L’Église du Salut
Troisième dimanche de l’avent, 11
décembre 1977; Lectures : Isaïe 35,1-6a, 10; Saint Jacques 5,7-10;
Matthieu 11,2-11.
Nous pourrions intituler l’homélie de
ce dimanche, l’Église du Salut parce que la mission de l’Église est de sauver
comme le Christ et c’est cela sa fonction dans l’histoire. Et comme Dieu
continue de sauver dans l’histoire des peuples, l’Église ne saurait ignorer
l’histoire concrète du contexte où elle doit se développer. Avant de faire un
commentaire de la Parole divine pour éclairer notre histoire, notre réalité, il
est bon de tenir compte des réalités que nous vivons. Je voudrais vous
remercier avant tout pour les félicitations et les marques de solidarité avec
ma pensée qui me sont parvenues à propos de mon commentaire théologique en ce
qui concerne la Loi de la Défense et de la Garantie de l’Ordre Public. Je n’ai
rien fait d’autre que souligner quelques-unes des pages de notre théologie
classique, de saint Thomas d’Aquin, et inviter, à partir de ce point de vue
théologique, les experts de la loi pour qu’ils se prononcent au sujet d’un
instrument si transcendantal pour la vie du pays. 11/12/77, p.49, III.
Comité œcuménique
J’ai également reçu des lettres de
certains protestants qui s’expriment plus ou moins ainsi. Une des lettres dit
ceci : « Comme chrétien, peu importe notre dénomination, nous sommes
obligés, si nous sommes de véritables chrétiens, de partager et de vivre les
enseignements de Jésus-Christ malgré toutes les persécutions. Malheureusement,
plusieurs préfèrent vivre une vie commode et facile, sans complication ni
risque qui pourraient mettre en péril leur sécurité. » Frères, peu importe
d’être catholique ou non. Ce qui importe, c’est d’être de véritables chrétiens
et de porter l’Évangile de Jésus-Christ. Non seulement par une proclamation
très facile d’un spiritualisme sans engagement envers l’Histoire, sinon en
annonçant que ce qui prévaut dans l’Évangile, c’est de suivre ce Christ qui n’a
pas peur de se retrouver cloué sur une croix lorsqu’il s’agit de défendre la
sainteté dans l’Histoire. C’est là où nous manquons à notre tâche, non
seulement les protestants, mais aussi de nombreux catholiques qui comme l’affirme
cette lettre d’un protestant, aiment leur vie commode et ne veulent pas avoir
de complications. Que cela serve donc comme d’un appel pour mes chers
catholiques à ne pas avoir peur de l’Évangile, mais à nous donner entièrement
pour lui, mĂŞme si celui-ci nous demande de faire des sacrifices supĂ©rieurs Ă
nos commodités. 11/12/77, p. 51, III.
Plan de l’homélie :
1) Dieu seul peut nous sauver
2) Dieu sauve dans l’Histoire de
chaque Peuple
3) La mission de l’Église est de
faire en sorte que l’histoire de son peuple soit une Histoire de Salut
1) Dieu seul peut nous sauver
C’est ce que je conclus des lectures
d’aujourd’hui, (Is 35,1-6a.10; Jc 5,7-10; Mt 11,2-11), que Dieu seul peut nous
sauver. C’est là l’objet de ces prédications, de répéter ce que le Concile
Vatican II a dit à ceux qui espèrent que la solution aux problèmes de la terre
va venir de l’effort humain et qu’il y aura un jour un paradis sur cette terre
qui sera créé par les êtres humains. C’est ce que l’Église a toujours dit.
C’est un mensonge d’affirmer que nous les hommes pouvons apporter le Salut dont
l’humanité a besoin. […]
Frères, c’est que le Salut que
l’Église annonce n’est pas un salut au ras du sol. C’est pour cela que cela
nous dérange lorsqu’on dit que l’Église fait de la politique, qu’elle est
devenue communiste et subversive. 11/12/77, p.55, III.
La Libération que l’Église apporte
L’Église regarde avec tristesse ces
libérateurs qui n’ont pas l’audace de lever leur espérance jusqu’où l’Église
peut le faire. L’Église désarme toutes les libérations que peut offrir
n’importe quel mouvement qui ne possède pas la foi et l’espérance chrétienne.
La libération que l’Église espère et proclame est une libération qui part de la
véritable liberté du cœur de l’homme vis-à -vis du péché. C’est pourquoi nous
devons espérer d’un Dieu qui peut pardonner le péché, la racine de la libération. La
libération que l’Église attend est une libération cosmique. L’Église sent que
c’est toute la nature qui gémit sous le poids du péché.
Quels merveilleux caféiers, quels
beaux champs de cannes Ă sucre, quels jolis champs de coton, quelle belle
terre, celle que Dieu nous a donnée! Quelle nature est plus belle que celle-ci!
Mais lorsque nous la voyons gémir sous l’oppression, sous l’injustice, sous les
violations, alors, l’Église souffre et attend une libération qui ne sera pas
seulement faite d’un bien-être matériel, sinon qu’elle proviendra du pouvoir
d’un Dieu qui libère des mains pécheresses des hommes. Une nature qui avec les
humains rachetés, va chanter la félicité en un Dieu libérateur. 11/12/77,
p.55-56, III.
IsaĂŻe et Jean le Baptiste
Le Christ vient également pour sauver
ce qui est perdu, mais depuis le contexte de la conversion.
Convertissez-vous. Comme tu l’as prêché, je le prêche aussi.
Cette conversion fait le pauvre se sentir non pas triomphant, mais humble dans
une véritable pauvreté qui s’appuie totalement en Dieu. Le pauvre face au riche
ne doit pas se sentir rempli de ressentiments ou de haine, mais il doit savoir
que le puissant aussi est appelé à la conversion pour se faire pauvre d’esprit.
Cette pauvreté doit exister en ce monde puisque c’est à partir de là que Dieu
lance son message de conversion Ă tous les hommes. Pauvres et riches doivent
déposer leurs attitudes d’orgueil, d’autosuffisance, et de pouvoir pour se
faire pauvres d’esprit (humble de cœur). Même s’ils possèdent des richesses,
cela importe peu, qu’ils sachent en user comme des mendiants de Dieu, qu’ils
sachent se sentir pauvres devant Notre Seigneur et frères de tous les pauvres.
11/12/77, p. 57, III.
Résumé de la Première Pensée
C’est cela le messianisme que le
Christ annonça et que l’Église continue de prêcher. C’est pourquoi, frères,
c’est un Salut que Dieu seul peut nous apporter. Les humains peuvent semer des
rancœurs, ils peuvent mettre des armes dans les mains des faibles, ils peuvent
écrire des lois terriblement répressives. Les hommes peuvent outrager avec des
armes et avec le pouvoir, mais, comme nous dit la lettre diplomatique que je
vous ai lue aujourd’hui, cela ne nous amènera pas le Salut véritable, non
seulement à partir d’une perspective diplomatique, mais évangélique également.
Je vous dis présentement, le Salut que la chrétienté, le monde croyant dans le
Christ espère, ne peut venir que de Dieu seul. […] C’est cela la première
réflexion des lectures d’aujourd’hui. Dieu seul peut nous sauver. Il faut
éveiller dans le cœur de l’homme, cette grande espérance que Dieu va nous
sauver. 11/12/77, p.57, III.
2) Dieu sauve dans l’Histoire de
chaque Peuple
Le Concile dit : « En tout
temps et en tout peuple, reçoit la grâce de Dieu, celui qui Le craint et qui
pratique la justice. Ce
fut cependant la volonté de Dieu de sanctifier et de sauver les hommes non pas
isolément sans qu’il n’y ait aucune connexion entre eux, sinon en constituant
un peuple qui le confesse en vérité et le serve saintement. » Et il
ajoute : « Ce peuple ce fut Israël et c’est pour cela que l’histoire
d’Israël est si différente des histoires des autres peuples. Elle possède une
garantie très sûre, nous ne devons pas nous confondre en cela. »
L’histoire d’Israël est une histoire
théocratique. Dieu l’écrit avec ses prophètes, avec ses hommes, avec ses faits.
Les faits, les événements historiques d’Israël, possèdent un sens prophétique.
Ce que Dieu fait avec Israël, Il veut le faire avec tous les autres peuples. De
la Bible, de l’Histoire sacrée, les autres peuples doivent apprendre, c’est le
paradigme de toutes les histoires. C’est pourquoi, dans cette première lecture
(Is 35,1-6a.10) d’aujourd’hui que nous, Salvadoriens, lisons et après laquelle
nous aspirons, comme Judas qui se restaure pendant son retour d’exil Ă
Babylone, alors que les chemins du désert sont transformés en jardins. Judas
refleurit en sainteté et en justice, purifié des péchés sociaux. C’est ainsi
que le Salut reviendra au Salvador, Il espère la purification des péchés de
notre histoire, Il attend la modération de tant d’abus, Il souhaite l’élévation
et la promotion de tant d’exclus.
Dieu veut sauver dans l’histoire
Les Salvadoriens se sauveront dans
leur histoire nationale. Nous n’avons pas à copier d’autres histoires, nous
devons être autochtones, nous devons connaître chez nous les véritables causes
du mal. Et comme Salvadoriens, tous sans exception, nous avons le droit de
participer au bien commun de la
patrie. Il ne s’agit pas là du patrimoine d’un seul parti, ni
le privilège de quelques-uns qui sont déjà au pouvoir ou qui possèdent les
armes, c’est le devoir de tous les Salvadoriens qui ressentent dans leur cœur
la douleur de leur patrie et qui doivent collaborer, en cherchant Ă trouver les
voies politiques pour développer leur apport personnel et civique au bien-être
de tout le pays. Dieu veut sauver le Salvador par les Salvadoriens, par ses
politiciens, par ses professionnels, par ses gens de la campagne, par tout ce
qui s’appelle Salvadorien. 11/12/77, p. 57-58, III.
3) La mission de l’Église est de
faire en sorte que l’histoire de son peuple soit une Histoire de Salut
L’étranger qui travaille ici au
Salvador est plus Salvadorien que celui qui ne respecte pas l’idiosyncrasie des
Salvadoriens. 11/12/77, p.58, III.
Notre Vocation
La patrie se construit selon les
desseins de Dieu et la véritable vocation de ma patrie, c’est d’être une patrie
de Salut. La véritable vocation des Salvadoriens c’est que nous parvenions un
jour à constituer ce Règne de Dieu, non seulement baptisés de nom, mais
effectivement chrétiens, engagés à faire de nos foyers, de nos plantations, de
nos fermes, de nos chemins, de nos lois, toute une structure de Salut, toute
une structure où le Salvadorien se sent véritablement réalisé comme chrétien,
capable d’adorer son Dieu en toute liberté et de proclamer la religion
intégrale que Dieu lui envoie proclamer. De se réunir dans des groupes de
réflexions de la Parole sans peur d’être épié ou d’être dénoncé. D’aimer Dieu
en se réunissant dans ses chapelles sans qu’on soupçonne qu’il est en train d’y
faire autre chose. C’est pour cela qu’avait dit cet évêque
hongrois : « Quand nous ne pouvions plus chanter l’hymne national
dans les rues de nos villes, nous avons pu le chanter dans les églises de notre
patrie. » On chantera toujours notre patrie dans les églises parce que
nous sentons qu’elle est cela, une histoire où Dieu réalise son grand travail
de sauver ceux qui ont connu le bonheur de naître sur ce sol. Que nul ne se
sente honteux d’être Salvadorien! Ressentons tous la satisfaction, l’orgueil de
vivre dans une patrie oĂą nous servons le bien commun sans peur. Nous sommes en
train de construire la félicité du Salut éternel. 11/12/77, p.58-59, III.
La Patrie de l’avent
C’est là la tâche de l’Église dans
l’histoire de chaque pays. Faire de chaque histoire une histoire de Salut. […]
Comme saint Jacques (5,7-10), l’apôtre le répète : soyez patient. Mais non
pas une patience faite de conformisme, une patience qui endort. Soyez patient,
dit l’apôtre, et travaillez à votre propre perfection, améliorez-vous. Faites
le bien en espérant que l’histoire de notre patrie, dans la mesure où nous la
travaillons, sera véritablement, non pas l’histoire d’Israël qu’il nous
suffirait de copier, sinon l’histoire de Dieu qui fit des merveilles en Israël
et qu’Il veut réaliser ici au Salvador avec les éléments incomparables de nos
paysages salvadoriens. Ainsi soit-il. 11/12/77, p. 59, III.