent qu’ils veulent lui proposer quelque chose. Le
Christ qui a déjà lu dans leur cœur leur dit de s’exprimer. Ils lui disent
alors (Mc 10,37-40) : « Accorde-nous de siéger l’un à ta droite et
l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous
ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire
et être baptisés du baptême dont je vais être baptisé? » Ils lui
dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La
coupe que je vais boire, vous la boirez et le baptĂŞme dont je vais ĂŞtre
baptisés, vous en serez baptisés; quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il
ne m’appartient pas de l’accorder, mais c’est pour ceux à qui cela a été
destiné. » Le poste de chacun est déjà établi, nous ferions très mal de
vouloir ce que nous voulons au lieu d’accepter ce que Dieu veut de nous.
La tyrannie des chefs des peuples,
l’oppression des grands
C’est pourquoi nous analyserons
aussitôt ce lien et cette correction nous dit des paroles très sages (Mc
10,42-45) : « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des
nations dominent sur elle en maîtres et que les grands leur font sentir leur
pouvoir. Il ne doit pas en ĂŞtre ainsi parmi vous : au contraire, celui qui
voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur, et celui qui voudra ĂŞtre le
premier parmi vous sera l’esclave de tous. Aussi bien, le Fils de l’homme
lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en
rançon pour une multitude. » C’est cela la mission de l’Église! Cette
mission poursuit ce chemin à la suite du Christ d’une manière désintéressée et
comme le Christ elle peut dire : « Je ne suis pas venu pour
rechercher des avantages ou des honneurs, des choses qui ne servent qu’à aduler
le goût de la vanité.
L’Église est venue pour servir. »
Servir… le Serviteur de Yahvé
C’est pour cela que la première
lecture (Is 53,10-11) nous présente le Christ annoncé comme étant le Serviteur
de Dieu, celui qui va servir et le don de sa vie sera la plus grande
démonstration de ce service : « On ne se distinguera pas dans mon
Royaume en s’assoyant à ma droite ou à ma gauche, mais par l’amour par lequel
j’ai servi les autres. » C’est cela la vocation de l’Église, une vocation
de service.
Donner la vie pour tous
Il recevra une mort douloureuse pour
payer les péchés des hommes, comme nous dit la première lecture d’aujourd’hui
(Is 53,11b) : « Par sa connaissance, le juste, mon serviteur,
justifiera les multitudes en s’accablant lui-même de leurs fautes. »
B) Puebla… vocation de l’Église
Puebla dit pour l’Amérique latine en
ce qui concerne cette vocation de l’Église, quelque chose qui correspond bien Ă
notre réalité actuelle au Salvador : « L’Église veut demeurer libre
face aux systèmes opposés afin d’opter exclusivement en faveur de la personne
humaine. Quelles que soient les misères ou les souffrances qui affligent l’être
humain, ce ne sera pas au travers de la violence, des jeux de pouvoir, des
systèmes politiques, sinon au moyen de la vérité sur la personne humaine, que
l’humanité trouvera son chemin vers un futur meilleur… Sur la base de cet
humanisme, les chrétiens obtiendront du souffle pour accomplir l’alternative
acharnée et contribuer à la construction d’une nouvelle civilisation, juste,
fraternelle et ouverte à la transcendance. Ce sera, en plus, un témoignage
que les espérances eschatologiques, au-delà de la vie, animent et donnent un
sens aux espérances humaines.
Par cette action audace et créatrice,
le chrétien fortifiera son identité dans les valeurs originales de
l’anthropologie chrétienne. C’est-à -dire que le chrétien doit apprendre à voir
l’être humain à partir de la lumière du christianisme. S’il voit les autres
ainsi, ceux-ci ne seront plus des ennemis pour lui, l’homme ne sera plus un
loup pour l’homme, il n’y aura plus de tortures, de disparus, ni d’iniquité.
L’anthropologie chrétienne brille par son absence dans le système injuste où
nous avons été.
« L’Église n’a pas besoin de
recourir à des systèmes et à des idéologies pour aimer, défendre et apporter sa
contribution à la libération de l’humanité. Au cœur du message dont elle est
dépositaire et propagatrice, elle trouve l’inspiration pour agir en faveur de
la fraternité, de la justice, de la paix, contre toutes les dominations, les
esclavages, les discriminations, les attentats à la liberté religieuse, les
oppressions contre l’être humain et les atteintes à la vie. (552) »
N’oublions pas cela :
« L’Église n’a pas besoin de recourir à des systèmes ou à des idéologies,
puisqu’elle trouve au cœur de son message l’inspiration de son anthropologie
chrétienne. » Nous n’aspirons pas à des libérations marxistes et athées ou
importées. Ni non plus, importées, dans le sens de la « Sécurité
nationale » ou du capitalisme. Nous devons rechercher ici même, dans les
entrailles du Salvador, à la lumière de notre foi chrétienne, quelle est la
véritable société dont le pays a besoin, et la réaliser en vérité…
En ce sens, le message pour ce jour
des missions, écrit par le Pape lui-même, dit : « Il est clair,
pourtant, que la rénovation promue par l’activité d’évangélisation, même
lorsqu’elle est essentiellement spirituelle, affecte directement la substance
de la question grave et inquiétante des injustices et des déséquilibres
économiques et sociaux qui tourmentent une si grande part de l’humanité et peut
contribuer à sa solution. L’évangélisation et la promotion humaine, en un mot,
même si elles demeurent fondamentalement différentes, sont unies entre elles
par un lien indissoluble. »
Pour ceux qui rêvent d’une religion
si spirituelle qu’elle ne se préoccuperait pas de la politique et des choses de
la Terre, nous avons ici la pensée des missions et du Pape : Même en étant
très religieuse, très spirituelle et très transcendante, elle possède
précisément pour cela, les meilleures lumières pour orienter la justice des hommes,
pour réclamer contre le péché de l’humanité. Le chrétien est plus capable que
n'importe quelles idéologies, d’être un homme créatif et audace. N’ayons pas
peur de la politique, ne craignons pas les transformations sociales…
Heureux jour des Missions pour voir
comment le Salvador a reçu ce message des missionnaires et l’a incarné et tente
de l’actualiser aujourd’hui. En ce jour des missions de 1979, nous avons besoin
de ce message dans l’actualité de la politique et du moment actuel pour ne pas
tomber dans les pièges des uns et des autres, mais pour être des chrétiens
authentiques… 21/10/79, p.359-361, VII.
2) La crise du pays et les péchés du
peuple
Message missionnaire :
Je vous ai déjà dit cette pensée clé
du Pape pour ce jour des Missions : « La mission n’est jamais une
destruction, mais une rénovation des valeurs et une nouvelle
construction. »
J’ai rencontré précisément dans les
lectures d’aujourd’hui (Is 53,10-11; Hb 4,14-16; Mc 10,35-45) les racines des
crises et des péchés des peuples. En ce second point, nous éclairons, avec la
Parole de Dieu qui a été lue, les réalités de notre crise salvadorienne. Puisse
Dieu, nous découvrions avec sagesse la position adéquate de l’Église en ce
moment du Salvador.
Évangile : ambitions
L’Évangile d’aujourd’hui (Mc
10,35-45) nous parle des deux apĂ´tres ambitieux, nous dirions :
« opportunistes ». Qui lorsqu’il se produit un coup d’État s’avance
pour dire : « Aidez-moi à occuper les premiers postes. »
Tyrannie.
L’Évangile fait également mention du
péché des autorités : « Les chefs des peuples font sentir leur
pouvoir, dit le Christ, et les puissants oppriment. » Voyez comment le
Christ emploie ces mots durs pour dénoncer les péchés de son temps : les
abus des autorités et du pouvoir, de l’argent et de tout ce que signifie un
pouvoir sur les hommes. L’autorité et le pouvoir économique et social ne sont
pas souvent employés pour le bien, sinon pour tyranniser et pour opprimer.
C’est la constatation de l’Évangile d’aujourd’hui.
Le Christ meurt pour racheter les
crimes du peuple
La première lecture nous dit que le
Christ mort est l’expression des péchés de son peuple. Quelle plus belle figure
pour voir, depuis ce Christ mort sur la croix, tout le sang versé de notre
peuple; et voyez comment s’exprime précisément dans la mort, le crime du
peuple, le péché. « Il meurt pour les péchés du peuple » dit Isaïe.
Nos faiblesses
La seconde lecture, l’épître aux
Hébreux (4,14-16) nous parle également d’un Christ qui nous comprend dans nos
faiblesses parce qu’Il a souffert, qu’Il s’est incarné, Il s’est identifié
entièrement avec nous, sauf pour ce qui est du péché. Le Péché dégrade l’être
humain et le Christ qui s’identifia avec l’humanité ne s’est pas identifié au
péché pour nous en sauver. Le péché est l’antithèse du Christ. Extrayons de
cela, de ces traits bibliques, ce qui se passe actuellement chez notre peuple.
L’analyse de cette semaine est si intense, si dense.
Notre crise, analyse de la semaine
On a invoquĂ© le droit Ă
l’insurrection. Dans notre constitution, à l’article 7, il est dit :
« Que les peuples ont le droit d’insurrection quand le bien commun est en
danger sous une tyrannie. » Dans ma lettre pastorale (août 79) j’ai aussi
rappelé ce principe quand il est dit que l’encyclique Populorum Progressio du Pape Paul VI, cité dans la Conférence de
MedellĂn, recueille l’enseignement classique de la thĂ©ologie catholique selon
laquelle : « Une insurrection est légitime dans le cas très
exceptionnel de tyrannie évidente et prolongée qui porte gravement atteinte aux
droits humains de la personne et endommage dangereusement le bien commun du
pays, que cette tyrannie soit le fait d’une personne ou de structures injustes
évidentes. » (74)
Je crois que les conditions pour une
insurrection existaient au Salvador. Ce n’est pas à l’Église de dire si c’est
l’heure ou non d’une insurrection. Elle ne fait que proposer un principe
théologique. Quand les experts en politique et tous ceux qui peuvent mener une
insurrection croient qu’ils remplissent les conditions que l’Église indique, et
qu’ils les remplissent réellement, nous avons le cas d’une insurrection
légitime. (Référence au coup d’État d’octobre 1979) 21/10/79, p.362-363, VII.
3) Le Christ modèle et force du
véritable libérateur
Objectif de la journée des Missions :
Aujourd’hui lorsque nous disons que
le Salvador a besoin d’hommes et de femmes véritablement inspirés de la vraie
libération, comme tombe bien cette pensée du Pape qui dit que le Jour des
Missions est le jour où l’Église universelle prie, médite, travaille pour que
tous les hommes reçoivent le message de la parole du Christ, comme un message
d’espérance, de Salut et de libération intégrale.
A) Modèle :
Il s’identifie au peuple.
En recherchant dans les lectures
d’aujourd’hui un appui à cette pensée, je dirai que nous rencontrons dans le
modèle du libérateur, un homme qui s’identifie à son peuple à tel point que les
interprètes du Serviteur Souffrant d’Isaïe, ne savent pas discerner s’il s’agit
du peuple ou du Christ qui vient nous racheter.
Comme c’est merveilleux lorsqu’un
libérateur s’identifie si profondément à son peuple, que sa cause est la même
que celle du peuple et de l’individu qu’il libère.
Il assume leurs fautes et leurs
faiblesses.
Le Christ est le modèle parce que
dans son incarnation Il assume aussi les fautes et les faiblesses du peuple. Au
lieu de dénoncer et de leur mettre leurs fautes sous le nez, Il prend les
pĂ©chĂ©s et les faiblesses des hommes et avec eux, Il porte la croix pour payer Ă
Dieu la dette que nous avions. En Lui tous les pécheurs furent pardonnés.
Cela le conduit aussi au sacrifice
pour les purifier et faire d’eux un peuple digne de Dieu.
Il est le modèle d’un homme qui se
glorifie vraiment de libérer son peuple. […]
B) La force
Il est venu pour nous apporter la vie.
La force, dis-je Ă©galement, parce que
le Christ n’est pas seulement venu comme un libérateur démagogue :
« Il est venu, nous dit l’Évangile d’aujourd’hui, non pour être servi,
mais pour servir et pour donner sa vie pour le peuple. » Le Christ donne sa
vie pour que l’être humain ait la vie éternelle.
Nous concluons avec cette précieuse
perspective de cette seconde lecture, l’épître aux Hébreux (4,14-16) qui parle
du Christ comme Celui qui est le Prêtre Éternel qui a pénétré les cieux et qui
porte les marques de la souffrance, qui comprend la misère des humains, de
sorte que nous pouvons nous avancer auprès du trône de la grâce en toute
confiance. Il est disposé à verser sur nous la force de son Salut au travers de
l’Église que nous sommes. Nous n’allons pas seul dans notre effort libérateur,
le Prêtre Éternel va avec nous et nous pouvons faire appel à Lui pour que nous
soyons capables d’être en vérité les libérateurs dont notre patrie a besoin en
ce moment. 21/10/79, p.373-374, VII.