L’Église eschatologique

 

Trente-deuxième dimanche du temps ordinaire; 6 novembre 1977; Lectures : II MaccabĂ©es 7,1-2)9-14; Corinthiens 2,15-3,5; Luc 20,27-38.

 

La parole « eschatologique Â» signifie la science des choses ultimes; elle Ă©voque que l’Église indique Ă  l’être humain, au peuple, les choses dernières ou ultimes, sa destinĂ©e. Vers oĂą est-ce que je marche, en tant qu’homme, en tant que patrie, que communautĂ©. L’eschatologique constitue dans la thĂ©ologie actuelle un des thèmes les plus importants. Et, je dirai, frères, que l’eschatologie, cette science, ce savoir, cette expĂ©rience, cette espĂ©rance des choses dernières que le chrĂ©tien porte en lui, donne Ă  notre Église une dynamique très originale, une dynamique d’espĂ©rance qui ne peut naĂ®tre que d’une très grande foi. […]

 

S’il n’existe rien d’autre que le Christ, nous avons l’obligation de nous unir dans son message, tuant en nous l’égoïsme, une manière personnelle de penser, pour présenter la foi unique, dans le Christ, formant le seul troupeau qui sauvera le monde entier. Ainsi également, si cette perspective universelle nous est nécessaire pour nous unir davantage, je crois que l’autre dynamique, que l’autre force qui puisse nous unir intimement, c’est cette perspective eschatologique. Nous savons que nous marchons tous vers la même destinée, que nous sommes tous les passagers d’un même navire, qu’un même phare nous illumine de sa lumière qui attire notre embarcation au travers des tempêtes du temps et de la vie.

L’eschatologie est comme une boussole posée sur notre navire pour que nous puissions voir si nous naviguons dans la bonne direction et c’est pourquoi ces lectures nous parlent de cet au-delà, nous parlent de la Résurrection. 06/11/77, p.308-309, I-II.

 

La RĂ©surrection

 

Lisez le chapitre sept du Second Livre des MaccabĂ©es. Vous avez une thĂ©ologie du martyre, une thĂ©ologie dont notre peuple a bien besoin aujourd’hui. La thĂ©ologie du tĂ©moignage fidèle Ă  la Loi de Dieu avant d’obĂ©ir Ă  ceux qui profanent la Loi du Seigneur, les droits du Seigneur. Si nous retirons de ce texte, l’ensemble des rĂ©ponses des sept fils – certains Ă©taient plus âgĂ©s que les autres, nous arrivons Ă  la conclusion que dans la pensĂ©e d’IsraĂ«l, cette idĂ©e primait : Ă  savoir : qu’il faut obĂ©ir Ă  la loi de Dieu, mĂŞme lorsque cela suppose le risque de mourir. Quel principe plus valeureux! Mais il Ă©tait associĂ© Ă  une grande espĂ©rance contenue dans ce second principe : celui qu’ils auront mutilĂ©, auquel ils coupèrent la langue, les bras et qu’ils dĂ©pecèrent, sera ressuscitĂ© par la loi de Dieu avec tous ses membres et cette vie, oĂą on lui enlève les pouvoirs de la Terre, lui sera rendue, glorifiĂ©e par le Seigneur. Les bourreaux aussi ressusciteront, dit la Bible, mais non pas pour recevoir la gloire, mais le châtiment mĂ©ritĂ©, l’ignominie, s’ils ne se repentent pas de leur pĂ©chĂ©.

 

Cette thĂ©ologie nous conduit Ă©galement Ă  cette rĂ©flexion : ce n’est pas que les martyrs soient des saints et les autres les mauvais. Les MaccabĂ©es disent ceci Ă©galement (2 M 7,18-19) : « Ne te fais pas de vaine illusion; c’est Ă  cause de nous-mĂŞmes que nous souffrons cela, ayant pĂ©chĂ© envers notre propre Dieu. Mais toi, ne t’imagine pas que tu seras impuni après avoir entrepris de faire la guerre Ă  Dieu. Â» Dieu punit les pĂ©chĂ©s de ses fils au moyen des fouets; mais tandis que ses fils, châtiĂ©s par la Providence de Dieu, recevront la gloire et les rĂ©compenses pour leur correction, ceux qui servirent des fouets aux fils de Dieu, s’ils ne se sont pas repentis de leurs crimes, seront jetĂ©s Ă  l’ignominie Ă©ternelle. 06/11/77, p.310, I-II.

 

Le Christ et la RĂ©surrection

 

Quelle théologie plus belle! C’est celle que nous allons expliquer dans l’Évangile (Lc 20,27-38) qui nous présente ce curieux exemple des sept maris. Toutes ces lois temporelles du mariage. Le mariage lui-même possède un sens relatif à l’histoire, un sens temporel. Il est nécessaire cependant que l’homme et la femme aient des enfants sur cette Terre où il est nécessaire de conserver le genre humain, mais dans la résurrection où ils seront immortels, les relations sexuelles n’entreront plus en considération. Le mariage n’existera pas. Tous seront comme des anges de Dieu. Naturellement, les corps ressuscités existeront avec tous leurs membres, mais la raison des fonctions de ces membres corporels, se transformera. Lisez vous-mêmes ces chapitres de saint Paul aux Corinthiens (2,15-3,5) où il leur dit que c’est une chose le corps qui meurt et que l’on enterre, et une autre, le corps qui ressuscite pour la vie éternelle; c’est un corps spirituel. Dans le ciel, la nécessité sexuelle de la chair qu’exigent les lois de la procréation, n’existera plus. Il n’y aura plus de nécessité.

 

Nous allons ici tirer une belle consĂ©quence de cela. Cette homĂ©lie nous donne l’opportunitĂ© de voir les aberrations de ceux qui abusent des plaisirs sexuels : la contraception, l’homosexualitĂ©, les relations prĂ©- maritales, l’avortement, la prostitution; tout cela c’est mettre uniquement ses fonctions corporelles au service du plaisir, de l’égoĂŻsme. Toutes ces choses, Dieu nous les a donnĂ©es pour des fins très grandes. C’est ici qu’apparaĂ®t l’eschatologique, la finalitĂ© de toutes choses. Si devant les relations humaines nous pensions toujours Ă  la finalitĂ© de notre existence, le dĂ©sordre de l’explosion dĂ©mographique n’existerait pas parce que ce n’est pas Ă  l’intĂ©rieur du mariage qu’il se produit, sinon, prĂ©cisĂ©ment, Ă  l’extĂ©rieur de celui-ci.

 

Le machisme, l’homme qui fait et abandonne des enfants un peu partout, c’est ce qui est responsable de l’explosion démographique au Salvador. Si le mariage était ordonné, si tout le pays avait des familles ordonnées, nous ne connaîtrions pas ce phénomène terrible des enfants sans père, enfants qui ne sont que le fruit du plaisir d’un moment de relation sexuelle. 06/11/77, p.310-311, I-II.

 

Le temporel et l’éternel

 

Si nous tenions compte de la relativité du temporel, ceux qui sont au pouvoir n’en abuseraient pas, mais ils en useraient pour le bien commun. Nous prendrions conscience qu’il existe un jugement de Dieu qui va demander des comptes aux gouvernants et aux gouvernés sur l’usage de leurs facultés. Et si nous savions à quel point le veau d’or n’est rien d’autre qu’une idole qui va disparaître! Et lorsque nous mourrons, nous nous en irons les mains vides de tous ces biens temporels. Si nous tenions compte de l’eschatologie dans notre usage de l’argent, dans les relations entre patrons et ouvriers, dans le traitement des cueilleurs, si l’eschatologie éclairait toutes ces relations, comme apparaîtraient relatives toutes ces choses temporelles!

 

L’argent, les plaisirs, le pouvoir sont relatifs. Le mariage lui-même, qui semble si stable, est relatif comme l’est le célibat sacerdotal et religieux. Si nous, les prêtres, avons accepté de renoncer au mariage, nous nous devons de demeurer fidèles parce qu’il faut rendre témoignage, au milieu des gens mariés, de la valeur relative des relations sexuelles. Les hommes et les femmes célibataires, ceux qui ne se marient pas et qui vivent leur célibat dans la chasteté, rendent déjà témoignage de ce que sera l’Autre Vie. Nous serons comme des anges nous dit le Christ dans l’Évangile d’aujourd’hui (Lc 20,27-38). Ils ne mourront pas, ils seront éternels. Ils n’auront plus besoin des choses de la chair.

 

Puisse Dieu, frères, faire en sorte que vous m’ayez compris afin qu’un souffle de spiritualitĂ© soit la meilleure rĂ©ponse Ă  tant de problèmes que vivent ceux qui ont fait du sexe le centre de leur vie, le centre de leurs prĂ©occupations. Ce n’est pas le sexe qui est le principal dans le mariage. C’est la formation mutuelle oĂą l’on se prĂ©pare Ă  ĂŞtre un jour des anges dans le Ciel, en se sanctifiant , Ă©poux, Ă©pouses et enfants, dans l’utilisation chaste et honnĂŞte, et selon la Loi de Dieu, de cette institution qui se nomme le mariage. C’est pourquoi, frères, comme centre de cette eschatologie, saint Paul dans son Ă©pĂ®tre aux Thessaloniciens, pose le Christ, Notre Seigneur, comme l’explication du christianisme. 06/11/77, p.311-312, I-II.

 

La Personne du Christ

 

Le christianisme n’est pas un ensemble de vĂ©ritĂ©s dans lesquelles il faut croire, de lois qu’il faut accomplir, d’interdictions. Le rĂ©sultat de ceci serait très rĂ©pugnant. Le christianisme est une personne, qui m’a tant aimĂ©, qu’Il rĂ©clame mon amour. Le christianisme c’est le Christ. Ă€ la lumière du Christ, comme le mariage s’élève chastement! Ă€ la lumière du Christ, comme se comprend l’eschatologie! Un Frère plus grand m’attend; plus encore, Il marche dĂ©jĂ  avec moi. Parce que nous parlons d’eschatologie, j’aimerais graver cette autre idĂ©e dans votre esprit : l’eschatologie n’est pas seulement ce que nous espĂ©rons, c’est ce que nous avons dĂ©jĂ  quand nous avons la foi du Christ dans le cĹ“ur. N’attendons pas de mourir pour ĂŞtre heureux. Nous sommes dĂ©jĂ  heureux lorsque nous possĂ©dons le Règne de Dieu pour donner Ă  l’Histoire son sens ultime. Le sens final de l’Histoire, le sens relatif de toutes les choses, c’est le Christ qui nous le donne. Instaurez toutes choses en JĂ©sus-Christ. Seul celui qui est dĂ©jĂ  attachĂ© au Christ, peut ĂŞtre eschatologique. Le jeune, le couple, l’ancien, le malade, celui qui accomplit son devoir ou souffre une peine, s’il le vit uni intimement au Christ, Roi des Siècles, est dĂ©jĂ  dans l’eschatologie. C’est pour cela que dans l’Église, est classique ce mouvement qui s’exprime par ces paroles, comme le pendule d’une horloge : « Toujours, jamais, dĂ©jĂ  mais pas encore. Â»

 

C’est cela, le christianisme. C’est pourquoi nous devons vivre dĂ©jĂ  comme si nous Ă©tions au Ciel; mais pas encore, parce que, ce que nous sommes n’a pas encore Ă©tĂ© manifestĂ©. Par ailleurs, nous sentons dĂ©jĂ  que notre engagement avec ce Christ s’incarne dans ce peuple que nous devons servir et pour qui nous devons donner notre vie, mĂŞme si nous ne voyons pas encore la gloire que nous portons cachĂ©e en nous. Tous ceux qui sont actuellement dans la grâce de Dieu et qui vont s’approcher pour recevoir la communion, vivent dĂ©jĂ  dans le Règne de Dieu; mais cela ne se voit pas encore; mais cela est dĂ©jĂ  prĂ©sent dans leur cĹ“ur. C’est ce que nous appelons l’eschatologie prĂ©sente. Celle-ci possède deux moments : un prĂ©sent et un futur. Le prĂ©sent, c’est ce que vivent les gens de foi, d’espĂ©rance. Dans l’exclusion, dans la pauvretĂ©, dans l’humiliation, dans la torture, l’homme vit dĂ©jĂ  ce Ciel, cette espĂ©rance. Et si je meurs ici, ce n’est rien d’autre que le vase de terre qui s’est brisĂ© pour laisser entrer la splendide lumière qui illumine toute ma vie.

 

Frères, vivons cette eschatologie. Vivons dès maintenant dans le Règne des cieux. Et ce dernier sera notre force de sorte que nous voudrons l’imprimer profondément dans le cœur de tous. Ne désespérons pas, ne cherchons pas des solutions de violence, ne haïssons pas, ne tuons pas. Je vous ai dit quel est le langage de ma prédication. Un langage qui veut semer l’espérance, qui dénonce, oui, les injustices de la Terre, les abus du pouvoir, mais jamais avec la haine, mais avec amour, appelant à la conversion, pour que tous vivent déjà ce moment eschatologique qui est l’âme et l’essence de cette Église, animée par l’Esprit de Dieu, qui vit et qui règne pour les siècles des siècles. 06/11/77, p.312-313, I-II.