La Conversion personnelle, préalable
indispensable à la véritable Libération
Troisième dimanche du carême; 9 mars
1980; Lectures : Exode 3,1-8a.13-15; I Corinthiens 10,1-6.10-12; Luc
13,1-9.
Les lectures d’aujourd’hui nous font
remonter aux sources de cette réconciliation et de cette paix.
La réconciliation avec Dieu, la conversion :
une voix du carĂŞme qui ne peut ĂŞtre confondue.
Comme apparaît opportun ce terme qui
vient maintenant apporter son aval à la présence de la mort, au sort des terres
lointaines ici au Salvador, (référence aux ambassadeurs présents, de la Suisse
et du Danemark) comme vient de nous dire Monseigneur Aglert : « Il se
vit une nuit lugubre de répression et de violence. La Parole de Dieu nous fait
déjà sentir la venue d’un jour nouveau si nous nous convertissons, si nous nous
réconcilions. » Combien de polarisation, combien d’idéologies, combien
d’intérêts égoïstes, combien de chemins équivoques des hommes sur lesquels je
voudrais faire résonner aujourd’hui cette parole de Jésus-Christ :
« Convertissez-vous! Si vous ne vous convertissez pas, vous
périrez! »
Puisse Dieu, mon appel Ă la
réconciliation de ce matin, si providentiellement validé par ces présences et
ce prix (Prix de la Paix 1980 du gouvernement et des Églises de Suède), soit
entendu, surtout de ceux qui ne veulent pas l’entendre.
Opportunité de ce message en notre pays
Je vais donner, comme de coutume, un
titre à cette homélie qui soit comme une réponse reconnaissante de mon
archidiocèse à cette noble Action Œcuménique de Suède et, à travers cette voix
chrétienne œcuménique rejoindre la douleur de cette famille ici présente avec
ses cadavres (un marxiste salvadorien et son Ă©pouse danoise). Puisse Dieu,
cette parole trouver un écho dans tous les cœurs! Notre thème que nous étudions
en ce carĂŞme serait le suivant, selon le plan de Dieu sur tous les projets des
hommes, sur tous les plans politiques, sociaux et terrestres: la conversion
personnelle comme préalable indispensable à la véritable Libération.
Plan de l’homélie :
1) L’Enseignement de
l’Évangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez
tous. »
2) La Leçon d’Israël :
« Ils ne plurent pas tous à Dieu… c’est pourquoi leurs corps demeurèrent
étendus au désert. »
3) Qu’est-ce que signifie se
convertir aujourd’hui au Salvador?
1) L’Enseignement de
l’Évangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez
tous. »
A) Qu’est-ce que se convertir?
L’enseignement de l’Évangile sur les
lèvres même du Christ (Lc 13,5) : « Non, je vous le dis; mais si vous
ne voulez pas vous repentir, vous périrez tous de même, » nous fait nous
demander : Qu’est-ce que la conversion? Qu’est-ce que se convertir? C’est
la synthèse de tout l’Évangile.
C’est ainsi que commença Jean
Baptiste; c’est ainsi que poursuivit Jésus et c’est ainsi qu’Il ordonna de
prêcher jusqu’à la fin des siècles : « Le Règne de Dieu est arrivé,
convertissez-vous et croyez dans l’Évangile! » Ceci est la base de ce
Règne de Dieu.
C’est changer de mentalité
Se convertir c’est la même chose que
faire pénitence, c’est la même chose que la fameuse parole grecque :
« métanoïa », changer de mentalité; c’est cela, se convertir :
changer de mentalité. Celui qui était agenouillé devant les idoles de la Terre,
change de mentalité et se met à genoux devant l’Unique Seigneur.
C’est marcher jusqu’à Dieu et se
tourner vers Dieu. Cela signifie suivre un chemin, JĂ©sus-Christ qui dit :
« Je suis le chemin, personne n’arrive au Père sinon par moi. » Se
convertir c’est adhérer au Christ et chercher le Père.
Saint Luc présente l’enseignement et
l’exemple du Christ comme un chemin vers Jérusalem. Il y a une originalité dans
l’Évangile de saint Luc qui est le livre de cette année : c’est que du
chapitre 9 à 19, ces 10 chapitres nous présentent une véritable christologie,
une présentation ample du sens du Christ comme Sauveur de l’humanité. Cette
christologie nous présente ce Fils de Dieu marchant vers Jérusalem, non par des
détails géographiques, dont saint Luc se soucie peu, mais par une préoccupation
théologique. Marcher vers Jérusalem signifiait pour le Christ et pour tous ses
disciples, les chrétiens, rechercher la volonté de Dieu, chemin qu’Il a annoncé
et qu’Il s’est appliqué à Lui-même : chemin de souffrances, de calvaires,
d’humiliations, de croix mais qui se termine après, en un but de triomphe, de
victoire, de résurrection.
Cela signifiait aller à la Cité des
promesses divines.
JĂ©rusalem personnifie pour les
Israélites, et de manière spéciale pour le Christ, la Cité des promesses de
Dieu.
Se défaire de tout le mal de
JĂ©rusalem et personnifier toute la force salvatrice.
Si Jésus annonçait qu’il va être
expulsé de Jérusalem, c’est parce que celle-ci a été prostituée par les hommes.
Les scribes, les pharisiens, les prêtres eux-mêmes l’expulseront et le Christ
en se faisant expulser de Jérusalem, emporte toute la pureté de Jérusalem et Il
laisse dans la vieille Jérusalem, les ruses des hommes, les péchés, les
injustices, et les intrigues; mais avec Lui, monte Ă la croix, sur ce chemin
qui se termine par son humiliation suprême : l’innocence, la sainteté, la
justice de Dieu, le pardon des hommes; et depuis cette croix, toutes les
promesses de la Jérusalem pure, se répandent sur tous les hommes qui veulent
croire en ce Seigneur JĂ©sus-Christ.
Se convertir, c’est entreprendre ce
même itinéraire théologique de Jésus.
Se convertir, donc, c’est marcher
avec Jésus dans ce voyage mystérieux vers la volonté de Dieu, sans se laisser
séduire pas les triomphalismes, ni par les intrigues de la religion, de la
politique ou des choses de la Terre, mais s’en désintéresser pour demeurer pur
et propre avec le Christ, pour mériter les promesses du Seigneur. Se convertir,
donc, dans le langage de l’Évangile d’aujourd’hui, c’est une marche douloureuse
entre les pleurs et le deuil, entre les souffrances et les peines, les
couronnes d’épines, les coups de fouet, la torture; mais tout cela se termine
dans la victoire finale : la RĂ©surrection du Seigneur qui est la
résurrection de nous tous.
B) Les épisodes de l’Évangile
surpassent les jugements superficiels des hommes qui veulent toujours voir une
relation entre une catastrophe et le péché.
C’est ainsi que nous comprenons les
deux épisodes que nous narre l’Évangile de saint Luc, précisément dans cette
section de la marche du Christ oĂą Il enseignait Ă ses disciples. Un Ă©pisode
fait référence à ceux qui moururent pendant qu’ils offraient un sacrifice. Des
GalilĂ©ens pieux rencontrèrent la mort alors qu’ils offraient un sacrifice Ă
Dieu. Il s’agit sans doute d’une mort répressive, d’une mort causée par la
persécution au sens religieux. Ces descriptions correspondent parfaitement avec
ce que l’histoire nous enseigne de Ponce Pilate; un homme terriblement
répressif, un homme qui ordonnait de faire tuer des gens, même parmi les foules
qui venaient au temple, un homme qui se serait bien intégré à la répression que
nous vivons aujourd’hui au Salvador.
Jésus laisse intact le mystère de la
souffrance des bons
L’autre épisode possède aussi une
ressemblance avec les agissements politiques du Salvador. Ceux qui moururent
atterrés dans la construction de Siloé; sans doute s’agissait-il de ces
mouvements politiques, les « zélotes », qui moururent en luttant.
Quelle que soit la situation, il existe une coutume dans l’esprit des gens,
d’associer la tragédie au péché. Même lorsqu’ils virent un pauvre aveugle, les
disciples demandèrent au Christ : « Est-ce lui ou ses parents qui ont
péché? » Et le Christ remonte aux sources du mystère de la douleur :
« Ni lui, ni ses parents n’ont péché; ces choses adviennent pour
manifester la gloire de Dieu. » Et quand ils le questionnèrent également
sur ces deux catastrophes des morts du temple et de ceux qui périrent sous
cette colonne, le Christ leur dit (cf. Lc 13,1-9) : « Vous pensez que
ceux qui moururent ainsi étaient plus pécheurs que tous les autres qui ne sont
pas morts? En aucune manière, dit le Christ. Non je vous le dis; mais si vous
ne voulez pas vous repentir, vous périrez tous de même. »
Ce qui importe c’est de se convertir,
peu importe quelles furent la vie et la mort.
Comme le Seigneur est délicat! Il ne
veut pas dévoiler le mystère intime de l’âme de chaque mort. Comment
moururent-ils? Torturés, tués injustement comme ces deux innocents? Comment
moururent-ils? Peu importe dit le Christ; ce qui importe, c’est quelque chose
de plus grand et de transcendantal : être mort réconcilié avec Dieu,
converti à Dieu. Et, c’est pourquoi, il sort de la mort un message pour nous
tous qui vivons : « Faites pénitence, convertissez-vous! »
Frères, si cette observation du
Seigneur vaut parfois pour notre pays, où notre vie est menacée de toutes
parts, c’est le moment : « Convertissez-vous! » Que la mort ne
vienne pas vous surprendre sur les chemins du péché, de l’injustice, encore
bien moins sur ceux du crime et du désordre. Que la mort nous rencontre dans
l’amour de Dieu. C’est cela, le grand enseignement de l’Évangile et des épisodes
d’aujourd’hui : Marcher avec le Christ et si la mort nous atteint en
marchant avec Lui, il n’y a rien à craindre. La mort est victorieuse pour ceux
qui croient dans le Seigneur. « Celui qui me suit, ne meurt pas, mais il
aura la vie éternelle. »
La parabole du figuier, appel Ă la
conversion, non pas tant depuis la sévérité de saint Matthieu que de la
miséricorde de Dieu. C’est dans le même sens qu’il faut aussi interpréter la
terrible parabole du figuier stérile que nous raconte aujourd’hui l’Évangile de
saint Luc. Quand le propriétaire de la plantation dit à l’administrateur
(13,7-9) : « Coupe-le; pourquoi donc use-t-il la terre pour rien? »
L’autre lui répondit : « Maître, laisse-le cette année encore, le
temps que je creuse tout autour et que je mette du fumier. Peut-ĂŞtre
donnera-t-il du fruit à l’avenir… Sinon tu le couperas. » Dans la parabole
de saint Matthieu il est écrit que : « Lorsque le Seigneur s’en
approcha, le figuier se dessécha devant l’inutilité de sa vie et la malédiction
de Dieu. » Mais saint Luc, qu’on appelle l’Évangile des miséricordes, ne
conclut pas si tragiquement; il nous donne un souffle d’espérance; ce qui
l’intéresse, interprétant le Christ, c’est d’avoir une vie utile, une vie qui
produit du fruit.
Ce que veut nous enseigner l’Évangile :
À quoi la vie sert-elle, aussi pompeuse qu’elle soit, si elle ne produit pas de
fruits? Figuier stérile! Et il nous indique également la tendresse et la
douceur de Dieu qui espère : Peut-être que l’an prochain… peut-être demain…
C’est un précieux appel du carême pour que nous révisions nos vies pour voir
s’il y a vraiment des fruits ou si nous sommes des figuiers qui occupent
inutilement de l’espace sur la Terre. Nous avons besoin de gens qui réalisent
de bonnes œuvres, de chrétiens qui soient lumière du monde, sel de la Terre.
Aujourd’hui nous avons énormément besoin d’un chrétien actif, critique, qui
n’accepte pas les conditions sans les analyser intérieurement et profondément.
Nous ne voulons plus de masses d’hommes desquelles on s’est jouées trop
longtemps; nous voulons des gens qui, à la manière des figuiers productifs,
sachent dire : Oui à la justice et non à l’injustice et qui sachent
profiter aussi du don précieux de la vie. Très chers frères, le plus humble de
ceux qui sont ici, le plus petit, celui qui se croit le plus insignifiant, est
une vie que Dieu regarde avec amour.
C’est avec amour également que Dieu
regarde ces deux morts, ces vies déjà terminées mais Il a déjà recueilli la
récolte de leurs fruits. Dieu prend soin de chacun avec l’affection de ce
jardinier qui prendra soin toute l’année de ce figuier, menacé de mort, pour
qu’il produise du fruit. C’est pourquoi l’appel est clair pour notre carême :
« Faites pénitence! » C’est la voix qui, depuis le Mercredi des Cendres,
nous envoie dire le Seigneur Ă tous nos peuples et c’est la voix qui, grâce Ă
Dieu, au travers de cette station Ă©mettrice amie, radio Noticias del
Continente, qui depuis le Costa Rica, diffuse sur de vastes régions dont nous
ne rêvions même pas, avant qu’on détruise notre radio diocésaine.
Nous avons entendu cette semaine, des
commentaires précieux de ces chemins mystérieux de la radio Noticias del
Continente. On nous a rapporté que notre homélie a été diffusée en reprise
lundi, mardi et mercredi, Ă la demande de plusieurs auditeurs dont nous
n’aurions jamais imaginé avoir comme auditoire de radio au Costa Rica, en
Colombie, au Venezuela et à divers autres endroits, jusque dans l’extrémité sud
de notre continent où l’on dit que cette émission s’entend bien. Et ici même
dans notre pays, des congrégations religieuses, des communautés chrétiennes des
cantons oĂą il y a des radios ondes courtes, ont pu Ă©couter comme auparavant
notre message radiophonique. Nous tenons Ă les remercier personnellement parce
que cela apporte la voix d’un homme. La voix n’est rien de plus qu’un écho qui
résonne; ce qui importe c’est le message de Dieu, le message du Christ qui,
grâce à Dieu, parvient à tous les cœurs : « Convertissez-vous! »
Notre appel pastoral, surtout pour
cet archidiocèse, avec les chers prêtres qui sont des collaborateurs dévoués de
notre pastorale, des religieux, des religieuses, des communautés chrétiennes,
c’est que nous profitions de ce carême pour nous rapprocher tous et chacun, de
cette conversion, de cette suite du Christ qui se dirige vers la JĂ©rusalem
spirituelle, vers le véritable sens du Ciel, de la véritable Résurrection dont
nous a parlé aujourd’hui le Secrétaire de l’Action Œcuménique. 09/03/80,
p.309-313, VIII.
2) La Leçon d’Israël :
« Ils ne plurent pas tous à Dieu… c’est pourquoi leurs corps demeurèrent
étendus au désert. »
A) L’Histoire du Salut, l’histoire
d’Israël, est un élément très important du carême
Pour que vous voyiez que les appels
de l’Église à la pénitence ne sont pas des exagérations mais qu’ils
correspondent à ce qui est l’objet de la prédication de notre carême, nous
rappelons le Plan de Dieu dans l’histoire d’Israël. Il choisit ce peuple parmi
toutes les nations pour en faire un modèle dans l’Histoire, qui depuis le
Christ, depuis sa croix, allait être l’Histoire du Salut dans l’histoire de
tous les peuples. L’histoire d’Israël devient également, au travers de
l’Église, histoire de notre peuple salvadorien. L’histoire du Salvador est
aussi un véhicule du projet de Dieu dans la mesure où nous, Salvadoriens,
ferons nôtre ce projet de l’Histoire du Salut.
C’est pourquoi, peu importe où
l’Évangile est prêché, quel que soit le contexte politique ou social où il est
enseigné, le projet de Dieu demeure toujours sur pied. Que ce soit là -bas en
Suède, où le contexte politique est très différent, ou ici au Salvador, où nous
vivons d’autres réalités, c’est toujours le même projet, le même besoin de se
convertir.
B) La Première et la seconde lecture
nous présente cette leçon de l’histoire d’Israël.
Il y a trois choses dans le projet de
Dieu que nous rappellent ces lectures d’aujourd’hui (Ex 3,1-8a. 13-15; I Co
10,1-6.10-12). La première c’est la rencontre de Dieu avec les leaders de son
peuple, avec Moïse, concrètement. La seconde c’est la révélation que Dieu fait
de son Nom et de sa mission au cœur du peuple. Et la troisième, c’est la grande
histoire de l’Exode qui indique le chemin de libération de tous les peuples.
Vocation de Moïse dans la théophanie
du Buisson ardent.
Nous voyons aujourd’hui Moïse qui se
désintéresse de ce que Dieu peut penser de sa vie. Là , auprès du mont Sinaï,
une théophanie comme celles de l’Ancien Testament : Du feu, la voix de
Dieu, la sainteté infinie du Seigneur. Moïse veut s’approcher et une voix
mystérieuse lui dit (Ex 3,5) : « N’approche pas d’ici, retire tes
sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. »
Et cette voix lui communique qu’il a été élu comme instrument de Dieu pour
apporter la liberté à son peuple.
L’expérience de Dieu est indispensable
pour pouvoir parler en son nom
Ce qui est intéressant ici, c’est
cette grande expérience. Les hommes qui conduisent les peuples par les sentiers
de Dieu doivent avoir eux-mêmes connu une expérience de Dieu. C’est ainsi
qu’apparaissent les grands prophètes dans la Bible : Isaïe, Jérémie, Ézéchiel,
et les hommes du Nouveau Testament Ă©galement : Paul et les apĂ´tres. Ils
durent d’abord apprendre à avoir un contact intime avec le Seigneur. C’est ce
qui apparaît aujourd’hui au milieu de cette théophanie du mont Horeb. Moïse est
entré en communication avec Dieu et il ne pourra plus désormais oublier cette
Présence de Dieu. Et même s’il se sent incapable, disproportionné devant la
grandeur de cette mission, il sait qu’il n’est pas seul; Dieu marche avec lui
et Il est le garant du triomphe de la mission qui lui a été confiée.
Le courage de MoĂŻse doit ĂŞtre comme
le courage de tous les chrétiens, le peuple sauveur de l’Histoire. Dieu
communiqua à Moïse quelque chose qu’Il désire que tous les chrétiens vivent. L’intimité
avec Dieu qui fortifie notre espérance, qui rend robustes nos efforts, qui fait
disparaître toutes les peurs. « N’aie pas peur, Je vais avec toi. »
C’est ce que saint Paul apprit aussi à dire : « Si Dieu est avec
nous, qui sera contre nous? »
Révélation du Nom de Dieu
C’est pourquoi la seconde révélation
que la Bible nous fait ce matin, c’est celle du Nom de Dieu. Moïse demande
prudemment à cet Être mystérieux (Ex 13,13) : « Mais s’ils me
disent : “Quel est son nom? Que leur dirai-je?” » Et Dieu se définit
alors par un mot qui constitue le mot sacré d’Israël : Yahvé, Yahvé! C’est
une forme archaïque du verbe être en hébreux.
« C’est un Être actif,
dynamique! »
Il s’agit d’un Être mais d’un Être
actif, dynamique, ce n’est pas un être qui ne fait qu’exister. Lorsque Dieu
dit : « Je suis Celui qui est, Je suis l’Être, » cela
signifie : Je suis la Présence dynamique, Je suis Celui qui doit être
découvert dans le dynamisme de l’Histoire, Je suis présent dans les
interventions de tous les pouvoirs du monde, Je suis la force des astres et des
mers, Je suis Celui qui fait que les choses sont. »
« Il intervient dans l’Histoire;
c’est un Dieu vivant; Il est la cause principale de ce que signifiait Abraham,
Isaac, Jacob… »
C’est pourquoi Il dit également :
« Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob »; n’aie pas de moi
une idée abstraite, un Dieu qui est loin dans les Cieux et qui a abandonné la
Terre aux humains; cela n’est pas exact. Le Dieu des Cieux est le Dieu de la Terre.
C’est le Dieu qui construit l’Histoire, Celui qui marche avec les patriarches,
Celui qui est avec les pères de familles, le Dieu de mes ancêtres, le Dieu de
tout le labeur de ma patrie.
Cette révélation possède tant
d’actualité alors que nous nous efforçons précisément de présenter une religion
que plusieurs critiquent comme si elle s’était écartée de sa spiritualité. On
entend tant de sottises et il s’écrit tant de calomnies insipides dans les
journaux : « Il n’y a plus personne qui va à l’Église parce qu’on y
prêche davantage de politique que de religion. » Ici, nous avons la
preuve; jamais la Basilique n’avait été aussi remplie… Lorsque je disais à une
mère souffrante qui est ici, que l’atmosphère de la Basilique n’était peut-être
pas appropriée pour ses chers défunts, elle insista pour les amener ici et
c’est ici qu’ils sont présents parmi les applaudissements du peuple…
Dona Rosa est l’expression de ces
âmes intelligentes, compréhensives, véritablement pieuses, qui comprennent que
le Pasteur doit parler de politique non parce qu’il est un homme politique, mais
parce que depuis le dynamisme de Dieu, la politique tombe aussi sous la
domination de Dieu. Celui-ci nous a enseigné à partir de la révélation de son
Nom, qu’Il est un Dieu qui veut être avec les humains, un Dieu qui ressent la
douleur de ceux qui sont torturés et qui meurent de la sorte; un Dieu qui
réprouve avec l’Église, qui dénonce la torture, la répression et tous ses
crimes. Le Dieu que nous adorons n’est pas un Dieu mort; c’est un Dieu vivant
qui sent, qui agit, qui travaille, qui conduit cette histoire et en Lui nous
espérons, en Lui nous nous confions. Dieu est avec nous comme Il était avec
Israël…
La volonté de Dieu… Libérer les
peuples de l’esclavage… et faire de Moïse son instrument.
Et la troisième chose qui nous est
révélée aujourd’hui dans l’Ancien Testament, c’est la volonté de Dieu de
libĂ©rer les peuples de l’esclavage. Il s’agit maintenant d’IsraĂ«l et Il dit Ă
Moïse qu’il est son instrument. Et ici nous entendons des paroles que Dieu
pourrait dire au peuple du Salvador (cf. Ex 13,7-10) : « J’ai entendu
les plaintes, les lamentations de mon peuple. Sont parvenues jusqu’à Moi, la
douleur et l’oppression de ce peuple. Je ne veux pas les laisser abandonnés.
J’ai décidé de les libérer et Tu vas être le guide de cette libération. »
Cette volonté fait naître l’histoire de l’Exode. Dès lors, Moïse travailla pour
arracher son peuple aux griffes de l’esclavages d’Égypte, pour les conduire au
travers de nombreuses vicissitudes du désert, jusqu’à la Terre Sainte, « une
terre, lui dit Dieu, où ruissellent le lait et le miel. »
Il lui révélait ainsi quelque chose
de plus. Dieu lui disait également qu’Israël est le chemin de l’Histoire. Aucun
peuple ne possède une terre où ruissellent le lait et le miel mais dans ce désir
de libération, cette envie de faire un peuple plus juste, cette volonté
d’arracher les pauvres et les opprimés de l’oppression et de l’injustice, est
la volonté de Dieu qui ne les veut pas ainsi mais en marche vers une Terre
promise qu’ils ne rencontreront pas en ce monde mais qui passe par ce monde.
Cette Terre doit déjà être une antichambre de ce Ciel où se trouvent en vérité
cette Terre nouvelle, ces cieux nouveaux, oĂą se trouvent les richesses
véritables qui ruissellent le lait et miel.
C’est pourquoi, mes frères, la
présence de ces cadavres ici, parmi nous, nous dit la véritable dimension de
notre confiance en Dieu. Sans doute que plusieurs politiciens m’écoutent,
plusieurs qui sans avoir la foi en Dieu, tentent de construire cette patrie
plus juste, mais je leur dirai : Mes chers frères athées, mes chers frères
qui ne croient pas au Christ, ni en l’Église, votre lutte est noble mais elle
n’est pas complète; laissez-vous conduire par ces plans de Dieu, par ces projets
de libérations véritables; incrustez votre soif de justice en ces projets qui
ne s’achèvent pas sur la Terre. Ces plans de Dieu donnent aux projets de la
Terre leur véritable force, leur véritable dynamisme, leur véritable
projection, leur véritable espérance, la transcendance.
Jésus est « Yeshua », Yahvé
Sauve.
Saint Paul nous rappelle que la
dernière action par laquelle culmine l’histoire de l’Ancien Testament, le
dernier acte, l’acte le plus culminant de l’agir de Dieu dans l’histoire
d’Israël, ce fut quand le Fils de Dieu se fit homme. Et ce même Dieu ordonne de
lui donner un nom semblable à celui qu’Il révéla sur le mont Sinaï : «Jésus ».
En hébreux c’est une contraction. « Yeshua » veut dire : Yahvé
sauve. Jésus, notre Christ, Lui qui va être présent dans notre Eucharistie de
ce matin, est le Yahvé éternel, mais devenu présence humaine dans le Christ; il
va être présent à tous les moments de l’histoire des peuples chrétiens ou non
chrétiens; Il possède toujours le projet indéclinable de libérer de l’injustice
tous les peuples du monde.
Saint Paul analysa pour les chrétiens
l’enseignement et la leçon de l’Exode.
Saint Paul, dans la seconde lecture
d’aujourd’hui (I Co 10,1-6.10-12) proroge ce récit de l’histoire d’Israël qui
naquit avec la révélation de Dieu et qui se prolongea pendant 40 ans au désert,
puis durant toute l’histoire d’Israël, à travers ses règnes et ses prophètes.
La leçon d’Israël avec laquelle saint Paul nous met en garde, nous dit dans la
lecture d’aujourd’hui (I Cor 10,6 et 11) : « Ces faits se sont
produits – au désert – pour nous servir d’exemple, pour que nous n’ayons pas de
convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes. […] »
Cela leur arrivait pour servir
d’exemple, et a été écrit pour notre instruction à nous qui touchons à la fin
des temps. L’ère chrétienne est la dernière dans le projet de Dieu et elle veut
donc être comme l’apprentissage de toute cette leçon de l’histoire d’Israël, de
l’Histoire du Salut. La principale leçon que nous retirons de cela aujourd’hui
et que saint Paul nous présente comme un châtiment, dans le fracas de ceux qui
perdirent la fidélité à Dieu, c’est précisément ceci : Il ne suffit pas
d’appartenir au Peuple de Dieu.
Il ne suffit pas d’appartenir au
Peuple de Dieu pour être sauvé… Il faut encore avoir la conversion personnelle,
préalable indispensable au Salut. Saint Paul nous dit aujourd’hui : Ceux
qui sortirent d’Égypte vers la Terre promise appartenaient tous au Peuple de
Dieu, ils étaient tous fils d’Abraham mais ce ne furent pas tous qui parvinrent
au terme de ce pèlerinage. Plusieurs demeurèrent étendus dans le désert et la
cause de tout cela fut que plusieurs ne furent pas agréables à Dieu, parce
qu’ils ne furent pas fidèles à ses promesses, à ses attentes. C’est de là que
la condition indispensable au Salut ce n’est pas de s’appeler chrétien ou
d’être des fils d’Abraham. La condition indispensable c’est celle que nous
prĂŞchons ce matin : la conversion personnelle. Si vous ne faites pas
pénitence, votre baptême ne sert à rien. Si vous ne faites pas pénitence, il ne
sert à rien d’appartenir au Peuple de Dieu. Si vous ne convertissez pas votre
cœur à Dieu par le repentir des fautes, ne pensez pas que vous entrerez au
Règne des Cieux. C’est cela, la grande leçon et le grand exemple. 09/03/80,
p.313-317, VIII.
3) Qu’est-ce que signifie se
convertir, aujourd’hui, au Salvador?
Et maintenant, chers frères, ma
troisième et dernière pensée, je l’ai fait correspondre à notre cher peuple en
me demandant, comme troisième idée de cette homélie : Que signifie
aujourd’hui pour le Salvador, se convertir au Seigneur par les chemins du
Christ? Qui est le Salvadorien authentique qui peut dire aujourd’hui qu’il
appartient au Peuple de Dieu? Celui qui marche en adhérant de près au Christ,
en recherchant cette Jérusalem céleste, tout en travaillant sur Terre, mais non
pas pour ses propres projets, mais selon le projet du Dieu transcendant qui
nous approche de son Règne. 09/03/80, p.317, VIII.