Jean Le Baptiste, paradigme de
l’Homme engagé en faveur du Règne de Dieu
Saint Jean-Baptiste; 24 juin 1979;
Lectures : IsaĂŻe 49,1-6; Actes 13,22-26; Luc 1,57-66,80.
Paradigme veut dire
« modèle », « symbole ». Jean Le Baptiste réalisa ce que
tout homme engagé envers le Règne de Dieu devrait réaliser :
Plan de l’homélie :
1) L’Homme
2) Le Précurseur
3) Le Martyr
1) L’Homme
A) Nous célébrons la
« naissance » de saint Jean comme celle de n’importe quel enfant,
joie de sa naissance, recherche de l’homme, commentaire sur son avenir.
Les lectures d’aujourd’hui (Is
49,1-6; Ac 13,22-26; Lc 1,57-66,80) nous conduisent à la naissance d’un homme.
Ce petit village d’Ain Karim dans les montagnes de Judée est fort pittoresque.
C’est là qu’Élisabeth, déjà vieille et stérile, a reçu trois mois plus tôt la
visite d’une jeune vierge, mais qui avait le privilège d’être vierge et mère en
même temps. Parce que, tout comme Anne fut fécondée par un miracle de Dieu, alors
qu’elle était stérile, Marie aussi est une autre mère féconde qui doit à Dieu
cette fécondité qui a respecté sa virginité.
Deux mères vont donner naissance et
partager leur grossesse durant trois mois. Elles durent se parler de ce que ce
merveilleux chapitre de saint Luc (1,57-66,80) nous raconte, la conception de
Jean dans le sein d’Élisabeth. Le prêtre Zacharie, époux d’Élisabeth, offrit de
l’encens lorsqu’il eut la vision de l’ange Gabriel qui lui annonçait que ses
prières, demandant un fils de son mariage stérile, avaient été entendues. Mais
Zacharie douta et Dieu, qui veut que nous nous livrions entièrement dans la
foi, châtie ce doute (Lc 1,20) : « Et voici que tu vas être réduit au
silence et sans pouvoir parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce
que tu n’as pas cru à mes paroles, lesquelles s’accompliront en leur
temps. » C’est ce moment que nous célébrons aujourd’hui, Jean est né et
c’est le moment de lui donner un nom et comme vous l’avez entendu dans
l’Évangile (Lc 1,59-63) : « On voulait l’appeler Zacharie, du nom de
son père, mais, prenant la parole, sa mère dit : “Non, il s’appellera
Jean.” Et on lui dit : “Il n’y a personne de ta parenté qui porte ce nom!”
Et on demandait par signes au père comment il voulait qu’on l’appelât. Celui-ci
demanda une tablette et écrivit : “Jean est son nom.” Ils en furent tous
étonnés. » Il a été un enfant révélé par Dieu et conçu dans le miracle, et
de là je veux tirer d’autres exemples qui apparaissent également dans la
lecture d’aujourd’hui.
Prophétie du Serviteur de Yahvé
Aujourd’hui le prophète Isaïe
(49,1-6) nous a dit que le Serviteur de Yahvé, mystérieuse prophétie de l’ère
messianique, se présentera également ainsi (49,1) : « Yahvé m’a
appelé dès le sein maternel, dès les entrailles de ma mère il a prononcé mon
nom. »
Annonce du Christ Ă Marie
L’ange dit du Christ également, et
ce, avant même qu’Il ne soit conçu dans les entrailles de Marie, les desseins
que Dieu a sur lui. Il s’appellera Jésus parce qu’Il enlèvera les péchés du
monde.
Saint Paul
Et saint Paul, une fois converti au
christianisme, ferme la parenthèse en disant : « Moi aussi, j’ai été
choisi dès le ventre de ma mère. »
B) Chacun, chacune, est un dessein de
Dieu
Ceci nous conduit Ă une profonde
réflexion : chacun, chacune est un dessein de Dieu. J’aime bien ce que
Jean-Paul II a écrit dans sa première encyclique où il dit : « L’être
humain tel qu’il a été voulu par Dieu, tel que Dieu l’a élu éternellement, est
appelé, est destiné à la grâce et à la gloire, c’est ce qu’est précisément
chacun, chacune.
L’être humain le plus concret et le
plus réel, c’est cela, l’homme et la femme dans la plénitude du mystère, de
celui qui s’est fait membre de Jésus-Christ, mystère auquel participent tous
les êtres humains sur cette planète, dès le moment où ils ont été conçus dans
le sein de leur mère. L’Église ne peut abandonner l’être humain dont le sort,
c’est-à -dire l’élection, l’appel, la naissance et la mort, le Salut ou la
perdition sont si étroitement et indissolublement unis au Christ. L’être humain
dans sa réalité singulière (comme personne) possède une histoire de sa vie et
surtout de son âme qui lui est propre. »
Parmi ceux qui sont ici, il n’y a
personne d’anonyme. Chacun, jusqu’au plus humble, jusqu’au plus petit qui est
venu, aussi jeune soit-il, Ă cette messe, ainsi que les autres au travers de la
radio, jusqu’au pauvre malade de qui personne ne parlera jamais dans les livres
d’histoire, chacun de nous possède sa propre histoire et Dieu a voulu nous
connaître dans notre singularité. Dieu ne nous a pas fait dans des moules, Il
nous a fait avec chacun une histoire très typique. Si nous avions le temps,
nous pourrions raconter l’histoire de chacun d’entre nous et nous verrions
combien elles diffèrent.
Tenons donc compte de cette Ă©lection
éternelle : « Avant que tu naisses, je te connaissais. » Il n’y
a qu’une femme qui puisse dire : « Je t’aimais déjà , avant que tu ne
sois né. » En cela, Dieu voulut faire une image de la création : la
femme féconde est l’image d’un Dieu qui conçoit dans son esprit le projet d’une
vie, de plusieurs vies qui vont tisser l’Histoire, de sorte que nous pouvons
dire : malgré mes péchés et ma petitesse, j’existais déjà dans l’Esprit de
Dieu, j’ai été élu.
« L’appelle, dit le Pape, le
premier appel de Dieu c’est la vie. » Ce ne furent pas mes parents qui me
donnèrent l’être, ils ne furent rien d’autre que des instruments, desquels Dieu
se prévalut pour m’amener à la vie, mais c’est Dieu qui m’a appelé à la vie.
« La naissance, dit le Pape,
n’est pas le commencement de la vie. » Il y a neuf mois que je suis dĂ©jĂ
une histoire, plus loin encore, bien avant ces mois de ma conception,
j’existais déjà dans l’Esprit de Dieu comme un projet qui, s’il se réalise,
fera de moi un saint, parce qu’un saint ce n’est rien d’autre que la
réalisation d’une vie selon la volonté de Dieu.
« Et après, dit le Pape, la
mort. » Comme nous passons rapidement de la naissance à la mort. Nous demeurons
ici, les quarante, soixante, quatre-vingts ou cent ans que peuvent durer une
vie. Mais qu’est-ce que cela, sinon une petite goutte dans la mer immense de
l’Histoire. Comme nous sommes petits, mais comme nous sommes grands!
« Et par delà la mort, mon
histoire se poursuit encore : salut ou perdition. » Mon être ne se
termine pas lĂ , je vivrai pour toujours, dans le ciel pour chanter la victoire
de la réalité divine ou en enfer en pleurant pour toujours l’échec dont Dieu
n’est pas responsable, sinon moi-même, par ma mauvaise tête, par le mauvais
usage que j’aurai fait de ma liberté.
C’est cela, l’homme : Jean
Baptiste, paradigme de tout homme qui naît. Je voudrais que chacun d’entre nous
et que ceux qui écoutent, que ce soit par bonne ou par mauvaise volonté,
réfléchissent à ceci : nous sommes tous des hommes et des femmes, mais je
ne vis pas pour faire mes caprices. Il existe un dessein sur ma vie. Ce n’est
pas le destin aveugle, comme plusieurs se l’imaginent. Personne n’est né pour
être prédestiné au mal. Nous faisons le mal parce que nous usons mal de notre
volonté, mais le dessein de Dieu est de faire une créature qui est bonne.
« Dieu vit que tout ce qu’Il avait fait était bon. »
C) DĂ©ductions : base de la
défense des droits humains
Nous pouvons déduire de cela la
raison d’être de l’Église dans la défense des droits humains. Il ne s’agit pas
d’une vision politique ou opportuniste, il s’agit de l’essence même de l’être
humain qui réclame cela de l’Église dans sa foi en Dieu. Il faut respecter et
faire respecter la personne humaine qui est sur Terre un dessein de Dieu. Il
n’y a pas d’hommes de première et de seconde classe, nous sommes tous appelĂ©s Ă
la vie, nous sommes tous appelés à la grâce, nous sommes tous appelés au
bonheur, nous sommes tous un projet de Dieu. S’il existe des différences et des
luttes, cela provient de la méchanceté des hommes.
C’est pourquoi l’outrage à la vie est
une grave offense envers le Créateur!
Chez les adultes
Je me réfère à la vie chez l’homme ou
la femme adulte et c’est pourquoi je ne me fatiguerai jamais de dénoncer les
outrages commis dans les cas de détentions arbitraires, de disparitions, de
tortures qui humilient davantage et rendent encore plus honteux le sort de
celui qui les commet, de celui qui les subit.
Ă€ sa source
Nous pouvons remonter encore plus
loin : l’Église se doit de dénoncer également l’assèchement irrationnel
des sources de la vie, cette stérilisation massive comme s’il s’agissait
d’animaux, des hommes et des femmes pour qu’ils n’aient plus d’enfants. Ce
n’est pas ainsi que nous allons régler le problème démographique. Il faut éduquer.
Dans toutes les relations entre les hommes et les femmes, il doit y avoir une
paternité responsable qui sait faire usage de ses facultés génératives
seulement lorsqu’il est capable de donner la vie à celui qui va venir comme
produit de cette relation. « Il est nécessaire, disait Paul VI, de ne pas
résoudre ce problème en supprimant la vie, sinon en préparant davantage de pain
à la table où sont conviés les invités de la vie. » Cela signifie qu’il
existe un problème social, économique et politique. Il doit y avoir une
transformation de la vie pour que les dons que Dieu a donnés, en quantité
suffisante pour alimenter la population du Salvador, ne soient pas concentrés
dans les mains d’un petit nombre, pendant que les autres meurent de faim. Nous
devons répartir comme Dieu le veut le pain des fils pour tous les invités à la
vie.
La vie, Dieu la donne. Peut-ĂŞtre
connaissez-vous cette précieuse lettre, c’est l’œuvre d’un enfant qui n’est pas
né et qui écrit en nous racontant ce qu’il serait devenu : « Aujourd’hui,
je serais né, je serais déjà à l’école ou au collège, et un jour peut-être
serai-je devenu un médecin ou un docteur. » Qui sait combien de vies
utiles Dieu préparait-il avec de grands desseins comme Jean Baptiste, le
Christ, saint Paul ou le Serviteur de Yahvé, et qui ne naquirent point. Des
vies annoncées avant de venir au monde dans les pages de la Bible, révélation
de Dieu, révélation de sa pensée. Combien de ces êtres aurions-nous ici dans
notre pays si n’était pas demeuré que l’égoïsme de ceux qui croient qu’il n’y a
plus d’espace pour les autres et qu’il faut interdire que les autres viennent
pour que nous demeurions Ă notre aise.
Dignité et responsabilité de la femme
Devant ces deux femmes fécondes et
saintes, Élisabeth l’ancienne et Marie la jeune vierge, je voudrais regarder
maintenant toutes les femmes de ma patrie et leur dire avec le concile ces
paroles : « Vous, femmes, avez toujours eu comme mission la garde du
foyer, l’amour des sources de la vie, le sens du soin qu’on accorde aux autres,
vous êtes présentes au mystère de la vie qui commence, vous consolez dans la mort. Notre technique
court le danger de devenir inhumaine, réconciliez les hommes avec la vie et
surtout veillez, nous vous en supplions, pour l’avenir de notre espèce, retenez
la main de l’homme qui en un instant de folie peut détruire la civilisation
humaine. » Très chères mères, fiancées, épouses, demoiselles, petites
filles, voyez en ce dimanche de la naissance du Précurseur le modèle de ces
mères qui demandèrent à Dieu un fils et Dieu les bénit avec des fils
privilégiés qui furent la bénédiction de toute l’humanité. Ah, si la femme
était sainte, combien d’hommes saints nous aurions dans le monde! 24/06/79,
p.19-23, VII.
2) Le Précurseur
Chaque homme, chaque femme, est une
vocation et Dieu nous rend capables de cela.
Que veut dire
« précurseur »? C’est celui qui va en avant, celui qui dit :
« Venez ici, venez me rejoindre. » C’est le héraut. Les rois,
lorsqu’ils arrivaient dans une ville, envoyaient les hérauts au-devant d’eux.
Quand le Pape sort pour assister aux grandes audiences, il y a toujours
quelqu’un au-devant de lui qui l’annonce. « Le Pape va venir et nous
allons procéder ainsi! » C’était le rôle de Jean Baptiste :
« Déjà s’approche l’heure de l’audience avec Dieu, le Roi immortel des
siècles s’en vient! » Nous avons dit que chacun est une vocation et Jean
Baptiste avait une vocation très claire : annoncer la présence du Christ.
A) Jean le précurseur annonce la
présence du Christ
Dans la seconde lecture (Ac 13,22-26)
d’aujourd’hui apparaît clairement comment Jean est présenté par Paul dans un de
ses discours d’Antioche (13,24-25) : « Jean, le précurseur, avait
préparé son arrivée en proclamant à l’adresse de tout le peuple d’Israël un
baptême de repentir. » Au moment de terminer sa course, Jean disait :
« Celui que vous croyez que je suis, je ne le suis pas; mais voici venir
après moi celui dont je ne suis pas digne de délier la sandale. » Il fut
si éloquent, Jean Baptiste fut si efficace dans sa vocation qu’en annonçant le
Christ, de nombreuses personnes le confondirent avec le Christ. Quel honneur
plus immense pour un prédicateur! Serait-ce lui le Christ qui doit venir? Et
Jean Baptiste devait détromper les gens en toute humilité. « Je ne suis
pas celui que vous dites, je ne suis pas le Christ, ni même un prophète, je ne
suis qu’une voix qui crie : “Préparez les chemins!” » C’est ce qui
est grand chez Jean.
B) Importance dans l’Histoire du
Salut
C’est pour cela qu’un jour le Christ
dit en parlant de Jean (Lc 6,28) : « Je vous dis : “De plus
grands que Jean parmi les enfants de femmes, il n’y en a pas; cependant, le
plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui.” » Que voulait
dire le Christ? Il nous décrit ici la mission de Jean dans l’Histoire. Il est
comme ces anneaux qui unissent deux morceaux de chaîne; d’un côté vers l’Ancien
Testament avec ses patriarches, ses prophètes et ses promesses; vers l’autre
côté, le Christ qui vient pour accomplir ces promesses, pour réaliser ces
prophéties, pour continuer de les annoncer au monde.
« Je te ferai lumière des
nations. »
En d’autres mots, ce que nous a dit
la première lecture (Is 49,1-6) en nous annonçant précisément le rôle de ce
précurseur. Le Seigneur dit au Serviteur de Yahvé (49,6) : « C’est
trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tributs de Jacob et
ramener les survivants d’Israël. Je te fais lumière des nations pour que mon
salut atteigne les extrémités de la Terre. »
Jean Baptiste embrasse toutes les
richesses des vieilles promesses, pour dire au peuple : « Soyons
dignes de la promesse que nous avons reçue. » Et il se lance vers le
futur, dans des horizons universels, pour redire les promesses de l’Ancien
Testament déjà réalisées dans le Christ. Il faut l’annoncer à tous. Ce que nous
avons dit de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance, Jean est au centre, très près
du Christ. (Jn 1,8) : « Celui-ci n’était pas la lumière, mais il
avait à rendre témoignage à la lumière. » Je ne suis pas le Christ, mais
je suis la voix qui annonce le Christ.
C) Dénonciation du péché
C’est cela, Jean Baptiste :
« Non seulement je vais appeler le peuple à la repentance en mémoire des
promesses anciennes et Ă se disposer pour ce temps oĂą cette promesse de Dieu
doit se réaliser, mais je vais prêcher la pénitence pour que ce peuple
privilégié ne soit pas aveugle au moment où cette promesse va se réaliser. Mais
cela est peu pour toi, annonce-moi, annonce le RĂ©dempteur pour que cette
Rédemption parvienne jusqu’aux confins du monde. »
C’est pour cela que nous célébrons
aujourd’hui Jean Baptiste, même s’il ne s’agit que d’un homme, fils d’un
mariage stérile; il est cependant le plus grand des fils nés d’une femme parce
que Dieu lui a donné une vocation et qu’il a su accomplir. Frères, quelle belle
leçon! Chaque homme, chaque femme, est une vocation. Chacun de ceux qui
participent à cette réflexion possède une vocation qui lui est propre et grande
est cette vérité. Nous avons une mission prophétique dans le monde, par notre
baptême. Le Concile Vatican II dit : « Le Christ, l’Éternel Prophète,
continue d’annoncer le Règne de Dieu sur la Terre, non seulement en se
prévalant de la hiérarchie, des prêtres et des évêques qui ont l’obligation de
prêcher, non seulement eux, mais aussi les laïcs qui par leur baptême ont reçu
la grâce de la foi et de la parole. » Vous pouvez parler bien mieux que
moi et rendre témoignage en menant une vie plus sainte que la mienne. Un mariage
saint est un Jean Baptiste dans son foyer, un avocat saint, un professionnel
saint, un médecin saint, un ingénieur saint, un journalier saint, une femme
sainte, sont des Jean Baptiste, ils sont ceux dont Dieu se prévaut pour
proclamer que son Règne approche.
Comme se sent vraiment la sainteté
des personnes dignes. Combien de fois avons-nous pu observer que devant une
personne digne les mauvaises langues se taisent, par respect envers celui qui
arrive? De la même manière, la sainteté des personnes est un exemple pour nous,
et ce, même après leur mort. C’est ce qui nous fait défaut actuellement, non
seulement la démagogie qui réclame, mais surtout la sainteté de la vie qui est
une réclamation plus grande que la démagogie parce que devant un saint les
ténèbres fuient, l’injustice se fâche, il y a de la violence et on lui enlève
la vie.
Rappelez-vous que nous faisons cette
réflexion dans un contexte très concret, celui de la vie du père Raphael
Palacios. Je ne vais pas dire qu’il était un saint, mais je vais dire que dans
sa prédication et dans sa vie, il portait une rectitude de la vérité qui offensait
ceux qui empruntaient les chemins tortueux. Et je dirais la mĂŞme chose des
quatre autres prêtres assassinés. Je me souviens bien de la droiture du Père
Grande, de celle du Père Navarro et des autres aussi, de leur soif d’amour pour
les pauvres, de leur insertion dans les besoins de ceux qui souffrent Ă cause
de l’injustice institutionnalisée. Et ils réclamaient. Si maintenant nous nous
demandons : pourquoi est-ce qu’on assassine des prêtres et des chrétiens
engagés dans l’annonce du Règne de Dieu? Il ne demeure pas de doute, pour la
même raison qu’ils tuèrent Jean Baptiste, parce qu’il dénonçait le péché.
Style et contenu de son
annonce/dénonciation
Je voudrais, frères, et ayez la
patience de m’écouter, dans ce même Évangile de saint Jean, voir comment était
la prédication de saint Jean Baptiste et la comparer avec la prédication
d’aujourd’hui pour voir qui est-ce qui a raison. Ceux qui crient contre les
injustices et les outrages du monde ou ceux qui prĂŞchent une doctrine si molle,
sans griffe, sans exigence, qu’elle est très jolie à suivre et qu’il est facile
de passer à ces religions qui possèdent un Évangile qui ne réclame rien.
Le chapitre 3 de saint Luc dit
(3,4-6) : « Et il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant
un baptême de repentir pour la rémission des péchés, » comme il est écrit
au livre des paroles d’Isaïe le prophète : « Voix de celui qui crie
dans le désert : “Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses
sentiers; tout ravin sera comblé et toute montagne ou colline sera abaissée;
les passages tortueux deviendront droits et les chemins raboteux seront
nivelés. Et toute chair verra le Salut de Dieu.” » Que dit-il en langage
oriental? Il parle de la correction des péchés humains.
Il disait Ă la multitude qui venait
se faire baptisée par lui – observez ce langage (Lc 3,7-17) :
« Engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la Colère
prochaine? Produisez donc des fruits dignes de repentir, et n’allez pas dire en
vous-mêmes : “Nous avons pour père Abraham.” Car je vous dis que Dieu
peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants Ă Abraham. DĂ©jĂ mĂŞme la
cognée se trouve à la racine des arbres; tout arbre qui ne produit donc pas de
bon fruit va être coupé et jeté au feu. » Et les foules l’interrogeaient
en disant : « Que nous faut-il donc faire? » Il leur répondait –
observez bien la résolution du Baptiste à des problèmes qui pourraient être
ceux d’aujourd’hui : « Que celui qui a deux tuniques partage avec
celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. »
Des publicains aussi vinrent se faire
baptiser; les publicains étaient ceux qui prélevaient les impôts et ils
commettaient de nombreux vols. Jean leur dit : « N’exigez rien
au-delà de ce qui vous est prescrit. » La même chose que je répondrais aujourd’hui
à de nombreux organismes, à plusieurs institutions où on réalise des projets de
plusieurs millions et dont seulement le quart ou le cinquième sert
véritablement au bien du peuple. Je dirais la même chose à ceux qui falsifient
des documents. Il y a tant de pièges dans notre histoire, mais ici se trouve la
dénonciation dans les paroles de Jean lui-même.
Des soldats aussi l’interrogeaient,
en disant : « Et nous, que nous faut-il faire? » Il leur
dit : « Ne molestez personne, n’extorquez rien, et contentez-vous de
votre solde. »
Comme le peuple était dans l’attente
et que tous se demandaient en leur cœur au sujet de Jean, s’il n’était pas le
Christ, Jean prit la parole et leur dit à tous : « Pour moi, je vous
baptise avec de l’eau, mais il vient le plus fort que moi, et je ne suis pas
digne de délier la courroie de ses sandales; lui vous baptisera dans l’Esprit
saint et dans le feu. Il tient en sa main la pelle Ă vanner pour nettoyer son
aire et recueillir le blé dans son grenier; quant aux balles, il les consumera
au feu qui ne s’éteint pas. » Il présente un Christ qui fait comme ceux
qui vannent le café ou le blé lorsqu’ils séparent l’écorce du grain; ils les
tirent en l’air et le souffle produit emporte les déchets et seul le blé
demeure. C’est cela la figure que Jean nous présente. Le Christ est déjà avec
l’instrument qui sert à vanner la récolte, alors seul demeurera le blé lourd,
seuls ceux qui ont pratiqué la justice et accompli de bonnes œuvres, tout le
reste n’est que déchet qui sera emporté par le vent pour être brûlé. 24/06/79,
p.23-26, VII.
3) Le Martyr
Le récit de saint Luc se termine
ainsi (3,18) : « Et par bien d’autres exhortations encore il
annonçait au peuple la
Bonne Nouvelle. » Il était infatigable dans sa
prédication de pénitence, pour signaler le péché, pour démasquer le désordre.
(Lc 3,19-20) : « Cependant Hérode le tétrarque, qu’il reprenait au
sujet d’Hérodiade, la femme de son frère, et pour tous les méfaits qu’il avait
commis, ajouta encore celui-ci Ă tous les autres : il fit enfermer Jean en
prison. » Jamais un péché n’est seul, il y a toujours des injustices, des
crimes et d’autres choses. Si notre peuple respire le péché, c’est précisément
à cause de toutes les méchancetés que dénonce Jean Baptiste. Hérode ajouta à toutes
ces méchancetés celle-ci : il fit arrêter Jean et le fit exécuter. Nous
connaissons déjà cette triste histoire, comment le pouvoir s’est allié au
libertinage du monde et à ses péchés pour couper la tête au prophète.
La femme d’Hérode qui haïssait le
précurseur (Mt 14,6-7) : « Or, comme Hérode célébrait son
anniversaire de naissance, la fille d’HĂ©rodiade dansa en public et plut Ă
Hérode au point qu’il s’engagea par serment à lui donner ce qu’elle
demanderait. » « Je te le donnerai même s’il s’agit de la moitié de
mon royaume. » La fille alla voir sa mère pour lui demander :
« Que vais-je lui demander? » Et c’est évident que de l’abondance du
cœur parle la bouche : « Demande-lui la tête de Jean Baptiste, elle
vaut davantage que la moitié du royaume d’Hérode. » C’est clair qu’elle
vaut plus! Elle vaut davantage que le monde entier! Elle vaut plus que tous les
pouvoirs, que tous les bals, toutes les richesses et tous les luxes! Cela vaut
plus que tout. Hérode descend dans son ignominie dans l’histoire et Jean Baptiste
est exalté, le martyr, celui qui donna sa vie pour le Seigneur. « Les
disciples allèrent recueillir sa dépouille et ils l’enterrèrent. »
24/06/79, p.26-27, VII.
Pensée qui nous conduit à l’autel
La préoccupation de Jean était la
suivante : ne pas ĂŞtre confondu avec le Christ, mais orienter les humains
vers le Christ. Frères, c’est la même préoccupation qu’a l’Église, que vous ne
demeuriez pas dans les seules revendications de la Terre, que vous ne vous
confiez pas dans des prophètes de chair qui meurent, ni même un prêtre qui
défend sa foi jusqu’à la mort ne doit être la motivation de notre engagement
dans le travail de revendication et de justice. Par-dessus tout nous devons
nous confier dans le grand Libérateur, seul le Christ peut nous rendre libres.
Jean Baptiste malgré le fait qu’il avait réussi à monopoliser toute l’attention
d’Israël qui espérait en lui une libération politique, lui aussi sut
dire : « Ce n’est pas moi, attention! Moi aussi je ne suis qu’un
homme fragile qui ne peut faire plus que baisser la tête pour qu’on me la coupe. Regardez-le,
Lui, moi je dois diminuer. Il doit croître. Je ne suis pas digne de délier les
courroies de ses sandales, c’est Lui qu’il faut suivre. 24/06/79, p.31, VII.