L’Église dont la faiblesse s’appuie
en JĂ©sus-Christ
Cinquième dimanche du temps
ordinaire; 5 février 1978. Lectures : Isaïe 58,7-10; Corinthiens 2,1-5;
Matthieu 5,13-16.
L’Onction des Malades signifie la
consécration des membres souffrants afin qu’unis au Christ crucifié, ils soient
plus efficacement ce que le Christ veut de chaque malade, de chaque homme qui
souffre : un membre souffrant de sa passion pour sauver le monde. […]
Cette vérité de l’Évangile qui dit
« nul n’est prophète dans son pays » s’accomplit également ici, où au
lieu de l’admiration nous rencontrons la calomnie, l’incompréhension, la
critique, admettant sans doute l’imparfait, l’humain que contient toute œuvre
humaine. Je crois, frères, que valent davantage les valeurs positives de cette
Église qui s’appuie sur sa foi, son Évangile, dans la suite sincère de Notre
Seigneur JĂ©sus-Christ. 05/02/78, p.183-184, III.
Éclairé par l’encyclique Populorum Progressio de Paul VI
Les événements de l’histoire doivent
servir de leçons à tous les êtres humains et c’est depuis très longtemps qu’est
écrite cette page. Si nous en avions tenu compte, la république sœur du
Nicaragua ne serait pas baignée de sang. Ni non plus il n’y aurait de bain de
sang pour le Salvador. Nous ne voulons pas la violence, nous ne voulons surtout
pas de guerre civile, c’est pourquoi nous clamons, et le Pape l’a dit il y a
déjà plusieurs années, puisse Dieu nous entendions à temps cette page de
l’histoire.
Populorum Progressio dit, au numéro 30 : « Il existe des
situations dont l’injustice clame vers le ciel : quand des populations
entières manquent du nécessaire, qu’ils vivent dans une dépendance extrême qui
leur empêche toute initiative, toute responsabilité, de même que toute
possibilité de promotion culturelle et de participation à la vie sociale et
politique, alors se fait grande la tentation de rejeter par la violence de si
graves injures à la dignité humaine. » Nous l’avons toujours dit :
la cause du malaise, les origines du terrorisme, les sources du sang sont ici,
dans l’injustice sociale. […]
Au numéro 31 de Populorum Progressio, le Pape poursuit en disant :
« Cependant, comme c’est connu, l’insurrection révolutionnaire possède un
préalable fondamental, sauf en cas de tyrannie évidente et prolongée qui porte
gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et endommage
dangereusement le bien commun du pays. La violence engendre de nouvelles
injustices, introduit de nouveaux déséquilibres et provoque de nouvelles
ruines. On ne peut pas combattre un mal réel au prix d’un plus grand
mal. » La doctrine de l’Église admet une rébellion dans des cas
extrêmes, lorsque la guerre devient l’ultime recours pour la défense d’un bien.
Comme tuer quelqu’un en état de légitime défense, c’est le recours ultime. Le
bien commun également, mais tenant compte que le mal de la rébellion ne va pas
être supérieur au bien auquel il prétend. Le Pape dit :
« Entendons-nous bien, la situation présente doit être affrontée
valeureusement et être combattue afin de vaincre les injustices qu’elle
engendre. Le développement exige des transformations audacieuses, profondément
innovatrices, il faut entreprendre, sans attendre davantage, des réformes
urgentes; chacun doit accepter généreusement son rôle, surtout ceux qui par
leur éducation, leur situation et leur pouvoir possèdent de grandes
possibilités d’action. » 05/02/78, p. 185, III.
La Parole de Dieu si elle n’est
qu’une réflexion théorique qui ne touche pas les réalités, même lorsqu’elles
sont douloureuses, n’est pas une parole qui éclaire. […]
1) Comme une ville située sur une
montagne
Le sermon sur la montagne, oĂą le
Christ immédiatement après nous avoir dit les Béatitudes, nous apostrophe
directement et nous dit à nous, chrétiens (Mt 5,13-115) : « Vous êtes
le sel de la terre. Mais
si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on? […] Vous êtes la lumière
du monde. Une ville qui est sise au sommet d’un mont ne saurait être cachée. Et
l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le
lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. »
À quoi sert une Église, un
christianisme, quand sa prédication, son exemple, s’est transformée en une
servilité, en une adulation, en n’importe quel bien de ce monde? Sel insipide,
lumière éteinte. Comme il est facile d’être bien avec le monde, mais comme il
est inefficace d’être une lampe éteinte. À quoi sert-elle? L’Église a
besoin de chacun de nous et de nous tous ensemble. Chaque chrétien doit être
une lampe et l’ensemble des chrétiens doit être comme une ville sur une
montagne. Que chacun brille à partir de sa profession! […]
Frères, ce n’est pas que d’autres
professions soient inférieures à la prêtrise, chaque vocation vaut, ici où Dieu
la désire, et c’est ce que je voudrais vous faire comprendre en ce moment,
comme un appel du Christ : que chacun soit une lumière à partir de sa
propre profession. […]
Non pour avoir plus, mais pour ĂŞtre
lumière
Comme la société sera merveilleuse
lorsque les hommes ne mettront plus leurs idéaux dans les biens de la terre
pour s’enrichir davantage, pour avoir plus. Nous l’avons dĂ©jĂ dit, c’est lĂ
l’expression la plus grande du sous-développement moral : l’avarice,
l’envie de posséder, la frénésie du pouvoir, l’idolâtrie. L’homme brille quand
il est davantage lumière du Seigneur, quand il fait de sa profession un service
à l’humanité, quand à la manière d’une lampe il se dépense, alors qu’il
illumine comme communauté et comme Église. 05/02/78, p.186-188, III.
2) Les bonnes Ĺ“uvres sont la
splendeur de l’Église
Les bonnes Ĺ“uvres Ă partir des
pauvres. Comme est éloquente cette parole d’Isaïe (58,7) : « N’est-ce
pas partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans-abri,
si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta
propre chair? » Comme si le mendiant, c’était moi. C’est ma chair qui a
faim, donne-lui à manger, comme à celui qui vient te demander un abri, c’est ma
chair qui a froid, donne-lui le gîte. Sentez cette fraternité, sentez
l’identité. Je ne dis pas avec toi-même uniquement, mais surtout avec le
Christ. Tout ce que vous faites à lui, c’est à Moi que vous le faites.
Comment l’Église pourrait-elle ne pas
souffrir devant une civilisation de l’égoïsme, une civilisation d’inégalités si
cruelles, où le pauvre, le désemparé, l’affamé, le dénudé, le sans-abri, comme
si ce n’était pas un être humain, comme s’il ne s’agissait pas de notre frère.
Nous avons déjà dit, frère, que cela ne constitue pas une défense de la
paresse, de l’oisiveté : « Celui qui ne travaille pas dit la Bile
qu’il ne mange pas. » Mais il s’agit de situations devenues normales
parmi nous, comme s’il existait diverses classes d’hommes, les riches et les
pauvres. Si nous sommes la mĂŞme chair, si nous sommes de la mĂŞme origine et que
nous avons la même destinée (ultime), si le Christ nous a tous aimés et qu’Il
s’est identifié avec tous.
Être près de celui qui souffre
Chacun de nous doit ĂŞtre un ardent
dévot de la justice, des droits humains, de la liberté, de l’égalité, mais les
regardant à la lumière de la
foi. N’oublions pas que c’est précisément en cherchant que
s’allume en notre être la lumière du Seigneur, c’est-à -dire : ne faites
pas le bien par philanthropie. Il existe de nombreux groupes qui font le bien,
mais pour voir leur nom publié dans le journal, pour être considéré comme des
bienfaiteurs. Il y en a plusieurs qui font le bien en recherchant des
applaudissements sur la
terre. Ce que recherche l’Église, c’est d’appeler tous à la
justice et à l’amour fraternel. C’est le bien de la personne qui fait le bien,
parce que cela profite davantage au bienfaiteur qu’au bénéficiaire. (Isaïe
58,9) : « Alors tu crieras et Yahvé te répondra. Tu l’appelleras, Il
dira : me voici! »
Jouir de la présence de Dieu
Il existe un critère pour savoir si
Dieu est près de nous ou s’Il est loin : celui que nous donne la Parole de
Dieu aujourd’hui. Tous ceux qui se préoccupent de l’affamé, du dénudé, du
pauvre, du disparu, du torturé, du prisonnier, de toute cette chair qui
souffre, sont près de Dieu. « Tu crieras vers Dieu et il te
répondra. »
En quoi consiste la religion?
La religion consiste en de nombreuses
prières, elle est cette garantie d’avoir Dieu auprès de soi parce qu’on fait le
bien à ses frères. La garantie de la prière, ce n’est pas la quantité de
paroles, la certitude de la requête est très facile à connaître : comment
est-ce que je me comporte avec le pauvre? Parce que c’est dans la façon que tu
t’approches de lui, avec amour ou avec mépris, ainsi tu t’approches de Dieu. Ce
que tu lui fais, c’est à Dieu que tu le fais et la manière dont tu le regardes,
c’est celle avec laquelle tu regardes Dieu. Dieu a voulu s’identifier d’une
telle manière avec les pauvres que les mérites de chacun et d’une civilisation
seront mesurés par le traitement que nous avons réservé aux nécessiteux et aux
pauvres.
La pauvreté est le sacrement de Dieu
dans le monde
Très chers pauvres, chers
marginalisés, chers gens sans maison et sans nourriture, votre propre dignité vous
réclame de vous-mêmes un effort de promotion. Il est dommage que vous, les
pauvres, vous n’ayez pas l’estime personnelle envers vous-mêmes que vous
devriez avoir. Plusieurs tentent de noyer dans l’alcool, dans les vices, dans
les désordres, une dignité qui pourrait être lumière et présence du Seigneur
sur la Terre. Nous
ne faisons pas ici l’éloge de la pauvreté en tant que telle, nous en faisons
l’éloge en tant que signe et sacrement de Dieu en ce monde et parce qu’un
sacrement doit être promu, doit être travaillé dans la mesure de vos efforts
Ă©conomiques et sociaux.
Annoncer la promotion humaine
Ne dormez pas, l’Église, la religion,
ne veut pas être l’opium du peuple. C’est pourquoi l’Église souffre les
conflits parce qu’elle tente de favoriser la promotion de l’homme, de la femme,
et leur dire : « Tu es égal aux autres, tu possèdes les mêmes droits
que tes frères. » L’Église souffre les conflits parce qu’elle travaille
pour que ces pauvres cessent d’être une masse endormie et qu’ils se
convertissent en artisan du destin de leur patrie. C’est pourquoi cette
promotion à laquelle l’Église travaille est malicieusement confondue avec des
idées subversives ou d’autres sortes de calomnies. Ce que l’Église recherche
c’est cette tâche du prophète d’annoncer la promotion des êtres humains,
sachant qu’en chacun est caché Dieu et que le respect qu’on doit à chacun,
qu’il s’agisse du plus pauvre et de l’indigent, est une dévotion, une attitude
de quasi-adoration Ă notre Dieu. 05/02/78, p.188-190, III.
3) La faiblesse de l’Église, la
pauvreté de l’Église possède son appuie sublime en Jésus-Christ Notre Seigneur
Apollon, le grand rhétoricien
d’Alexandrie, Grec qui se scandalisait de la croix du Christ, Juif converti qui
voyait la croix comme une folie et qui s’éloigna du Crucifié pour aller
chercher des appuies dans les biens de la terre, dans l’argent, la politique,
dans les privilèges humains. Comme cette tentation est facile! […]
Non pas le bruit des paroles
Qu’est-ce que ma parole? Qu’est-ce
que la sagesse humaine? Sinon un bruit qui arrive jusqu’à mon oreille externe,
mais de cette oreille jusqu’à mon cœur, il existe un chemin que Dieu seul peut
parcourir et bienheureux le prédicateur qui ne se fit pas uniquement dans le
bruit de ses paroles même si elles sont enveloppées dans une grande sagesse
humaine.
Non dans le pouvoir de la terre
Ne mettons pas non plus notre
confiance dans le pouvoir de la terre.
Je n’ai jamais toléré, ni n’ai
consenti que la prédication de l’Évangile soit mélangée à un langage révolutionnaire.
Et quand on a accusé certains prêtres de prêcher la révolution, j’ai demandé
des preuves, des cas concrets. C’est seulement ainsi que nous pouvons procéder.
Mais souvent, il s’agit d’une calomnie ou d’une information de troisième ordre,
information intĂ©ressĂ©e. Mais quand j’ai discutĂ© avec le prĂŞtre en cherchant Ă
connaître le fond de sa pensée, je n’ai rencontré dans son langage rien d’autre
que la sagesse du Christ qui sut aussi réclamer contre les injustices et qui ne
toléra pas les outrages commis envers les pauvres et les nécessiteux. C’est
pourquoi, notre Église doit faire très attention, les communautés ecclésiales
de base, les groupes de réflexion, afin qu’en étudiant la Bible, les paroles de
Notre Seigneur, nous ne recherchions pas autre chose que la sagesse du Christ
Crucifié, et non pas le pouvoir de la politique ou de l’argent. S’appuyer sur
les armes et sur la violence n’est pas un langage chrétien. 05/02/78,
p.190-192, III.