L’Histoire du Salut rencontre son point culminant en Jésus-Christ mais elle connut son origine chez Adam et elle se prolonge en nous

 

Premier dimanche du carême; 12 février 1978; Lectures : Genèse 2,7-9 et 3,1-7; Romains 5,12-19; Matthieu 4,1-11.

 

L’Église demeure indépendante de tous les groupes politiques qui s’associent à des fins parfois très évangéliques et que l’Église peut appuyer non pas en se faisant solidaire de leurs objectifs et de leurs idéaux, mais parce que ces associations ne font que réclamer ce qui est juste.

 

Je veux vous dire que ces regroupements qui prennent des initiatives ne sont pas l’Église à proprement parler. Celle-ci exhorte les chrétiens qui s’incorporent à ces groupes, à demeurer fidèles à ce que l’Église enseigne. Entre autres choses que le désir légitime de la libération des peuples amène souvent avec lui la tentation de la violence, du désespoir, mais l’Église ne peut approuver ni encore moins justifier les actes violents, quoiqu’elle ne puisse pas non plus les condamner sans faire une analyse très sérieuse des causes qui provoquent ces actions. […]

 

L’Église lorsqu’elle dénonce les violences révolutionnaires, ne peut oublier qu’il existe une violence institutionnalisée, et que la violence désespérée des hommes opprimés ne se réprime pas avec des lois partiales, avec des armes ou avec l’arrogance de la toute-puissance. Il faut prévenir les violences comme dit le Pape (Paul VI), par de vaillants sacrifices, renonçant à de nombreuses commodités. Tant qu’il n’y aura pas parmi nous davantage de justice existeront toujours les germes de la révolution. Même si l’Église n’approuve ni ne justifie les révolutions sanglantes et les cris de haine, elle ne peut cependant les condamner tant qu’elle ne voit pas un effort sincère pour éradiquer les causes qui produisent ce mal-être au sein de notre société. C’est la position de l’Église, pour laquelle elle doit souffrir de terribles conflits, mais par laquelle elle demeure fidèle à la justice de Dieu, à l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ. 12/02/78, p. 11-12, IV.

 

 

1) Adam, Protagoniste de l’Histoire du Salut

 

Le premier chapitre de l’Histoire du Salut, c’est la création, la nature

La première lecture d’aujourd’hui nous fait remonter aux origines de l’Histoire, le premier homme, la première femme, d’où provient tout le genre humain. Il est intéressant d’observer ici comment la création, la nature, est le premier chapitre de l’Histoire du Salut : c’est-à-dire que la Rédemption que le Christ va nous apporter est un second chapitre et nous sommes la matière première de toute cette Histoire. Dans la Genèse (2,7-9; 3,1-7), nous avons lu aujourd’hui l’amour avec lequel Dieu créa le monde pour le livrer à l’être humain qui est la raison d’être de la création. L’homme fait à l’image de Dieu est le propriétaire de la création, toutes les choses créées sont pour l’usage humain. C’est l’origine première du projet de Dieu, l’être humain appelé à être collaborateur de Dieu. Sous une forme imagée, la Bible nous présente un Dieu qui souffle son Esprit, qui est image de Dieu parce qu’Il a rendu l’homme et la femme intelligents, capables d’aimer et Il l’a dit en étendant sa main créatrice sur toutes les choses : « Tout est à vous. Â» Il ne faut pas oublier ce geste de la création qui a été faite tout entière pour l’être humain et celui-ci a été créé par l’amour de Dieu pour être propriétaire, prince de toutes les choses qui existent. 12/02/78, p.15, IV.

 

 

La réponse de l’homme

 

Comme il est triste de constater, dans la seconde partie de la Genèse, la réponse de l’être humain. Ève voulut rencontrer le chemin du bonheur non pas par l’obéissance à Dieu. Elle séduisit Adam pour qu’il la suive sur ce chemin de désobéissance. C’est alors que commence l’histoire de l’humanité sous un autre aspect : l’humanité après sa chute, le genre humain pécheur. Mais Adam par sa désobéissance a été le père d’une famille, il est le protagoniste de toute l’humanité. Non ne devons pas oublier cette origine pour comprendre ce qui va suivre. Mais, auparavant, portons attention à ce second protagoniste de notre homélie. 12/02/78, p.15, IV.

 

 

2) Le Christ, l’autre protagoniste de l’Histoire du Salut

 

Le Christ est le second Adam, Rédempteur des hommes

Le Fils de Dieu incarné dans les entrailles de Marie veut assumer toute la responsabilité du genre humain, de cette désobéissance à Dieu en commençant par la désobéissance du paradis. La Rédemption que le Christ vient réaliser ne sera pas autre chose qu’un acte héroïque, divin, d’obéissance. Par obéissance, Il s’incarne, par obéissance, Il va porter sa croix et par obéissance nous le voyons aujourd’hui au désert. En ce début du carême, les yeux des chrétiens doivent se river sur le Christ, jeûnant 40 jours et 40 nuits au désert. Conduit par l’Esprit, nous a dit l’Évangile (Mt 4,1-11), l’Esprit d’obéissance. Le Fils de l’Homme, le représentant de toute l’humanité sait que les humains sont par nature dans un état de chute et qu’il est nécessaire de les relever. Il vient comme le grand réparateur. Le Christ est le grand réparateur, c’est ce que veut dire Rédempteur, Sauveur. Et pour sauver le monde, pour réparer, pour racheter cette race tombée, il est nécessaire qu’Il accomplisse la volonté du Seigneur. 12/02/78, p. 16, IV.

 

 

Le Christ tenté au désert

 

C’est pour cela que l’Évangile d’aujourd’hui nous présente le Christ tenté par le démon, déjà que la tentation fut la cause par laquelle les hommes sont premièrement tombés pour laisser dans la disgrâce toute l’humanité. La tentation est nécessaire pour que le Fils de l’homme nous donne l’exemple, que nous ne serons pas heureux en suivant les voies trompeuses du démon, mais en obéissant à la volonté du Seigneur. 12/02/78, p.16, IV.

 

 

La première tentation

 

Comme il aurait été facile au pouvoir du Christ de convertir les pierres en pains! Pour lui qui avait faim, il aurait été facile de se remplir l’estomac, faisant en sorte que ces pierres se convertissent en pains. Mais Jésus sait que son rôle, son messianisme, n’était pas d’abuser de son pouvoir de faire des miracles pour satisfaire ses nécessités. Fions-nous bien à ceci, les trois tentations du désert sont comme les tentations du pouvoir contre la volonté de Dieu. Et le pouvoir du Christ se soumet lorsqu’Il dit (Mt 4, 4) : « L’homme ne vivra pas que de pain! Â» Qu’il est préférable de mourir de faim que de déprécier l’aliment qui vient de Dieu, la Parole du Seigneur.

C’est cela la véritable alimentation du peuple chrétien : la Parole de Dieu. Il y a ici, déjà dans le désert, au début du ministère du Christ, un hommage à la parole de Dieu, un applaudissement de ce même Christ pour vous et pour moi qui méditons présentement sur la Parole de Dieu. De cela vit l’homme, principalement de cela, ne négligez pas le pain, mais ne préférez pas le pain à la Parole de Dieu. Ne soyez pas idolâtres de votre estomac, n’allez pas trahir vos convictions de foi pour un poste dans la société ou dans la politique. C’est ce que nous enseigne le Seigneur! 12/02/78, p.16-17, IV.

 

 

La seconde tentation

 

Et le diable l’amène vers une seconde tentation. Pensons bien qu’il s’agit là d’Adam qui répare l’humanité, non pas en cherchant des chemins faciles, spectaculaires, mais plutôt le chemin de l’humilité, de la réparation. Le diable le place au pinacle du temple. Depuis là, les gens apparaissent semblables à des fourmis dans l’Atrium du temple de Jérusalem et le diable Lui dit en tentant sa vanité (Mt 4, 6) : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne te heurtes du pied quelque pierre. Â» Et le Christ avec la sérénité de celui qui est obéissant à Dieu dit au diable (Mt 4,7) : « Il est encore écrit : tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu. Â»

 

Frères, ceux qui se laissent tromper par les messianismes faciles, les dévots des révolutions qui veulent déjà établir un ordre nouveau en violant les choses, ceux qui ont soif d’applaudissements et de gloire, trahissent Dieu. Voyez la réponse sublime de Jésus-Christ : « Il ne faut pas tenter Dieu! Â» Mieux vaut le chemin humble et simple du devoir, de l’amour et de la justice! Le chemin de la prière, le chemin de l’espérance, le chemin de l’Évangile, non pas celui du spectaculaire! Et le Christ ici dénonce et vainc l’autre tentation du pouvoir. Le pouvoir qui veut profiter des grands spectacles pour obtenir des votes, des applaudissements, même s’il s’agit de mensonges trompeurs. Ce n’est pas ainsi que l’on rachète un peuple. On rachète en ne tentant pas Dieu, en ne provoquant pas Dieu qui demeure toujours présent dans le peuple. 12/02/78, p. 17, IV.

 

 

La troisième tentation

 

Et finalement, la troisième tentation de ce second Adam ne se déroule pas dans un paradis, mais dans l’ambiance austère d’un désert, où l’on doit payer les libertinages, les permissions que les humains se donnent en offensant Dieu. L’Évangile dit que la troisième tentation se présente comme une vision cinématographique, lorsque passent devant le Christ les Règnes du monde, et le diable Lui dit (Mt 4, 9) : « Tout cela, je te le donnerai, si te prosternant tu me rends hommage. Â»

 

Quelle terrible tentation où sont tombés ceux qui disent qu’ils ont fait un pacte avec le diable! La tentation du pouvoir, la tentation de voir briller les défilés militaires avec leurs canons et leurs armes, la tentation de voir les grandes multitudes non par convictions sinon par convenances, souvent pour se remplir l’estomac de pain, les applaudissements à rabais. Le Christ les déprécie et Il dit au démon (Mt 4,10) : « Retire-toi, Satan! Car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul tu rendras un culte. Â» C’est ce que doit être la réponse d’un chrétien qui désire être racheté vis-à-vis des tentations faciles de ce monde : adorer le Seigneur. Nous n’avons qu’un seul Seigneur, notre Dieu, et Lui seul nous devons servir et adorer. Sa loi doit être ce qui guide notre vie, sa volonté est le dessein de mon existence. Je ne peux parcourir d’autres chemins qui ne soient pas ceux de sa volonté, au service du Seigneur. 12/02/78, p. 18, IV.

 

 

Le sens symbolique des tentations

 

Le Christ est le second et le principal protagoniste de l’Histoire du Salut. Les exégètes disent que saint Matthieu écrivit cette page en ayant à l’esprit surtout le sens symbolique pour l’Église du Christ au cours des siècles. Ce n’est pas proprement la personne du Christ qui va être tentée sous cette forme si grossière par le démon, mais la prolongation du Christ dans l’Histoire qui est l’Église. Celle-ci va souffrir ces tentations, les évêques, les prêtres, les religieux, les institutions catholiques, nous allons devoir souffrir ces terribles tentations du pouvoir, nous allons vouloir convertir notre mission messianique et salvatrice dans l’humilité, dans l’austérité, dans le sacrifice et vouloir nous appuyer sur le pouvoir, l’argent et les commodités. Combien de fois la pauvre Église est-elle tombée dans ces tentations?

 

Nous voulons sauver l’Église authentique, qui ne fait pas consister son prestige à être applaudie, en s’appuyant sur les triomphes faciles. Nous voulons un christianisme qui s’appuie en vérité comme celui du Christ, sur la Parole de Dieu, qui ne trahit pas pour obtenir des avantages qu’on lui offre, la vérité de la Parole divine. Un christianisme qui sait appuyer sa propre faim, sa propre faiblesse, son propre manque de brio sur la Parole de Dieu. Ne considérons pas cela comme un échec, comme si nous attendions des jours meilleurs. Nous les avons déjà ces jours meilleurs puisque nous nous appuyons en Jésus-Christ dans la mesure où nous faisons consister notre foi dans la Parole de Dieu. N’établissons pas notre pouvoir sur le triomphalisme et le spectaculaire, mais dans le simple accomplissement de notre devoir, dans la simple foi dans la Parole de Dieu. C’est cela la Rédemption que le Christ nous offre! 12/02/78, p.18, IV.

 

 

3) Le Peuple, nous tous, toute l’Humanité, sommes l’objectif de l’Histoire du Salut

 

 

L’être humain est une solidarité avec le Christ

 

C’est pourquoi voici la dernière pensée de cette homélie : entre ces deux protagonistes, Adam et le Christ, il y a nous, l’humanité. Saint Paul nous dit dans la seconde lecture (Rm 5, 12-19) la solidarité qu’est tout homme : chaque humain est une double solidarité. Nous tous qui sommes ici, capables d’entendre ce sur quoi nous réfléchissons, intelligents, libres, capables d’aimer, avec de nombreuses capacités pour organiser une entreprise, pour être des professionnels, pour être des hommes de la politique ou du commerce, de l’entreprise, nous avons tous ces capacités d’intelligence, d’organisation, de prestige envers le mondain, tout cela nous vient d’Adam. L’homme est descendant d’Adam et ses qualités humaines sont un héritage de ce souffle de Dieu qu’est la vie de l’homme.

 

 

C’est en ce sens que plusieurs personnes se sentent trop orgueilleuses et se satisfont uniquement de leur solidarité avec Adam, avec le souffle naturel de Dieu. Mais il existe une deuxième solidarité que peu de gens comprennent : l’être humain est une solidarité avec le Christ. Paul nous dit aujourd’hui : la solidarité avec Adam nous a tous fait pécheurs, race déchue, race faible, même si cela ne nous a pas enlevé l’étincelle de l’intelligence et la capacité de nos dons naturels, mais nous demeurons une nature déchue si ce n’est par le Christ qui a été établi comme tête de la Rédemption. Seuls les descendants d’Adam qui se font également solidaires du Christ réalisent l’humanité que Dieu veut pour aujourd’hui : le christianisme. Le Christ est le second Adam et personne ne peut appartenir à la race de Dieu si ce n’est en s’incorporant à ce second Adam. 12/02/78, p.19, IV.

 

 

Le carême est avant tout une théologie

 

Comprenons maintenant le sens du carême de l’Église. Le carême est davantage que la répétition de coutumes, davantage qu’une ascèse, c’est avant tout une théologie. Celle de l’homme qui veut découvrir ce que signifie son baptême. Cette période va me servir pour que mon baptême devienne réellement solidarité de ma vie avec Celui qui (par mon baptême) m’a fait participer à sa mort et à sa résurrection. C’est pourquoi nous voulons que le baptême soit administré avec un peu plus de conscience. Ce n’est déjà plus le temps de faire du baptême un événement social : que tel prêtre ou tel évêque baptise, que telle personne soit le parrain. Ça, c’est l’aspect social, mais le principal est que, avant cette cérémonie à laquelle assiste l’humble paroissien, on explique le sens d’être baptisé. Cet enfant ne vaut pas pour son parrain ni pour sa descendance d’Adam, il vaut parce que le baptême va l’incorporer à ce Christ qui est mort et le baptême est notre participation à cette mort, et qui ressuscita, et mon baptême est participation de la vie éternelle que m’apporte cette résurrection.

 

Le carême doit servir à nous rappeler cette grande dignité du christianisme, du baptême, qui apporte à ma vie depuis mon enfance grâce à mes parents qui me firent baptiser lorsque j’étais enfant. Je ne le compris pas, mais maintenant l’Église célèbre le carême chaque année pour que je prenne conscience de mon baptême. Je ne suis plus un enfant, je suis maintenant un adulte responsable. Que signifie pour moi ce baptême? Que je ne peux vivre uniquement avec mes qualités qui me solidarisent avec Adam sinon que je dois vivre avec les exigences d’appartenir au Christ, sinon, je ne peux me sauver, pour aussi brillant que j’apparaisse aux yeux des hommes.

C’est cela, le carême, le rappel théologique de cette réalité qui m’incorpore, me solidarise avec le Rédempteur, avec le Christ, avec le Fils de Dieu qui m’apporta la vie de Dieu pour que tous ceux qui croient en Lui soient sauvés. Il ne suffit pas d’être des descendants d’Adam même si nous nous sentons très forts grâce au souffle de la vie naturelle. Il est nécessaire que ce souffle se solidarise avec le Christ, c’est cela la seconde réalité du baptême : la Pénitence. Dans le groupe des pèlerins du carême sont ceux qui se préparent à être baptisés, nous sommes ceux qui ayant été baptisés ne sont pas demeurés fidèles à cette incorporation au Christ et nous voulons laver cette trahison par la pénitence, par le repentir, par des jeûnes, par des démonstrations que les chemins d’Adam et Ève ne sont pas les chemins de la félicité, que ce ne sont pas ceux de Dieu, mais que le véritable chemin est celui du Christ qui a vaincu les tentations du monde. 12/02/78, p. 19-20, IV.