Le Christ, la Parole toujours nouvelle de l’Église
Septième dimanche du temps ordinaire;
18 février 1979; Lectures : Isaïe 43,13-19.21-22.24b-25; II Corinthiens
1,18-22; Marc 2 et 3,6
« Il y a ceux, dit le Christ,
qui ont des oreilles et n’entendent pas », mais je me réjouis qu’un peuple
ait compris et capté ce qu’ici nous voulons dire. « Je ne veux pas prêcher
autre chose, dirai-je comme saint Paul, que le Christ et le Christ
crucifié. » C’est le message de l’Église que la première lecture (Is
43,13-19; 21-22; 24b-25) sept siècles avant le Christ, Isaïe disait
(43,18-19) : « Ne vous souvenez plus des événements anciens, ne pensez
plus aux choses passées, voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle
pointe, ne la reconnaissez-vous pas. » Il allait annoncer la Rédemption
des péchés qui seraient faits au cours des prochains siècles, dans la plénitude
des temps : en Jésus-Christ. C’est le Christ qui apparaît aujourd’hui dans
l’Évangile (Mc 2,1-13) avec le pouvoir de pardonner les péchés et d’orienter
les hommes vers les chemins de la véritable libération.
Plan de l’homélie :
1) C’est une Parole qui s’incarne
dans l’Histoire (Message de Puebla)
2) C’est une Parole qui illumine
l’Histoire (la théologie de l’histoire)
3) Le Christ, une Parole qui est
garantie d’espérance dans notre Histoire
1) C’est une Parole qui s’incarne
dans l’Histoire (Message de Puebla)
A) Les faits, Dieu ne les déprécie
pas. Vouloir prêcher sans faire référence à l’histoire où nous sommes situés,
ce n’est pas prêcher l’Évangile. Plusieurs voudraient entendre une prédication
si spiritualiste qu’elle les laisserait tranquilles avec leurs péchés. Ceux qui
sont agenouillés devant l’argent et devant le pouvoir aimeraient que nous ne
leur disions pas qu’ils sont idolâtres. Une prédication qui ne dénonce pas les
réalités pécheresse dans lesquelles a lieu la réflexion évangélique, ce n’est
pas l’Évangile. Il y a tant d’adultères, de faux prophètes, il y en a trop,
dans une Ă©poque conflictuelle comme la nĂ´tre, trop de gens qui vendent leur
plume et leur parole, mais cela n’est pas la vérité. Hier,
alors que je passais Ă la douane avec ma valise, on me fit ce
commentaire : « Ici va la vérité. » Une phrase brève, mais
remplie d’optimisme parce que dans ma valise, je n’apporte ni contrebandes, ni
mensonges. Je rapporte la vérité que j’ai été parfaire à Puebla. Et quand un
journaliste me demande : « On dit qu’après Puebla votre prédication
va changer? » Je réponds : « Qu’en pensez-vous? La vérité n’a
pas de raison de changer, la vérité demeure la même, nous la dirons peut-être
avec davantage de raffinement, mais toujours en tenant compte de nos
limites. » C’est la parole concrète d’un homme qui a son style et sa
manière d’être, mais qui n’est pas plus que l’instrument de Dieu dans
l’histoire concrète et les lectures d’aujourd’hui nous donnent cet exemple,
chers frères. […]
L’espérance : la conscience que
les prophètes alimentent. Il semblait, aux Israéliens à Babylone que tout
s’était effondré, plusieurs perdirent l’espérance, mais il existait une
conscience dans le reste d’Israël. Il existait toujours cette conscience,
c’était comme « le reste de l’espérance ». C’est cela la conscience
que les prophètes alimentent.
Les temps historiques sont
différents, mais Dieu est toujours le Dieu vivant. C’est pour cela frères, que
l’histoire d’Israël, qui rappelle avec nostalgie les temps où Dieu les a fait
sortir d’Égypte et les a conduits au travers du désert, guidés par Moïse, était
une histoire de grandes illusions. Ils se disaient : « Ces prodiges
du passé, oubliez-les, parce que viendra des choses plus grandes encore. »
Le Dieu de l’Histoire de Babylone, ce n’est pas le Dieu de l’histoire de
l’Égypte. C’est déjà un autre chapitre, mais cela demeure toujours le Dieu
vivant. C’est une réflexion communautaire. C’est merveilleux de voir un peuple,
comme je vois ici en cathédrale et que je sens présent au travers de la radio,
réfléchissant dans son espérance. C’est ce Dieu d’Égypte, c’est ce Dieu de
Babylone, c’est ce Dieu des premiers chrétiens, c’est ce Dieu qui lorsqu’Il
arrive à sa plénitude dans la personne du Christ, est pressenti par ce peuple.
B) L’Évangile reflète un moment
historique du Christ. Ces chapitres de saint Marc, les chapitres 2 et 3,
décrivent une lutte idéologique entre le Christ qui annonce le Salut éternel,
préfiguré déjà dans les temps d’Isaïe et dont la confirmation arrive par la
guérison d’un paralytique comme signe, comme sacrement du véritable Salut du
péché, et d’autre part les pratiques religieuses de son temps. (Mc
2,9-10) : « Quel est le plus facile, de dire au paralytique “Tes
péchés sont remis”, ou de dire “Lève-toi, prends ton grabat et va chez toi.” »
Comme nous ne pouvons pas voir le pardon des péchés, Dieu a voulu laisser le
signe de la guérison du paralytique : « Lève-toi ». Pour Dieu,
qui pouvait aussi facilement guérir que pardonner, demeurait un argument sur
pied : le pardon. C’est le Salut que Dieu apporte et ce paralytique se
sent plus heureux de sa conscience nettoyée que de ses membres guéris.
C) La rédaction de Marc reflète un
moment historique de l’Église. Cet Évangile fut écrit comme une biographie du
Christ, comme une réflexion de l’Église que saint Pierre prêcha à Rome et, que
Marc, en tant que secrétaire de Pierre, écrivait. C’est pour cela que le Pape
actuel, Jean-Paul II, lorsqu’il prit possession de la cathédrale de Latran
dit : « Je suis l’Évêque de Rome, le successeur de Pierre qui est
venu de Galilée. » Et qui veut commenter l’Évangile de Pierre, écrit par
saint Marc, découvre qu’il n’y a pas de relation quasi ordonnée, sinon qu’au
contraire, il s’agit plutôt d’une application de la vie et de la doctrine du
Sauveur, aux événements concrets de cette communauté, de telle sorte que la
figure du Christ qui ne nous a été décrite par aucun biographe, a été méditée
par l’Église primitive pour être ensuite transmise à l’Église universelle.
Si nous lisons aujourd’hui les quatre
Évangiles, n’oublions pas que nous ne faisons que répéter l’expérience des
premières communautés chrétiennes qui réfléchissaient sur la vie et la présence
du Christ dans le monde. C’est ce que faisaient les communautés primitives,
c’est ce que font les communautés ecclésiales de base, c’est ce que fait
l’homélie lorsqu’elle connaît le bonheur comme celle-ci en cathédrale, d’être
attendue et accueillie avec une attention dont je suis le premier à m’émouvoir.
Nous méditons sur la vie d’une
présence divine parmi nous et c’est pourquoi les Évangiles reflètent non
seulement l’événement qu’ils racontent. Ici par exemple, il ne réfléchit pas
seulement la guérison d’un paralytique, sinon qu’il pense déjà sur le sens et
la signification de la guérison de ce paralytique pour cette communauté
chrétienne. De là , que certaines phrases sont postérieures à l’événement. Quand
saint Marc dit (2,10) : « Pour que vous sachiez que le Fils de
l’Homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la Terre. » Cette phrase,
sans doute, le Christ ne l’a pas dite à ses ennemis, les pharisiens, mais il
s’agit probablement d’une réflexion ecclésiastique faite en communauté après
coup sur le sens de cette guérison miraculeuse qui serait peut-être le signe
d’une présence divine parmi nous, présence qui pardonne les péchés.
D) L’Épître de saint Paul aux
Corinthiens incarne aussi l’Évangile en ce moment historique. Cette Épître aux
Corinthiens nous décrit une autre situation (1,18-22). Paul ne pouvait pas
aller une deuxième fois à Corinthe et il leur écrit cette deuxième épître qui
est celle qui possède le plus les traits caractéristiques d’une lettre :
familière, simple, un peu désordonnée, dans laquelle il parle de ses sentiments
et où il se défend contre certaines rumeurs qui avaient cours à Corinthe. (II
Cor 1, 18-19) : « Notre langage avec vous n’est pas oui et non. Car
le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons prêché parmi vous n’a pas été
oui et non; il n’y a eu que oui en Lui. »
E) Suivons l’exemple. Ou encore, que
sur cette ligne qui provient du Dieu d’Égypte, de Babylone, des temps du
Christ, du temps des apôtres, et qui arrive jusqu’à nous : communauté
d’aujourd’hui. Nous pouvons recevoir un message qui, depuis Puebla – événement
de notre histoire latino-américaine où nous venons de nous réunir avec les
pasteurs de toute l’Amérique –, les évêques peuvent dire à l’Amérique :
« Sur notre continent, marqué par l’espérance chrétienne et surchargé de
problèmes, Dieu déversa une immense Lumière qui resplendit dans le visage
rajeuni de son Église. » Ils citent ces paroles de MedellĂn pour dire
ensuite que Puebla est également un autre acte de l’Église et que ceux qui
cherchent Ă rencontrer des contradictions entre MedellĂn et Puebla, oublient
que c’est le même Dieu de l’histoire qui inspira il y a dix ans le Message de
MedellĂn, c’est Lui qui maintenant Ă Puebla inspire le Message de 1979.
Solidarité des évêques à Puebla.
C’est le même Dieu de notre histoire
qui en ce précieux message, davantage concret de mes chers frères, voulurent se
faire plus solidaire du diocèse de San Salvador et qui me demandèrent de vous
rĂ©pĂ©ter leur message. « Au travers de toi, nous voulons nous adresser Ă
tout le Peuple de Dieu qui est dans ton archidiocèse et à tous les pauvres de
ton pays auxquels tu annonces la Bonne Nouvelle de JĂ©sus-Christ dans leur
situation concrète. » Ils sont, comme tu les décris dans ta seconde lettre
pastorale (août 1977) le Corps du Christ dans l’histoire. Ils ont été présents
ici à Puebla au travers de ta voix. Nous savons qu’il s’agit d’un peuple digne
et ennobli par l’honneur du travail pénible qu’ils doivent accomplir pour
gagner leur vie. Il s’agit d’un peuple qui dit à l’oppression et à la
répression : « Basta ya!
Cela ne peut plus continuer ainsi! » Il s’agit d’un peuple qui, le sachant
ou non, est le Serviteur de Yahvé, vivant et souffrant aujourd’hui. Avec sa
douleur, avec le don de sa vie pour sa dignité, réalise une communion qui porte
en elle les semences d’une vie nouvelle pour aujourd’hui et pour demain.
18/02/78, p.147-149, VI.
Message de Puebla aux Peuples
latino-américains.
La Réalité de l’Amérique Latine.
C’est pourquoi, en vous communiquant
dans la réalité de notre archidiocèse le message de la Parole sacrée
d’aujourd’hui, je veux vous rappeler ces mots avec lesquels les évêques depuis
Puebla, ont observé la réalité de l’Amérique latine. « Si nous dirigeons
notre regard sur notre monde latino-américain, quel spectacle contemplons-nous?
Il n’est pas nécessaire de faire un examen approfondi. La vérité, c’est
qu’augmente toujours la distance entre le grand nombre qui possède très peu et
le petit nombre qui possède beaucoup. »
Ce sont des paroles entre guillemets
que Puebla cite de documents pontificaux qui définissent parfaitement notre
réalité salvadorienne et les évêques dirent : « c’est la réalité de
l’Amérique latine, où croît l’écart entre tous ceux qui ont peu », et au
Salvador nous pourrions dire : « qui ne possède rien, et le petit
nombre qui possède tout ». Cela n’est pas du communisme, ce sont les
paroles de Puebla, ce sont les mots des Papes, c’est la phrase qu’a employée
Jean-Paul II Ă Saint-Domingue, Ă Oaxaca, Ă Monterrey et Ă Guadalajara :
« Qu’un des devoirs actuels de l’Église est de servir l’être humain dans
ses droits. Et nous entendons par droits, dit-il Ă Saint-Domingue, les droits
des paysans qui doivent posséder une terre, des ouvriers dont on doit respecter
leur droit d’organisation et auxquels l’on doit payer un juste salaire. »
Lorsque nous avons entendu du Pape
des paroles qui n’ont pas été publiées ici, nous avons pensé : le Pape
court les mêmes risques que l’archevêque de San Salvador, on va chercher à le
faire taire, à le marginaliser parce qu’Il parle de ce devoir de l’Église. Mais
les évêques à Puebla nous ont donné un soutien extraordinaire en disant qu’il
s’agit de la pure réalité qu’ils dénoncent, à savoir que notre christianisme a
encore bien du progrès à faire. « Les valeurs de notre culture sont
menacées. On viole les droits fondamentaux de la personne humaine. » Ce
sont lĂ les paroles du message de Puebla.
Ce Message mentionne Ă©galement parmi
ces réalités : « L’être humain exige, par les arguments les plus
Ă©vidents, que les violences physiques et morales, les abus de pouvoir, les
manipulations de l’argent, l’abus du sexe, le viol des préceptes du Seigneur,
ne soient pas pratiqués parce que tout ce qui affecte la dignité humaine,
blesse, en quelque sorte, celle de Dieu. »
Préférence pour les pauvres
Les évêques d’Amérique latine
rappelèrent également dans leur message : « Nos préoccupations
pastorales envers les membres les plus humbles du corps social, quelques-uns
d’entre eux imprégnés d’un humanisme réel. Nous n’avons aucunement l’intention
d’exclure de notre pensée et de notre cœur les autres représentants du corps
social où nous vivons – les riches. Au contraire, ce sont là des avertissements
sérieux et opportuns pour que ces écarts, qui ne cessent de s’agrandir, ne
s’approfondissent pas davantage, pour que les péchés ne se multiplient pas et
que l’Esprit de Dieu ne s’éloigne pas de la famille latino-américaine. »
Parce que nous croyons que la
révision du comportement religieux et moral des hommes et des femmes doit se
refléter dans l’ambiance du processus politique et économique de nos pays –
regardez comme l’Église à Puebla oblige à l’évangélisation de l’Amérique latine
en réfléchissant sur le processus politique et économique –, nous vous invitons
tous, sans distinction de classe, Ă accepter et Ă assumer la cause des pauvres,
comme s’il s’agissait de votre propre cause, de la cause même du Christ : « Tout
ce que vous avez fait à l’un de mes frères, c’est à moi que vous l’avez
fait. »
Ici, nous avons la meilleure réponse
donnée par un document associé à Puebla, à tous ceux qui, lorsque nous parlons
de l’option préférentielle pour les pauvres, se sentent exclus. Cette option ne
signifie pas l’exclusion des riches, mais plutôt un appel aux riches pour
qu’ils se sentent concernés par les problèmes des pauvres, pour rechercher des
solutions, dans un dialogue avec le gouvernement, avec les techniciens, avec
ceux qui peuvent résoudre cette voie sans issue sur laquelle nous nous sommes
engagés. Les plus favorisés ont l’obligation d’étudier et d’employer tous les
moyens à leur portée comme s’il s’agissait de résoudre leurs propres problèmes.
Le problème ne peut pas être résolu en plaçant son argent à l’étranger, il est
nécessaire que ces sommes se mettent à fonctionner dans un véritable sens
social, comme le Pape dit dans une phrase si belle : « N’oubliez pas
que la propriété privée est grevée d’une terrible hypothèque sociale. »
C’est ainsi que le Message de Puebla est l’histoire de nos peuples. 18/02/79,
p.152-153, VI.
2) C’est une Parole qui illumine
l’Histoire (la théologie de l’histoire)
Cette histoire a besoin d’une
théologie. C’est la théologie de l’histoire qui jusque dans les faits banals et
concrets – jusque dans les actes criminels – rencontre quelque chose de Dieu.
La seconde pensée, après cet
éclairage de la réalité que les lectures bibliques d’aujourd’hui et le Message
épiscopal de Puebla nous ont apporté ce matin, c’est une réflexion théologique.
La théologie de l’histoire est une science qui ouvre sans cesse de nouveaux
champs d’exploration, depuis que Jean-Paul II a dit : « Il nous faut
regarder les signes des temps à la lumière de l’Évangile. » Dieu parle
depuis l’histoire, Dieu rĂ©clame depuis le bon et le beau qu’il y a Ă
l’intérieur de nous, comme Il réclame également devant le laid et le mal qu’il
y a dans les sociétés et dans le cœur de chacun.
Que rencontrons-nous dans les
lectures d’aujourd’hui? La première lecture (Is 43,13-19; 21-22; 24b-25), dans
laquelle Dieu nous invite non seulement à nous glorifier des joies du passé,
mais aussi à avoir confiance dans sa capacité de faire des choses nouvelles. Il
nous dit que Dieu ne se répète pas. N’est-ce pas merveilleux de savoir que Dieu
peut susciter des événements nouveaux dans notre histoire du Salvador? Croyons!
Parce que Dieu l’a dit, croyons comme ils crurent le prophète quand il annonça
aux prisonniers de Babylone une liberté qui ne semblait jamais arriver et qui
se produisit cependant parce que Dieu n’est pas un menteur.
Dieu juge son peuple qui est exilĂ© Ă
Babylone. Dans la première lecture d’aujourd’hui, Dieu dénonce également un
péché. Il est terrible le dialogue de cette lecture où Dieu dit, au moyen du
prophète Isaïe, le peuple d’Israël (Is 43,24b) : « Mais par tes
péchés tu as fait de moi un esclave, tu m’as lassé par tes fautes. (Je fais
votre volonté, mais vous ne faites pas la mienne. C’est pourquoi Je vous appelle en
jugement). »
Mais l’amour de Dieu est plus fort
que l’ingratitude de son peuple. C’est un jugement, un tribunal qui s’élève
aujourd’hui dans cette première lecture, où Dieu juge son peuple pour lui dire
(Is 43,25) : « C’est moi qui efface tes crimes par égard pour moi, et
je ne me souviendrai plus de tes fautes. » C’est pour nous ouvrir à la confiance. Aujourd’hui,
ici au Salvador, Dieu continue d’être rejeté par les hommes, mais Il continue
de nous déclarer son amour.
Seigneur, notre société salvadorienne
a commis nombre de péchés, elle a voulu faire de Toi son serviteur, elle a
cherché à mépriser ton Église. Quand je suis revenu de Puebla, je me suis rendu
compte de tous les outrages. Si j’étais davantage sensible à ces choses, je
dirais au nom de Dieu : Ils me méprisent, mais sachez que Je leur pardonne
par amour pour moi-même. Ma cause est si noble, mon Salut que J’annonce et que
Je prêche, qu’il ne vaut pas la peine de me préoccuper des poubelles qui
demeurent dans la rue, il y a toute une histoire par devant…
B) Foi et conversion
Le Message de Puebla est un appel Ă
la foi et Ă la
conversion. Nous pourrions ici également résumer le message
des évêques latino-américains en deux mots : foi et conversion. Dieu a
besoin que les êtres humains se convertissent et c’est pourquoi, quand nous
avons prêché aux pauvres et riches, ce n’est pas pour camoufler les péchés des
pauvres, pour passer sous silence les vertus des riches. Les uns et les autres
ont besoin de conversion, mais le pauvre, dans sa situation d’indigence, est
davantage porté à la conversion, il ressent plus le besoin de Dieu et, pour
cela, tous, si en vérité nous voulons apprendre le sens de la conversion et de
la foi, de la confiance dans l’autre, il est nécessaire de se faire pauvre ou,
tout au moins, d’adopter comme étant notre propre cause, celle des pauvres.
C’est alors quand, l’être humain commence à ressentir la foi et la conversion. Quand
il a une âme de pauvre, quand il sait que ne servent à rien les capitaux, la
politique et le pouvoir, sans Dieu nous ne sommes rien. Et le fait de ressentir
ce besoin de Dieu c’est la foi et la conversion.
De cette conversion on a parlé d’une
très belle façon, depuis Puebla pour l’Amérique Latine, comme quelque chose
dont les pasteurs eux-mêmes s’accusent. Le Message dit : « Nous
voulons non seulement convertir les autres, mais nous désirons nous convertir
également aux autres, de telle sorte que notre diocèse, nos paroisses,
institutions, communautés, congrégations religieuses, ne soient pas des
obstacles, sinon au contraire, une stimulation pour vivre l’Évangile. Pour
toutes nos fautes et nos limitations, nous demandons pardon Ă Dieu et Ă nos
frères dans la foi et dans l’humanité. »
Je crois que je le dis en toute
sincérité : frères, celui qui dénonce doit s’attendre à être dénoncé! Et
depuis le début j’ai dit que j’accepte volontiers les critiques lorsqu’elles
sont constructives et je m’efforce de devenir aussi bon que possible. Et, en
vérité, je demande pardon à tous ceux auxquels le message n’a pas su être
traduit clairement, mais sachez que je n’agis pas là dans un esprit d’orgueil,
par mauvaise volonté ou pour tergiverser. Je dis ce que l’Évangile m’envoie
prêcher à cet archidiocèse qui m’a été confié. […]
C) La Civilisation de l’Amour
C’est une conversion à laquelle
appelle notre histoire dans des faits qui sont décrits dans des mots qui
peuvent paraître violents, mais qui sont le langage de l’Église quand elle
appelle les pécheurs au pardon. Quand, par exemple, les évêques disent depuis
Puebla : « La civilisation que nous voulons, c’est la Civilisation de
l’Amour. » Et suit un long commentaire qui est comme le centre de notre
message aux hommes d’Amérique latine : « Soyons tous bâtisseurs d’une
civilisation de l’Amour ». Il s’agit d’une des phrases si géniales de Paul
VI.
La Civilisation de l’Amour, qu’est-ce
que c’est?
Cela signifie prendre au sérieux le
mandat du Christ : « En cela on reconnaîtra que vous êtes mes
disciples, en vous aimant comme je vous ai aimé. » « La Civilisation
de l’Amour rejette la sujétion et la dépendance qui est préjudiciable à la
dignité de l’Amérique latine. » Voyez comment l’Église, sainte dans son
désir de se convertir, nous dirions jusqu’au point d’apparaître fière
lorsqu’elle proclame la dignité humaine parce qu’elle sait qu’il s’agit là d’un
trésor qui n’est pas le sien, mais qui est l’image de Dieu qu’elle se doit de
défendre. « Nous n’acceptons pas, dirent les évêques à Puebla, les
conditions de satellite pour aucun pays du monde, ni non plus, celle de
satellite idéologique. Nous voulons vivre fraternellement avec tous, parce que
nous rejetons les nationalismes étroits et irréductibles. Il est grand temps
que l’Amérique latine avertisse les pays développés de ne pas immobiliser ou
empêcher notre progrès, qu’ils cessent de nous exploiter, mais qu’ils nous
aident plutôt avec magnanimité à vaincre les barrières de notre
sous-développement, en respectant notre culture, nos principes, notre
souveraineté, notre identité et nos ressources naturelles. »
C’est cela l’esprit de l’Église.
Quand certains affirment que nous diffamons à l’étranger l’image de notre
patrie, ils oublient que nous ne faisons que refléter la réalité de notre
patrie, précisément pour que soient respectées les valeurs de nos gens et de
notre peuple. C’est dans cet esprit que nous grandirons ensemble comme des
frères, membres de la même famille universelle. Lorsque nous disons la
Civilisation de l’amour, nous voulons dire également que l’amour :
« répudie la violence, l’égoïsme, le gaspillage, l’exploitation et les troubles
moraux. »
Et pour ceux qui ne croient pas en
l’amour et qui mettent leur confiance dans la violence, dans le terrorisme,
l’Église ne peut les accompagner par ces chemins, les évêques réunis à Puebla
ont fait un appel : à première vue, la Civilisation de l’Amour semble une
expression qui ne possède pas l’énergie nécessaire pour affronter les graves
problèmes de notre époque. Cependant, nous vous assurons qu’il n’existe pas de
force plus grande que celle-là dans le dictionnaire chrétien. Elle se confond
avec la propre force du Christ. Si nous ne croyons pas en l’amour, nous ne
croyons pas non plus à Celui qui a dit : « Je vous donne un
commandement nouveau, que vous vous aimiez les uns les autres comme Je vous ai
aimés. »
La Civilisation de l’Amour propose Ă
tous la richesse évangélique de la réconciliation nationale et internationale.
Il n’existe pas de gestes plus sublimes que le pardon. Qui ne sait pas
pardonner ne sera pas pardonné! C’est l’appel que l’Église fait depuis
Puebla : « de construire avec l’aide de tous une Civilisation de
l’Amour, à faire de notre Histoire, vue dans un sens évangélique, une impulsion
pour que rien n’éteigne, ni n’enlève le lustre de notre optimisme. »
Frères, comme les prophètes
annonçaient aux captifs de Babylone, des heures d’allégresse et de liberté, la
parole de l’Église peut sembler une farce lorsqu’elle appelle à l’amour, à la
réconciliation, au pardon, tandis que d’autres croient davantage dans la
violence, dans les séquestrations, dans le terrorisme. L’Église ne marchera
jamais par ces chemins et tout ce qui se dit en ce sens est faux, est de la
calomnie qui vient ennoblir encore plus l’auréole de persécution de cette
Église. 18/02/79, p.153-156, VI.
3) Le Christ, une Parole qui est
garantie d’espérance dans notre Histoire
Je termine avec cette pensée qui est
celle de la Parole de Dieu aujourd’hui : le Christ et l’Esprit de Dieu,
inculqué dans son peuple chrétien, est la garantie de notre espérance. Nous
disions que nous allions mettre une couronne sur nos réflexions de ce matin
avec l’épître de saint Paul (2 Co 1,18-22). Ce dernier souffrit de quelque
chose que subirent Ă©galement les apĂ´tres et le Christ lui-mĂŞme : des
critiques. Ce chapitre qui nous raconte la guérison du paralytique, fait partie
des chapitres 2 et 3 de saint Marc qui est une exposition de la lutte
idéologique qui eut lieu entre le Christ et les pharisiens et qui se termine au
chapitre 3, verset 6, qui annonce déjà le dénouement final : « Étant
sortis, les pharisiens tenaient aussitĂ´t conseil avec les HĂ©rodiens contre lui,
en vue de le perdre. » Si quelqu’un courut un risque d’un attentat, ce fut
le Christ et, cependant, Il fut fidèle jusqu’à pouvoir dire cloué sur la
croix : « Tout est accompli. » Contre le Christ également se
produisit des attentats, il y eut des tentatives de l’éliminer et il ne s’agit
pas là de tentations, sinon que ces menaces ont été exécutées.
Le Christ : l’acquiescement des
promesses de Dieu
Pour saint Paul aussi cela devait
également être une heure difficile lorsqu’on se moquait de lui à Corinthe,
lorsqu’on disait de lui que son langage était informel, aujourd’hui oui, demain
non. Et saint Paul se sert de cette calomnie pour dire : « Nous avons
annoncé non pas un “oui” et un “non”, nous avons annoncé le Christ qui est le
“oui” éternel de Dieu. Quel nom merveilleux pour le Christ : le Oui des
promesses de Dieu. Le “oui” en qui Dieu a promis des choses si incroyables
comme un Salut nouveau, un pardon des péchés, un appel à tous les peuples pour
qu’ils forment un seul peuple, un seul amour, Il ne se repent pas de ses
promesses, mais en Jésus-Christ Il les accomplit même lorsque ce Fils Bien-aimé
est amené pour être cloué sur une croix. » Si c’est là une condition
nécessaire à l’accomplissement des promesses de Dieu, le Christ meurt crucifié.
Le oui de l’homme à Dieu
Le sacrifice est la rubrique des
grandes promesses de Dieu et c’est pour cela que saint Paul dit :
« Ainsi, comme par ailleurs, les hommes qui s’efforcent de demeurer
fidèles à Dieu lui disent amen. » Il est révélateur ce matin d’entendre
cette parole qui est si utilisée qu’elle finit par perdre son sens pour nous,
mais quand dans une liturgie nous disons « amen », nous posons un
acte de foi, le plus beau qui est de dire oui. C’est le oui de l’homme à Dieu
au travers du Christ.
Le Christ est l’amen de l’humanitĂ© Ă
Dieu
En JĂ©sus-Christ est dit
« amen » aux espérances de tous les peuples, de tous les hommes,
parce qu’en Jésus-Christ a été dit oui aux promesses de Dieu. Le Christ est la
zone où l’homme qui a besoin, les peuples pécheurs, les sociétés qui sont
noircies, sans espérance, regardent l’espérance d’un Dieu qui nous aime encore
parce que cette définition de saint Paul continue d’être le « oui »
(dans une construction grammaticale grecque, c’est un temps qui en français
n’existe pas), où ce qui s’est produit continue d’être vrai pour tous les
siècles, le Christ vit et Il vit dans son Église et Il vit en Amérique latine.
Contribution des évêques à l’Amérique
latine
C’est pour cela que le Message des évêques,
prenant également cette attitude de saint Paul aujourd’hui : avec toute
leur confiance qui est dans le Christ, ils veulent Ă©veiller chez les hommes et
les femmes cette même espérance.
« Notre contribution,
disent-ils, qu’avons-nous à offrir au milieu des questions graves et complexes
de notre époque? » On me l’a souvent demandé ici au Salvador :
« Que pouvons-nous faire? N’existe-t-il pas une solution pour la situation
où nous sommes? » Et moi, rempli d’espérance et de foi, non seulement une
foi divine, sinon une foi humaine, qui croit aux humains, je dis : oui, il
existe une solution, mais ne lui fermez pas les portes. Les Ă©vĂŞques rĂ©unis Ă
Puebla dirent : « De quelle manière pouvons-nous collaborer au
bien-ĂŞtre de nos peuples latino-amĂ©ricains alors que certains persistent Ă
maintenir leurs privilèges à n’importe quel prix tandis que d’autres se sentent
abattus ou d’autres encore font la promotion d’une gestion favorable à leur
survie et à la claire affirmation de leurs droits? » C’est cela qui est grave,
comme si les cœurs s’endurcissaient à défendre uniquement leurs positions
Ă©goĂŻstes.
Lève-toi et marche. Mais l’Église
apporte sa contribution : « Qu’avons-nous à offrir? Comme Pierre,
devant la supplique qui lui est adressée aux portes du Temple, nous disons en
considérant l’amplitude des défis structuraux de notre réalité. Il y avait
Ă©galement un paralytique aux portes du Temple de JĂ©rusalem qui demandait
l’aumône et quand Pierre passa avec Jean pour aller prier, le pauvre mendiant
les aperçut et s’attendait à recevoir une pièce. Mais alors, Pierre prononça
ces mots : “Nous n’avons ni or, ni argent à t’offrir”, c’est ce que disent
également les évêques : Nous n’avons ni or ni argent, mais ce que nous
avons nous te l’offrons : au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et
marche. »
Le Christ est notre richesse.
« Ici, dit le Message, la pauvreté de Pierre se fait richesse et la
richesse de Pierre s’appellent Jésus de Nazareth, mort et ressuscité, toujours
présent, par son Esprit Divin dans le Collège Apostolique et dans les
communautés qui ont été formées sous sa direction. »
Et nous rappelons ici une phrase de
Jean-Paul II dans sa messe inaugurale comme Souverain Pontife, quand sur la Place Saint-Pierre
il s’exclama : « Ne craignez pas, ouvrez de part en part les portes Ă
Jésus-Christ. Ouvrez à son pouvoir sauveur les portes des États, des systèmes
Ă©conomiques et politiques, les vastes champs de la culture, de la civilisation
et du développement. » C’est ce que nous pouvons apporter.
Nous rappelons une fois encore dans
ce message qu’il n’appartient pas à l’Église d’apporter des solutions
techniques. C’est pour cela que l’Église ne peut non plus s’identifier avec
aucune solution politique. Les politiciens, qui Ă©tudient les solutions
politiques, les sociologues qui Ă©tudient les solutions sociologiques, les
économistes ont matière à étude au Salvador. L’Église n’apporte qu’une seule
valeur : l’espoir dans l’être humain. Dites aux politiciens, aux
techniciens, aux sociologues, à tous les riches et à tous ceux qui possèdent
entre leurs mains les clés de la solution : ne vous découragez pas, ouvrez
tous les domaines à la doctrine du Christ. L’Église ne recherche aucune
hégémonie, l’Église cherche uniquement à servir, à inspirer! Tenez compte de
cela!
Nous demandons aussi pardon pour
cela, si par hasard on ne tient pas compte de notre avis parce que notre
médiation humaine a été défectueuse. Mais ne vous limitez pas à nous, cherchez
le Christ en qui, vous et nous, devons rechercher notre espérance dans sa
doctrine. C’est pourquoi saint Paul termine la lecture d’aujourd’hui en
disant : « Dans l’Esprit que Dieu nous a donné, Il nous a oint, nous
a marqué, nous a rendu dignes et capables de connaître les pensées de Dieu, Il
nous a donné la grande dignité de l’appeler Père. » Et un Père ne se
complaît pas de voir périr son fils. […]
Vous, les chrétiens politiciens, vous
qui possédez les capitaux et êtes chrétiens, les sociologues, les techniciens,
les professionnels, vous possédez la clé de la solution, mais l’Église vous
donne ce que vous ne pouvez donner vous-mêmes : l’espérance, l’optimisme
pour lutter, l’allégresse de savoir qu’il y a une solution, que Dieu est notre
Père et qu’Il nous donne l’impulsion nécessaire. Parce qu’ainsi comme pour
guérir le paralytique, Il a besoin d’hommes pour faire passer le malade par le
toit et le déposer devant le Christ. Dieu et le Christ pourraient très bien
faire Ă eux seuls le Salut de notre peuple, mais Ils veulent avoir des
brancardiers, des hommes qui les aident Ă porter ce paralytique qui se nomme
ici la république, la société, pour que nous le déposions avec nos mains
d’hommes et de femmes, avec nos solutions, avec nos pensées, devant le Christ
qui est le seul à pouvoir dire : « J’ai vu ta foi, lève-toi et
marche. » Et je crois que notre peuple se lèvera et marchera! 18/02/79,
p.156-159, VI.