Le carĂȘme, Appel Ă la vĂ©ritable
réconciliation
QuatriĂšme dimanche du carĂȘme; 25 mars
1979; Lectures : II Chroniques 36,14-16,19-23; ĂphĂ©siens 2,4-10; Jean
3,14-21.
Un carĂȘme bien vĂ©cu peut ĂȘtre le
Salut de notre peuple. Câest pour cela que nous cĂ©lĂ©brons ce quatriĂšme dimanche
du carĂȘme avec une nouvelle espĂ©rance. Lorsque tout semble perdu, lâEsprit de
Dieu flotte autour de nous : sa Parole nous interpelle et nous donne des
orientations qui sont vĂ©ritablement notre Salut. [âŠ]
Nâoublions pas que le carĂȘme est un
chemin vers PĂąques, la perspective du carĂȘme est le Christ ressuscitĂ© nous
offrant une vie nouvelle. Le Christ qui, aprÚs avoir payé avec sa Croix, avec
sa passion, les misĂšres de lâhumain et du peuple, nous offre une vie meilleure.
Ne le déprécions pas! Sur ce chemin vers Pùques, obéissons-lui!
Non pas au travers dâun moralisme
froid, mais en nous incorporant au mystĂšre pascal : individuel et social.
Le Concile Vatican II, lâĂglise
actuelle dit : « Câest la personne humaine quâil faut sauver, câest
la sociĂ©tĂ© humaine quâil faut rĂ©nover. Câest, par consĂ©quent, lâĂȘtre humain,
mais lâhumain tout entier, corps et Ăąme, cĆur et conscience, intelligence et
volonté⊠» Qui ne se sent pas enveloppĂ© dâune grande espĂ©rance en tant que
personne, famille et peuple? Dieu nous offre le Salut pendant ce carĂȘme. Non
seulement une loi comme celle que nous avons méditée dimanche dernier : un
moralisme; câest surtout un amour. Qui ne sâengage pas par amour?
Lâamour du Christ qui donna sa vie
pour moi est la meilleure motivation pour vivre saintement, pour rendre grĂące
au Christ. Ah! Si nous nous laissions tous entraĂźner par cet amour qui se livra
pour nous. Dans les lectures dâaujourdâhui, câest lâamour de Dieu qui nous
appelle depuis quatre dimanches avec de nouvelles modalitĂ©s, qui nous appelle Ă
la réconciliation.
Plan de lâhomĂ©lie :
1) Babylone, symbole de lâAlliance
brisée et de la Réconciliation
2) La RĂ©conciliation avec Dieu dans
le Christ (ThĂ©ologie de lâHistoire)
3) Le baptĂȘme et la confession,
chemins de la réconciliation
1) Babylone, symbole de lâAlliance
brisée et de la Réconciliation
A) Raccord avec les homélies des
dimanches antĂ©rieurs : Histoire de lâAlliance : NoĂ©, Abraham, MoĂŻse
(la loi : religion mosaĂŻque).
Je voudrais, mes frĂšres, que nous ne
sĂ©parions pas les dimanches du carĂȘme que nous mĂ©ditons. LâĂglise nous a
proposĂ© les faits marquants, les points de repĂšre de lâHistoire de notre Salut.
Ainsi le premier dimanche nous parla de NoĂ©, de lâarc-en-ciel qui est un appel
de Dieu afin que nous fassions bon usage de la nature pour la conserver, pour
ne pas abuser dâelle, pour que les biens que Dieu nous a donnĂ©s par la
CrĂ©ation, parviennent de façon Ă©quitable entre les mains de tous. Câest une
rĂ©conciliation cosmique, une alliance de lâhomme avec lâunivers comme
lâarc-en-ciel qui embrasse notre Terre dâun point Ă lâautre.
Le second dimanche, nous ne faisons
déjà plus référence à la nature dans son ensemble, mais à un peuple
choisi : Alliance de Dieu avec Abraham. De ce vieil homme, sans fils, Dieu
fait sortir miraculeusement un peuple aussi nombreux que les Ă©toiles du ciel et
les grains de sable de la mer.
La foi dâAbraham est le modĂšle de tous ceux qui veulent faire
alliance avec Dieu, la foi qui se livre et qui croit contre toute espérance.
Comme nous avons besoin de ce second chapitre de notre carĂȘme de 1979 :
une foi comme celle dâAbraham!
Le troisiĂšme chapitre de notre
histoire en ce carĂȘme a Ă©tĂ© MoĂŻse. Dimanche dernier, MoĂŻse sur le SinaĂŻ, ce
nâest plus seulement Abraham avec une promesse dâun grand peuple, câest dĂ©jĂ la rĂ©alitĂ©. Quatre
siÚcles ont passé et Abraham est représenté par cette multitude qui marche vers
la Terre promise; en tant que peuple, il doit faire une Alliance avec Dieu, il
doit rĂ©pondre Ă tant de privilĂšges que Dieu a rĂ©alisĂ©s pour lui au dĂ©sert et, Ă
travers toute son histoire, la rĂ©ponse doit ĂȘtre lâaccomplissement du
Décalogue, de ces dix paroles, de ces Dix Commandements. Dieu y a résumé toutes
les relations des humains avec Lui et des humains entre eux. LâAlliance possĂšde
sa loi et, Ă partir de ce moment, commence une nouvelle phase dans lâHistoire
du Salut qui se nomme lâĂre MosaĂŻque, qui provient de MoĂŻse. Cette Ăre apporte
ses propres caractéristiques et orientations à un peuple duquel saint Paul
dira : « La loi ne suffit pas, la Loi peut ĂȘtre lettre morte, cette
Loi vaut seulement parce quâelle porte en elle une promesse dâun homme
rĂ©dempteur. Câest le Christ qui donne son vĂ©ritable sens Ă la Loi. »
25/03/79, p.224-225, VI.
B) Le pĂ©chĂ© qui rompt lâAlliance
Mais en ce temps mosaĂŻque, en ce
temps de la Loi qui comprend plusieurs siĂšcles, plusieurs choses vont se
produire, certaines trĂšs bonnes, dâautres trĂšs mauvaises. Câest ainsi que les
Saintes Ăcritures nous amĂšnent aujourdâhui en cet autre point marquant de
lâHistoire : Babylone. Quâest-ce que Babylone? La rupture de lâAlliance,
câest un peuple qui sâest attirĂ© le chĂątiment de la dĂ©portation pour nâĂȘtre pas
demeurĂ© fidĂšle Ă Dieu, câest un peuple accablĂ©, quasi dĂ©sespĂ©rĂ©, un peuple pour
qui il semble que Dieu nâexiste plus. Et cependant, Ă ce peuple dĂ©couragĂ©,
brisĂ©, les prophĂštes annoncent espĂ©rance et Salut. Câest pourquoi, Babylone,
bien quâelle soit la figure dâun peuple qui a abandonnĂ© son Dieu et qui est
chĂątiĂ©, câest Ă©galement la figure dâun peuple qui va se relever. Pour nous, ce
langage est au plus haut point intĂ©ressant. Plusieurs affirment quâau Salvador,
il nâexiste pas de solution. Qui va croire en lâamour? Chemins de
violence : séquestrations, haines, crimes, répressions! Comment nous a
crĂ©Ă©s le Seigneur pour que nous ne puissions nous entendre quâĂ coups de bĂąton?
Dieu nous a crĂ©Ă©s Ă lâimage de son amour et mĂȘme lorsque lâatmosphĂšre devient
violente, ce nâest pas ce que Dieu veut. 25/03/79, p.225, VI.
Ils multipliÚrent leurs infidélités.
Sur Babylone brillaient lâamour et
lâespĂ©rance. Câest pourquoi il apparaĂźt nĂ©cessaire de reconnaĂźtre comme le
faisait la premiÚre lecture (2 Cr 36,14-16,19-23) : « Le péché rompt
lâAlliance ». Combien terrible apparaĂźt lâauteur du Livre des Chroniques!
Les Chroniques sont un livre qui fut Ă©crit comme pour combler certains vides Ă
lâintĂ©rieur des livres historiques. On y fait la narration de certains
Ă©vĂ©nements, certains y sont amplifiĂ©s ou diminuĂ©s en dâautres endroits. Avec
quelle franchise y dĂ©crit-on la situation de cette heure mosaĂŻque oĂč les
dirigeants civils et spirituels du peuple firent de la religion un légalisme
jusquâĂ lâhypocrisie, celle que va fustiger JĂ©sus-Christ lorsquâIl viendra.
Ainsi dit-on dans la premiÚre lecture (2 Ch 36,14-16) : « Tous les
chefs des prĂȘtres et le peuple multipliĂšrent les infidĂ©litĂ©s⊠ils souillĂšrent
le Temple que YahvĂ© sâĂ©tait consacrĂ© Ă JĂ©rusalem. YahvĂ©, le Dieu de leurs
pĂšres, leur envoya, sans se lasser, des messagers, car Il voulait Ă©pargner son
peuple et sa Demeure. Mais ils tournaient en dérision les envoyés de Dieu, ils
mĂ©prisaient ses paroles, ils se moquaient de ses prophĂštes. » Câest ce que
fit le peuple Ă©lu de Dieu, câest ainsi quâils rĂ©pondirent Ă lâAlliance de
lâAmour : avec mĂ©pris, par le pĂ©chĂ©.
Dans les autres lectures
dâaujourdâhui, apparaĂźt aussi cette triste situation de lâhomme avec Dieu.
LâĂvangile dit (Jn 3,19) par la bouche du Christ : « Les hommes
prĂ©fĂšrent les tĂ©nĂšbres Ă la lumiĂšre afin de ne pas ĂȘtre accusĂ©s par leurs
Ćuvres. »
Saint Paul, dans la seconde lecture
(Ep 2,5), décrit une figure davantage tragique : « Nous étions morts
par nos pĂ©chĂ©s. » Ce sont lĂ des traits noirs de lâHistoire des ĂȘtres
humains, Dieu nous a donné une loi pour nous sauver. Il nous a donné des
prophĂštes pour nous orienter. Il nous a donnĂ© lâamour, nous crĂ©ant par amour,
réalisant les alliances du Salut. Les hommes, tournant le dos, rompirent
lâAlliance en dĂ©sobĂ©issant Ă Dieu, croyant davantage dans les tĂ©nĂšbres, la
rĂ©pression, les idoles de lâargent, lâidole politique, tout sauf en Dieu. Ici,
Dieu nâentre pas! Câest cela, le pĂ©chĂ© : ils prĂ©fĂ©rĂšrent rechercher par
leurs propres chemins le bonheur que Dieu leur indiquait par lâunique chemin.
Quand allons-nous comprendre, mes
chers frĂšres â moi le premier, pĂ©cheur entre vous tous â, que ce ne sont pas
nos caprices qui vont nous donner la solution du véritable bonheur? Quand
allons-nous comprendre que seulement Toi Seigneur, possĂšdes les Paroles de la
Vie Ăternelle? Il nâest jamais trop tard pour lâamour de Dieu, mais Dieu, dit
la premiĂšre lecture (2 Cr 36,16) : « jusquâĂ ce quâil nây ait plus de
remÚde. » 25/03/79, p.225-226, VI.
C) Le ChĂątiment
Destruction de Jérusalem⊠déportation,
hommes qui sont les fléaux de Dieu.
Alors sâest produite la revanche de
Dieu. Quelle chose plus terrible que lorsque Dieu se sert de certains hommes,
non pas pour ĂȘtre la bĂ©nĂ©diction du peuple, mais pour ĂȘtre son chĂątiment.
Nabuchodonosor est la figure de lâhomme ou lâinstrument que Dieu a choisi pour
humilier, pour faire passer sa botte sanguinaire sur ce peuple. Nâallez pas
penser que la rĂ©pression, la torture, lâoutrage pour lâargent, lâexploitation
de lâhomme par lâhomme sont seulement lâĆuvre de Dieu. Dieu choisit ces hommes
comme des fouets de lâhumanitĂ©. Pauvres de vous, parce que vous croyez
triompher, comme au fouet il semble quâil triomphe alors quâil chĂątie, mais
vient lâheure oĂč, dit la Bible, le fouet est jetĂ© au feu. Mais, quel triste rĂŽle
dans lâHistoire que dâĂȘtre un homme-flĂ©au!
Que firent ces hommes-fléaux sous le
commandement de Nabuchodonosor sur la terre pĂ©cheresse de Dieu? Ăcoutez bien
cette page dâaujourdâhui (2 Chr 36,19-20) : « On brĂ»la le Temple de
Dieu, on abattit les murailles de JĂ©rusalem, on incendia tous ses palais et
lâon dĂ©truisit tous ses objets prĂ©cieux. Puis Nabuchodonosor dĂ©porta Ă Babylone
le reste Ă©chappĂ© Ă lâĂ©pĂ©e; ils durent le servir ainsi que ses fils jusquâĂ
lâĂ©tablissement du royaume perse. »
Prenons conscience que cette heure
terrible du chĂątiment est lâheure quâest en train de vivre le Salvador. Câest
lâheure des contremaĂźtres et de ceux qui imposent leurs caprices, de ceux qui
font des lois, de ceux qui se croient propriétaires de la vie et des grands
domaines. Malheureux, vous ignorez que vous ĂȘtes les flĂ©aux de Dieu! Câest
lâheure Ă laquelle Dieu nous accable et surgit alors du cĆur de lâhomme, de la
femme, cette plainte : « Est-ce que Dieu existe? » Parce quâen
plus, nous pouvons voir que ceux qui sont heureux présentement, ce ne sont pas
ceux qui adorent Dieu, mais ceux qui sont Ă genoux devant leurs idoles. Nous
croyons alors que lâargent est plus puissant que le Dieu vĂ©ritable, que le
pouvoir des despotes est plus grand que celui de lâHomme qui sauve, qui est le
Dieu véritable qui nous aime. Vient alors la tentation du désespoir, comme dit
le Pape (Jean-Paul II) en parlant de la violence : « La tentation de
la violence ». Plusieurs sont tombés dans cette tentation : ceux qui
croient quâils vont trouver la solution aux problĂšmes du pays par des chemins
de sang et de haine. Il nây aura pas dâissue tant que lâon ensanglantera, tant
quâil y aura des gens qui souffriront Ă cause de la torture, tant quâil y aura
des familles qui pleurent Ă cause de lâoutrage des pouvoirs. Câest Dieu qui se
prĂ©vaut de ces Ă©vĂ©nements pour chĂątier comme avec un fouet, mais ce nâest pas
lĂ sa derniĂšre parole. 25/03/79 p.226-227, VI.
D) Dans le second Exode nous voyons
poindre la réconciliation
Câest alors quâarrive la derniĂšre
parole, câest Dieu qui recommence Ă parler. Nous voyons dĂ©jĂ poindre dans les
paroles de la premiĂšre lecture (2 Chr 36,14-23) une RĂ©demption qui, dans la
seconde lecture (Eph 2,4-10) et dans lâĂvangile (Jn 3,14-21), apparaĂźt comme le
soleil à son zénith. Une chose prodigieuse, un roi de Perse qui se nomme Cyrus
II, Ă qui ont Ă©tĂ© rapportĂ©es les cruautĂ©s de Babylone. Il est lâinstrument de
Dieu; on lâappelle aussi lâOint de Dieu. Comme cela dut scandaliser les juifs
hypocrites qui nâobĂ©irent pas Ă Dieu, quâun homme non juif, un paĂŻen, fut
appelĂ© par lâEsprit de Dieu : lâOint de Dieu. Câest un ĂȘtre mystĂ©rieux et
la seconde lecture nous dit sur ce Cyrus, Roi de Perse (2 Chr 36,22-23) :
« Pour accomplir la Parole de Yahvé prononcée par Jérémie, Yahvé éveilla
lâesprit de Cyrus, roi de Perse, qui fit proclamer â et mĂȘme afficher â dans
tout son royaume : âAinsi parle Cyrus, roi de Perse : YahvĂ©, le Dieu
du ciel, mâa remis tous les royaumes de la Terre; câest Lui qui mâa chargĂ© de
lui bĂątir un Temple Ă JĂ©rusalem, en Juda. Quiconque, parmi vous, fait partie de
son peuple, que son Dieu soit avec lui et quâil monte!â » Quelles paroles
libĂ©ratrices plus belles, lorsquâun paĂŻen possĂšde souvent davantage de
misĂ©ricorde que les coreligionnaires eux-mĂȘmes.
Dans le Psaume que nous avons tous
proclamĂ© aujourdâhui, nous avons fait mention du Psaume 136 : le psaume
des israélites en captivité à Babylone. Nous pourrions avoir ce psaume comme
hymne national, ce psaume de libertĂ©. Dâune libertĂ© semblable Ă celle du
quetzal guatĂ©maltĂšque dont on dit quâil ne peut vivre emprisonnĂ©, car il se
laisse mourir. Les Juifs, enchaßnés ensemble sur les berges des fleuves de
Babylone, entendaient leurs ennemis, leurs contremaĂźtres leur dirent :
« Chantez-nous quelque chose de votre religion en Judée. » Et les
Juifs disaient : « Comment pourrions-nous chanter sur cette terre
Ă©trangĂšre! Que lâon nous colle la langue au palais si nous chantons avec joie
dans la déportation! » Ils soupiraient de revoir leur patrie, ils
aspiraient de voir lâheure de leur retour, ils pleuraient sur leurs pĂ©chĂ©s pour
lesquels ils avaient Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s. Et lâheure arriva lorsquâun roi paĂŻen,
inspiré de Dieu, proclama cet édit : « La captivité est terminée, si
quelquâun se sent attachĂ© Ă ce Dieu, quâil monte Ă JĂ©rusalem, les frontiĂšres
sont ouvertes, allez-y. » On les accompagna mĂȘme pour aller reconstruire
le temple que les fléaux de Dieu avaient détruit.
Observez comment Dieu se sert des
hommes pour chĂątier et pour libĂ©rer. Le Dieu de lâHistoire joue avec
lâHistoire. Ce ne sont pas les ĂȘtres humains qui font leurs caprices, câest
Dieu qui se sert des mauvaises intentions humaines pour punir les peuples
horriblement avec les chĂątiments de lâEnfer. Câest Dieu qui se prĂ©vaut des
hommes, mĂȘme sâils sont paĂŻens, mĂȘme sâils nâont pas la foi chrĂ©tienne. Ces
hommes sont les instruments de Dieu pour sauver, pour donner de lâamour, pour
donner courage, pour donner espérance!
Que voudrions-nous ĂȘtre, mes frĂšres,
en cette heure du peuple salvadorien : flĂ©au ou espĂ©rance? LâĂglise se
rĂ©jouit dâĂȘtre lâespĂ©rance du peuple, ainsi quâelle dĂ©plore et reproche ces
actes des flĂ©aux des despotes de notre peuple. LâĂglise est la voix du prophĂšte
au milieu du désert. Babylone est la représentation de tous les peuples. Quel
peuple nâa pas pĂ©chĂ©? Soyons humbles et reconnaissons ce que dit la premiĂšre
lecture (2 Cr 36,14) : « Les chefs des prĂȘtres et le peuple
multipliĂšrent leurs infidĂ©litĂ©s. » Câest ici quâest lâexplication. Câest
pourquoi je vous disais quâen ce carĂȘme, commençant par nous-mĂȘmes, les prĂȘtres
et vous tous, le peuple, convertissons-nous en vĂ©ritĂ©, entendons comme lâon
entend dans la dĂ©portation lâappel de la patrie, alors nous rencontrerons ce
Salut auquel nous aspirons. 25/03/79, p.227-228, VI.
2) La RĂ©conciliation avec Dieu dans
le Christ (ThĂ©ologie de lâHistoire)
A) Tout provient de lâamour du PĂšre
Câest comme un drame en trois actes.
Tout commence dans lâamour de Dieu. Tout atteint sa rĂ©alisation dans le
sacrifice du Christ et tout devient mien par ma foi. Dieu, le Christ, chacun dâentre
nous, est le chemin de la vĂ©ritable rĂ©conciliation. Tout provient de lâamour de
Dieu. Nous avons déjà vu dans la premiÚre lecture (2 Chr 36,14-23) que ce fut
le Seigneur qui ouvrit lâesprit de Cyrus. Dieu est celui qui inspire les gestes
dâamour, mĂȘme dans les coeurs qui nâont pas la foi. Combien de fois,
mes frÚres, les non chrétiens ont-ils eu plus de miséricorde que nous tous
parce que Dieu les a inspirĂ©s en ce sens de Salut et dâamour. Mais cette
inspiration que Dieu donna à Cyrus, roi de Perse, sous une forme mystérieuse et
prophĂ©tique, se prĂ©sente aujourdâhui sans visage. Elle se prĂ©sente face Ă face,
dirions-nous, dans la Révélation du Nouveau Testament.
Avec quelle tendresse devons-nous
recevoir aujourdâhui ces paroles de saint Paul aux ĂphĂ©siens (2,4) :
« Dieu, qui est riche en miséricorde à cause du grand amour dont Il nous a
aimĂ©s⊠», câest de lĂ que tout provient. Ce nâest pas nous qui avons
attirĂ© la RĂ©demption sur les ĂȘtres humains. Câest ce que dit saint Paul :
« nous étions morts par suite de nos fautes, Il nous a fait revivre avec
le Christ. »
Le Christ sâapproche dâun mort pour
le ressusciter, ce nâest pas parce que le mort lâappelle, le mort est sans vie,
il ne ressent plus rien, mais la misĂ©ricorde du RĂ©dempteur lui rend la vie. Câest ainsi quâest
Dieu, Ă une humanitĂ© morte, insensible, injuste, pĂ©cheresse, lâhumanitĂ© ne
pense dĂ©jĂ plus Ă Lui, mais Il pense Ă nous comme lorsquâIl disait dans
Isaïe : « Une mÚre peut-elle oublier son enfant? » Cela apparaßt
impossible, cependant Il dit : « Quand bien mĂȘme une mĂšre oublierait
son enfant, Je ne vous oublierai pas. » Qui ne ressent pas que toute sa
vie, aussi compliquĂ©e soit-elle, est comme enveloppĂ©e dâune grande tendresse?
Je ne suis pas seul, il y a quelquâun qui pense Ă moi plus intimement que
moi-mĂȘme. Dieu mâaime!
Dans lâĂvangile, câest le Christ
lui-mĂȘme qui a appris, dans le sein de lâĂ©ternitĂ©, les sentiments de Dieu. Il
nous dit aujourdâhui (Jn 3,16) : « Dieu a tant aimĂ© le monde quâil a
donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne se perde pas, mais
ait la vie Ă©ternelle. » Tout provient de lâamour de Dieu. Si le Christ est
venu pour ĂȘtre le Sauveur de lâhumanitĂ©, ce fut lâinitiative du PĂšre. Il a tant
aimĂ© le monde quâIl lui envoya son propre Fils. Va, mon Fils, fais-toi homme,
fais-toi compagnon de leur Histoire, introduis-toi dans leurs misĂšres, porte
sur tes épaules les péchés de tous les hommes, monte avec eux au Calvaire, et
dans ta crucifixion je verrai la réparation de tous les péchés. 25/03/79,
p.228-229, VI.
B) Le Christ réalise dans ce projet
son mystĂšre pascal
Il y eut une figure magnifique tandis
que Moïse conduisait son peuple au désert et cette figure, le Christ en fait
mention dans lâĂvangile dâaujourdâhui. De mĂȘme que fut Ă©levĂ© le serpent par
MoĂŻse au dĂ©sert, de mĂȘme doit ĂȘtre Ă©levĂ© le Fils de lâHomme pour que tous ceux
qui croient en Lui aient la vie Ă©ternelle.
Quâest-ce que cette histoire du
serpent? On dit que lorsque les Israélites étaient conduits par Moïse au
désert, sur le difficile chemin du désert, ils commencÚrent à murmurer contrer
lui. Quâil est difficile de conduire un peuple! Ils prĂ©fĂšrent souvent
lâesclavage de lâĂgypte : « LĂ , nous Ă©tions mieux, les pots aux feux,
les maĂźtres, les serpents; tout ce quâil y avait en Ăgypte Ă©tait plus beau que
ce dĂ©sert oĂč nous mourrons de faim et de soif. » Quâil en coĂ»te Ă un
peuple pour comprendre le chemin de la libération! Souvent, ce sont ceux pour
qui on travaille le plus, qui comprennent le moins cet effort de lâamour qui
inspire ce sacrifice, qui demande un sacrifice de collaboration.
Ce murmure fut chùtié au désert.
Apparurent des serpents venimeux, et celui qui Ă©tait mordu en mourait. Devant
cette calamité, ils coururent raconter à Moïse ce qui se passait. Moïse, comme
de coutume, pria le Seigneur et le Seigneur lui fit cette réponse (Nb
21,8) : « Façonne-toi un Brûlant que tu placeras sur un étendard.
Quiconque aura Ă©tĂ© mordu et le regardera restera en vie. » Câest lâimage
du Christ crucifié à laquelle Jésus fait allusion, réalisant en sa personne;
ainsi comme MoĂŻse Ă©leva le serpent et tous ceux qui le regardaient se
libéraient de ces morsures, ainsi celui qui regarde le Christ crucifié avec
foi, sera libre Ă©galement parce que le Fils de lâhomme est venu pour donner sa
vie pour le Salut du monde.
Je désirerais recueillir ce matin, ce
mystĂšre qui se nomme le MystĂšre pascal, ou encore le mystĂšre de la mort et de
la RĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, parce que câest vers lĂ que le carĂȘme nous
amÚne pour célébrer le mystÚre de la mort-résurrection du Seigneur. Le Samedi
saint dans la nuit, câest la grande nuit du mystĂšre pascal : je voudrais
que tous ceux qui ont suivi ce carĂȘme, cette pĂ©rĂ©grination spirituelle de
lâHistoire de Dieu avec son peuple, aillent le terminer dans cette nuit
lumineuse. Je fais un appel spécial aux jeunes, pour que cette nuit, nous
regardions avec foi le Christ ressuscité, élevé plus haut que le serpent au
désert, avec tous les mérites de sa Croix pour donner le Salut et la Vie
Ăternelle Ă tous les Salvadoriens et Ă tout le Salvador en gĂ©nĂ©ral. 25/03/79,
p.229-230, VI.
C) En quoi consiste la réconciliation
du Christ
Câest cela le mystĂšre de la
rĂ©conciliation; le passĂ© nâimporte plus. Peu importe comment nous Ă©tions
enfoncés dans notre situation économique, sociale ou politique. Peu importe qui
nous avons haĂŻ, peu importe la violence dont nous avons fait usage, ni les
taches de sang des séquestrations et des tortures que nous avons commises.
Puisse, Dieu, cette voix arrive jusquâĂ ces lieux oĂč Dieu utilise son fouet en
se prĂ©valant dâhommes sans cĆur et sans conscience pour que le Seigneur ait
misĂ©ricorde dâeux, pour quâils aspirent en ces PĂąques Ă ne plus tenir le triste
rĂŽle de chĂątiment de Dieu, mais Ă devenir des paroles dâespĂ©rance.
Oui, chers frĂšres, depuis le
PrĂ©sident jusquâaux policiers â tous ceux qui constituent cet ordre sous lequel
notre peuple se sent si craintif et timide â, ne soyez pas le chĂątiment de
Dieu; soyez un gouvernement dâespĂ©rance, soyez un corps de sĂ©curitĂ©, soyez des
hommes de lâordre, soyez vĂ©ritablement des instruments de Dieu pour la
libération de notre peuple.
Nâutilisons pas, chers capitalistes,
lâidolĂątrie de lâargent, du pouvoir pour exploiter les plus pauvres. Vous
pourriez rendre notre peuple si heureux si vous aviez un peu dâamour dans votre
cĆur. Quel instrument seriez-vous avec vos voĂ»tes remplies dâargent, avec vos
comptes bancaires, vos grandes propriĂ©tĂ©s, vos terrains, si vous nâutilisiez
pas tout cela pour satisfaire votre Ă©goĂŻsme, mais, au contraire, pour rendre
heureux ce peuple si affamĂ©, si nĂ©cessiteux, si sous-alimentĂ©. Cela nâest pas
de la dĂ©magogie pour arracher des applaudissements, câest que le peuple sent et
aime, il aime aussi ceux qui le chĂątient, il aime Ă©galement ceux qui
lâexploitent. Notre peuple salvadorien nâest pas fait pour la haine, il est
fait pour la collaboration, pour lâamour, et il veut rencontrer de la
fraternité dans tous les secteurs qui constituent ce peuple béni de Dieu, qui a
reçu de Dieu des biens si abondants, mais qui deviennent la cause de tant de
tristesses par la mauvaise distribution, par le péché des hommes. 25/03/79,
p.230, VI.
3) Le baptĂȘme et la confession,
chemins de la réconciliation
Dans cette ambiance et avant de
terminer cette homĂ©lie avec le troisiĂšme point qui parle du BaptĂȘme et de la
PĂ©nitence comme des sacrements du carĂȘme, je veux faire un appel aux baptisĂ©s
et Ă tous ceux qui ont besoin du sacrement du pardon pour quâen ce carĂȘme nous
nous rĂ©conciliions avec Dieu. Afin que lâon comprenne bien la nĂ©cessitĂ© de
cela, câest ici que jâouvre une parenthĂšse qui se veut ĂȘtre comme lâincarnation
de la Parole de Dieu dans notre semaine.
Cette Ăglise, instituĂ©e par
JĂ©sus-Christ pour ĂȘtre la prĂ©sence de Dieu â davantage que Cyrus pour les
dĂ©portĂ©s de Babylone, davantage que MoĂŻse avec les pĂšlerins du dĂ©sert â, câest
le Christ lui-mĂȘme qui me donne le pardon et lâespĂ©rance. Cette Ăglise est
celle que jâessaie de servir, chers frĂšres, lorsque je donne ici des
informations de caractÚre ecclésial. Ce sont celles qui me préoccupent en
premier chef parce que vous ĂȘtes mon Ăglise, le peuple de Dieu auquel
jâappartiens et que je sers en tant que pasteur. Je ne suis pas un politologue,
je ne suis pas un sociologue, je ne suis pas un Ă©conomiste, je ne suis pas
responsable dâapporter les solutions Ă lâĂ©conomie et Ă la politique du pays. Il
y a dâautres laĂŻcs qui ont cette terrible responsabilitĂ©.
De mon poste de pasteur, je fais
seulement un appel afin que vous sachiez utiliser ces talents que Dieu vous a
donnĂ©s; mais comme pasteur, ce qui me concerne â et câest ce que je tente de
faire â, câest de construire la vĂ©ritable Ăglise de Notre Seigneur
JĂ©sus-Christ. Câest pourquoi je sens la joie de toute cette cathĂ©drale remplie
de fidĂšles. Je voudrais Ă©galement que tous ceux qui mâĂ©coutent au moyen de la
radio, non pas pour des motifs politiques, les curieux ou les persécuteurs,
mais en tant que catholiques, qui tentent dâĂ©couter le message de leur pasteur
pour sâorienter dans la construction de notre Ăglise, le vĂ©ritable peuple de
Dieu, soient comme une torche lumineuse qui Ă©claire les chemins de la Patrie,
force de Salut pour tout notre peuple. Soyons Ăglise! 25/03/79, p.231, VI.
ĂvĂ©nements de la semaine
Mon premier regard dans cette
perspective ecclĂ©siale se dirige toujours vers le Pape, centre de lâunitĂ© de ce
Peuple de Dieu. Comme il me fait plaisir de voir toutes les semaines un geste,
une parole dâorientation qui sâadresse Ă lâĂglise que jâessaie de suivre. Je
suis le plus nécessiteux du Pape, je ne peux me passer du Pape. Et je rends
grĂące Ă Dieu dâavoir eu durant toute ma vie sacerdotale le souci dâĂȘtre en
solidarité et en fidélité avec le Saint-PÚre, le représentant du Christ. Mes
yeux sont fixĂ©s sur lui, je nâai jamais pensĂ© le trahir. [âŠ]
« Il revient aux Ă©vĂȘques, dit Jean Paul II, de transposer le
contenu du document de Puebla à leurs communautés locales qui, grùce à Dieu,
seront rapidement immergĂ©es dans lâesprit de Puebla. » Puisse Dieu quâil
nâarrive pas avec le document de Puebla ce qui sâest produit avec ceux de
MedellĂn qui, encore de nos jours, sont suspectĂ©s dâĂȘtre des documents
communistes. Puebla nâest rien dâautre quâun pas en avant de MedellĂn. Ceux qui
nâont pas fait le pas de MedellĂn, ceux qui croient encore que MedellĂn va ĂȘtre
abrogĂ© doivent avancer jusquâĂ MedellĂn et marcher jusquâĂ Puebla parce quâil
nây a pas dâautres chemins pour rencontrer lâidentitĂ©, la problĂ©matique de
lâĂglise ici en AmĂ©rique latine avec ses problĂšmes qui sont les nĂŽtres. Il est
naturel que tous ceux qui se sentent les fléaux de Dieu et qui voudraient
toujours chĂątier notre pauvre peuple, ne veulent pas quâil existe un Dieu qui
commence à leur annoncer : « Attention! », parce que le fouet
sera jetĂ© au feu lorsque le peuple cherchera des solutions plus Ă©quitables Ă
ses problÚmes. » 25/03/79, p.231- 232, VI.
« Dieu a tant aimé le monde
quâIl lui a donnĂ© son Fils unique pour que le monde soit sauvĂ© et pour que tous
ceux qui croient en Lui aient la Vie Ăternelle. »
Câest cela la condition :
croire, avoir foi, mettre en Lui notre espérance. Puisse Dieu que tout le peuple
salvadorien soit aujourdâhui le pĂšlerinage du carĂȘme qui avec sa foi placĂ©e en
JĂ©sus-Christ espĂšre que le dimanche de la RĂ©surrection nous apporte non
seulement le souvenir dâun RessuscitĂ© dâil y a vingt siĂšcles, mais la
RĂ©surrection vĂ©ritable dâun peuple si prostrĂ©, appelĂ© si efficacement Ă la
rĂ©surrection par la voix mĂȘme du Seigneur. 25/03/79, p.238, VI.