Le Verbe s’est fait chair et habita parmi nous.

 

Troisième dimanche de l’avent; 17 dĂ©cembre 1978; Lectures : IsaĂŻe 61,1-2a.10-11; Thessaloniciens 5,16-24; Jean 1,6-8,19-28.

 

L’esprit de ce temps appelĂ© l’avent a dĂ©butĂ© il y a trois dimanches. Essayons de le rendre concret en dĂ©veloppant ces trois attitudes :

 

1. Foi et vigilance, parce que le Seigneur s’approche et que nous voulons rester en éveil. Nous sentons que le Seigneur est tout proche; nous avons besoin de la foi pour sentir cette proximité de Dieu.

 

2. Faim et pauvreté spirituelle.

On ne peut pas désirer manger lorsqu’on n’a pas faim, on ne peut pas avoir besoin de Dieu lorsqu’on est orgueilleux et autosuffisant. Seuls les pauvres, seuls ceux qui ont faim seront rassasiés. C’est cela l’esprit de pauvreté que Marie, la Vierge exprime dans son cantique, au nom de toute l’humanité, la nécessité et la faim de Dieu que nous avons. On ne peut pas désirer la libération si on n’a pas conscience d’être réduits à l’esclavage.

 

3. C’est une attitude positive, une attitude de présence et de mission dans le monde.

Vertu ou attitude missionnaire : rendre prĂ©sent le divin dont le monde a besoin. Je voudrais souligner dans notre rĂ©flexion d’aujourd’hui cette troisième attitude : la prĂ©sence. L’Incarnation est le mystère qui donne sens, mystique et unitĂ© Ă  toute cette attente de la NativitĂ©. Et NoĂ«l ne se comprendra que si l’on a foi dans le grand mystère de l’Incarnation. L’Incarnation est la prĂ©sence de Dieu dans les rĂ©alitĂ©s du monde, Il se fait homme et se nomme JĂ©sus. 17/12/78, p.39-40, VI

 

 

Le Christ est le Verbe de Dieu qui s’est fait chair

 

Jean (1,6-8) prĂ©sente son Évangile comme la lumière qui est venue en ce monde et qui provoqua deux rĂ©actions : chez les uns, la foi, chez les autres, le rejet. Ils prĂ©fĂ©rèrent les tĂ©nèbres Ă  la lumière. Lorsque vient le tĂ©moignage de Jean affirmer que cet homme, JĂ©sus est la lumière, il dit : « Il est Dieu Â». Devant Lui, les humains vont rĂ©agir : en le suivant comme Celui qui possède la lumière dans l’obscuritĂ© ou en le rejetant, s’enfonçant davantage dans les tĂ©nèbres comme celui que la lumière aveugle. […]

 

Le verbe est la pensĂ©e de l’homme. Le verbe est une idĂ©e grecque. La philosophie grecque avait du verbe l’idĂ©e d’une Ă©manation comme l’émanation de Dieu, le Verbe de Dieu qui, pour les chrĂ©tiens, se nomme le Fils de Dieu. Toutes les pensĂ©es sont comme les enfants de quelqu’un; pour cela, nous disons : j’ai conçu cette idĂ©e. Tous ceux qui pensent sont en train de concevoir comme une femme enceinte conçoit. L’homme qui pense conçoit. C’est ainsi que, comme une femme qui donne naissance Ă  celui qu’elle a conçu dans ses entrailles, la pensĂ©e aussi donne naissance Ă  la parole que porte la voix. Le Christ est donc l’émanation, Il est le Fils de la substance, l’image de la substance divine. Nous ne possĂ©dons pas de paroles humaines pour dĂ©crire ce mystère Ă©ternel de Dieu se pensant lui-mĂŞme et cette pensĂ©e est son Fils, le Verbe. En prononçant cette Parole, les choses apparaissent crĂ©Ă©es parce que sa Parole est omnipotente, est puissante. Tout ce qui existe a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par Lui. 17/12/78,p.40-41, VI.

 

 

Sa Parousie

 

Aujourd’hui, saint Paul (Tes 5,16-24) nous dit de nous montrer dignes pour cette rencontre définitive avec Lui. Il annonce une existence au-delà de l’histoire qui n’aura pas de fin. Et en ce cas, nous avons le Christ en tant que Dieu, sans commencement, Il existait.

Regardez comment dĂ©bute le merveilleux prologue de Jean : « Au commencement Ă©tait le Verbe. Â» Au dĂ©but, lorsque Dieu commença sa crĂ©ation, Il existait dĂ©jĂ , Il Ă©tait. Et maintenant, saint Paul nous dit : « Lorsque se termine ta vie, lorsque se termine ton histoire, lorsque se terminera l’Histoire de l’humanitĂ©, grâce Ă  Dieu, soyez dignes de rencontrer ce fleuve Ă©ternel qu’est le Christ pour continuer Ă  vivre pour l’éternitĂ©. Â» C’est ainsi que l’Histoire n’est rien d’autre qu’un morceau qui dĂ©buta et qui se terminera, mais le Christ en tant que Dieu est le Seigneur de l’Histoire parce qu’Il existait avant l’Histoire et qu’Il existera après ce monde. Il n’a ni commencement ni fin. Il est le Verbe qui s’est fait homme. C’est cela l’Incarnation, Il s’est fait chair. 17/12/78, p.42, VI.

 

 

L’Union hypostatique

 

Le Christ, en tant qu’homme, aura une mère, mais n’aura pas de père rĂ©alisant humainement son incarnation parce qu’il est un prodige de l’Esprit saint. Qu’est-ce que c’est que cette onction de l’Esprit saint? Il est nĂ©cessaire, en cette pĂ©riode de l’avent et de NoĂ«l, de prendre en compte ce que signifie l’Esprit saint, la puissance de Dieu. Celui-ci forma du sang de Marie un corps en ses entrailles auquel il infusa, comme Ă  tout ĂŞtre humain, une âme humaine en plus de lui communiquer la seconde personne de la très Sainte TrinitĂ© : le Verbe. Ainsi, cette femme enceinte Ă©tait dĂ©jĂ  la mère de Dieu. Lorsque la nuit de NoĂ«l, neuf mois après ce prodige de l’Incarnation dans ses entrailles, elle reçoit dans ses bras l’enfant JĂ©sus, Marie sait qu’Il est l’œuvre de l’Esprit saint, que l’Esprit de Dieu a rĂ©alisĂ© le prodige d’un Homme-Dieu. L’Esprit saint mĂ©rite ce matin l’hommage de notre adoration et de notre gratitude parce que grâce Ă  Lui, il y eut une femme qui put rĂ©unir l’honneur de la virginitĂ© et de la maternitĂ© et nous donner le prodige d’un Dieu fait chair. […]

 

Et c’est grâce Ă  cet Esprit de vie Ă©ternelle que JĂ©sus ressuscita d’entre les morts, cette rĂ©surrection de l’homme de Nazareth qui est le Christ. Cet Esprit se donnera aussi comme garantie de foi et d’espĂ©rance pour la rĂ©surrection de tous ceux qui croient en JĂ©sus-Christ. « Celui qui croit en moi, mĂŞme s’il meurt, vivra Â» parce que cet Esprit qui m’a fait chair anime Ă©galement la vie du Peuple de Dieu, des chrĂ©tiens, et a Ă©tĂ© donnĂ© par le baptĂŞme Ă  tous ceux qui croient en JĂ©sus Christ. 17/12/78, p.42-43, VI.

 

 

Le Verbe s’est fait chair

 

 

A) Sens biblique de la parole « chair Â»

 

Saint Jean utilise cette parole d’une immense saveur biblique et qui appartient Ă©galement Ă  la philosophie grecque « chair Â». La chair est l’homme concret, la chair c’est ce que nous sommes tous ici : hommes dans lesquels on peut voir la marque du temps, l’enfant qui commence Ă  vivre, le jeune dĂ©jĂ  robuste, l’homme vieux qui termine son existence, la chair est marquĂ©e par le temps. La chair est la situation concrète de l’homme, de l’homme et du pĂ©chĂ©, de l’homme angoissĂ© par sa situation, de l’homme qui est une patrie avec une histoire qui paraĂ®t Ă  un chemin sans issue. La chair, c’est tous ceux qui vivent incarnĂ©s. La chair est fragile, cette chair qui a un dĂ©but et une fin, qui tombe malade et meurt, qui pèche, qui devient malheureuse ou heureuse, selon son obĂ©issance Ă  Dieu. C’est cela qu’a fait le Verbe, il s’est fait chair. 17/12/78, p.43, VI.

 

 

B) RĂ©demption intĂ©grale : individuelle et sociale, spirituelle et corporelle

 

Un jour, nous avons expliquĂ© une parole que nous avons tentĂ© d’analyser : la KĂ©nose. Rappelez-vous, la KĂ©nose est humiliation, anĂ©antissement, c’est la destruction, la disparition. Avec cette parole, on cherche Ă  exprimer cet acte d’humilitĂ© du Dieu qui est infini et Ă©ternel et qui s’enferme dans le ventre d’une vierge pour devenir chair. L’enfant que nous allons adorer Ă  BethlĂ©em est chair, chair fragile d’enfant. Mais dans celle-ci, comme dans un papier-cadeau, est enveloppĂ© un grand prĂ©sent. Le Verbe s’est fait chair! Le plus beau du Christ n’est pas sa chair, mais sa chair c’est le Christ. Chair qu’Il dĂ©sire assumer en soi tout ce qu’est notre chair : « en tout semblable Ă  nous Â», nous dit la thĂ©ologie de saint Paul.

Et lorsqu’en ces temps nouveaux, le Concile Vatican II dit que le mystère de l’homme ne peut ĂŞtre compris sans le mystère du Verbe incarnĂ©, nous disons : en Lui, la nature humaine assumĂ©e, non absorbĂ©e, a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e en nous Ă©galement Ă  une dignitĂ© sans Ă©gale.

 

Le Fils de Dieu par son incarnation s’est uni, d’une certaine manière, avec tous les hommes. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec l’intelligence d’un homme, il œuvra avec la volonté humaine, et il aima avec le cœur d’un homme. Né de la Vierge Marie, il s’est fait véritablement l’un des nôtres, semblables à nous tous, excepté dans le péché. Nous devrions pleurer de joie et de gratitude en sachant que ce Dieu infini s’est fait chair comme nous tous et habita parmi nous. Si le Christ avait réalisé son incarnation aujourd’hui, et qu’en 1978 il avait eu 30 ans, il serait ici en cathédrale et nous ne pourrions pas le distinguer des autres. Un homme de 30 ans, un paysan de Nazareth, ici dans la cathédrale comme n’importe quel paysan de nos cantons, serait le Fils de Dieu fait chair et nous ne le reconnaîtrions pas. En tout semblable à nous! 17/12/78, p.43-44, VI.

 

 

Marie ne peut être omise dans ce Mystère de la Nativité

 

Marie ne peut être mise de côté en ce temps de l’avent et de Noël. Personne comme Marie ne nous enseignera mieux l’esprit d’adoration devant le Christ qui est le Verbe de Dieu fait chair, personne ne sentit une expérience aussi vive, lorsqu’en ses propres entrailles le Verbe s’est fait chair. Elle a offert au nom de toute l’humanité son sein virginal où le Christ s’incarne pour assumer en soi comme vient de le dire le Concile, toutes les mains des travailleurs, tous les cerveaux des penseurs, tous les cœurs de ceux qui aiment, toutes les angoisses de ceux qui souffrent, toutes les espérances des hommes, et toutes les joies humaines. Rien d’humain n’est étranger à Jésus Christ, parce qu’Il s’est fait chair, Il a voulu assumer tout ce que signifie la chair dans sa dignité de Fils de Dieu.

 

C’est cela le principal de Noël, ne les laissons pas commercialiser, profaner et paganiser cette fête. Recueillons-la avec l’esprit respectueux et vénérons-la dans notre foyer, dans notre pauvreté. Même pauvre et malade, c’est encore mieux! Je suis la chair que le Christ a assumée. Béni soit Dieu d’avoir voulu devenir une partie de ma vie en se faisant chair comme moi. 17/12/78, p.44, VI.

 

 

Ne déprécions pas l’aide de l’Esprit saint

 

Dans la seconde lecture d’aujourd’hui (Th 5,16-24), il y a une pensĂ©e que je veux vous dire maintenant avec toute la confiance d’un pasteur envers son peuple. Il s’agit comme des normes que je voudrais garder dans ma pastorale ce que dit saint Paul aux Thessaloniciens : « N’éteignez pas l’Esprit. Ne mĂ©prisez pas le don de prophĂ©tie. Examinez tout, en gardant le bon. Â» Qu’est-ce que cela veut dire : « N’éteignez pas l’Esprit? Â» Je sens dans cette parole, comme Ă©vĂŞque et pasteur, une terrible responsabilitĂ©, parce que je sais que l’Esprit de Dieu qui fit le corps du Christ dans les entrailles de Marie et continue de construire l’Église dans l’Histoire ici, dans cet archidiocèse, est un Esprit qui est, comme dit la Genèse, Ă  l’œuvre pour une nouvelle crĂ©ation. Je sens qu’il y a quelque chose de nouveau dans l’archidiocèse. Je suis un homme fragile, limitĂ© et je ne sais pas ce qui est en train de se passer, mais je sais que Dieu le sait. Mon rĂ´le, comme pasteur, est ce que me dit aujourd’hui saint Paul : « N’éteignez pas l’Esprit Â». Si avec un sentiment d’autoritarisme je dis Ă  un prĂŞtre « ne fais pas cela Â», ou Ă  une communautĂ© « n’allez pas par lĂ  Â», que je veuille me constituer comme si c’était moi l’Esprit saint pour faire une Église Ă  mon goĂ»t, j’éteindrais l’Esprit. Mais au contraire, j’écoute saint Paul : « Essayez-le, examinez-le et gardez ce qui est bon. Â»

 

Je demande beaucoup à l’Esprit saint le don de discernement. Frères, je vous invite, et plus âgés vous êtes, plus insistante se fait mon invitation à cette chose si difficile qu’est le discernement. […]

Il existe une phrase biblique très significative : « L’Esprit rend neuves toutes les choses. Â» C’est nous qui vieillissons et nous voulons que tout soit selon nos modèles de vieux. L’Esprit n’est jamais vieux, l’Esprit est toujours jeune.

 

Écoutez cette phrase du Concile Vatican II : « La vocation de l’homme est unique, c’est une vocation divine. Pour cela, nous devons croire que l’Esprit saint offre Ă  tous la possibilitĂ© que, d’une manière que Dieu seul connaĂ®t, nous nous associons tous Ă  ce mystère pascal. Â» C’est une phrase qui est pour moi très rĂ©vĂ©latrice lorsque je pense que, non seulement dans les limites de l’Église Catholique, encore moins dans les Ă©troites limites du sacerdoce et de l’épiscopat ou de la vie religieuse, uniquement lĂ  serait le bon et le reste serait mal? Mensonge! Le Concile vient de nous dire : « Qu’en dehors de l’Église Catholique, Ă©tant donnĂ© que tous les humains sont appelĂ©s Ă  cette vocation divine, l’Esprit saint s’avancera, par des chemins que Lui seul connaĂ®t parce qu’Il participe Ă  ce mystère qu’est le Christ, les hommes mĂŞme s’ils ne sont pas chrĂ©tiens. Â» Quelle honte, lorsque l’on pense que peut-ĂŞtre des paĂŻens, des gens qui n’ont pas la foi en JĂ©sus-Christ, mais qui sont peut-ĂŞtre meilleurs que nous, sont plus près du Règne de Dieu.

 

Le Christ dira peut-être qu’au-dehors des limites de cette Église, il existe plus de foi, davantage de sainteté. Pour cela, nous ne devons pas éteindre l’Esprit…

 

L’Esprit n’est pas le monopole d’un mouvement, d’un mouvement chrĂ©tien, d’une hiĂ©rarchie, ni d’un prĂŞtre, ni d’une congrĂ©gation religieuse. L’Esprit est libre et cherche les hommes, peu importe oĂą ils se trouvent pour qu’ils rĂ©alisent leur vocation de rencontrer le Christ, Celui qui s’est fait chair pour sauver toute chair humaine. C’est cela, très chers frères, et je sais qu’à la cathĂ©drale viennent aussi des gens qui ont perdu la foi ou qui ne sont pas chrĂ©tiens. Soyez bienvenus! Et si cette parole vous dit quelque chose, je vous invite Ă  y rĂ©flĂ©chir dans l’intimitĂ© de vos consciences parce que, comme le Christ, je peux vous dire : le Règne de Dieu n’est pas loin de toi, le Règne de Dieu est dans ton cĹ“ur, cherche-le et tu le trouveras. 17/12/78, p.47-48, VI.

 

 

Dieu s’est fait homme pour que nous soyons Dieu

 

Dieu s’est fait homme et a assumé cette chair concrète de crimes, de violences, d’angoisses. La chair c’est tout cela, mélange de justice et de violation, d’innocence et de péché. Tout cela a été assumé par le Christ pour racheter nos péchés et obtenir la vie de Dieu pour que nous nous convertissions et que nous participions à sa vie divine. Le Christ continue de s’incarner aujourd’hui dans notre vie quotidienne. 17/12/78, p.49, VI.