La Grâce, le don divin de la Pâques
que l’Église distribue aux hommes
Cinquième dimanche de Pâques; 13 mai
1979; Lectures : Actes 9,26-31; I Jean 3,18-24;Â Jean 15,1-8.
Salut au retour de Romero
J’ai toujours pensé que le meilleur
d’un voyage c’est le retour à la
maison. On apprend beaucoup, on vit des expériences
nouvelles, cela enrichit la vie, mais, surtout, lorsque quelqu’un voyage comme
un pèlerin et un pasteur, tout cet enrichissement, toutes ces expériences sont
assimilées en fonction de la mission qui lui a été confiée. Je vous rapporte de
Rome des Ă©motions nouvelles, des impressions neuves; mon retour parmi vous est
le meilleur de mon voyage. Je vous remercie que, en cette Église du Rosaire,
convertie en un foyer où nous sommes réunis comme en famille, vous m’avez donné
un accueil si chaleureux que pour moi cela constitue un nouveau motif de
stimulation pour continuer Ă vivre et Ă partager les joies et les tristesses,
les préoccupations, les tragédies, les angoisses et les espoirs de ce peuple
qui est pèlerin en ce monde. […]
Alors que je me trouvais en Espagne
m’est parvenue la nouvelle de la triste situation de notre pays. Il est pénible
de se sentir reconnu à l’étranger comme quelqu’un qui vit dans un pays où la
violence apparaît comme sa respiration quotidienne. On voit, à l’étranger, des
versions qu’ici nous ne pouvons voir. On y a une perception plus cruelle que
celle que nous avons ici à l’intérieur. Parfois, l’insensibilité de l’Europe
face à l’Amérique latine nous fait mal au cœur et nous fait sentir comme
latino-américains, missionnaires en Europe, comme éveilleurs de conscience de
la fraternité universelle pour demander la compréhension et l’amour vis-à -vis
des grandes problématiques que nous vivons. […]
Le monde s’illumine malgré ses
tragédies et ses souffrances avec cette espérance et cette foi en la Parole de
Dieu, en notre croyance et en notre espérance en Jésus-Christ qui vit et ne
mourra jamais et qui a le pouvoir de sauver tous les peuples.
Plan de l’homélie :
1) Qu’est-ce que la grâce?
A) Pardon du péché
B) Communion dans l’amour et dans la
vérité
2) Relation entre la Grâce et
l’Église : l’Église signe visible et administratrice de la Grâce
A) L’Église hiérarchique, institution
B) L’Église, Peuple de Dieu
1) Qu’est-ce que la Grâce?
Tâchons de comprendre ce qu’est la Grâce. Je
voudrais, chers frères et chères sœurs, vous dire que lorsque vous rapportez le
message d’une nouvelle homélie, de ne pas vous limiter seulement à l’aspect
d’illumination de la triste réalité de notre peuple, parce qu’alors cela ressemble
Ă un discours politique. Concentrez-vous avant tout sur le principal de mon
message qui est la théologie de la Parole de Dieu. C’est la révélation contenue
dans la parole divine du Seigneur qui est l’objet premier de notre réflexion de
chaque dimanche en cette Église. Que ce matin, la curiosité de quelques-uns se
limite à entendre ce que dit l’archevêque des tueries de cette semaine, cela
n’est pas le principal. Nous allons les éclairer, mais depuis la Parole de
Dieu. C’est pourquoi, même s’il n’y avait pas de descriptions de notre réalité,
il sera toujours nécessaire de réfléchir sur la Parole de Dieu, car c’est la
base de notre vie chrétienne.
Parole synthèse d’un grand contenu
théologique.
J’observe, par exemple, lorsque je
demande aujourd’hui, non à cause du caprice d’une personne, mais parce que la
Parole de Dieu nous suggère de parler de la Grâce : qu'est-ce que la
grâce? C’est comme une Parole synthèse d’un grand contenu théologique;
c’est-à -dire qu’il est inclus dans ce mot que la théologie a inventé, un
ensemble de richesses et de valeurs que le Christ dans son Évangile a voulu
répandre et distribuer à pleine main. Le labeur de la théologie est de
systématiser ce mot que le Christ distribue sans aucune préoccupation
théologique, sinon comme un bon Pasteur, comme nous venons de la chanter en
chœur, un Pasteur qui répartit et donne à son troupeau l’alimentation dont il a
besoin.
L’Évangile d’aujourd’hui (Jn 15,1-8)
en est la comparaison et la synthèse la plus exacte : la vigne et le
sarment. Dans l’Évangile d’aujourd’hui apparaît le mot « Grâce » qui
est en fait une définition de la grâce. Lorsque le Christ compare (Jn
15,5-6) : « Je suis la vigne, vous, les sarments. Celui qui demeure
en moi, et moi en lui, celui-lĂ porte beaucoup de fruits, car hors de moi vous
ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors
comme le sarment et il se dessèche; on les ramasse et on les jette au feu et
ils brûlent. » Qu’est-ce que cela signifie dans le langage du Christ?
Une très belle définition de la grâce
J’ai passé par les campagnes
d’Europe, précisément en cette époque où débute le printemps. Un des premiers
spectacles du printemps qui commence est les vignes qui bourgeonnent. En
Europe, l’hiver passe, le froid est comme la mort et il a laissé sans feuille
la végétation, parmi elles les vignes. Ceux qui les cultivent coupent toutes
les petites branches et laissent seulement le pied, le tronc. Ces petits
troncs, ces pieds ont bourgeonné maintenant. Voyez comme cela fait plaisir de
voir comment la vie reprend après cette mort, car ces petites branches qui sont
vertes en mai, vont pousser et s’étendre. On doit leur mettre des tuteurs sur
lesquels elles vont s’appuyer parce qu’elles commencent Ă porter des fruits, Ă
se remplir de grappes. Puis, au mois d’août, lorsqu’on sent bien la chaleur de
l’été, on commence à recueillir les grappes de raisin.
Vous comprenez alors cette
comparaison que fait le Christ : « Je suis le tronc qui est en terre
d’où provient la sève, d’où sort la vigne; les branches c’est vous et si vous
demeurez unis à ce tronc, vous commencerez à produire des grappes. Mon Père
c’est l’agriculteur, Il coupera ces grappes pour qu’elles produisent davantage.
Demeurez unis à moi; sinon vous périrez. Sans Moi, vous ne pouvez rien
faire. »
Il ne s’agit pas de l’agir naturel,
il y a de nombreux pécheurs qui font beaucoup de choses. Tous les travailleurs
peuvent produire sans vivre dans la grâce de Dieu; même à un professionnel, un
artiste ou un artisan peuvent être de bons travailleurs sans se préoccuper de
vivre dans la grâce du Seigneur, mais tout ce qu’ils produisent est comme un
tronc déraciné, la vie de la vigne n’y circule pas, ils ne sont pas unis au
Christ et peuvent produire de nombreux fruits sur terre, de grandes organisations,
mais ils ne produisent pas pour la vie Ă©ternelle. Lorsque le Christ
affirme : « Sans Moi, vous ne pouvez rien », Il se réfère à cet
agir qui demeure pour la vie éternelle. Cet agir des gens simples qui ont vécu
avec la préoccupation de demeurer unis au Christ et qui à l’heure de leur mort
sont heureux parce que leurs mains sont remplies de fruits, de bonnes Ĺ“uvres
pour la vie éternelle que personne ne peut leur enlever. À quoi cela sert-il de
passer sa vie uniquement à la recherche d’argent, pour être bien et monter
politiquement, si lorsqu’on s’y attend le moins, la vie se termine? Que
demeure-t-il de tout ce travail que nous avons accompli sur la Terre? Seulement
demeure cette union avec Dieu.
A) Le Pardon des péchés
Qu’est-ce que la grâce? Dans la
Parole d’aujourd’hui (Jn 15,1-8) nous rencontrons, en premier lieu, le pardon
des péchés. Le grand miracle de la grâce, consiste en premier lieu en la
conversion d’un homme ou d’une femme qui trouvait son plaisir, sa satisfaction
dans les choses de la Terre, dans les plaisirs du vice et de la chair, dans les
idolâtries de l’argent, de quelqu’un qui se fiait uniquement en la force du
pouvoir politique ou de l’argent, mais arrive un moment où la vérité de Dieu
lui révèle la vanité de toutes ces choses et qu’il découvre la beauté de vivre
uni au Christ par la grâce et par l’amour.
C’est lorsque le Christ dit dans
l’Évangile d’aujourd’hui (Jn 15,3) : « Déjà vous êtes purs grâce à la
Parole que je vous ai fait entendre. » Cela veut dire que son message nous
nettoie du péché.
S’il existe une joie profonde pour
celui qui prêche, c’est celle d’entendre que dans le cœur d’un homme a changé
sa façon de vivre. Et si le Christ peut dire : « Tu es lavé par les
paroles que je t’ai faites entendre. » Si je prêche, frères, ce n’est pas
en cherchant autre chose que la conversion. Lorsque nous dénonçons des crimes et
des injustices, nous ne recherchons pas la vengeance, ni la haine, mais la
conversion du pécheur. Combien de fois avons-nous dit, puisque cela fait plusieurs
fois que nous avons dû dénoncer ces mains remplies de sang, non pas pour
demander vengeance contre elles, mais pour obtenir leur conversion :
Lavez-vous dans le repentir, convertissez-vous au Seigneur! Bienheureux l’homme
qui entend cette Parole avec un sincère désir de conversion!
C’est cela la grâce : lorsqu’un
homme sent qu’on lui enlève d’au-dessus de lui un poids énorme, le poids qui
l’opprimait, le poids du péché. Et je voudrais vous le dire avec cette parole
que la seconde lecture (I Jn 3,18) nous mentionne aujourd’hui :
« Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en
vérité »; puis il nous parle d’apaiser notre conscience, de garder les
commandements, de faire la volonté de Dieu. Tout cela se situe dans la ligne de
la grâce, d’enlever le péché de l’homme. Tout cela est dans la ligne de la
conversion et de la félicité de l’homme, qui ne peut être rencontrée sur la
Terre dans les biens transitoires, mais dans l’amour et dans l’unité avec
JĂ©sus-Christ, souche de la vie Ă©ternelle.
B) Communion dans l’amour et dans la
vérité
C’est également, dis-je, la communion
dans l’amour et dans la vérité. Si le Christ n’avait rien fait d’autre
que d’enlever le poids du pĂ©chĂ© du cĹ“ur de l’homme, cela aurait Ă©tĂ© dĂ©jĂ
beaucoup, mais Il a réalisé quelque chose de plus : la grâce de Pâques. La
grâce de la Rédemption est quelque chose de positif, non seulement a-t-Il
enlevé le péché, mais Il a donné à l’homme quelque chose qu’il n’avait pas,
l’amour et la vérité.
Dans la Parole d’aujourd'hui, nous
rencontrons ces deux trésors lorsque le Christ dit (Jn 15,9) :
« Demeurez en moi. Demeurez en mon amour. Cela est mon
commandement. » Qu’est-ce qu’un commandement? La seconde lecture nous dit
(I Jn, 3,18-24) : « Or voici mon commandement : croire au nom de
son Fils Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme Il nous en a donné
le commandement. » C’est ici que sont les deux aspects de la grâce. Comme
vérité, croire dans le nom que le Christ nous a apporté, croire dans le nom de
« Jésus » et en tout ce que ce nom implique, c’est-à -dire :
« Ce Christ est Dieu qui est venu sur Terre. » Accepter son Évangile,
c’est croire en tout ce qu’Il a fait et prêché. C’est cela la vérité suprême,
celle qui nous rend véritablement libres et celle qui pose la base du véritable
amour; que nous nous aimions les uns les autres comme Il nous l’a commandé. Il
ne s’agit pas d’un amour romantique, ni sentimental. C’est un amour d’œuvres et
de vérité; c’est un amour qui dépossède de l’égoïsme pour partager avec nous la
félicité qu’Il possède; c’est un amour qui a la valeur et l’audace de pardonner
jusqu’à la main qui te blesse pour dire comme le Christ : « Père,
pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »; c’est un amour qui va
jusqu’à s’identifier avec le plus odieux; c’est un amour qui ne divise pas,
mais nous unit, qui pose les bases de la véritable paix.
C’est cela la civilisation à laquelle
les évêques réunis à Puebla aspiraient pour toute l’Amérique latine. L’amour
n’est pas faible. Plusieurs ont mis leur confiance dans la violence et dans la
haine et croient qu’ainsi ils vont construire la société. Ils
ignorent que la force véritable ne se situe ni dans la haine, ni dans la
violence : c’est de la
faiblesse. La force authentique c’est l’amour et si nous
n’avons pas vu se réaliser une transformation de notre société par l’amour,
c’est parce que nous n’avons pas encore vraiment essayé la force de l’amour.
Nous voudrions la voir se réaliser sans y contribuer nous-mêmes.
Amour et Vérité
On parle beaucoup de liberté, cette
parole est très jolie et elle est très désirée à notre époque, cependant, dans
la nouvelle encyclique de Jean-Paul II, ce dernier cherche Ă unir ce concept de
liberté, de droits humains, avec celui de la vérité.
« Jésus-Christ, dit le Pape,
vient à la rencontre de l’homme de tous les temps, et à notre époque également,
avec les mêmes paroles : “Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous
rendra libre.” Ces paroles contiennent une exigence fondamentale et au même
moment un avertissement : les exigences d’une relation honnête envers la
vérité, comme préalable d’une authentique liberté; et l’avertissement en plus,
d’éviter les libertés d’apparences superficielles et unilatérales, n’importe
quelle liberté qui n’approfondit pas toute la vérité sur l’être humain et sur
le monde. Aujourd’hui également, après deux mille ans, le Christ nous apparaît
comme Celui qui apporte à l’humain la liberté fondée sur la vérité, comme celle
qui libère l’homme de ce qui le limite, le diminue et qui détruit presque sa liberté
dans ses racines même, dans l’âme de l’homme, dans son cœur et dans sa
conscience. Quelle excellente confirmation de ce qu’ont donné et ne cessent de
donner ceux qui, grâce au Christ Jésus-Christ, ont atteint la véritable liberté
et l’ont manifesté jusque dans des conditions de contritions
extérieures. »
Le Pape mentionne comment le Christ,
au cours de tant de siècles, en commençant par les apôtres, a comparu en
compagnie des hommes qui ont été jugés à cause de la vérité.
Cesserait-Il par hasard d’être continuellement le porte-voix
et l’avocat de l’homme qui vit en esprit et en vérité? Que ce soit là une
parole d’encouragement pour qu’en cette ambiance de mensonge, de distorsion, de
falsification, nous sachions que par là on ne respire pas la liberté. La
liberté doit être ce que vient de nous dire le Pape : « Le produit de
la vérité. » Le Christ ira avec l’homme de vérité, même lorsqu’il sera
amené devant les tribunaux, même comme lorsque face à Ponce Pilate, on lui
demandera : « Qu’est-ce que la vérité? » Il dit :
« C’est pour cela que Je suis né, pour rendre témoignage de la
vérité. » Le Christ accompagne toutes les vicissitudes de la vérité. C’est
pourquoi la grâce est vérité. Communiez à la vérité que le Seigneur nous a
révélée, communiez surtout avec l’amour que Dieu nous a révélé par son Fils
JĂ©sus-Christ.
« Voyez, dit l’Évangile, Dieu a
tant aimé le monde qu’Il lui a donné son propre Fils pour que le monde par Lui
soit sauvé. » Et ce Christ, envoyé par le Père comme témoin de l’amour,
nous dit tous les jours et Il va nous le redire dans quelques instants :
« Prenez et mangez, ceci est mon corps, ceci est mon sang qui a été versé
pour vous. Je suis celui qui me livre pour la vie de mes frères et la gloire de
mon Père. » C’est cela l’amour! Aimer c’est se donner, aimer c’est se
livrer sans réserve, aimer c’est vouloir sans égoïsme, aimer c’est ne pas
exploiter, mais servir, aimer c’est tout ce que nous enseigne la religion. Communier
avec l’amour que Dieu a eu pour le monde en nous envoyant son Fils, c’est cela
la grâce.
Que nous nous aimions les uns les
autres comme Dieu nous a aimés, c’est cela le commandement nouveau de la loi
chrétienne et c’est cela la
grâce. C’est pourquoi lorsqu’il est question de béatifier une
personne, on examine son amour. L’amour c’est la sainteté et la mesure de la sainteté. Si
un homme sait se déprendre de soi-même et aimer, il est saint. Si un homme
parle beaucoup de sainteté, mais qu’il ne sait pas aimer, il ne l’est pas.
Regardons-nous à la lumière de cette
vérité, avec laquelle on nous examinera au soir de notre vie, comme dit saint
Jean de la Croix : « Au soir de la vie, on t’examinera sur ton
amour. » Si tu passes cet examen, tu te sauveras et tu seras saint dans la
mesure où l’on t’approuve. Puisse Dieu qu’avec une excellente note, avec un
dix, nous passions l’examen de l’amour. Mais si on ne te trouve pas valide en
amour, tu n’entreras pas dans le Royaume des cieux. Celui qui haït, même s’il a
lutté toute sa vie pour les revendications de la Terre, ne construit pas la
véritable liberté – libertés d’apparences, comme dit le Pape. La véritable
liberté est fondée dans la vérité et dans l’amour. C’est la communion avec le
Seigneur à laquelle nous invite le Christ lorsqu’Il dit : « Demeurez
unis comme la vigne et le sarment. » 13/05/79, p.330-334, VI.
2) Relations entre la Grâce et
l’Église : l’Église signe visible et administratrice de la grâce
Paul suspect… sa sécurité : sa
vocation… et sa communion avec l’Église.
Je voudrais me concentrer ici sur la
première lecture (Ac 9,26-31). Quelle précieuse description de Paul,
persécuteur! C’est pourquoi il apparaît encore suspect aux premières
communautés ecclésiales. Il arrive à Jérusalem et on se méfie de lui, nous dit
le livre des Actes des ApĂ´tres. MĂŞme s’il a parlĂ© avec le Christ et s’il a dĂ©jĂ
prophétisé le nom du Seigneur avec d’autres païens, il doit aller à Jérusalem
pour être confronté à saint Pierre et aux apôtres. C’est seulement après avoir
confronté sa prédication et sa doctrine avec les piliers de l’Église qu’il est
admis comme « prédicateur », il appartient dès lors à la hiérarchie
du christianisme. Depuis ce moment il souffrit la persécution des véritables
prédicateurs. Certains philosophes grecs tentèrent de l’éliminer. C’est le sort
de tous ceux qui vont prêcher le nom de Jésus. On tenta de l’éliminer, on
complota contre lui, mais les chrétiens l’envoyèrent alors ailleurs. Fuir ce
n’est pas de la lâcheté lorsque l’on peut être utile en d’autres lieux. Paul
commence à prêcher la grande doctrine qui l’a rendu si saint et si
fameux : celle de la liberté du Christ Notre Seigneur.
A) L’Église hiérarchique, institution
Mais ici nous avons deux choses dans
la lecture d’aujourd’hui : premièrement, une connexion avec la hiérarchie. Paul,
malgré le fait qu’il porte déjà dans son cœur la vocation, qu’il ait vu le
Christ, il va raconter aux apôtres comment il avait parlé avec le Christ
ressuscité lors de sa chute sur le chemin de Damas. Il sait qu’il prêche le
Christ, qu’il a parlé avec Lui et cependant, Il sait qu’il a besoin d’être
confronté avec ceux que le Christ a placés pour être les gardiens de sa
révélation pour que cette vocation du Christ soit connectée avec la mission des
apôtres. Paul devient alors un « apôtre », un évêque, un prédicateur
de l’Église chrétienne. C’est ce dont nous avons tous besoin, nous qui
prêchons, une vocation dans laquelle nous sentons l’appel du Christ. Mais cela
ne suffit pas, il nous faut également une confirmation hiérarchique qui nous
unit au magistère autorisé de l’Église.
Ma visite au Pape
C’est ce que je viens de vivre pour
ma part la semaine dernière lorsque le Saint-Père a eu la bonté de me recevoir
en audience privée. Entendre de ses lèvres même la consolation qu’il me
dit : « Je comprends que l’ambiance où vous devez porter votre
pastorale est extrêmement difficile. »
Il me donna, naturellement, les
orientations, les conseils qu’un Chef Suprême de l’Église doit donner à un
collaborateur dans une situation difficile : « Prudence, faites très
attention; mais de l’audace également, la dénonciation lorsqu’il s’agit de cas
très graves. »
L’Église doit accomplir ce devoir
d’accompagner le pauvre, d’être la voix de ceux qui n’ont pas de voix; mais
précisément, pour ne pas se brûler dans cette mission, le Pape a la prudence de
conseiller le soin de maintenir toujours cette autoritĂ© de l’Église. Et Ă
plusieurs reprises il fit la comparaison entre ma situation pastorale et celle
qu’il vécut en Pologne.
« La situation était très
difficile en Pologne, où le gouvernement n’est pas non plus un grand
collaborateur de l’Église. Celle-ci doit aussi esquiver les difficultés pour
apporter le message du Christ aux cœurs des hommes et des femmes. »
Il parla beaucoup de vous. Très chers
frères, comme le Pape s’efforce d’aimer et d’écouter, au travers de ses
évêques, la voix de tout son peuple! Un geste qui demeurera à jamais gravé dans
ma mémoire est l’attention avec laquelle le Pape Jean-Paul II m’écoutait.
Lorsqu’il terminait ses phrases et que je commençais à parler, il mettait toute
son attention, physiquement son corps s’inclinait pour écouter attentivement,
comme pour comprendre. Je comprends de lui, qui fut extrait de son
environnement polonais pour une charge si difficile comme est celle du Pasteur
du monde entier, sans avoir connu auparavant l’expérience de la curie romaine,
du travail universel, qu’il est maintenant très attentionné pour écouter les
divers horizons du monde pour pouvoir ĂŞtre le Pasteur de tous.
En résumé, ce moment est celui que la
Bible nous rapporte aujourd’hui : « Paul monte à Jérusalem pour
parler à Pierre… » C’est aussi ce qui se réalise en mon humble personne,
en allant Ă Rome pour parler avec le nouveau Pape. Cela dut ĂŞtre de mĂŞme pour
saint Paul. Nous devons souffrir, nous devons être mal interprétés, nous devons
nous affronter avec audace à des situations très difficiles, mais nous allons
unis dans cette communion qui nous connecte avec celui qui a été placé pour
être l’authenticité de la doctrine que le Christ a apportée au monde.
B) L’Église, Peuple de Dieu
Mais il existe un autre pĂ´le et je
voudrais souligner ceci : c’est vous! Comme se termine joliment la lecture
d’aujourd’hui! (Ac 9,31) : « Les Églises s’édifiaient et vivaient
dans la crainte du Seigneur, et elles étaient comblées de la consolation du
Saint-Esprit. » Croyez-moi, j’accomplis maintenant le devoir de vous dire
que je me suis senti très fier de mon Archidiocèse lorsque j’ai parcouru des
lieux si divers, parce que partout on parle de nous et l’on veut connaître
l’expérience de notre Église. En Europe, lorsque j’étais auprès de la tombe du
Père Claret, là à Vich, près de Barcelone, un père Clarétien m’a rappelé que le
Père Claret fut évêque de Santiago de Cuba et qu’après il rentra en Espagne, où
il fonda la congrégation des Clarétiens. Celui-ci disait de l’Amérique qu’elle
est la vigne nouvelle et que l’Europe est la vieille vigne. Et il plaçait
toutes ses illusions et son espérance en cette Amérique où arrivèrent bientôt
ses missionnaires.
Et maintenant que nous parlons de la
vigne, de la branche et des sarments, lorsque le livre des Actes des ApĂ´tres
nous dit que l’Église du peuple croissait en ferveur, en fidélité au Seigneur,
poussée par la force de l’Esprit saint, je crois, mes frères, que nous ne
courons pas ce risque politique ou, s’il existe, faisons très attention, comme
le Pape s’efforça de le démasquer dans son discours de Puebla :
« Faites très attention, dit le Pape, lorsque vous parlez de l’Église du
Peuple, parce que nous ne pouvons pas la convertir en une démocratie »,
comme si le peuple Ă©tait celui qui dispose et les ministres, les prĂŞtres,
doivent faire ce que le peuple nous commande. Ce n’est pas cela! Si cela était,
il s’agirait d’une vision erronée de l’Église. Mais l’Église à laquelle nous
nous référons est celle des Actes des Apôtres. L’Église qui croît dans le
Seigneur et sous l’impulsion de l’Esprit saint, c’est cela notre Église :
prêtres, religieuses, laïcs, communautés du peuple et des cantons qui tentent
d’alimenter leur méditation de la Parole du Seigneur.
Je grandis dans ma fidélité au
Seigneur et c’est pourquoi j’insiste, comme le Pape le fit avec les Ă©vĂŞques Ă
Puebla : il existe un grand risque de convertir l’Église en un groupe
politique, car ainsi nous la perdrons, mais lorsque l’Église maintient sa
fidélité au Seigneur et que sous l’impulsion de l’Esprit saint, elle illumine
et participe aux réalités politiques, alors elle est l’Église dont notre temps
a besoin.
Ce n’est pas une Église qui, pour
demeurer fidèle au Seigneur et sous l’impulsion de l’Esprit, doit renoncer aux
réalités de la Terre. Cela
serait une désincarnation, cela serait l’opium du peuple, cela serait une
religion aliénante et, par disgrâce, il y en a plusieurs qui croient encore en
une telle piété, sans engagements. Mais sachons équilibrer ce peuple, surtout,
notre peuple si angoissé, si problématique, qui a tant besoin de justes
revendications. Il doit rencontrer dans le ferment de l’Évangile et de ses
chrétiens, la force qui le transforme et qui transformera le chrétien qui
s’engage en politique dans la mesure où il sera fidèle au Seigneur et se
maintiendra sous l’impulsion de l’Esprit saint. Dans sa propre vocation, chaque
homme doit être un messager de l’Esprit et du Seigneur pour transformer la
société où il vit.
C’est à cette Église que je rêve! C’est
l’archidiocèse que je demande au Seigneur! Un peuple qui va croissant dans la
fidélité au Seigneur et qui se laisse guider par l’impulsion de l’Esprit saint.
L’Église ne veut pas être une force d’opposition politique; jamais! Jamais je
ne l’ai dit, ni ne le dirai! L’Église ne veut pas être un parti de subversion,
ni ne le sera jamais, elle ne peut l’être! Si l’Église bouleverse, si l’Église
inquiète, si L’Église est taxée de marxiste, de politique, de communiste, tout
cela fait parti du camp de la calomnie de la part de ceux qui ne supportent pas
qu’il y ait une Église qui depuis sa fidélité au Seigneur et sous l’impulsion
de l’Esprit, dénonce toutes les injustices qui se commettent dans n’importe
quel secteur de l’humanité. C’est cela, l’Église que nous devons construire.
Je vous invite, tous les dimanches, Ă
ce que nous construisons cette véritable Église fidèle au Seigneur et qui se
laisse guidé par l’impulsion de l’Esprit saint. C’est pourquoi je dis que
l’Église, qui est ce peuple de Dieu, donne aussi aux pasteurs, la garantie de
proclamer la véritable foi que le Christ nous a révélée. Depuis cette
perspective de l’Église, nous regardons les perspectives du monde. 13/05/79,
p.334-337, VI.