L’Église, Corps du Christ dans l’Histoire

 

FĂŞte du Divin Sauveur du monde; 6 aoĂ»t 1977; Lectures : Daniel 7,9-10.13-14; II Pierre 1,16-19; Luc 9,28b-36.

 

Commençons par nous demander si ces changements évidents de l’Église moderne sont une trahison à l’Évangile ou au contraire une exigence de fidélité à ce même Évangile. Quels sont ces changements?

 

L’Église dans le monde

 

En premier lieu, l’Église a compris qu’elle vivait un peu en tournant le dos au monde et elle s’est transformée pour dialoguer avec le monde. Selon ces mots du Concile Vatican II tirés de sa si belle constitution Gaudium et Spes (1), les joies, les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement solidaire du genre humain et de son histoire. 06/08/77, p.153, I-II.

 

 

L’unité de l’Histoire

 

Parce que nous vivions comme deux histoires parallèles qui allaient seulement se rencontrer après la mort. L’on prĂŞchait Ă  l’histoire de la Terre, Ă  l’histoire de la patrie, comme un conformisme, comme quelque chose qui ne nous intĂ©ressait pas puisque nous avions les yeux tournĂ©s vers le Ciel. Mais l’Église, en rĂ©flĂ©chissant, rĂ©alisa Ă  quel point la Bible constitue en fait l’histoire d’un peuple, mais une histoire entrelacĂ©e de l’Histoire du Salut, entièrement pĂ©nĂ©trĂ©e du dessein salvateur du Christ. C’est pourquoi l’Église a conclu qu’il n’y a pas lieu d’avoir cette dĂ©marcation si tranchĂ©e entre l’histoire profane et l’Histoire du Salut, sinon que l’histoire de tout peuple constitue la marque concrète de Dieu qui veut sauver ce peuple au moyen de son Église. Et si l’Église s’identifie avec ce peuple, qu’elle marche avec l’histoire et qu’elle dit aux Salvadoriens : nous devons nous sauver avec notre propre histoire, mais une histoire entièrement pĂ©nĂ©trĂ©e de la lumière du Salut et de l’espĂ©rance chrĂ©tienne. Toute l’histoire du Salvador, toute sa politique, toute son Ă©conomie et tout ce qui constitue la vie concrète des Salvadoriens doit ĂŞtre illuminĂ©e par la foi. Il ne doit pas y avoir de divorce (entre ces deux dimensions). Cela doit ĂŞtre l’histoire de la patrie pĂ©nĂ©trĂ©e du dessein de Dieu pour que nous la vivions avec foi et espĂ©rance comme une histoire qui amène le Salut en JĂ©sus-Christ. 06/08/77, p.153-154, I-II.

 

 

Fidélité de l’Église au Christ

 

Un Christ authentique et véritable continue d’être le Christ de cette Église, un Dieu et un homme véritable. Dieu est le seul qui puisse donner une explication au commencement et à la fin de chaque vie humaine. Il connaît, mieux que quiconque, le mystère de l’être humain et de l’histoire du Salvador, Il est le Roi de notre histoire. L’homme qui s’est incarné il y a vingt siècles, Dieu qui s’est fait homme dans l’histoire d’un pays dominé par une puissance étrangère et qui vit sa Palestine, son Nazareth, comme un Salvadorien se doit de vivre sa propre histoire.

 

La Bonne Nouvelle que le Christ nous apporta était l’annonce d’une grande espérance, la constitution d’une humanité où tous se sentiraient frères et où Dieu serait le Père de tous. Dans cet effort pour connaître ce Dieu véritable, ils découvrirent que leur prochain est en fait l’image de Dieu et, dans l’effort d’aimer leur prochain, en fait, ils s’approchaient de Dieu. 06/08/77, p.155, I-II.

 

 

L’Église, poursuit l’œuvre de Jésus

 

Ce message du Règne de Dieu qui s’approche est celui que l’Église continue de prĂŞcher. Le Règne de Dieu s’approche et quand les humains comprennent ce message d’il y a vingt siècles, sur les lèvres des Ă©vangĂ©lisateurs de 1 977, qu’ils s’aiment, ils vivent en communautĂ© et dĂ©testent les diffĂ©rences (inĂ©galitĂ©s). Ils savent que le Règne de Dieu ne peut pas ĂŞtre lĂ  oĂą le pĂ©chĂ© prĂ©domine. Ils disent : convertissez-vous. La conversion, c’est le mot d’ordre de l’Église. Elle ne prĂŞche pas avec haine et ressentiment, mais avec l’amour de Celui qui veut qu’ils se sauvent, qu’ils se convertissent.

 

C’est pour cela qu’est venu le Fils de Dieu. Est-ce qu’ils se convertirent les riches du temps de Jésus? Peu d’entre eux, mais ceux qui se convertirent donnèrent à leur richesse un sens de fraternité avec les autres. Les pécheurs qui se convertirent rencontrèrent, dans le Christ, l’allégresse de se sentir frères sans différence, rien de plus que de se sentir tous frères du même Père. C’est ce que continue d’enseigner l’Église.

 

C’est pourquoi lorsqu’on l’accuse d’être subversive, de prĂŞcher la haine, de diviser les classes sociales, on la calomnie dans ce qu’elle possède de plus douloureux et dĂ©licat dans sa conscience. L’Église jamais ne prĂŞche la haine. L’Église proclame toujours l’amour. Lorsqu’elle critique contre ce que l’AssemblĂ©e Ă©piscopale de MedellĂ­n a dĂ©nommĂ© : « la violence institutionnalisĂ©e Â», elle doit crier violemment comme les prophètes qui dĂ©nonçaient violemment l’ordre injuste de leur temps. Ce n’est pas que l’Église prĂŞche la violence, c’est plutĂ´t parce que d’autres ont provoquĂ© la violence, la haine, la torture, la douleur, l’inĂ©galitĂ© sociale, que l’Église doit ĂŞtre forte dans son langage, car c’est celui du Christ qui sans haine ni vengeance, veut arracher les âmes au règne du pĂ©chĂ© pour les conduire au Règne de Dieu.

 

Comme le Christ, l’Église a une préférence pour celui qui souffre, non pas pour être partial, mais afin de signaler à tous le chemin de la charité, le chemin de l’amour. Elle dit à tous, aux pauvres également, qu’ils doivent se convertir, que la situation d’injustice sociale qui règne sur notre continent n’est pas seulement la faute des riches et des puissants. Il y a également des pauvres qui ne veulent pas améliorer leur sort, qui vivent dans la paresse, qui n’essaient pas de refaire leur vie et de vivre comme des enfants de Dieu, et qui collaborent également à cette situation d’injustice sociale. L’Église enseigne la promotion humaine pour l’éveiller de son conformisme infirme et le rendre actif, comme artisan de son propre destin.

 

L’Église doit souffrir, car elle dérange ceux qui désirent avoir des masses endormies, des hommes et des femmes incapables de critiquer, des gens incapables de se refaire et de faire leur propre histoire. Ces dominants sentent qu’on leur enlève cette triste situation de l’exploitation de l’homme par l’homme et ils ne veulent pas céder. C’est pour cela que l’Église enseigne ce message de libération authentique du Christ, en réalisant la promotion de certains et en essayant d’arracher les autres à leur propre égoïsme. Elle dit à tous, comme le Christ en son temps, qu’il faut se convertir à Dieu, que son Royaume est proche et que nous serons coupables si nous ne contribuons pas à sa construction en ce monde. 06/08/77, p.155-156, I-II.

 

L’archidiocèse du Divin Sauveur

 

Ce n’est pas de la haine ce que l’Église prêche, mais l’amour. Si parfois elle se fait violente, c’est pour arracher les âmes au règne du péché et les convertir au Seigneur. Ce n’est pas du marxisme puisque l’Église ne s’identifie avec aucun système politique ou social et qu’à l’intérieur des systèmes, elle ne fait que défendre son éthique religieuse. C’est ainsi qu’elle peut dire au communisme athée qu’il demeure incompatible avec la transcendance et la foi en Dieu, et au matérialisme du capitalisme libéral qu’il est athée, qu’il est idolâtre, parce qu’il adore son argent et que pour défendre celui-ci, peu lui importe d’offenser la dignité des autres. Il pèche également gravement. 06/08/77, p.157, I-II.

 

 

Le témoignage d’une Église persécutée

 

Nous disons Ă©galement au Christ que nous lui offrons une Église tâchĂ©e de sang, une Église avec ses vĂŞtements blancs, mais tâchĂ©s par la persĂ©cution. Il y a eu et il y a encore de la persĂ©cution parce que, thĂ©ologiquement, persĂ©cution signifie : empĂŞcher le message de l’Église. Et c’est ce qui s’est produit. On a empĂŞchĂ© le message authentique de l’Église. On veut nous mettre des restrictions, des mesures pour nous dire comment nous devons prĂŞcher. Mais nous, c’est le Christ que nous devons Ă©couter, comme lorsque ce matin nous avons dit au Père Ă©ternel (II Pie 1,17) : « Celui-ci est mon Fils bien-aimĂ© qui a toute ma faveur. Â»

 

Nous avons souffert la persĂ©cution dans la personne de nos prĂŞtres. Il n’est pas nĂ©cessaire de le rĂ©pĂ©ter, mais sachez et ayez conscience que l’Église est Ă©galement persĂ©cutĂ©e dans les destinataires de son message, dans son peuple, dans ses paysans, dans ses groupes de rĂ©flexion, oĂą l’on sème l’épouvante et la terreur ce qui fait que plusieurs ont peur et n’osent plus s’approcher. Ceci en langage authentique s’appelle de la persĂ©cution. Mais l’Église ce matin lève ses yeux vers le Divin Époux pour lui dire : « Je te rends grâce, parce que mon espĂ©rance est en Toi, parce je me livre Ă  Toi et qu’au travers de la persĂ©cution s’éveille le courage de mes fils Â» et de tous ceux qui sont disposĂ©s Ă  donner leur vie pour dĂ©fendre cette foi que nous devons professer. 06/08/77, p.158, I-II.