La Grâce, le don divin de la Pâques que l’Église distribue aux hommes

 

Cinquième dimanche de Pâques; 13 mai 1979; Lectures : Actes 9,26-31; I Jean 3,18-24;  Jean 15,1-8.

 

 

Salut au retour de Romero

 

J’ai toujours pensé que le meilleur d’un voyage c’est le retour à la maison. On apprend beaucoup, on vit des expériences nouvelles, cela enrichit la vie, mais, surtout, lorsque quelqu’un voyage comme un pèlerin et un pasteur, tout cet enrichissement, toutes ces expériences sont assimilées en fonction de la mission qui lui a été confiée. Je vous rapporte de Rome des émotions nouvelles, des impressions neuves; mon retour parmi vous est le meilleur de mon voyage. Je vous remercie que, en cette Église du Rosaire, convertie en un foyer où nous sommes réunis comme en famille, vous m’avez donné un accueil si chaleureux que pour moi cela constitue un nouveau motif de stimulation pour continuer à vivre et à partager les joies et les tristesses, les préoccupations, les tragédies, les angoisses et les espoirs de ce peuple qui est pèlerin en ce monde. […]

 

Alors que je me trouvais en Espagne m’est parvenue la nouvelle de la triste situation de notre pays. Il est pénible de se sentir reconnu à l’étranger comme quelqu’un qui vit dans un pays où la violence apparaît comme sa respiration quotidienne. On voit, à l’étranger, des versions qu’ici nous ne pouvons voir. On y a une perception plus cruelle que celle que nous avons ici à l’intérieur. Parfois, l’insensibilité de l’Europe face à l’Amérique latine nous fait mal au cœur et nous fait sentir comme latino-américains, missionnaires en Europe, comme éveilleurs de conscience de la fraternité universelle pour demander la compréhension et l’amour vis-à-vis des grandes problématiques que nous vivons. […]

 

Le monde s’illumine malgré ses tragédies et ses souffrances avec cette espérance et cette foi en la Parole de Dieu, en notre croyance et en notre espérance en Jésus-Christ qui vit et ne mourra jamais et qui a le pouvoir de sauver tous les peuples.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Qu’est-ce que la grâce?

A) Pardon du péché

B) Communion dans l’amour et dans la vérité

2) Relation entre la Grâce et l’Église : l’Église signe visible et administratrice de la Grâce

A) L’Église hiérarchique, institution

B) L’Église, Peuple de Dieu

 

 

1) Qu’est-ce que la Grâce?

 

Tâchons de comprendre ce qu’est la Grâce. Je voudrais, chers frères et chères sœurs, vous dire que lorsque vous rapportez le message d’une nouvelle homélie, de ne pas vous limiter seulement à l’aspect d’illumination de la triste réalité de notre peuple, parce qu’alors cela ressemble à un discours politique. Concentrez-vous avant tout sur le principal de mon message qui est la théologie de la Parole de Dieu. C’est la révélation contenue dans la parole divine du Seigneur qui est l’objet premier de notre réflexion de chaque dimanche en cette Église. Que ce matin, la curiosité de quelques-uns se limite à entendre ce que dit l’archevêque des tueries de cette semaine, cela n’est pas le principal. Nous allons les éclairer, mais depuis la Parole de Dieu. C’est pourquoi, même s’il n’y avait pas de descriptions de notre réalité, il sera toujours nécessaire de réfléchir sur la Parole de Dieu, car c’est la base de notre vie chrétienne.

 

 

Parole synthèse d’un grand contenu théologique.

 

J’observe, par exemple, lorsque je demande aujourd’hui, non Ă  cause du caprice d’une personne, mais parce que la Parole de Dieu nous suggère de parler de la Grâce : qu'est-ce que la grâce? C’est comme une Parole synthèse d’un grand contenu thĂ©ologique; c’est-Ă -dire qu’il est inclus dans ce mot que la thĂ©ologie a inventĂ©, un ensemble de richesses et de valeurs que le Christ dans son Évangile a voulu rĂ©pandre et distribuer Ă  pleine main. Le labeur de la thĂ©ologie est de systĂ©matiser ce mot que le Christ distribue sans aucune prĂ©occupation thĂ©ologique, sinon comme un bon Pasteur, comme nous venons de la chanter en chĹ“ur, un Pasteur qui rĂ©partit et donne Ă  son troupeau l’alimentation dont il a besoin.

 

L’Évangile d’aujourd’hui (Jn 15,1-8) en est la comparaison et la synthèse la plus exacte : la vigne et le sarment. Dans l’Évangile d’aujourd’hui apparaĂ®t le mot « Grâce Â» qui est en fait une dĂ©finition de la grâce. Lorsque le Christ compare (Jn 15,5-6) : « Je suis la vigne, vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-lĂ  porte beaucoup de fruits, car hors de moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jetĂ© dehors comme le sarment et il se dessèche; on les ramasse et on les jette au feu et ils brĂ»lent. Â» Qu’est-ce que cela signifie dans le langage du Christ?

 

 

Une très belle définition de la grâce

 

J’ai passé par les campagnes d’Europe, précisément en cette époque où débute le printemps. Un des premiers spectacles du printemps qui commence est les vignes qui bourgeonnent. En Europe, l’hiver passe, le froid est comme la mort et il a laissé sans feuille la végétation, parmi elles les vignes. Ceux qui les cultivent coupent toutes les petites branches et laissent seulement le pied, le tronc. Ces petits troncs, ces pieds ont bourgeonné maintenant. Voyez comme cela fait plaisir de voir comment la vie reprend après cette mort, car ces petites branches qui sont vertes en mai, vont pousser et s’étendre. On doit leur mettre des tuteurs sur lesquels elles vont s’appuyer parce qu’elles commencent à porter des fruits, à se remplir de grappes. Puis, au mois d’août, lorsqu’on sent bien la chaleur de l’été, on commence à recueillir les grappes de raisin.

 

Vous comprenez alors cette comparaison que fait le Christ : « Je suis le tronc qui est en terre d’oĂą provient la sève, d’oĂą sort la vigne; les branches c’est vous et si vous demeurez unis Ă  ce tronc, vous commencerez Ă  produire des grappes. Mon Père c’est l’agriculteur, Il coupera ces grappes pour qu’elles produisent davantage. Demeurez unis Ă  moi; sinon vous pĂ©rirez. Sans Moi, vous ne pouvez rien faire. Â»

 

Il ne s’agit pas de l’agir naturel, il y a de nombreux pĂ©cheurs qui font beaucoup de choses. Tous les travailleurs peuvent produire sans vivre dans la grâce de Dieu; mĂŞme Ă  un professionnel, un artiste ou un artisan peuvent ĂŞtre de bons travailleurs sans se prĂ©occuper de vivre dans la grâce du Seigneur, mais tout ce qu’ils produisent est comme un tronc dĂ©racinĂ©, la vie de la vigne n’y circule pas, ils ne sont pas unis au Christ et peuvent produire de nombreux fruits sur terre, de grandes organisations, mais ils ne produisent pas pour la vie Ă©ternelle. Lorsque le Christ affirme : « Sans Moi, vous ne pouvez rien Â», Il se rĂ©fère Ă  cet agir qui demeure pour la vie Ă©ternelle. Cet agir des gens simples qui ont vĂ©cu avec la prĂ©occupation de demeurer unis au Christ et qui Ă  l’heure de leur mort sont heureux parce que leurs mains sont remplies de fruits, de bonnes Ĺ“uvres pour la vie Ă©ternelle que personne ne peut leur enlever. Ă€ quoi cela sert-il de passer sa vie uniquement Ă  la recherche d’argent, pour ĂŞtre bien et monter politiquement, si lorsqu’on s’y attend le moins, la vie se termine? Que demeure-t-il de tout ce travail que nous avons accompli sur la Terre? Seulement demeure cette union avec Dieu.

 

 

A) Le Pardon des péchés

 

Qu’est-ce que la grâce? Dans la Parole d’aujourd’hui (Jn 15,1-8) nous rencontrons, en premier lieu, le pardon des péchés. Le grand miracle de la grâce, consiste en premier lieu en la conversion d’un homme ou d’une femme qui trouvait son plaisir, sa satisfaction dans les choses de la Terre, dans les plaisirs du vice et de la chair, dans les idolâtries de l’argent, de quelqu’un qui se fiait uniquement en la force du pouvoir politique ou de l’argent, mais arrive un moment où la vérité de Dieu lui révèle la vanité de toutes ces choses et qu’il découvre la beauté de vivre uni au Christ par la grâce et par l’amour.

 

C’est lorsque le Christ dit dans l’Évangile d’aujourd’hui (Jn 15,3) : « DĂ©jĂ  vous ĂŞtes purs grâce Ă  la Parole que je vous ai fait entendre. Â» Cela veut dire que son message nous nettoie du pĂ©chĂ©.

S’il existe une joie profonde pour celui qui prĂŞche, c’est celle d’entendre que dans le cĹ“ur d’un homme a changĂ© sa façon de vivre. Et si le Christ peut dire : « Tu es lavĂ© par les paroles que je t’ai faites entendre. Â» Si je prĂŞche, frères, ce n’est pas en cherchant autre chose que la conversion. Lorsque nous dĂ©nonçons des crimes et des injustices, nous ne recherchons pas la vengeance, ni la haine, mais la conversion du pĂ©cheur. Combien de fois avons-nous dit, puisque cela fait plusieurs fois que nous avons dĂ» dĂ©noncer ces mains remplies de sang, non pas pour demander vengeance contre elles, mais pour obtenir leur conversion : Lavez-vous dans le repentir, convertissez-vous au Seigneur! Bienheureux l’homme qui entend cette Parole avec un sincère dĂ©sir de conversion!

 

C’est cela la grâce : lorsqu’un homme sent qu’on lui enlève d’au-dessus de lui un poids Ă©norme, le poids qui l’opprimait, le poids du pĂ©chĂ©. Et je voudrais vous le dire avec cette parole que la seconde lecture (I Jn 3,18) nous mentionne aujourd’hui : « Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vĂ©ritĂ© Â»; puis il nous parle d’apaiser notre conscience, de garder les commandements, de faire la volontĂ© de Dieu. Tout cela se situe dans la ligne de la grâce, d’enlever le pĂ©chĂ© de l’homme. Tout cela est dans la ligne de la conversion et de la fĂ©licitĂ© de l’homme, qui ne peut ĂŞtre rencontrĂ©e sur la Terre dans les biens transitoires, mais dans l’amour et dans l’unitĂ© avec JĂ©sus-Christ, souche de la vie Ă©ternelle.

 

 

B) Communion dans l’amour et dans la vérité

 

C’est Ă©galement, dis-je, la communion dans l’amour et dans la vĂ©ritĂ©. Si le Christ n’avait rien fait d’autre que d’enlever le poids du pĂ©chĂ© du cĹ“ur de l’homme, cela aurait Ă©tĂ© dĂ©jĂ  beaucoup, mais Il a rĂ©alisĂ© quelque chose de plus : la grâce de Pâques. La grâce de la RĂ©demption est quelque chose de positif, non seulement a-t-Il enlevĂ© le pĂ©chĂ©, mais Il a donnĂ© Ă  l’homme quelque chose qu’il n’avait pas, l’amour et la vĂ©ritĂ©.

 

Dans la Parole d’aujourd'hui, nous rencontrons ces deux trĂ©sors lorsque le Christ dit (Jn 15,9) : « Demeurez en moi. Demeurez en mon amour. Cela est mon commandement. Â» Qu’est-ce qu’un commandement? La seconde lecture nous dit (I Jn, 3,18-24) : « Or voici mon commandement : croire au nom de son Fils JĂ©sus-Christ et nous aimer les uns les autres comme Il nous en a donnĂ© le commandement. Â» C’est ici que sont les deux aspects de la grâce. Comme vĂ©ritĂ©, croire dans le nom que le Christ nous a apportĂ©, croire dans le nom de « JĂ©sus Â» et en tout ce que ce nom implique, c’est-Ă -dire : « Ce Christ est Dieu qui est venu sur Terre. Â» Accepter son Évangile, c’est croire en tout ce qu’Il a fait et prĂŞchĂ©. C’est cela la vĂ©ritĂ© suprĂŞme, celle qui nous rend vĂ©ritablement libres et celle qui pose la base du vĂ©ritable amour; que nous nous aimions les uns les autres comme Il nous l’a commandĂ©. Il ne s’agit pas d’un amour romantique, ni sentimental. C’est un amour d’œuvres et de vĂ©ritĂ©; c’est un amour qui dĂ©possède de l’égoĂŻsme pour partager avec nous la fĂ©licitĂ© qu’Il possède; c’est un amour qui a la valeur et l’audace de pardonner jusqu’à la main qui te blesse pour dire comme le Christ : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font Â»; c’est un amour qui va jusqu’à s’identifier avec le plus odieux; c’est un amour qui ne divise pas, mais nous unit, qui pose les bases de la vĂ©ritable paix.

 

C’est cela la civilisation Ă  laquelle les Ă©vĂŞques rĂ©unis Ă  Puebla aspiraient pour toute l’AmĂ©rique latine. L’amour n’est pas faible. Plusieurs ont mis leur confiance dans la violence et dans la haine et croient qu’ainsi ils vont construire la sociĂ©tĂ©. Ils ignorent que la force vĂ©ritable ne se situe ni dans la haine, ni dans la violence : c’est de la faiblesse. La force authentique c’est l’amour et si nous n’avons pas vu se rĂ©aliser une transformation de notre sociĂ©tĂ© par l’amour, c’est parce que nous n’avons pas encore vraiment essayĂ© la force de l’amour. Nous voudrions la voir se rĂ©aliser sans y contribuer nous-mĂŞmes.

 

 

Amour et Vérité

 

On parle beaucoup de liberté, cette parole est très jolie et elle est très désirée à notre époque, cependant, dans la nouvelle encyclique de Jean-Paul II, ce dernier cherche à unir ce concept de liberté, de droits humains, avec celui de la vérité.

 

« JĂ©sus-Christ, dit le Pape, vient Ă  la rencontre de l’homme de tous les temps, et Ă  notre Ă©poque Ă©galement, avec les mĂŞmes paroles : “Vous connaĂ®trez la vĂ©ritĂ© et la vĂ©ritĂ© vous rendra libre.” Ces paroles contiennent une exigence fondamentale et au mĂŞme moment un avertissement : les exigences d’une relation honnĂŞte envers la vĂ©ritĂ©, comme prĂ©alable d’une authentique libertĂ©; et l’avertissement en plus, d’éviter les libertĂ©s d’apparences superficielles et unilatĂ©rales, n’importe quelle libertĂ© qui n’approfondit pas toute la vĂ©ritĂ© sur l’être humain et sur le monde. Aujourd’hui Ă©galement, après deux mille ans, le Christ nous apparaĂ®t comme Celui qui apporte Ă  l’humain la libertĂ© fondĂ©e sur la vĂ©ritĂ©, comme celle qui libère l’homme de ce qui le limite, le diminue et qui dĂ©truit presque sa libertĂ© dans ses racines mĂŞme, dans l’âme de l’homme, dans son cĹ“ur et dans sa conscience. Quelle excellente confirmation de ce qu’ont donnĂ© et ne cessent de donner ceux qui, grâce au Christ JĂ©sus-Christ, ont atteint la vĂ©ritable libertĂ© et l’ont manifestĂ© jusque dans des conditions de contritions extĂ©rieures. Â»

 

Le Pape mentionne comment le Christ, au cours de tant de siècles, en commençant par les apĂ´tres, a comparu en compagnie des hommes qui ont Ă©tĂ© jugĂ©s Ă  cause de la vĂ©ritĂ©. Cesserait-Il par hasard d’être continuellement le porte-voix et l’avocat de l’homme qui vit en esprit et en vĂ©ritĂ©? Que ce soit lĂ  une parole d’encouragement pour qu’en cette ambiance de mensonge, de distorsion, de falsification, nous sachions que par lĂ  on ne respire pas la libertĂ©. La libertĂ© doit ĂŞtre ce que vient de nous dire le Pape : « Le produit de la vĂ©ritĂ©. Â» Le Christ ira avec l’homme de vĂ©ritĂ©, mĂŞme lorsqu’il sera amenĂ© devant les tribunaux, mĂŞme comme lorsque face Ă  Ponce Pilate, on lui demandera : « Qu’est-ce que la vĂ©ritĂ©? Â» Il dit : « C’est pour cela que Je suis nĂ©, pour rendre tĂ©moignage de la vĂ©ritĂ©. Â» Le Christ accompagne toutes les vicissitudes de la vĂ©ritĂ©. C’est pourquoi la grâce est vĂ©ritĂ©. Communiez Ă  la vĂ©ritĂ© que le Seigneur nous a rĂ©vĂ©lĂ©e, communiez surtout avec l’amour que Dieu nous a rĂ©vĂ©lĂ© par son Fils JĂ©sus-Christ.

 

« Voyez, dit l’Évangile, Dieu a tant aimĂ© le monde qu’Il lui a donnĂ© son propre Fils pour que le monde par Lui soit sauvĂ©. Â» Et ce Christ, envoyĂ© par le Père comme tĂ©moin de l’amour, nous dit tous les jours et Il va nous le redire dans quelques instants : « Prenez et mangez, ceci est mon corps, ceci est mon sang qui a Ă©tĂ© versĂ© pour vous. Je suis celui qui me livre pour la vie de mes frères et la gloire de mon Père. Â» C’est cela l’amour! Aimer c’est se donner, aimer c’est se livrer sans rĂ©serve, aimer c’est vouloir sans Ă©goĂŻsme, aimer c’est ne pas exploiter, mais servir, aimer c’est tout ce que nous enseigne la religion. Communier avec l’amour que Dieu a eu pour le monde en nous envoyant son Fils, c’est cela la grâce.

 

Que nous nous aimions les uns les autres comme Dieu nous a aimés, c’est cela le commandement nouveau de la loi chrétienne et c’est cela la grâce. C’est pourquoi lorsqu’il est question de béatifier une personne, on examine son amour. L’amour c’est la sainteté et la mesure de la sainteté. Si un homme sait se déprendre de soi-même et aimer, il est saint. Si un homme parle beaucoup de sainteté, mais qu’il ne sait pas aimer, il ne l’est pas.

 

Regardons-nous Ă  la lumière de cette vĂ©ritĂ©, avec laquelle on nous examinera au soir de notre vie, comme dit saint Jean de la Croix : « Au soir de la vie, on t’examinera sur ton amour. Â» Si tu passes cet examen, tu te sauveras et tu seras saint dans la mesure oĂą l’on t’approuve. Puisse Dieu qu’avec une excellente note, avec un dix, nous passions l’examen de l’amour. Mais si on ne te trouve pas valide en amour, tu n’entreras pas dans le Royaume des cieux. Celui qui haĂŻt, mĂŞme s’il a luttĂ© toute sa vie pour les revendications de la Terre, ne construit pas la vĂ©ritable libertĂ© – libertĂ©s d’apparences, comme dit le Pape. La vĂ©ritable libertĂ© est fondĂ©e dans la vĂ©ritĂ© et dans l’amour. C’est la communion avec le Seigneur Ă  laquelle nous invite le Christ lorsqu’Il dit : « Demeurez unis comme la vigne et le sarment. Â» 13/05/79, p.330-334, VI.

 

 

2) Relations entre la Grâce et l’Église : l’Église signe visible et administratrice de la grâce

 

Paul suspect… sa sĂ©curitĂ© : sa vocation… et sa communion avec l’Église.

 

Je voudrais me concentrer ici sur la première lecture (Ac 9,26-31). Quelle prĂ©cieuse description de Paul, persĂ©cuteur! C’est pourquoi il apparaĂ®t encore suspect aux premières communautĂ©s ecclĂ©siales. Il arrive Ă  JĂ©rusalem et on se mĂ©fie de lui, nous dit le livre des Actes des ApĂ´tres. MĂŞme s’il a parlĂ© avec le Christ et s’il a dĂ©jĂ  prophĂ©tisĂ© le nom du Seigneur avec d’autres paĂŻens, il doit aller Ă  JĂ©rusalem pour ĂŞtre confrontĂ© Ă  saint Pierre et aux apĂ´tres. C’est seulement après avoir confrontĂ© sa prĂ©dication et sa doctrine avec les piliers de l’Église qu’il est admis comme « prĂ©dicateur Â», il appartient dès lors Ă  la hiĂ©rarchie du christianisme. Depuis ce moment il souffrit la persĂ©cution des vĂ©ritables prĂ©dicateurs. Certains philosophes grecs tentèrent de l’éliminer. C’est le sort de tous ceux qui vont prĂŞcher le nom de JĂ©sus. On tenta de l’éliminer, on complota contre lui, mais les chrĂ©tiens l’envoyèrent alors ailleurs. Fuir ce n’est pas de la lâchetĂ© lorsque l’on peut ĂŞtre utile en d’autres lieux. Paul commence Ă  prĂŞcher la grande doctrine qui l’a rendu si saint et si fameux : celle de la libertĂ© du Christ Notre Seigneur.

 

 

A) L’Église hiérarchique, institution

 

Mais ici nous avons deux choses dans la lecture d’aujourd’hui : premièrement, une connexion avec la hiĂ©rarchie. Paul, malgrĂ© le fait qu’il porte dĂ©jĂ  dans son cĹ“ur la vocation, qu’il ait vu le Christ, il va raconter aux apĂ´tres comment il avait parlĂ© avec le Christ ressuscitĂ© lors de sa chute sur le chemin de Damas. Il sait qu’il prĂŞche le Christ, qu’il a parlĂ© avec Lui et cependant, Il sait qu’il a besoin d’être confrontĂ© avec ceux que le Christ a placĂ©s pour ĂŞtre les gardiens de sa rĂ©vĂ©lation pour que cette vocation du Christ soit connectĂ©e avec la mission des apĂ´tres. Paul devient alors un « apĂ´tre Â», un Ă©vĂŞque, un prĂ©dicateur de l’Église chrĂ©tienne. C’est ce dont nous avons tous besoin, nous qui prĂŞchons, une vocation dans laquelle nous sentons l’appel du Christ. Mais cela ne suffit pas, il nous faut Ă©galement une confirmation hiĂ©rarchique qui nous unit au magistère autorisĂ© de l’Église.

 

 

Ma visite au Pape

 

C’est ce que je viens de vivre pour ma part la semaine dernière lorsque le Saint-Père a eu la bontĂ© de me recevoir en audience privĂ©e. Entendre de ses lèvres mĂŞme la consolation qu’il me dit : « Je comprends que l’ambiance oĂą vous devez porter votre pastorale est extrĂŞmement difficile. Â»

 

Il me donna, naturellement, les orientations, les conseils qu’un Chef SuprĂŞme de l’Église doit donner Ă  un collaborateur dans une situation difficile : « Prudence, faites très attention; mais de l’audace Ă©galement, la dĂ©nonciation lorsqu’il s’agit de cas très graves. Â»

L’Église doit accomplir ce devoir d’accompagner le pauvre, d’être la voix de ceux qui n’ont pas de voix; mais précisément, pour ne pas se brûler dans cette mission, le Pape a la prudence de conseiller le soin de maintenir toujours cette autorité de l’Église. Et à plusieurs reprises il fit la comparaison entre ma situation pastorale et celle qu’il vécut en Pologne.

 

« La situation Ă©tait très difficile en Pologne, oĂą le gouvernement n’est pas non plus un grand collaborateur de l’Église. Celle-ci doit aussi esquiver les difficultĂ©s pour apporter le message du Christ aux cĹ“urs des hommes et des femmes. Â»

 

Il parla beaucoup de vous. Très chers frères, comme le Pape s’efforce d’aimer et d’écouter, au travers de ses évêques, la voix de tout son peuple! Un geste qui demeurera à jamais gravé dans ma mémoire est l’attention avec laquelle le Pape Jean-Paul II m’écoutait. Lorsqu’il terminait ses phrases et que je commençais à parler, il mettait toute son attention, physiquement son corps s’inclinait pour écouter attentivement, comme pour comprendre. Je comprends de lui, qui fut extrait de son environnement polonais pour une charge si difficile comme est celle du Pasteur du monde entier, sans avoir connu auparavant l’expérience de la curie romaine, du travail universel, qu’il est maintenant très attentionné pour écouter les divers horizons du monde pour pouvoir être le Pasteur de tous.

 

En rĂ©sumĂ©, ce moment est celui que la Bible nous rapporte aujourd’hui : « Paul monte Ă  JĂ©rusalem pour parler Ă  Pierre… Â» C’est aussi ce qui se rĂ©alise en mon humble personne, en allant Ă  Rome pour parler avec le nouveau Pape. Cela dut ĂŞtre de mĂŞme pour saint Paul. Nous devons souffrir, nous devons ĂŞtre mal interprĂ©tĂ©s, nous devons nous affronter avec audace Ă  des situations très difficiles, mais nous allons unis dans cette communion qui nous connecte avec celui qui a Ă©tĂ© placĂ© pour ĂŞtre l’authenticitĂ© de la doctrine que le Christ a apportĂ©e au monde.

 

 

B) L’Église, Peuple de Dieu

 

Mais il existe un autre pĂ´le et je voudrais souligner ceci : c’est vous! Comme se termine joliment la lecture d’aujourd’hui! (Ac 9,31) : « Les Églises s’édifiaient et vivaient dans la crainte du Seigneur, et elles Ă©taient comblĂ©es de la consolation du Saint-Esprit. Â» Croyez-moi, j’accomplis maintenant le devoir de vous dire que je me suis senti très fier de mon Archidiocèse lorsque j’ai parcouru des lieux si divers, parce que partout on parle de nous et l’on veut connaĂ®tre l’expĂ©rience de notre Église. En Europe, lorsque j’étais auprès de la tombe du Père Claret, lĂ  Ă  Vich, près de Barcelone, un père ClarĂ©tien m’a rappelĂ© que le Père Claret fut Ă©vĂŞque de Santiago de Cuba et qu’après il rentra en Espagne, oĂą il fonda la congrĂ©gation des ClarĂ©tiens. Celui-ci disait de l’AmĂ©rique qu’elle est la vigne nouvelle et que l’Europe est la vieille vigne. Et il plaçait toutes ses illusions et son espĂ©rance en cette AmĂ©rique oĂą arrivèrent bientĂ´t ses missionnaires.

 

Et maintenant que nous parlons de la vigne, de la branche et des sarments, lorsque le livre des Actes des ApĂ´tres nous dit que l’Église du peuple croissait en ferveur, en fidĂ©litĂ© au Seigneur, poussĂ©e par la force de l’Esprit saint, je crois, mes frères, que nous ne courons pas ce risque politique ou, s’il existe, faisons très attention, comme le Pape s’efforça de le dĂ©masquer dans son discours de Puebla : « Faites très attention, dit le Pape, lorsque vous parlez de l’Église du Peuple, parce que nous ne pouvons pas la convertir en une dĂ©mocratie Â», comme si le peuple Ă©tait celui qui dispose et les ministres, les prĂŞtres, doivent faire ce que le peuple nous commande. Ce n’est pas cela! Si cela Ă©tait, il s’agirait d’une vision erronĂ©e de l’Église. Mais l’Église Ă  laquelle nous nous rĂ©fĂ©rons est celle des Actes des ApĂ´tres. L’Église qui croĂ®t dans le Seigneur et sous l’impulsion de l’Esprit saint, c’est cela notre Église : prĂŞtres, religieuses, laĂŻcs, communautĂ©s du peuple et des cantons qui tentent d’alimenter leur mĂ©ditation de la Parole du Seigneur.

 

Je grandis dans ma fidĂ©litĂ© au Seigneur et c’est pourquoi j’insiste, comme le Pape le fit avec les Ă©vĂŞques Ă  Puebla : il existe un grand risque de convertir l’Église en un groupe politique, car ainsi nous la perdrons, mais lorsque l’Église maintient sa fidĂ©litĂ© au Seigneur et que sous l’impulsion de l’Esprit saint, elle illumine et participe aux rĂ©alitĂ©s politiques, alors elle est l’Église dont notre temps a besoin.

Ce n’est pas une Église qui, pour demeurer fidèle au Seigneur et sous l’impulsion de l’Esprit, doit renoncer aux réalités de la Terre. Cela serait une désincarnation, cela serait l’opium du peuple, cela serait une religion aliénante et, par disgrâce, il y en a plusieurs qui croient encore en une telle piété, sans engagements. Mais sachons équilibrer ce peuple, surtout, notre peuple si angoissé, si problématique, qui a tant besoin de justes revendications. Il doit rencontrer dans le ferment de l’Évangile et de ses chrétiens, la force qui le transforme et qui transformera le chrétien qui s’engage en politique dans la mesure où il sera fidèle au Seigneur et se maintiendra sous l’impulsion de l’Esprit saint. Dans sa propre vocation, chaque homme doit être un messager de l’Esprit et du Seigneur pour transformer la société où il vit.

 

C’est à cette Église que je rêve! C’est l’archidiocèse que je demande au Seigneur! Un peuple qui va croissant dans la fidélité au Seigneur et qui se laisse guider par l’impulsion de l’Esprit saint. L’Église ne veut pas être une force d’opposition politique; jamais! Jamais je ne l’ai dit, ni ne le dirai! L’Église ne veut pas être un parti de subversion, ni ne le sera jamais, elle ne peut l’être! Si l’Église bouleverse, si l’Église inquiète, si L’Église est taxée de marxiste, de politique, de communiste, tout cela fait parti du camp de la calomnie de la part de ceux qui ne supportent pas qu’il y ait une Église qui depuis sa fidélité au Seigneur et sous l’impulsion de l’Esprit, dénonce toutes les injustices qui se commettent dans n’importe quel secteur de l’humanité. C’est cela, l’Église que nous devons construire.

 

Je vous invite, tous les dimanches, à ce que nous construisons cette véritable Église fidèle au Seigneur et qui se laisse guidé par l’impulsion de l’Esprit saint. C’est pourquoi je dis que l’Église, qui est ce peuple de Dieu, donne aussi aux pasteurs, la garantie de proclamer la véritable foi que le Christ nous a révélée. Depuis cette perspective de l’Église, nous regardons les perspectives du monde. 13/05/79, p.334-337, VI.