L’Église, Vigne du Seigneur

 

Vingt-septième dimanche du temps ordinaire; 8 octobre 1978; Lectures : IsaĂŻe 5,1-7; Philippiens 1,20c-24,27a; Matthieu 20,1-16.

 

J’ai intitulĂ© l’homĂ©lie d’aujourd’hui : «L’Église, Vigne du Seigneur Â», et je vais vous la prĂ©senter comme d’habitude en trois points

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) La Seigneur planta l’Église dans le monde comme une vigne

2) Dans cette vigne, qui est l’Église, se reflètent les crises du Règne de Dieu

3) La Victoire sera du Christ à travers son Église

 

 

1) La Seigneur planta l’Église dans le monde comme une vigne

 

À la lumière de ces pensées, nous allons voir si notre Église, dans l’archidiocèse, est l’authentique vigne que planta le Seigneur. Et à partir de cette vigne, qui est une crise continuelle en ce monde, nous éclairerons également la réalité historique qui nous entoure parce qu’en cela aussi se reconnaît l’authenticité du message du Christ, au moyen de cette Église sarment.

 

En premier lieu, le Seigneur planta l’Église comme une vigne. Il est sûr qu’au temps d’Isaïe (5,1-7) l’Église du Christ n’existait pas encore, mais nous venons de dire dans le psaume de réponse, que la vigne est le peuple d’Israël, peuple favori dans lequel Dieu va présager, annoncer, et perfectionner sa pédagogie jusqu’à parvenir au jour où le Christ fonda une Église, notre Église, cette multitude de la cathédrale, tous ces baptisés qui se réunissent aujourd’hui autour de ces autels, c’est l’Israël de Dieu, c’est le nouveau peuple que le Seigneur planta. Dans cet Israël qui se traduit au Nouveau Testament, l’Église du Christ, il y a deux éléments qui sont d’une grande importance et dont nous devons tenir compte. L’élément humain, la terre où s’enracine cette vigne et deuxièmement, comme en toute vigne, le sarment chrétien. Le sol où est plantée cette vigne c’est l’être humain, c’est nous, ce furent nos ancêtres, ce fut Israël et la descendance d’Abraham, ce sont tous les peuples. Dieu a créé le monde et dans le monde, il a créé le genre humain, avec une capacité merveilleuse pour qu’en lui soit semé ce sarment chrétien.

 

Mais avant d’être chrétien, la société doit être humaine. Et ici, il est merveilleux de lire la seconde lecture de saint Paul (Ph 4,6-9) qui nous parle précisément des valeurs humaines. Frères, tout ce qui est vrai, noble, juste, pur, aimable, louable, prenez tout cela en compte. Ce n’est plus le temps de vivre cette dichotomie entre le créé et le racheté. Le même Verbe de Dieu qui s’est fait chair pour racheter le monde et pour christianiser le monde, est le Verbe qui avant de s’incarner, était la Parole de Dieu par qui ont été créé toutes les choses. C’est-à-dire qu’avant de planter ce sarment du Christ, Dieu a créé une humanité ayant la capacité de recevoir toute la sagesse divine que suppose ce sarment planté dans l’humanité.

Il est certain qu’on peut distinguer théologiquement la nature et la grâce, que ce n’est pas toutes vérités, toutes bontés, qui sont spirituelles, mais il est certain que ce qui est surnaturel, tout ce qui doit être récompensé pour l’éternité, tout le noble, le saint des humains possède d’abord et avant tout une base naturelle, de sorte que nous disons en théologie, que la grâce ne détruit pas la nature, qu’au contraire, la grâce suppose la nature. C’est pourquoi un criminel, un menteur, un traître, qui n’est pas humain, ne peut pas entrer dans le Royaume des cieux, il doit d’abord se convertir et être avant tout un homme. L’hypocrisie n’entre pas dans le christianisme.

 

Lorsque le Concile Vatican II, parlant du peuple de Dieu et se rĂ©fĂ©rant aux non chrĂ©tiens, aux non baptisĂ©s, Ă  ce monde immense que nous appelons les terres de missions, les terres paĂŻennes, le Concile dit une phrase très respectueuse dans Lumen Gentium 16 : « En effet, tout ce que l’on trouve chez eux de bon et de vrai, l’Église le considère comme un terrain propice Ă  l’Évangile et un don de Celui qui Ă©claire tout homme, pour qu’il obtienne finalement la vie. Â» Voyez quelle belle aurore du christianisme Ă©claire dĂ©jĂ  ces peuples oĂą le missionnaire va avec le sarment chrĂ©tien et lĂ  il rencontre un terrain propice Ă  la rĂ©ception de l’Évangile. Rappelez-vous cet Ă©vĂ©nement, lorsque saint Paul reçoit l’appel d’un peuple paĂŻen qui lui demande de venir et de les aider. Et Paul y reconnaĂ®t la voix de l’Esprit qui clame depuis le paganisme, depuis les gentils.

 

Frères, combien de bontĂ©, combien de vĂ©ritĂ©, combien de bien y a-t-il au-delĂ  des frontières chrĂ©tiennes? Respectons cela, parce que souvent nous croyons, parce que nous sommes de l’Église, que nous sommes les meilleurs au monde. Qui sait? Qui sait si ici Ă  l’intĂ©rieur de l’Église nous ne sommes pas moins bons, moins nobles, moins humains que ceux qui sont au-dehors de l’Église oĂą ils espèrent avec la prĂ©paration de l’Évangile, avec une noblesse vĂ©ritablement digne, que leur parvienne le christianisme. Et c’est alors qu’arrive Ă  cette terre dĂ©jĂ  imbibĂ©e, Ă  cette terre dont saint Paul nous a dĂ©crit toute la bontĂ©, toute la noblesse, le pure, l’aimable, le juste. Frères, tout cela n’est pas perdu, tout cela est une prĂ©paration Ă  la rĂ©ception de l’Évangile et c’est pourquoi nous ne devons pas ĂŞtre fanatiques. Le fanatisme parmi les chrĂ©tiens a fait beaucoup de mal, c’est l’orgueil du fils aĂ®nĂ© qui dĂ©nonce l’enfant prodige : celui-ci est mal, je suis bon. Mais c’est le fils prodigue qui Ă©tait le meilleur des deux parce qu’il venait avec un cĹ“ur repenti apporter davantage d’amour que de repentir Ă  son père, alors que le fils aĂ®nĂ©, aigri par sa fausse fidĂ©litĂ©, Ă©tait hypocrite.

 

Le sarment chrĂ©tien a Ă©tĂ© dĂ©crit par les rĂ©cents documents de l’Église avec des traits Ă©mouvants. Je me souviens lorsque Paul VI, cet homme merveilleux, celui dont on a dit que l’histoire l’aimera davantage que ces propres contemporains. Nous ne connaissons pas encore tout le trĂ©sor de l’ecclĂ©siologie que nous a laissĂ© Paul VI, qui dans sa première encyclique disait : « Qu’est-ce que fait le baptĂŞme? Le baptĂŞme est le moment oĂą le sarment chrĂ©tien est semĂ© comme une vigne surnaturelle de Dieu dans l’âme naturellement chrĂ©tienne (comme disait Tertullien). Tout homme est naturellement chrĂ©tien. Il existe un germe de noblesse, mais le chrĂ©tien ne provient pas de lui, c’est pour cela qu’on le nomme surnaturel, parce qu’il vient sur la nature, il se situe au-delĂ  de mes exigences. Â» Alors le baptĂŞme, respectons ce moment prĂ©cieux oĂą un fils de la chair, peut-ĂŞtre nĂ© d’un couple noble, loyal et bon, mais qui n’est rien d’autre que le fils de la chair, qui par le baptĂŞme va ĂŞtre incorporĂ© au sarment de Dieu. Dieu va planter sa main dans le cĹ“ur de ce petit enfant que va baptiser le christianisme, le sarment, le Christ. DĂ©finissant ce moment du baptĂŞme, Paul VI disait : « Il s’agit d’une vigne nouvelle qui ne perd rien de son humanitĂ©, sauf l’hĂ©ritage dĂ©plorable du pĂ©chĂ© originel et qui est capable de rendre compte des meilleures expressions humaines et d’expĂ©rimenter les fruits les plus riches et les plus purs. Â»

 

Quelle chose plus belle! Le christianisme ne vient pas pour enlever nos qualitĂ©s humaines. Ceux qui croient que l’Église vient avec des idĂ©es subversives, avec des rivalitĂ©s politiques ou de sociĂ©tĂ©, ceux qui croient appuyer l’Église uniquement dans les valeurs humaines, oublient ce chant, lorsque les mages viennent demander Ă  HĂ©rode oĂą est nĂ© le Christ, oĂą Dieu a plantĂ© le sarment qui va donner naissance Ă  la vie Ă©ternelle de l’humanitĂ©. HĂ©rode fut jaloux de ce nouveau Roi et l’Église chante : HĂ©rode, n’aie pas peur, Il ne vient par pour enlever les pouvoirs temporels Celui qui vient pour nous offrir des règnes Ă©ternels. C’est cela le christianisme, il n’entre pas en rivalitĂ© avec les pouvoirs de la terre, Il vient pour donner des germes d’éternitĂ© aux pouvoirs et Ă  tous ceux qui veulent semer ce sarment dans leur cĹ“ur. Le christianisme est le germe d’une vie nouvelle, les hommes nouveaux, les sociĂ©tĂ©s nouvelles ne changeront pas leur système, cela continuera d’être un système dĂ©mocratique, mais si des chrĂ©tiens sont vĂ©ritablement ceux qui vivent ce système dĂ©mocratique, ils ne feront pas de celle-ci une farce, ils en feront plutĂ´t le canal pour animer la sociĂ©tĂ© de la vie de Dieu, ouvrant des causes, des expressions de libertĂ©, de dignitĂ©, valorisant le noble et le bon qu’il y a dans le genre humain et dans la sociĂ©tĂ© salvadorienne.

 

RĂ©primer l’Église pour l’empĂŞcher de planter son sarment chrĂ©tien, c’est ĂŞtre très ingĂ©nu ou très pervers. Quand, dĂ©jĂ  au crĂ©puscule de sa vie, avec plus de maturitĂ©, Paul VI Ă©crit sur la mission de l’Église en ce monde et de l’évangĂ©lisation. Dans Evangelii Nuntiandi numĂ©ro 19, il dit : « La fin de l’évangĂ©lisation est de transformer les critères de jugement, les valeurs dĂ©terminantes, les points d’intĂ©rĂŞts, les lignes de pensĂ©e qui sont en contradiction avec la Parole de Dieu et avec le dessein du Salut. Â» C’est pour cela qu’il dit : « Nous ne devons pas Ă©vangĂ©liser d’une manière dĂ©corative, comme celui qui donne une couche de peinture au-dessus d’un morceau pourri qu’il cherche Ă  dissimuler. Â» C’est malheureusement cela l’évangĂ©lisation de plusieurs qui veulent ĂŞtre bien avec le Christ et avec le dĂ©mon de ce monde. Nous ne pouvons Ă©vangĂ©liser ce qui demeure pervers, nous ne pouvons pas appeler au baptĂŞme celui qui vit dans l’égoĂŻsme. ÉvangĂ©liser c’est s’engager, c’est mettre au service de Dieu toutes ces qualitĂ©s humaines que par hĂ©ritage naturel nous avons reçues de nos parents. Toute cette culture qui par hĂ©ritage est la figure, l’âme, le sens de la patrie. Le christianisme est la manière la plus patriotique qu’il puisse y avoir.

 

C’est ici, dans l’atmosphère chrétienne de nos temples, dans nos réflexions de la Parole, dans les groupes des communautés de base, c’est là où est prêché le patriotisme authentique. Le persécuter, c’est détruire la patrie. Persécuter le christianisme, c’est se suicider.

Quel est le fruit alors, Ă  la lumière de la Parole d’aujourd’hui, de cette vigne que planta la main du Seigneur sur notre terre? Faisons-Lui honneur, mes frères, quelle coĂŻncidence heureuse, nous allons cĂ©lĂ©brer bientĂ´t, le jour de la race. CĂ©lĂ©brons-le dans un sens d’Action de grâce, parce que les missionnaires apportèrent le sarment chrĂ©tien Ă  notre AmĂ©rique. La noblesse Ă©tait dĂ©jĂ  prĂ©sente chez nos AmĂ©rindiens. Était dĂ©jĂ  prĂ©sent ici ce qu’il y a de bon chez l’être humain, mais ils n’étaient que les fils de la chair, ils ne possĂ©daient que l’hĂ©ritage naturel. Sans doute que, comme saint Paul, les missionnaires d’il y a cinq siècles auraient pu dire aux indigènes d’AmĂ©rique : tout le noble, le juste, le pure, l’aimable, le louable, tenons en compte. Il est dommage que l’évangĂ©lisation n’ait pas eu une notion aussi claire que celle que l’Église possède aujourd’hui. Il est regrettable Ă©galement que cette Ĺ“uvre fĂ»t entreprise avec l’épĂ©e et les armes de sorte que la croix et le signe des chrĂ©tiens leur furent imposĂ©s de force. Ce n’est pas ainsi qu’on convainc un peuple. Ce n’est pas en imposant une civilisation Ă©trangère, en anĂ©antissant toutes les bonnes valeurs de ceux qui Ă©taient ici. Grâce Ă  Dieu, la pastorale moderne redĂ©couvre tout ce qu’il y a de noble, de saint, de bon qu’il y avait Ă©galement chez nos indigènes et qui court encore dans leurs veines. Ces valeurs constituent encore une exigence du sarment du Christ qui veut ĂŞtre plantĂ© dans une terre authentique, dans une terre vĂ©ritable.

 

C’est pourquoi l’Église réclame l’autonomie pour annoncer ce que le Christ lui commande de prêcher sans être conditionné par ce que les autres veulent entendre. C’est le sarment de Dieu qui vient se greffer avec ses germes de vie éternelle sur cette terre naturelle que les hommes lui ont préparée, dans la mesure où, même humainement, nous tentons de nous ennoblir. N’oublions pas mes frères, ces deux éléments pour être de bons chrétiens. L’élément naturel, cultivons-le.

 

Ces vertus d’honnĂŞtetĂ©, de justice, de loyautĂ©, tout ce qui constitue l’amitiĂ© sincère, mĂŞme sans ĂŞtre chrĂ©tiens nous la ressentons mĂŞme envers les paĂŻens, parce qu’il existe de nombreuses qualitĂ©s chez l’être humain. Mais comme chrĂ©tien, cultivons Ă©galement ce second Ă©lĂ©ment. Ce que nous donna le baptĂŞme, ce que sema le Christ, les sacrements. Vivons dans la grâce en fuyant le pĂ©chĂ©, vivons conformĂ©ment Ă  la loi du Seigneur, et alors, comme disait IsaĂŻe, les fruits seront ceux-ci. Lorsque Dieu dĂ©plore l’échec de sa vigne, avec quelle tristesse il annonce (la vigne du Seigneur des ArmĂ©es c’est la maison d’IsraĂ«l, ce sont les hommes de Judas) (Is 5,7) : « Il attendait le droit et voici l’iniquitĂ©, la justice et voici les cris. Â» L’humain et le chrĂ©tien, au Salvador, devraient avoir produit la paix, le droit et la justice. Comme notre patrie serait diffĂ©rente si elle avait produit ce que Dieu planta, mais Celui-ci se sent dĂ©truit devant certaines sociĂ©tĂ©s, et je crois que les pages d’IsaĂŻe (5,1-7) et de saint Paul (Ph 4,6-9) de ce dimanche reflètent la triste rĂ©alitĂ© salvadorienne.

 

« J’attendais le droit et J’ai l’assassinat, J’attendais la justice et J’ai les lamentations. Â» Il ne s’agit pas de semer la discorde, mais de crier vers Dieu qui pleure, Dieu ressent la lamentation du peuple parce qu’il se commet de nombreux outrages Ă  la dignitĂ©. Dieu entend les complaintes des paysans qui ne peuvent plus dormir dans leur maison parce qu’ils fuient la nuit, Il entend les pleurs des enfants qui rĂ©clament leurs pères qui ont disparu : oĂą sont-ils? Ce n’est pas cela que Dieu attendait, non pas une patrie salvadorienne comme celle que nous vivons, qui devrait ĂŞtre le fruit d’une semence d’humanisme et de christianisme. 08/10/78, p.229-233, V.

 

Le sarment du Christ semble frustrĂ©, si ce n’était que grâce Ă  Dieu, il existe aussi, comme nous allons voir, bien du bon au Salvador. Mais je voudrais me concentrer d’abord sur ce second point. Dieu sema une vigne est c’est son Église. Et dans cette Église, comme dans une zone de rencontre entre Dieu et les hommes – entre la terre que les hommes prĂ©parent et la vigne que Dieu sema –, ici se reflètent les Ă©normes crises du Royaume de Dieu. Je voudrais vous rappeler, que pendant toute cette annĂ©e, la lecture de base des dimanches a Ă©tĂ© celle de l’Évangile de saint Matthieu duquel je vous ai dĂ©jĂ  expliquĂ© le schĂ©ma (selon les exĂ©gètes, il s’agit de l’Évangile le mieux organisĂ© pour prĂ©senter la grande nouvelle que le Christ apporta au monde : le Règne de Dieu est parvenu aux humains). Et nous nous retrouvons dĂ©jĂ  dans cette dernière section de l’Évangile (21,33-43) qui nous relate l’entrĂ©e de JĂ©sus Ă  JĂ©rusalem. Dans cette section, on nous dĂ©crit ce moment de crise oĂą le Christ affronte les prĂŞtres, les pharisiens, les dirigeants de JĂ©rusalem qui vont trahir l’histoire. Le Règne de Dieu apparaĂ®t en crise. Les paraboles du Christ reflètent cette crise. La Parole d’aujourd’hui est terrible. Les mĂŞmes dirigeants d’IsraĂ«l, mentionnĂ©s dans l’Évangile : les membres du sanhĂ©drin, les sĂ©nateurs qui dans le langage d’aujourd’hui seraient les Ă©vĂŞques, les dĂ©putĂ©s, les ministres, les gouvernants, les dirigeants du peuple, la classe capitaliste, ceux qui dĂ©tiennent la puissance de l’argent – c’est Ă  ceux-lĂ  que le Christ fait face et c’est Ă  eux que fait rĂ©fĂ©rence la parabole de la vigne.

 

 

2) Dans cette vigne, qui est l’Église, se reflètent les crises du Règne de Dieu

 

Un seigneur fit planter une vigne et la loua. Ă€ l’époque de la rĂ©colte, il envoya ses serviteurs pour en recevoir les fruits, comme cela Ă©tait courant Ă  l’époque de JĂ©sus, il se produit alors un litige entre le propriĂ©taire et les vignerons. Un conflit de travail, dirions-nous, mais si terrible qu’ils tuèrent les envoyĂ©s du seigneur, ils allèrent mĂŞme jusqu’à tuer son propre fils qui est la reprĂ©sentation du Christ (Cf. Mt 21,33-43). Et alors le Christ demande, en se faisant presque l’écho de la prophĂ©tie d’IsaĂŻe (5,3-4) : « Soyez juge entre moi et ma vigne. Que pouvais-je encore faire pour ma vigne que je n’aie fait? Pourquoi espĂ©rais-je avoir de beaux raisins, et a-t-elle donnĂ© des raisins sauvages? Â» Ce sont de fruits vains qui ne peuvent ĂŞtre mangĂ©s, qui ne servent Ă  rien, tant de travail pour cela. Et si l’on produisit des fruits, cela fut dans le conflit et l’on refusa de donner au seigneur les fruits de sa vigne et ils tuèrent les envoyĂ©s, il s’agit des prophètes, des envoyĂ©s de Dieu, de ceux qui dĂ©noncent les injustices des hommes. C’est cela la crise. C’est la crise que l’Évangile doit vivre tout au long de l’histoire. Un Dieu qui sème une vigne et qui espère des fruits, mais qui au lieu d’y recueillir des fruits, ne reçoit que des crimes, des assassinats, ce qu’Il n’a pas semĂ©, et par ailleurs des injustes qui outragent ses prophètes et ses envoyĂ©s.

 

Saint Paul, juif mais chrĂ©tien avant tout, analyse dans son Ă©pĂ®tre aux Romains, que nous avons Ă©tudiĂ©s il y a quelques dimanches, cette crise en disant : « J’ai Ă©tĂ© envoyĂ© aux gentils parce que vous, les Juifs, l’IsraĂ«l oĂą Dieu a plantĂ© sa vigne vous ĂŞtes rendus indignes, vous avez refusĂ© d’obĂ©ir Ă  Dieu, vous avez prĂ©fĂ©rĂ© les lois de MoĂŻse Ă  la foi en JĂ©sus-Christ et c’est pour cela que nous les chrĂ©tiens (qui savons que MoĂŻse et ses lois, l’Ancien Testament, sont dĂ©passĂ©s, que seul demeure ce qui a Ă©tĂ© confirmĂ© par le Christ) nous tournons vers les peuples paĂŻens et que je prĂŞche Ă  ceux-ci. (Rm 11,13-14) : « Or je vous le dis, les paĂŻens, je suis bien l’apĂ´tre des paĂŻens et j’honore mon ministère, mais c’est avec l’espoir d’exciter la jalousie de ceux de mon sang et d’en sauver quelques-uns. Â» Et l’épĂ®tre aux Romains dit cette phrase si prĂ©cieuse, afin que personne ne s’enorgueillisse en croyant que la vigne chrĂ©tienne est le rĂ©sultat de ses propres efforts, saint Paul dit : « De sorte que la dĂ©sobĂ©issance des Juifs et la rĂ©volte des gentils qui refusèrent d’accepter le Christ et qui maintenant l’acceptent, nous enferme tous, Juifs et gentils dans le pĂ©chĂ© pour que Dieu soit le RĂ©dempteur de tous les hommes. Â»

C’est le plan de Dieu, nous devons nous sentir pécheurs, les Juifs qui furent les privilégiés. La terre où Dieu planta sa vigne dédaigna cette vigne et c’est pour cela qu’elle s’étendit au peuple gentil. Les gentils que nous sommes, avons accepté cette vigne. Béni soit Dieu! Que nous dit cette cathédrale remplie de fidèles? Que cette vigne possède des grappes remplies d’espérance. Et alors, le peuple juif quand il songera à la grandeur qu’il méprisa, se convertira au Christ. Ainsi comme à nous, gentils, nous ont été pardonnés nos péchés et a été semé en nous le sarment chrétien, pour les Juifs également, leur sera pardonnés leurs péchés et le sarment chrétien y sera semé également, car le projet de Dieu se sert de ces crises de l’histoire de l’Église. […]

 

Il y a des crises dans le cœur de chaque chrétien et je vous dis, très chers frères, si en ce moment un chrétien au Salvador ne ressent pas cette crise, c’est qu’il n’a pas réfléchi sur la signification du message de Dieu et de sa semence en ce monde. Plusieurs ont déjà surmonté cette crise et se sont engagés pour le Règne de Dieu. Plusieurs l’ont surmontée dans le sens contraire et se sont installés dans leurs commodités. Il est plus facile de dire que l’Église est communiste, qui va la suivre? Mais quelques-uns, s’ils sont en crise, ne savent pas quoi faire. La faute n’est pas de Dieu ni de l’Église. La faute est de la liberté de chacun, qui doit résoudre dans sa propre conscience, avec qui il est. Et Dieu Notre Seigneur vous offre ses fruits merveilleux si vous laissez grandir en vous ce sarment qui produira des grappes merveilleuses de Vie Éternelle. C’est cela le plan de Dieu, c’est pourquoi l’Église est la vigne où le Règne de Dieu sera toujours en crise. Bienheureux ceux qui sentent et vivent la crise et qui la résolvent par un engagement avec Notre Seigneur.

Je me réjouis énormément qu’en cette heure de crise, précisément, plusieurs qui étaient endormis se soient réveillés ou tout au moins se demandent où est la vérité. Recherchez-la. Saint Paul nous indique le chemin avec la prière, avec la réflexion, apprenant à discerner le bon. Ce sont des critères merveilleux. Où est le noble, le bon, le juste, c’est par là que se trouve Dieu. Qu’en plus de ces biens naturels se trouvent la grâce, la sainteté, les sacrements, l’allégresse de la conscience divinisée par Dieu. C’est là qu’est Dieu. Non pas ailleurs, dans des accommodations qui produisent une paix très factice, des victoires très fausses. C’est pourquoi je vous invite à ce que nous vivions avec cette Église l’intensité de sa communauté, de sa foi, de son espérance. 08/10/78, p.233-235, V.

 

 

3) La Victoire sera du Christ à travers son Église

 

« Je suis la VĂ©ritĂ© et la Vie!, dit le Seigneur, et tous ceux qui demeurent avec moi, porteront de nombreux fruits. Â» C’est un appel Ă  ce que nous secondions les dĂ©sirs de Dieu qui veut que sa vigne produise de nombreux fruits. Faisons en sorte qu’en notre cĹ“ur ce sarment qui a Ă©tĂ© plantĂ© le jour de notre baptĂŞme, produise non seulement ces vertus naturelles, si propres au peuple salvadorien. Celles-ci sont une gloire, je les ai dĂ©jĂ  mentionnĂ©es sous plusieurs aspects, mais cela ne suffit pas. Semons en cette terre d’abondance, le sarment du Christ, la Vie Ă©ternelle, la foi, la prière, notre messe dominicale, les sacrements, tout cela qui nous Ă©lève Ă  des perspectives transcendantes et qui nous fait espĂ©rer mĂŞme au milieu des crises et des difficultĂ©s des injustices et des outrages de cette terre, la grande espĂ©rance que tout n’est pas perdu, parce que la vigne du Seigneur est bien plantĂ©e en notre terre. 08/10/78, p.239, V.