L’Église, germe certain d’unité pour
tout le genre humain
Premier dimanche après l’Épiphanie du
baptĂŞme du Seigneur; 15 janvier 1978. Lectures : IsaĂŻe 42,1-4. 6-7; Actes
10,34-38; Matthieu 3, 13-17.
Célébration du Seigneur d’Esquipulas
Le mystère du Christ qui se déploie
tout au long de l’année liturgique veut nous faire nous sentir plus intimement
unis Ă chacun de vous, et Ă moi-mĂŞme, afin que nous ressentions tous, comme
disait saint Paul : « Qu’Il m’aime et qu’Il s’est livré pour
moi. » C’est pourquoi je veux vous présenter à chaque dimanche, ce
mystère du Christ. Non pas sous la forme lointaine et vaporeuse d’une
prédication qui pourrait être la même ici au Salvador que là -bas en Afrique ou
à n’importe quelle époque de l’Histoire. Le Christ s’incarne pour nous
aujourd’hui, ici, au Salvador de 1978. Le Christ nous accompagne dans les
vicissitudes de l’histoire actuelle. Il illumine cette semaine. C’est cela
l’Épiphanie que nous devons célébrer parce que le Christ s’est fait chair, Il
s’est fait membre de notre histoire, Il veut accompagner chaque homme, chaque
famille et chaque peuple et faire de l’histoire de chaque peuple chrétien,
l’Histoire de notre propre Salut. 15/01/78, p.146, III.
Événements de la semaine
Dans la morale, il est question de
trois sortes de scandales :
Le scandale véritable, celui que
provoque un péché, une faute; le scandale normal, celui du véritable mal qui
produit le scandale chez les adultes; et un autre scandale, celui qu’on nomme
pusillanime, un scandale enfantin, ceux dont tous se scandalisent.
Et un troisième scandale, et ce
dernier est très coupable, c’est le scandale des pharisiens, celui de ceux qui
ne tolèrent pas le Christ. Le scandale qui se scandalise quand il s’agit de
dévoiler les injustices, les désordres. 15/01/78, p. 147, III.
Plan de l’homélie :
1) Dieu veut sauver tous les hommes
2) Dieu veut sauver en faisant un
Peuple déjà sur cette terre
3) Dieu sauve dans le peuple, en
enlevant les péchés du monde
1) Dieu veut sauver tous les hommes
Personne n’est exclu du Salut
Cela doit nous remplir d’enthousiasme
de savoir que personne n’est exclu du Salut. Que Dieu nous appelle tous et
c’est pourquoi existe ce cri de justice de l’Église qui rejette la violence, le
scandale des pharisiens, le mensonge, le crime, la persécution. Ce
n’est pas avec un sentiment de vengeance, jamais. L’Église dénonce cela avec un
sentiment d’amour qui appelle les pécheurs à la conversion parce que Dieu veut
les sauver. Ceux qui l’ont tué, ceux qui l’ont calomnié, ceux qui l’ont
persécuté sont invités par Dieu. Ils sont tous des enfants prodigues que Dieu
attend pour les sauver.
Cela me désole beaucoup, frères, –
que me pardonnent ceux qui sont fidèles et qui m’entendent avec amour et
dévotion –, qu’on dise de moi que je prends plaisir à ce que mes ennemis
m’écoutent. Qu’ils sachent que je leur apporte une parole d’amour, non pas de
haine, ni de désir de vengeance, je ne leur désire aucun mal. Je leur demande
de se convertir, pour qu’ils apprennent à être heureux avec cette félicité des
enfants de la parabole (Mt 3,13-17) qui sont toujours demeurés avec le Père,
jouissant des allégresses de leur foi. Qu’ils se sentent comme me dit hier un
ami avec tant de tendresse : « Que tout le bon soit avec
vous. » Frères, je ne sais pas distinguer entre le bien et le mal.
Tous sont fils de Dieu et le Seigneur les veut tous. Dans les Écritures
d’aujourd’hui (Is 42,1-4. 6-7; Ac 10,34-38; Mt. 3,13-17) se trouve un appel universel
de Salut. 15/01/78, p.151, III.
2) Dieu veut sauver en faisant un
Peuple déjà sur cette terre
A) Le sens de Peuple
Mais ma seconde pensée ne signifie
pas un Salut isolé. C’est pourquoi l’Église d’aujourd’hui, plus que jamais,
accentue le sens du mot Peuple. C’est pour cela que l’Église souffre les
conflits, parce qu’elle ne veut pas d’une masse, elle veut un Peuple. La masse
c’est la multitude des hommes, quand ils sont endormis, ou mieux encore, quand
ils sont conformistes. L’Église rejette cette calomnie du communisme qui dit
que l’Église est l’opium du peuple. Elle ne veut pas être cela. D’autres sont
un opium qui endorment et qui veulent des masses endormies.
L’Église veut une communauté d’hommes
oĂą tous conspirent au bien commun.
L’Église veut éveiller les hommes et
les femmes dans le véritable sens de peuple. Qu’est-ce qu’un peuple? Le peuple
est une communauté d’hommes où tous conspirent au bien commun. Et qu’est-ce que
le bien commun? Le Concile dit : « C’est une série de conditions où
les groupes humains, les familles, les individus vivent dans une ambiance qui
leur permet de s’améliorer pour devenir toujours davantage plus humains. »
L’homme, sa raison d’être
La raison d’être d’une société, d’une
communauté politique, ce n’est pas la sécurité d’État, c’est l’homme. Depuis
que le Christ a dit : « L’homme n’est pas fait pour le sabbat, mais
le sabbat pour l’homme », l’être humain a été posé comme objectif de
toutes les institutions. Ce n’est pas l’homme pour l’État, mais l’État pour l’homme.
Et l’humain tel que le conçoit le développement de l’humanité.
Le passage de conditions moins
humaines Ă plus humaines
Dans Populorum Progressio, au numéro 20, il est écrit :
« C’est ainsi que pourra se réaliser dans sa plénitude le véritable
développement qui est le passage pour chacun et pour tous, vers des conditions
plus humaines. » Vous voyez! Ce n’est pas un amoncellement de gens,
c’est le passage de chaque personne et de tous les êtres humains vers des
conditions meilleures que le Pape nous décrit ici.
Des conditions de vie moins humaines
Quand se produisent, ne serait-ce que
chez certains Salvadoriens, ces choses moins humaines, les carences morales de
ceux qui sont privés du minimum vital et les carences de ceux qui sont mutilés
par l’égoïsme, moins humaines les structures oppressives qui proviennent de
l’abus de l’avoir ou de l’abus du pouvoir, de l’exploitation des travailleurs
ou de l’injustice des transactions. Ces conditions sont moins humaines. Cela ne
vous apparaît-il pas ainsi à voir comment certaines choses se produisent en ce
pays? 15/01/78, p151-153, III.
Passer Ă des conditions de vie plus
humaine.
Et le Pape les décrit :
« Il est plus humain de passer de la misère à la possession du nécessaire,
la victoire sur les calamités sociales, l’augmentation des connaissances,
l’acquisition de la
culture. Plus humaine également est l’augmentation des
considérations en faveur de la dignité des autres, l’orientation vers l’esprit
de pauvreté. » Il est admirable que l’esprit de pauvreté soit placé
ici par l’Église parmi l’acquisition de conditions de vie plus humaine. Être
pauvre, vivre l’esprit de pauvreté, c’est être plus humain et combien davantage
une personne est victime de l’avarice, d’autant moins elle est développée
moralement.
« Plus humain – dit le Pape – la
coopération au bien commun, la volonté de paix. Plus humaine encore la
reconnaissance de la part de l’être humain des valeurs suprêmes et de Dieu, qui
en est la source et la fin.
Plus humaine enfin, et spécialement, la foi, don de Dieu,
accueillie par la bonne volonté des hommes. Et l’unité dans la charité en
Jésus-Christ qui nous appelle tous à participer comme des fils dans la vie du
Dieu vivant, Père de tous les hommes. » Quelle belle expression de ce
qu’est un peuple!
Le jour oĂą tous les Salvadoriens
sortiront de cet amoncellement de conditions de vie moins humaines Ă des
situations personnelles et nationales de conditions plus humaines, non
seulement de développement qui demeure dans l’économique sinon qui nous élève
jusqu’à la foi, à l’adoration d’un seul Dieu, ce sera là le véritable
développement de notre peuple. 15/01/78, p.153, III.
B) Nous devons construire ce peuple Ă
partir de l’Église de Dieu dans une solidarité pluraliste.
Nous respectons le pouvoir temporel,
mais si nous voulons créer dans la conscience du peuple un sens de peuple et
non plus de masse, une promotion des individus, un bien-ĂŞtre qui ne porte
préjudice à personne, mais qui soit l’amour et la foi parmi les humains, fils
et fille d’un Père de tous les hommes. Parce que l’Église prêche cette
promotion, on l’a calomnié. Là où l’Église ne fait pas cette promotion, elle
n’a pas de problème. […]
Ce n’est pas que l’Église veuille que
tous deviennent catholiques, mais que les catholiques deviennent de véritables
missionnaires de ce message de promotion, qu’ils sachent être le ferment
d’unité, de diffusion de la lumière et de critique également. Consciences
critiques qui savent, à partir des divers modes de pensée, exprimer le
pluralisme, la diversité que Dieu a voulue. Dieu n’a pas voulu que tous soient
taillés selon un seul critère, mais faire des hommes, un pluralisme qui fasse
grandir – dans la beauté du pluralisme – l’unité de la patrie, la beauté des
caractéristiques qui nous sont propres? 15/01/78, p. 154, III.
3) Dieu sauve dans le peuple, en
enlevant les péchés du monde
Je vais vous dire pourquoi le Salut
des hommes consiste à recevoir ce baptême de l’Esprit qu’Il nous apporta. C’est
la Vie de Dieu qui veut injecter dans le cœur des personnes, la rénovation
intérieure pour arracher les péchés de l’être humain, de la famille, de la société. C’est là la
mission dont l’Église est chargée. C’est une mission difficile : arracher
les péchés de l’histoire, de la politique, de l’économie, partout où ils se
trouvent. Quelle tâche difficile! Cela provoque des conflits au milieu d’autant
d’égoïsmes, d’orgueils et de vanités, parce que le règne du péché a été
intronisé parmi nous. L’Église doit souffrir pour dire la vérité, pour dénoncer
le péché, pour arracher le péché. Personne n’aime qu’on lui touche sa plaie
vive et c’est pourquoi sursaute cette société qui possède tant de plaies quand
nous la touchons avec courage, elle doit se soigner, elle doit changer cette
situation.
Croyez dans le Christ,
convertissez-vous. Parce que Lui seul peut enlever le péché de la société
salvadorienne et faire la véritable communauté du peuple qui soit véritablement
un orgueil pour Dieu. Parce que Dieu a créé les divers peuples comme une
famille. Qu’il est merveilleux de penser à ce Dieu qui est le Père de tous les
peuples! Certains peuples vivent selon sa pensée et s’aiment avec le pluralisme
des nations. Quelle diversité d’idiosyncrasies! Ne pensez qu’aux pays
centraméricains. Chacun possède sa propre physionomie, ce sont cinq fils de
Dieu. Comme ces cinq pays seraient merveilleux si nous parvenions Ă y arracher
les péchés de leur histoire, de leur politique, de leur société, de leurs
relations! Nous présenterions en ce jour du Seigneur d’Esquipulas comme des
frères du Christ, des peuples de Dieu qui font la promotion de conditions
inhumaines à des conditions de fils de Dieu, images de sa présence sur ce petit
coin du monde qu’est l’Amérique centrale. 15/01/78, p.154, III.