Le carĂȘme, Appel Ă  la vĂ©ritable rĂ©conciliation

 

QuatriĂšme dimanche du carĂȘme; 25 mars 1979; Lectures : II Chroniques 36,14-16,19-23; ÉphĂ©siens 2,4-10; Jean 3,14-21.

 

Un carĂȘme bien vĂ©cu peut ĂȘtre le Salut de notre peuple. C’est pour cela que nous cĂ©lĂ©brons ce quatriĂšme dimanche du carĂȘme avec une nouvelle espĂ©rance. Lorsque tout semble perdu, l’Esprit de Dieu flotte autour de nous : sa Parole nous interpelle et nous donne des orientations qui sont vĂ©ritablement notre Salut. [
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N’oublions pas que le carĂȘme est un chemin vers PĂąques, la perspective du carĂȘme est le Christ ressuscitĂ© nous offrant une vie nouvelle. Le Christ qui, aprĂšs avoir payĂ© avec sa Croix, avec sa passion, les misĂšres de l’humain et du peuple, nous offre une vie meilleure. Ne le dĂ©prĂ©cions pas! Sur ce chemin vers PĂąques, obĂ©issons-lui!

 

Non pas au travers d’un moralisme froid, mais en nous incorporant au mystĂšre pascal : individuel et social.

 

Le Concile Vatican II, l’Église actuelle dit : « C’est la personne humaine qu’il faut sauver, c’est la sociĂ©tĂ© humaine qu’il faut rĂ©nover. C’est, par consĂ©quent, l’ĂȘtre humain, mais l’humain tout entier, corps et Ăąme, cƓur et conscience, intelligence et volonté  Â» Qui ne se sent pas enveloppĂ© d’une grande espĂ©rance en tant que personne, famille et peuple? Dieu nous offre le Salut pendant ce carĂȘme. Non seulement une loi comme celle que nous avons mĂ©ditĂ©e dimanche dernier : un moralisme; c’est surtout un amour. Qui ne s’engage pas par amour?

 

L’amour du Christ qui donna sa vie pour moi est la meilleure motivation pour vivre saintement, pour rendre grĂące au Christ. Ah! Si nous nous laissions tous entraĂźner par cet amour qui se livra pour nous. Dans les lectures d’aujourd’hui, c’est l’amour de Dieu qui nous appelle depuis quatre dimanches avec de nouvelles modalitĂ©s, qui nous appelle Ă  la rĂ©conciliation.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Babylone, symbole de l’Alliance brisĂ©e et de la RĂ©conciliation

2) La RĂ©conciliation avec Dieu dans le Christ (ThĂ©ologie de l’Histoire)

3) Le baptĂȘme et la confession, chemins de la rĂ©conciliation

 

 

1) Babylone, symbole de l’Alliance brisĂ©e et de la RĂ©conciliation

 

 

A) Raccord avec les homĂ©lies des dimanches antĂ©rieurs : Histoire de l’Alliance : NoĂ©, Abraham, MoĂŻse (la loi : religion mosaĂŻque).

 

Je voudrais, mes frĂšres, que nous ne sĂ©parions pas les dimanches du carĂȘme que nous mĂ©ditons. L’Église nous a proposĂ© les faits marquants, les points de repĂšre de l’Histoire de notre Salut. Ainsi le premier dimanche nous parla de NoĂ©, de l’arc-en-ciel qui est un appel de Dieu afin que nous fassions bon usage de la nature pour la conserver, pour ne pas abuser d’elle, pour que les biens que Dieu nous a donnĂ©s par la CrĂ©ation, parviennent de façon Ă©quitable entre les mains de tous. C’est une rĂ©conciliation cosmique, une alliance de l’homme avec l’univers comme l’arc-en-ciel qui embrasse notre Terre d’un point Ă  l’autre.

 

Le second dimanche, nous ne faisons dĂ©jĂ  plus rĂ©fĂ©rence Ă  la nature dans son ensemble, mais Ă  un peuple choisi : Alliance de Dieu avec Abraham. De ce vieil homme, sans fils, Dieu fait sortir miraculeusement un peuple aussi nombreux que les Ă©toiles du ciel et les grains de sable de la mer. La foi d’Abraham est le modĂšle de tous ceux qui veulent faire alliance avec Dieu, la foi qui se livre et qui croit contre toute espĂ©rance. Comme nous avons besoin de ce second chapitre de notre carĂȘme de 1979 : une foi comme celle d’Abraham!

 

Le troisiĂšme chapitre de notre histoire en ce carĂȘme a Ă©tĂ© MoĂŻse. Dimanche dernier, MoĂŻse sur le SinaĂŻ, ce n’est plus seulement Abraham avec une promesse d’un grand peuple, c’est dĂ©jĂ  la rĂ©alitĂ©. Quatre siĂšcles ont passĂ© et Abraham est reprĂ©sentĂ© par cette multitude qui marche vers la Terre promise; en tant que peuple, il doit faire une Alliance avec Dieu, il doit rĂ©pondre Ă  tant de privilĂšges que Dieu a rĂ©alisĂ©s pour lui au dĂ©sert et, Ă  travers toute son histoire, la rĂ©ponse doit ĂȘtre l’accomplissement du DĂ©calogue, de ces dix paroles, de ces Dix Commandements. Dieu y a rĂ©sumĂ© toutes les relations des humains avec Lui et des humains entre eux. L’Alliance possĂšde sa loi et, Ă  partir de ce moment, commence une nouvelle phase dans l’Histoire du Salut qui se nomme l’Ère MosaĂŻque, qui provient de MoĂŻse. Cette Ère apporte ses propres caractĂ©ristiques et orientations Ă  un peuple duquel saint Paul dira : « La loi ne suffit pas, la Loi peut ĂȘtre lettre morte, cette Loi vaut seulement parce qu’elle porte en elle une promesse d’un homme rĂ©dempteur. C’est le Christ qui donne son vĂ©ritable sens Ă  la Loi. Â» 25/03/79, p.224-225, VI.

 

 

B) Le pĂ©chĂ© qui rompt l’Alliance

 

Mais en ce temps mosaĂŻque, en ce temps de la Loi qui comprend plusieurs siĂšcles, plusieurs choses vont se produire, certaines trĂšs bonnes, d’autres trĂšs mauvaises. C’est ainsi que les Saintes Écritures nous amĂšnent aujourd’hui en cet autre point marquant de l’Histoire : Babylone. Qu’est-ce que Babylone? La rupture de l’Alliance, c’est un peuple qui s’est attirĂ© le chĂątiment de la dĂ©portation pour n’ĂȘtre pas demeurĂ© fidĂšle Ă  Dieu, c’est un peuple accablĂ©, quasi dĂ©sespĂ©rĂ©, un peuple pour qui il semble que Dieu n’existe plus. Et cependant, Ă  ce peuple dĂ©couragĂ©, brisĂ©, les prophĂštes annoncent espĂ©rance et Salut. C’est pourquoi, Babylone, bien qu’elle soit la figure d’un peuple qui a abandonnĂ© son Dieu et qui est chĂątiĂ©, c’est Ă©galement la figure d’un peuple qui va se relever. Pour nous, ce langage est au plus haut point intĂ©ressant. Plusieurs affirment qu’au Salvador, il n’existe pas de solution. Qui va croire en l’amour? Chemins de violence : sĂ©questrations, haines, crimes, rĂ©pressions! Comment nous a crĂ©Ă©s le Seigneur pour que nous ne puissions nous entendre qu’à coups de bĂąton? Dieu nous a crĂ©Ă©s Ă  l’image de son amour et mĂȘme lorsque l’atmosphĂšre devient violente, ce n’est pas ce que Dieu veut. 25/03/79, p.225, VI.

 

 

Ils multipliÚrent leurs infidélités.

 

Sur Babylone brillaient l’amour et l’espĂ©rance. C’est pourquoi il apparaĂźt nĂ©cessaire de reconnaĂźtre comme le faisait la premiĂšre lecture (2 Cr 36,14-16,19-23) : « Le pĂ©chĂ© rompt l’Alliance Â». Combien terrible apparaĂźt l’auteur du Livre des Chroniques! Les Chroniques sont un livre qui fut Ă©crit comme pour combler certains vides Ă  l’intĂ©rieur des livres historiques. On y fait la narration de certains Ă©vĂ©nements, certains y sont amplifiĂ©s ou diminuĂ©s en d’autres endroits. Avec quelle franchise y dĂ©crit-on la situation de cette heure mosaĂŻque oĂč les dirigeants civils et spirituels du peuple firent de la religion un lĂ©galisme jusqu’à l’hypocrisie, celle que va fustiger JĂ©sus-Christ lorsqu’Il viendra. Ainsi dit-on dans la premiĂšre lecture (2 Ch 36,14-16) : « Tous les chefs des prĂȘtres et le peuple multipliĂšrent les infidĂ©litĂ©s
 ils souillĂšrent le Temple que YahvĂ© s’était consacrĂ© Ă  JĂ©rusalem. YahvĂ©, le Dieu de leurs pĂšres, leur envoya, sans se lasser, des messagers, car Il voulait Ă©pargner son peuple et sa Demeure. Mais ils tournaient en dĂ©rision les envoyĂ©s de Dieu, ils mĂ©prisaient ses paroles, ils se moquaient de ses prophĂštes. Â» C’est ce que fit le peuple Ă©lu de Dieu, c’est ainsi qu’ils rĂ©pondirent Ă  l’Alliance de l’Amour : avec mĂ©pris, par le pĂ©chĂ©.

 

Dans les autres lectures d’aujourd’hui, apparaĂźt aussi cette triste situation de l’homme avec Dieu. L’Évangile dit (Jn 3,19) par la bouche du Christ : « Les hommes prĂ©fĂšrent les tĂ©nĂšbres Ă  la lumiĂšre afin de ne pas ĂȘtre accusĂ©s par leurs Ɠuvres. Â»

 

Saint Paul, dans la seconde lecture (Ep 2,5), dĂ©crit une figure davantage tragique : « Nous Ă©tions morts par nos pĂ©chĂ©s. Â» Ce sont lĂ  des traits noirs de l’Histoire des ĂȘtres humains, Dieu nous a donnĂ© une loi pour nous sauver. Il nous a donnĂ© des prophĂštes pour nous orienter. Il nous a donnĂ© l’amour, nous crĂ©ant par amour, rĂ©alisant les alliances du Salut. Les hommes, tournant le dos, rompirent l’Alliance en dĂ©sobĂ©issant Ă  Dieu, croyant davantage dans les tĂ©nĂšbres, la rĂ©pression, les idoles de l’argent, l’idole politique, tout sauf en Dieu. Ici, Dieu n’entre pas! C’est cela, le pĂ©chĂ© : ils prĂ©fĂ©rĂšrent rechercher par leurs propres chemins le bonheur que Dieu leur indiquait par l’unique chemin.

 

Quand allons-nous comprendre, mes chers frĂšres – moi le premier, pĂ©cheur entre vous tous –, que ce ne sont pas nos caprices qui vont nous donner la solution du vĂ©ritable bonheur? Quand allons-nous comprendre que seulement Toi Seigneur, possĂšdes les Paroles de la Vie Éternelle? Il n’est jamais trop tard pour l’amour de Dieu, mais Dieu, dit la premiĂšre lecture (2 Cr 36,16) : « jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de remĂšde. Â» 25/03/79, p.225-226, VI.

 

 

C) Le ChĂątiment

 

Destruction de Jérusalem
 déportation, hommes qui sont les fléaux de Dieu.

 

Alors s’est produite la revanche de Dieu. Quelle chose plus terrible que lorsque Dieu se sert de certains hommes, non pas pour ĂȘtre la bĂ©nĂ©diction du peuple, mais pour ĂȘtre son chĂątiment. Nabuchodonosor est la figure de l’homme ou l’instrument que Dieu a choisi pour humilier, pour faire passer sa botte sanguinaire sur ce peuple. N’allez pas penser que la rĂ©pression, la torture, l’outrage pour l’argent, l’exploitation de l’homme par l’homme sont seulement l’Ɠuvre de Dieu. Dieu choisit ces hommes comme des fouets de l’humanitĂ©. Pauvres de vous, parce que vous croyez triompher, comme au fouet il semble qu’il triomphe alors qu’il chĂątie, mais vient l’heure oĂč, dit la Bible, le fouet est jetĂ© au feu. Mais, quel triste rĂŽle dans l’Histoire que d’ĂȘtre un homme-flĂ©au!

 

Que firent ces hommes-flĂ©aux sous le commandement de Nabuchodonosor sur la terre pĂ©cheresse de Dieu? Écoutez bien cette page d’aujourd’hui (2 Chr 36,19-20) : « On brĂ»la le Temple de Dieu, on abattit les murailles de JĂ©rusalem, on incendia tous ses palais et l’on dĂ©truisit tous ses objets prĂ©cieux. Puis Nabuchodonosor dĂ©porta Ă  Babylone le reste Ă©chappĂ© Ă  l’épĂ©e; ils durent le servir ainsi que ses fils jusqu’à l’établissement du royaume perse. Â»

 

Prenons conscience que cette heure terrible du chĂątiment est l’heure qu’est en train de vivre le Salvador. C’est l’heure des contremaĂźtres et de ceux qui imposent leurs caprices, de ceux qui font des lois, de ceux qui se croient propriĂ©taires de la vie et des grands domaines. Malheureux, vous ignorez que vous ĂȘtes les flĂ©aux de Dieu! C’est l’heure Ă  laquelle Dieu nous accable et surgit alors du cƓur de l’homme, de la femme, cette plainte : « Est-ce que Dieu existe? Â» Parce qu’en plus, nous pouvons voir que ceux qui sont heureux prĂ©sentement, ce ne sont pas ceux qui adorent Dieu, mais ceux qui sont Ă  genoux devant leurs idoles. Nous croyons alors que l’argent est plus puissant que le Dieu vĂ©ritable, que le pouvoir des despotes est plus grand que celui de l’Homme qui sauve, qui est le Dieu vĂ©ritable qui nous aime. Vient alors la tentation du dĂ©sespoir, comme dit le Pape (Jean-Paul II) en parlant de la violence : « La tentation de la violence Â». Plusieurs sont tombĂ©s dans cette tentation : ceux qui croient qu’ils vont trouver la solution aux problĂšmes du pays par des chemins de sang et de haine. Il n’y aura pas d’issue tant que l’on ensanglantera, tant qu’il y aura des gens qui souffriront Ă  cause de la torture, tant qu’il y aura des familles qui pleurent Ă  cause de l’outrage des pouvoirs. C’est Dieu qui se prĂ©vaut de ces Ă©vĂ©nements pour chĂątier comme avec un fouet, mais ce n’est pas lĂ  sa derniĂšre parole. 25/03/79 p.226-227, VI.

 

 

D) Dans le second Exode nous voyons poindre la réconciliation

 

C’est alors qu’arrive la derniĂšre parole, c’est Dieu qui recommence Ă  parler. Nous voyons dĂ©jĂ  poindre dans les paroles de la premiĂšre lecture (2 Chr 36,14-23) une RĂ©demption qui, dans la seconde lecture (Eph 2,4-10) et dans l’Évangile (Jn 3,14-21), apparaĂźt comme le soleil Ă  son zĂ©nith. Une chose prodigieuse, un roi de Perse qui se nomme Cyrus II, Ă  qui ont Ă©tĂ© rapportĂ©es les cruautĂ©s de Babylone. Il est l’instrument de Dieu; on l’appelle aussi l’Oint de Dieu. Comme cela dut scandaliser les juifs hypocrites qui n’obĂ©irent pas Ă  Dieu, qu’un homme non juif, un paĂŻen, fut appelĂ© par l’Esprit de Dieu : l’Oint de Dieu. C’est un ĂȘtre mystĂ©rieux et la seconde lecture nous dit sur ce Cyrus, Roi de Perse (2 Chr 36,22-23) : « Pour accomplir la Parole de YahvĂ© prononcĂ©e par JĂ©rĂ©mie, YahvĂ© Ă©veilla l’esprit de Cyrus, roi de Perse, qui fit proclamer – et mĂȘme afficher – dans tout son royaume : “Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : YahvĂ©, le Dieu du ciel, m’a remis tous les royaumes de la Terre; c’est Lui qui m’a chargĂ© de lui bĂątir un Temple Ă  JĂ©rusalem, en Juda. Quiconque, parmi vous, fait partie de son peuple, que son Dieu soit avec lui et qu’il monte!” Â» Quelles paroles libĂ©ratrices plus belles, lorsqu’un paĂŻen possĂšde souvent davantage de misĂ©ricorde que les coreligionnaires eux-mĂȘmes.

 

Dans le Psaume que nous avons tous proclamĂ© aujourd’hui, nous avons fait mention du Psaume 136 : le psaume des israĂ©lites en captivitĂ© Ă  Babylone. Nous pourrions avoir ce psaume comme hymne national, ce psaume de libertĂ©. D’une libertĂ© semblable Ă  celle du quetzal guatĂ©maltĂšque dont on dit qu’il ne peut vivre emprisonnĂ©, car il se laisse mourir. Les Juifs, enchaĂźnĂ©s ensemble sur les berges des fleuves de Babylone, entendaient leurs ennemis, leurs contremaĂźtres leur dirent : « Chantez-nous quelque chose de votre religion en JudĂ©e. Â» Et les Juifs disaient : « Comment pourrions-nous chanter sur cette terre Ă©trangĂšre! Que l’on nous colle la langue au palais si nous chantons avec joie dans la dĂ©portation! Â» Ils soupiraient de revoir leur patrie, ils aspiraient de voir l’heure de leur retour, ils pleuraient sur leurs pĂ©chĂ©s pour lesquels ils avaient Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s. Et l’heure arriva lorsqu’un roi paĂŻen, inspirĂ© de Dieu, proclama cet Ă©dit : « La captivitĂ© est terminĂ©e, si quelqu’un se sent attachĂ© Ă  ce Dieu, qu’il monte Ă  JĂ©rusalem, les frontiĂšres sont ouvertes, allez-y. Â» On les accompagna mĂȘme pour aller reconstruire le temple que les flĂ©aux de Dieu avaient dĂ©truit.

 

Observez comment Dieu se sert des hommes pour chĂątier et pour libĂ©rer. Le Dieu de l’Histoire joue avec l’Histoire. Ce ne sont pas les ĂȘtres humains qui font leurs caprices, c’est Dieu qui se sert des mauvaises intentions humaines pour punir les peuples horriblement avec les chĂątiments de l’Enfer. C’est Dieu qui se prĂ©vaut des hommes, mĂȘme s’ils sont paĂŻens, mĂȘme s’ils n’ont pas la foi chrĂ©tienne. Ces hommes sont les instruments de Dieu pour sauver, pour donner de l’amour, pour donner courage, pour donner espĂ©rance!

 

Que voudrions-nous ĂȘtre, mes frĂšres, en cette heure du peuple salvadorien : flĂ©au ou espĂ©rance? L’Église se rĂ©jouit d’ĂȘtre l’espĂ©rance du peuple, ainsi qu’elle dĂ©plore et reproche ces actes des flĂ©aux des despotes de notre peuple. L’Église est la voix du prophĂšte au milieu du dĂ©sert. Babylone est la reprĂ©sentation de tous les peuples. Quel peuple n’a pas pĂ©chĂ©? Soyons humbles et reconnaissons ce que dit la premiĂšre lecture (2 Cr 36,14) : « Les chefs des prĂȘtres et le peuple multipliĂšrent leurs infidĂ©litĂ©s. Â» C’est ici qu’est l’explication. C’est pourquoi je vous disais qu’en ce carĂȘme, commençant par nous-mĂȘmes, les prĂȘtres et vous tous, le peuple, convertissons-nous en vĂ©ritĂ©, entendons comme l’on entend dans la dĂ©portation l’appel de la patrie, alors nous rencontrerons ce Salut auquel nous aspirons. 25/03/79, p.227-228, VI.

 

 

2) La RĂ©conciliation avec Dieu dans le Christ (ThĂ©ologie de l’Histoire)

 

A) Tout provient de l’amour du Pùre

 

C’est comme un drame en trois actes. Tout commence dans l’amour de Dieu. Tout atteint sa rĂ©alisation dans le sacrifice du Christ et tout devient mien par ma foi. Dieu, le Christ, chacun d’entre nous, est le chemin de la vĂ©ritable rĂ©conciliation. Tout provient de l’amour de Dieu. Nous avons dĂ©jĂ  vu dans la premiĂšre lecture (2 Chr 36,14-23) que ce fut le Seigneur qui ouvrit l’esprit de Cyrus. Dieu est celui qui inspire les gestes d’amour, mĂȘme dans les coeurs qui n’ont pas la foi. Combien de fois, mes frĂšres, les non chrĂ©tiens ont-ils eu plus de misĂ©ricorde que nous tous parce que Dieu les a inspirĂ©s en ce sens de Salut et d’amour. Mais cette inspiration que Dieu donna Ă  Cyrus, roi de Perse, sous une forme mystĂ©rieuse et prophĂ©tique, se prĂ©sente aujourd’hui sans visage. Elle se prĂ©sente face Ă  face, dirions-nous, dans la RĂ©vĂ©lation du Nouveau Testament.

 

Avec quelle tendresse devons-nous recevoir aujourd’hui ces paroles de saint Paul aux ÉphĂ©siens (2,4) : « Dieu, qui est riche en misĂ©ricorde Ă  cause du grand amour dont Il nous a aimĂ©s
 Â», c’est de lĂ  que tout provient. Ce n’est pas nous qui avons attirĂ© la RĂ©demption sur les ĂȘtres humains. C’est ce que dit saint Paul : « nous Ă©tions morts par suite de nos fautes, Il nous a fait revivre avec le Christ. Â»

 

Le Christ s’approche d’un mort pour le ressusciter, ce n’est pas parce que le mort l’appelle, le mort est sans vie, il ne ressent plus rien, mais la misĂ©ricorde du RĂ©dempteur lui rend la vie. C’est ainsi qu’est Dieu, Ă  une humanitĂ© morte, insensible, injuste, pĂ©cheresse, l’humanitĂ© ne pense dĂ©jĂ  plus Ă  Lui, mais Il pense Ă  nous comme lorsqu’Il disait dans IsaĂŻe : « Une mĂšre peut-elle oublier son enfant? Â» Cela apparaĂźt impossible, cependant Il dit : « Quand bien mĂȘme une mĂšre oublierait son enfant, Je ne vous oublierai pas. Â» Qui ne ressent pas que toute sa vie, aussi compliquĂ©e soit-elle, est comme enveloppĂ©e d’une grande tendresse? Je ne suis pas seul, il y a quelqu’un qui pense Ă  moi plus intimement que moi-mĂȘme. Dieu m’aime!

 

Dans l’Évangile, c’est le Christ lui-mĂȘme qui a appris, dans le sein de l’éternitĂ©, les sentiments de Dieu. Il nous dit aujourd’hui (Jn 3,16) : « Dieu a tant aimĂ© le monde qu’il a donnĂ© son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne se perde pas, mais ait la vie Ă©ternelle. Â» Tout provient de l’amour de Dieu. Si le Christ est venu pour ĂȘtre le Sauveur de l’humanitĂ©, ce fut l’initiative du PĂšre. Il a tant aimĂ© le monde qu’Il lui envoya son propre Fils. Va, mon Fils, fais-toi homme, fais-toi compagnon de leur Histoire, introduis-toi dans leurs misĂšres, porte sur tes Ă©paules les pĂ©chĂ©s de tous les hommes, monte avec eux au Calvaire, et dans ta crucifixion je verrai la rĂ©paration de tous les pĂ©chĂ©s. 25/03/79, p.228-229, VI.

 

 

B) Le Christ réalise dans ce projet son mystÚre pascal

 

Il y eut une figure magnifique tandis que MoĂŻse conduisait son peuple au dĂ©sert et cette figure, le Christ en fait mention dans l’Évangile d’aujourd’hui. De mĂȘme que fut Ă©levĂ© le serpent par MoĂŻse au dĂ©sert, de mĂȘme doit ĂȘtre Ă©levĂ© le Fils de l’Homme pour que tous ceux qui croient en Lui aient la vie Ă©ternelle.

 

Qu’est-ce que cette histoire du serpent? On dit que lorsque les IsraĂ©lites Ă©taient conduits par MoĂŻse au dĂ©sert, sur le difficile chemin du dĂ©sert, ils commencĂšrent Ă  murmurer contrer lui. Qu’il est difficile de conduire un peuple! Ils prĂ©fĂšrent souvent l’esclavage de l’Égypte : « LĂ , nous Ă©tions mieux, les pots aux feux, les maĂźtres, les serpents; tout ce qu’il y avait en Égypte Ă©tait plus beau que ce dĂ©sert oĂč nous mourrons de faim et de soif. Â» Qu’il en coĂ»te Ă  un peuple pour comprendre le chemin de la libĂ©ration! Souvent, ce sont ceux pour qui on travaille le plus, qui comprennent le moins cet effort de l’amour qui inspire ce sacrifice, qui demande un sacrifice de collaboration.

 

Ce murmure fut chĂątiĂ© au dĂ©sert. Apparurent des serpents venimeux, et celui qui Ă©tait mordu en mourait. Devant cette calamitĂ©, ils coururent raconter Ă  MoĂŻse ce qui se passait. MoĂŻse, comme de coutume, pria le Seigneur et le Seigneur lui fit cette rĂ©ponse (Nb 21,8) : « Façonne-toi un BrĂ»lant que tu placeras sur un Ă©tendard. Quiconque aura Ă©tĂ© mordu et le regardera restera en vie. Â» C’est l’image du Christ crucifiĂ© Ă  laquelle JĂ©sus fait allusion, rĂ©alisant en sa personne; ainsi comme MoĂŻse Ă©leva le serpent et tous ceux qui le regardaient se libĂ©raient de ces morsures, ainsi celui qui regarde le Christ crucifiĂ© avec foi, sera libre Ă©galement parce que le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie pour le Salut du monde.

Je dĂ©sirerais recueillir ce matin, ce mystĂšre qui se nomme le MystĂšre pascal, ou encore le mystĂšre de la mort et de la RĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, parce que c’est vers lĂ  que le carĂȘme nous amĂšne pour cĂ©lĂ©brer le mystĂšre de la mort-rĂ©surrection du Seigneur. Le Samedi saint dans la nuit, c’est la grande nuit du mystĂšre pascal : je voudrais que tous ceux qui ont suivi ce carĂȘme, cette pĂ©rĂ©grination spirituelle de l’Histoire de Dieu avec son peuple, aillent le terminer dans cette nuit lumineuse. Je fais un appel spĂ©cial aux jeunes, pour que cette nuit, nous regardions avec foi le Christ ressuscitĂ©, Ă©levĂ© plus haut que le serpent au dĂ©sert, avec tous les mĂ©rites de sa Croix pour donner le Salut et la Vie Éternelle Ă  tous les Salvadoriens et Ă  tout le Salvador en gĂ©nĂ©ral. 25/03/79, p.229-230, VI.

 

 

C) En quoi consiste la réconciliation du Christ

 

C’est cela le mystĂšre de la rĂ©conciliation; le passĂ© n’importe plus. Peu importe comment nous Ă©tions enfoncĂ©s dans notre situation Ă©conomique, sociale ou politique. Peu importe qui nous avons haĂŻ, peu importe la violence dont nous avons fait usage, ni les taches de sang des sĂ©questrations et des tortures que nous avons commises. Puisse, Dieu, cette voix arrive jusqu’à ces lieux oĂč Dieu utilise son fouet en se prĂ©valant d’hommes sans cƓur et sans conscience pour que le Seigneur ait misĂ©ricorde d’eux, pour qu’ils aspirent en ces PĂąques Ă  ne plus tenir le triste rĂŽle de chĂątiment de Dieu, mais Ă  devenir des paroles d’espĂ©rance.

 

Oui, chers frĂšres, depuis le PrĂ©sident jusqu’aux policiers – tous ceux qui constituent cet ordre sous lequel notre peuple se sent si craintif et timide –, ne soyez pas le chĂątiment de Dieu; soyez un gouvernement d’espĂ©rance, soyez un corps de sĂ©curitĂ©, soyez des hommes de l’ordre, soyez vĂ©ritablement des instruments de Dieu pour la libĂ©ration de notre peuple.

 

N’utilisons pas, chers capitalistes, l’idolĂątrie de l’argent, du pouvoir pour exploiter les plus pauvres. Vous pourriez rendre notre peuple si heureux si vous aviez un peu d’amour dans votre cƓur. Quel instrument seriez-vous avec vos voĂ»tes remplies d’argent, avec vos comptes bancaires, vos grandes propriĂ©tĂ©s, vos terrains, si vous n’utilisiez pas tout cela pour satisfaire votre Ă©goĂŻsme, mais, au contraire, pour rendre heureux ce peuple si affamĂ©, si nĂ©cessiteux, si sous-alimentĂ©. Cela n’est pas de la dĂ©magogie pour arracher des applaudissements, c’est que le peuple sent et aime, il aime aussi ceux qui le chĂątient, il aime Ă©galement ceux qui l’exploitent. Notre peuple salvadorien n’est pas fait pour la haine, il est fait pour la collaboration, pour l’amour, et il veut rencontrer de la fraternitĂ© dans tous les secteurs qui constituent ce peuple bĂ©ni de Dieu, qui a reçu de Dieu des biens si abondants, mais qui deviennent la cause de tant de tristesses par la mauvaise distribution, par le pĂ©chĂ© des hommes. 25/03/79, p.230, VI.

 

 

3) Le baptĂȘme et la confession, chemins de la rĂ©conciliation

 

Dans cette ambiance et avant de terminer cette homĂ©lie avec le troisiĂšme point qui parle du BaptĂȘme et de la PĂ©nitence comme des sacrements du carĂȘme, je veux faire un appel aux baptisĂ©s et Ă  tous ceux qui ont besoin du sacrement du pardon pour qu’en ce carĂȘme nous nous rĂ©conciliions avec Dieu. Afin que l’on comprenne bien la nĂ©cessitĂ© de cela, c’est ici que j’ouvre une parenthĂšse qui se veut ĂȘtre comme l’incarnation de la Parole de Dieu dans notre semaine.

 

Cette Église, instituĂ©e par JĂ©sus-Christ pour ĂȘtre la prĂ©sence de Dieu – davantage que Cyrus pour les dĂ©portĂ©s de Babylone, davantage que MoĂŻse avec les pĂšlerins du dĂ©sert –, c’est le Christ lui-mĂȘme qui me donne le pardon et l’espĂ©rance. Cette Église est celle que j’essaie de servir, chers frĂšres, lorsque je donne ici des informations de caractĂšre ecclĂ©sial. Ce sont celles qui me prĂ©occupent en premier chef parce que vous ĂȘtes mon Église, le peuple de Dieu auquel j’appartiens et que je sers en tant que pasteur. Je ne suis pas un politologue, je ne suis pas un sociologue, je ne suis pas un Ă©conomiste, je ne suis pas responsable d’apporter les solutions Ă  l’économie et Ă  la politique du pays. Il y a d’autres laĂŻcs qui ont cette terrible responsabilitĂ©.

 

De mon poste de pasteur, je fais seulement un appel afin que vous sachiez utiliser ces talents que Dieu vous a donnĂ©s; mais comme pasteur, ce qui me concerne – et c’est ce que je tente de faire –, c’est de construire la vĂ©ritable Église de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ. C’est pourquoi je sens la joie de toute cette cathĂ©drale remplie de fidĂšles. Je voudrais Ă©galement que tous ceux qui m’écoutent au moyen de la radio, non pas pour des motifs politiques, les curieux ou les persĂ©cuteurs, mais en tant que catholiques, qui tentent d’écouter le message de leur pasteur pour s’orienter dans la construction de notre Église, le vĂ©ritable peuple de Dieu, soient comme une torche lumineuse qui Ă©claire les chemins de la Patrie, force de Salut pour tout notre peuple. Soyons Église! 25/03/79, p.231, VI.

 

 

ÉvĂ©nements de la semaine

 

Mon premier regard dans cette perspective ecclĂ©siale se dirige toujours vers le Pape, centre de l’unitĂ© de ce Peuple de Dieu. Comme il me fait plaisir de voir toutes les semaines un geste, une parole d’orientation qui s’adresse Ă  l’Église que j’essaie de suivre. Je suis le plus nĂ©cessiteux du Pape, je ne peux me passer du Pape. Et je rends grĂące Ă  Dieu d’avoir eu durant toute ma vie sacerdotale le souci d’ĂȘtre en solidaritĂ© et en fidĂ©litĂ© avec le Saint-PĂšre, le reprĂ©sentant du Christ. Mes yeux sont fixĂ©s sur lui, je n’ai jamais pensĂ© le trahir. [
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« Il revient aux Ă©vĂȘques, dit Jean Paul II, de transposer le contenu du document de Puebla Ă  leurs communautĂ©s locales qui, grĂące Ă  Dieu, seront rapidement immergĂ©es dans l’esprit de Puebla. Â» Puisse Dieu qu’il n’arrive pas avec le document de Puebla ce qui s’est produit avec ceux de MedellĂ­n qui, encore de nos jours, sont suspectĂ©s d’ĂȘtre des documents communistes. Puebla n’est rien d’autre qu’un pas en avant de MedellĂ­n. Ceux qui n’ont pas fait le pas de MedellĂ­n, ceux qui croient encore que MedellĂ­n va ĂȘtre abrogĂ© doivent avancer jusqu’à MedellĂ­n et marcher jusqu’à Puebla parce qu’il n’y a pas d’autres chemins pour rencontrer l’identitĂ©, la problĂ©matique de l’Église ici en AmĂ©rique latine avec ses problĂšmes qui sont les nĂŽtres. Il est naturel que tous ceux qui se sentent les flĂ©aux de Dieu et qui voudraient toujours chĂątier notre pauvre peuple, ne veulent pas qu’il existe un Dieu qui commence Ă  leur annoncer : « Attention! Â», parce que le fouet sera jetĂ© au feu lorsque le peuple cherchera des solutions plus Ă©quitables Ă  ses problĂšmes. Â» 25/03/79, p.231- 232, VI.

 

« Dieu a tant aimĂ© le monde qu’Il lui a donnĂ© son Fils unique pour que le monde soit sauvĂ© et pour que tous ceux qui croient en Lui aient la Vie Éternelle. Â»

 

C’est cela la condition : croire, avoir foi, mettre en Lui notre espĂ©rance. Puisse Dieu que tout le peuple salvadorien soit aujourd’hui le pĂšlerinage du carĂȘme qui avec sa foi placĂ©e en JĂ©sus-Christ espĂšre que le dimanche de la RĂ©surrection nous apporte non seulement le souvenir d’un RessuscitĂ© d’il y a vingt siĂšcles, mais la RĂ©surrection vĂ©ritable d’un peuple si prostrĂ©, appelĂ© si efficacement Ă  la rĂ©surrection par la voix mĂȘme du Seigneur. 25/03/79, p.238, VI.