La Conversion personnelle, préalable indispensable à la véritable Libération

 

Troisième dimanche du carĂŞme; 9 mars 1980; Lectures : Exode 3,1-8a.13-15; I Corinthiens 10,1-6.10-12; Luc 13,1-9.

 

Les lectures d’aujourd’hui nous font remonter aux sources de cette réconciliation et de cette paix.

 

La rĂ©conciliation avec Dieu, la conversion : une voix du carĂŞme qui ne peut ĂŞtre confondue.

 

Comme apparaĂ®t opportun ce terme qui vient maintenant apporter son aval Ă  la prĂ©sence de la mort, au sort des terres lointaines ici au Salvador, (rĂ©fĂ©rence aux ambassadeurs prĂ©sents, de la Suisse et du Danemark) comme vient de nous dire Monseigneur Aglert : « Il se vit une nuit lugubre de rĂ©pression et de violence. La Parole de Dieu nous fait dĂ©jĂ  sentir la venue d’un jour nouveau si nous nous convertissons, si nous nous rĂ©concilions. Â» Combien de polarisation, combien d’idĂ©ologies, combien d’intĂ©rĂŞts Ă©goĂŻstes, combien de chemins Ă©quivoques des hommes sur lesquels je voudrais faire rĂ©sonner aujourd’hui cette parole de JĂ©sus-Christ : « Convertissez-vous! Si vous ne vous convertissez pas, vous pĂ©rirez! Â»

 

Puisse Dieu, mon appel à la réconciliation de ce matin, si providentiellement validé par ces présences et ce prix (Prix de la Paix 1980 du gouvernement et des Églises de Suède), soit entendu, surtout de ceux qui ne veulent pas l’entendre.

 

Opportunité de ce message en notre pays

 

Je vais donner, comme de coutume, un titre à cette homélie qui soit comme une réponse reconnaissante de mon archidiocèse à cette noble Action Œcuménique de Suède et, à travers cette voix chrétienne œcuménique rejoindre la douleur de cette famille ici présente avec ses cadavres (un marxiste salvadorien et son épouse danoise). Puisse Dieu, cette parole trouver un écho dans tous les cœurs! Notre thème que nous étudions en ce carême serait le suivant, selon le plan de Dieu sur tous les projets des hommes, sur tous les plans politiques, sociaux et terrestres: la conversion personnelle comme préalable indispensable à la véritable Libération.

 

Plan de l’homĂ©lie :

 

1) L’Enseignement de l’Évangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous pĂ©rirez tous. Â»

2) La Leçon d’IsraĂ«l : « Ils ne plurent pas tous Ă  Dieu… c’est pourquoi leurs corps demeurèrent Ă©tendus au dĂ©sert. Â»

3) Qu’est-ce que signifie se convertir aujourd’hui au Salvador?

 

1) L’Enseignement de l’Évangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous pĂ©rirez tous. Â»

 

A) Qu’est-ce que se convertir?

 

L’enseignement de l’Évangile sur les lèvres mĂŞme du Christ (Lc 13,5) : « Non, je vous le dis; mais si vous ne voulez pas vous repentir, vous pĂ©rirez tous de mĂŞme, Â» nous fait nous demander : Qu’est-ce que la conversion? Qu’est-ce que se convertir? C’est la synthèse de tout l’Évangile.

 

C’est ainsi que commença Jean Baptiste; c’est ainsi que poursuivit JĂ©sus et c’est ainsi qu’Il ordonna de prĂŞcher jusqu’à la fin des siècles : « Le Règne de Dieu est arrivĂ©, convertissez-vous et croyez dans l’Évangile! Â» Ceci est la base de ce Règne de Dieu.

 

 

C’est changer de mentalité

 

Se convertir c’est la mĂŞme chose que faire pĂ©nitence, c’est la mĂŞme chose que la fameuse parole grecque : « mĂ©tanoĂŻa Â», changer de mentalitĂ©; c’est cela, se convertir : changer de mentalitĂ©. Celui qui Ă©tait agenouillĂ© devant les idoles de la Terre, change de mentalitĂ© et se met Ă  genoux devant l’Unique Seigneur.

 

C’est marcher jusqu’à Dieu et se tourner vers Dieu. Cela signifie suivre un chemin, JĂ©sus-Christ qui dit : « Je suis le chemin, personne n’arrive au Père sinon par moi. Â» Se convertir c’est adhĂ©rer au Christ et chercher le Père.

 

Saint Luc prĂ©sente l’enseignement et l’exemple du Christ comme un chemin vers JĂ©rusalem. Il y a une originalitĂ© dans l’Évangile de saint Luc qui est le livre de cette annĂ©e : c’est que du chapitre 9 Ă  19, ces 10 chapitres nous prĂ©sentent une vĂ©ritable christologie, une prĂ©sentation ample du sens du Christ comme Sauveur de l’humanitĂ©. Cette christologie nous prĂ©sente ce Fils de Dieu marchant vers JĂ©rusalem, non par des dĂ©tails gĂ©ographiques, dont saint Luc se soucie peu, mais par une prĂ©occupation thĂ©ologique. Marcher vers JĂ©rusalem signifiait pour le Christ et pour tous ses disciples, les chrĂ©tiens, rechercher la volontĂ© de Dieu, chemin qu’Il a annoncĂ© et qu’Il s’est appliquĂ© Ă  Lui-mĂŞme : chemin de souffrances, de calvaires, d’humiliations, de croix mais qui se termine après, en un but de triomphe, de victoire, de rĂ©surrection.

 

Cela signifiait aller à la Cité des promesses divines.

 

Jérusalem personnifie pour les Israélites, et de manière spéciale pour le Christ, la Cité des promesses de Dieu.

 

Se défaire de tout le mal de Jérusalem et personnifier toute la force salvatrice.

 

Si JĂ©sus annonçait qu’il va ĂŞtre expulsĂ© de JĂ©rusalem, c’est parce que celle-ci a Ă©tĂ© prostituĂ©e par les hommes. Les scribes, les pharisiens, les prĂŞtres eux-mĂŞmes l’expulseront et le Christ en se faisant expulser de JĂ©rusalem, emporte toute la puretĂ© de JĂ©rusalem et Il laisse dans la vieille JĂ©rusalem, les ruses des hommes, les pĂ©chĂ©s, les injustices, et les intrigues; mais avec Lui, monte Ă  la croix, sur ce chemin qui se termine par son humiliation suprĂŞme : l’innocence, la saintetĂ©, la justice de Dieu, le pardon des hommes; et depuis cette croix, toutes les promesses de la JĂ©rusalem pure, se rĂ©pandent sur tous les hommes qui veulent croire en ce Seigneur JĂ©sus-Christ.

 

Se convertir, c’est entreprendre ce même itinéraire théologique de Jésus.

 

Se convertir, donc, c’est marcher avec JĂ©sus dans ce voyage mystĂ©rieux vers la volontĂ© de Dieu, sans se laisser sĂ©duire pas les triomphalismes, ni par les intrigues de la religion, de la politique ou des choses de la Terre, mais s’en dĂ©sintĂ©resser pour demeurer pur et propre avec le Christ, pour mĂ©riter les promesses du Seigneur. Se convertir, donc, dans le langage de l’Évangile d’aujourd’hui, c’est une marche douloureuse entre les pleurs et le deuil, entre les souffrances et les peines, les couronnes d’épines, les coups de fouet, la torture; mais tout cela se termine dans la victoire finale : la RĂ©surrection du Seigneur qui est la rĂ©surrection de nous tous.

 

B) Les épisodes de l’Évangile surpassent les jugements superficiels des hommes qui veulent toujours voir une relation entre une catastrophe et le péché.

 

C’est ainsi que nous comprenons les deux épisodes que nous narre l’Évangile de saint Luc, précisément dans cette section de la marche du Christ où Il enseignait à ses disciples. Un épisode fait référence à ceux qui moururent pendant qu’ils offraient un sacrifice. Des Galiléens pieux rencontrèrent la mort alors qu’ils offraient un sacrifice à Dieu. Il s’agit sans doute d’une mort répressive, d’une mort causée par la persécution au sens religieux. Ces descriptions correspondent parfaitement avec ce que l’histoire nous enseigne de Ponce Pilate; un homme terriblement répressif, un homme qui ordonnait de faire tuer des gens, même parmi les foules qui venaient au temple, un homme qui se serait bien intégré à la répression que nous vivons aujourd’hui au Salvador.

 

Jésus laisse intact le mystère de la souffrance des bons

 

L’autre Ă©pisode possède aussi une ressemblance avec les agissements politiques du Salvador. Ceux qui moururent atterrĂ©s dans la construction de SiloĂ©; sans doute s’agissait-il de ces mouvements politiques, les « zĂ©lotes Â», qui moururent en luttant. Quelle que soit la situation, il existe une coutume dans l’esprit des gens, d’associer la tragĂ©die au pĂ©chĂ©. MĂŞme lorsqu’ils virent un pauvre aveugle, les disciples demandèrent au Christ : « Est-ce lui ou ses parents qui ont pĂ©chĂ©? Â» Et le Christ remonte aux sources du mystère de la douleur : « Ni lui, ni ses parents n’ont pĂ©chĂ©; ces choses adviennent pour manifester la gloire de Dieu. Â» Et quand ils le questionnèrent Ă©galement sur ces deux catastrophes des morts du temple et de ceux qui pĂ©rirent sous cette colonne, le Christ leur dit (cf. Lc 13,1-9) : « Vous pensez que ceux qui moururent ainsi Ă©taient plus pĂ©cheurs que tous les autres qui ne sont pas morts? En aucune manière, dit le Christ. Non je vous le dis; mais si vous ne voulez pas vous repentir, vous pĂ©rirez tous de mĂŞme. Â»

 

Ce qui importe c’est de se convertir, peu importe quelles furent la vie et la mort.

 

Comme le Seigneur est dĂ©licat! Il ne veut pas dĂ©voiler le mystère intime de l’âme de chaque mort. Comment moururent-ils? TorturĂ©s, tuĂ©s injustement comme ces deux innocents? Comment moururent-ils? Peu importe dit le Christ; ce qui importe, c’est quelque chose de plus grand et de transcendantal : ĂŞtre mort rĂ©conciliĂ© avec Dieu, converti Ă  Dieu. Et, c’est pourquoi, il sort de la mort un message pour nous tous qui vivons : « Faites pĂ©nitence, convertissez-vous! Â»

Frères, si cette observation du Seigneur vaut parfois pour notre pays, oĂą notre vie est menacĂ©e de toutes parts, c’est le moment : « Convertissez-vous! Â» Que la mort ne vienne pas vous surprendre sur les chemins du pĂ©chĂ©, de l’injustice, encore bien moins sur ceux du crime et du dĂ©sordre. Que la mort nous rencontre dans l’amour de Dieu. C’est cela, le grand enseignement de l’Évangile et des Ă©pisodes d’aujourd’hui : Marcher avec le Christ et si la mort nous atteint en marchant avec Lui, il n’y a rien Ă  craindre. La mort est victorieuse pour ceux qui croient dans le Seigneur. « Celui qui me suit, ne meurt pas, mais il aura la vie Ă©ternelle. Â»

 

La parabole du figuier, appel Ă  la conversion, non pas tant depuis la sĂ©vĂ©ritĂ© de saint Matthieu que de la misĂ©ricorde de Dieu. C’est dans le mĂŞme sens qu’il faut aussi interprĂ©ter la terrible parabole du figuier stĂ©rile que nous raconte aujourd’hui l’Évangile de saint Luc. Quand le propriĂ©taire de la plantation dit Ă  l’administrateur (13,7-9) : « Coupe-le; pourquoi donc use-t-il la terre pour rien? » L’autre lui rĂ©pondit : « MaĂ®tre, laisse-le cette annĂ©e encore, le temps que je creuse tout autour et que je mette du fumier. Peut-ĂŞtre donnera-t-il du fruit Ă  l’avenir… Sinon tu le couperas. Â» Dans la parabole de saint Matthieu il est Ă©crit que : « Lorsque le Seigneur s’en approcha, le figuier se dessĂ©cha devant l’inutilitĂ© de sa vie et la malĂ©diction de Dieu. Â» Mais saint Luc, qu’on appelle l’Évangile des misĂ©ricordes, ne conclut pas si tragiquement; il nous donne un souffle d’espĂ©rance; ce qui l’intĂ©resse, interprĂ©tant le Christ, c’est d’avoir une vie utile, une vie qui produit du fruit.

 

Ce que veut nous enseigner l’Évangile : Ă€ quoi la vie sert-elle, aussi pompeuse qu’elle soit, si elle ne produit pas de fruits? Figuier stĂ©rile! Et il nous indique Ă©galement la tendresse et la douceur de Dieu qui espère : Peut-ĂŞtre que l’an prochain… peut-ĂŞtre demain… C’est un prĂ©cieux appel du carĂŞme pour que nous rĂ©visions nos vies pour voir s’il y a vraiment des fruits ou si nous sommes des figuiers qui occupent inutilement de l’espace sur la Terre. Nous avons besoin de gens qui rĂ©alisent de bonnes Ĺ“uvres, de chrĂ©tiens qui soient lumière du monde, sel de la Terre. Aujourd’hui nous avons Ă©normĂ©ment besoin d’un chrĂ©tien actif, critique, qui n’accepte pas les conditions sans les analyser intĂ©rieurement et profondĂ©ment. Nous ne voulons plus de masses d’hommes desquelles on s’est jouĂ©es trop longtemps; nous voulons des gens qui, Ă  la manière des figuiers productifs, sachent dire : Oui Ă  la justice et non Ă  l’injustice et qui sachent profiter aussi du don prĂ©cieux de la vie. Très chers frères, le plus humble de ceux qui sont ici, le plus petit, celui qui se croit le plus insignifiant, est une vie que Dieu regarde avec amour.

 

C’est avec amour Ă©galement que Dieu regarde ces deux morts, ces vies dĂ©jĂ  terminĂ©es mais Il a dĂ©jĂ  recueilli la rĂ©colte de leurs fruits. Dieu prend soin de chacun avec l’affection de ce jardinier qui prendra soin toute l’annĂ©e de ce figuier, menacĂ© de mort, pour qu’il produise du fruit. C’est pourquoi l’appel est clair pour notre carĂŞme : « Faites pĂ©nitence! Â» C’est la voix qui, depuis le Mercredi des Cendres, nous envoie dire le Seigneur Ă  tous nos peuples et c’est la voix qui, grâce Ă  Dieu, au travers de cette station Ă©mettrice amie, radio Noticias del Continente, qui depuis le Costa Rica, diffuse sur de vastes rĂ©gions dont nous ne rĂŞvions mĂŞme pas, avant qu’on dĂ©truise notre radio diocĂ©saine.

 

Nous avons entendu cette semaine, des commentaires prĂ©cieux de ces chemins mystĂ©rieux de la radio Noticias del Continente. On nous a rapportĂ© que notre homĂ©lie a Ă©tĂ© diffusĂ©e en reprise lundi, mardi et mercredi, Ă  la demande de plusieurs auditeurs dont nous n’aurions jamais imaginĂ© avoir comme auditoire de radio au Costa Rica, en Colombie, au Venezuela et Ă  divers autres endroits, jusque dans l’extrĂ©mitĂ© sud de notre continent oĂą l’on dit que cette Ă©mission s’entend bien. Et ici mĂŞme dans notre pays, des congrĂ©gations religieuses, des communautĂ©s chrĂ©tiennes des cantons oĂą il y a des radios ondes courtes, ont pu Ă©couter comme auparavant notre message radiophonique. Nous tenons Ă  les remercier personnellement parce que cela apporte la voix d’un homme. La voix n’est rien de plus qu’un Ă©cho qui rĂ©sonne; ce qui importe c’est le message de Dieu, le message du Christ qui, grâce Ă  Dieu, parvient Ă  tous les cĹ“urs : « Convertissez-vous! Â»

 

Notre appel pastoral, surtout pour cet archidiocèse, avec les chers prêtres qui sont des collaborateurs dévoués de notre pastorale, des religieux, des religieuses, des communautés chrétiennes, c’est que nous profitions de ce carême pour nous rapprocher tous et chacun, de cette conversion, de cette suite du Christ qui se dirige vers la Jérusalem spirituelle, vers le véritable sens du Ciel, de la véritable Résurrection dont nous a parlé aujourd’hui le Secrétaire de l’Action Œcuménique. 09/03/80, p.309-313, VIII.

 

2) La Leçon d’IsraĂ«l : « Ils ne plurent pas tous Ă  Dieu… c’est pourquoi leurs corps demeurèrent Ă©tendus au dĂ©sert. Â»

 

A) L’Histoire du Salut, l’histoire d’Israël, est un élément très important du carême

 

Pour que vous voyiez que les appels de l’Église à la pénitence ne sont pas des exagérations mais qu’ils correspondent à ce qui est l’objet de la prédication de notre carême, nous rappelons le Plan de Dieu dans l’histoire d’Israël. Il choisit ce peuple parmi toutes les nations pour en faire un modèle dans l’Histoire, qui depuis le Christ, depuis sa croix, allait être l’Histoire du Salut dans l’histoire de tous les peuples. L’histoire d’Israël devient également, au travers de l’Église, histoire de notre peuple salvadorien. L’histoire du Salvador est aussi un véhicule du projet de Dieu dans la mesure où nous, Salvadoriens, ferons nôtre ce projet de l’Histoire du Salut.

 

C’est pourquoi, peu importe où l’Évangile est prêché, quel que soit le contexte politique ou social où il est enseigné, le projet de Dieu demeure toujours sur pied. Que ce soit là-bas en Suède, où le contexte politique est très différent, ou ici au Salvador, où nous vivons d’autres réalités, c’est toujours le même projet, le même besoin de se convertir.

 

 

B) La Première et la seconde lecture nous présente cette leçon de l’histoire d’Israël.

 

Il y a trois choses dans le projet de Dieu que nous rappellent ces lectures d’aujourd’hui (Ex 3,1-8a. 13-15; I Co 10,1-6.10-12). La première c’est la rencontre de Dieu avec les leaders de son peuple, avec Moïse, concrètement. La seconde c’est la révélation que Dieu fait de son Nom et de sa mission au cœur du peuple. Et la troisième, c’est la grande histoire de l’Exode qui indique le chemin de libération de tous les peuples.

 

Vocation de Moïse dans la théophanie du Buisson ardent.

 

Nous voyons aujourd’hui MoĂŻse qui se dĂ©sintĂ©resse de ce que Dieu peut penser de sa vie. LĂ , auprès du mont SinaĂŻ, une thĂ©ophanie comme celles de l’Ancien Testament : Du feu, la voix de Dieu, la saintetĂ© infinie du Seigneur. MoĂŻse veut s’approcher et une voix mystĂ©rieuse lui dit (Ex 3,5) : « N’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu oĂą tu te tiens est une terre sainte. Â» Et cette voix lui communique qu’il a Ă©tĂ© Ă©lu comme instrument de Dieu pour apporter la libertĂ© Ă  son peuple.

 

L’expérience de Dieu est indispensable pour pouvoir parler en son nom

 

Ce qui est intĂ©ressant ici, c’est cette grande expĂ©rience. Les hommes qui conduisent les peuples par les sentiers de Dieu doivent avoir eux-mĂŞmes connu une expĂ©rience de Dieu. C’est ainsi qu’apparaissent les grands prophètes dans la Bible : IsaĂŻe, JĂ©rĂ©mie, ÉzĂ©chiel, et les hommes du Nouveau Testament Ă©galement : Paul et les apĂ´tres. Ils durent d’abord apprendre Ă  avoir un contact intime avec le Seigneur. C’est ce qui apparaĂ®t aujourd’hui au milieu de cette thĂ©ophanie du mont Horeb. MoĂŻse est entrĂ© en communication avec Dieu et il ne pourra plus dĂ©sormais oublier cette PrĂ©sence de Dieu. Et mĂŞme s’il se sent incapable, disproportionnĂ© devant la grandeur de cette mission, il sait qu’il n’est pas seul; Dieu marche avec lui et Il est le garant du triomphe de la mission qui lui a Ă©tĂ© confiĂ©e.

 

Le courage de MoĂŻse doit ĂŞtre comme le courage de tous les chrĂ©tiens, le peuple sauveur de l’Histoire. Dieu communiqua Ă  MoĂŻse quelque chose qu’Il dĂ©sire que tous les chrĂ©tiens vivent. L’intimitĂ© avec Dieu qui fortifie notre espĂ©rance, qui rend robustes nos efforts, qui fait disparaĂ®tre toutes les peurs. « N’aie pas peur, Je vais avec toi. Â» C’est ce que saint Paul apprit aussi Ă  dire : « Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous? Â»

 

Révélation du Nom de Dieu

 

C’est pourquoi la seconde rĂ©vĂ©lation que la Bible nous fait ce matin, c’est celle du Nom de Dieu. MoĂŻse demande prudemment Ă  cet ĂŠtre mystĂ©rieux (Ex 13,13) : « Mais s’ils me disent : “Quel est son nom? Que leur dirai-je?” Â» Et Dieu se dĂ©finit alors par un mot qui constitue le mot sacrĂ© d’IsraĂ«l : YahvĂ©, YahvĂ©! C’est une forme archaĂŻque du verbe ĂŞtre en hĂ©breux.

 

« C’est un ĂŠtre actif, dynamique! Â»

 

Il s’agit d’un ĂŠtre mais d’un ĂŠtre actif, dynamique, ce n’est pas un ĂŞtre qui ne fait qu’exister. Lorsque Dieu dit : « Je suis Celui qui est, Je suis l’Être, Â» cela signifie : Je suis la PrĂ©sence dynamique, Je suis Celui qui doit ĂŞtre dĂ©couvert dans le dynamisme de l’Histoire, Je suis prĂ©sent dans les interventions de tous les pouvoirs du monde, Je suis la force des astres et des mers, Je suis Celui qui fait que les choses sont. Â»

 

« Il intervient dans l’Histoire; c’est un Dieu vivant; Il est la cause principale de ce que signifiait Abraham, Isaac, Jacob… Â»

 

C’est pourquoi Il dit Ă©galement : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob Â»; n’aie pas de moi une idĂ©e abstraite, un Dieu qui est loin dans les Cieux et qui a abandonnĂ© la Terre aux humains; cela n’est pas exact. Le Dieu des Cieux est le Dieu de la Terre. C’est le Dieu qui construit l’Histoire, Celui qui marche avec les patriarches, Celui qui est avec les pères de familles, le Dieu de mes ancĂŞtres, le Dieu de tout le labeur de ma patrie.

 

Cette rĂ©vĂ©lation possède tant d’actualitĂ© alors que nous nous efforçons prĂ©cisĂ©ment de prĂ©senter une religion que plusieurs critiquent comme si elle s’était Ă©cartĂ©e de sa spiritualitĂ©. On entend tant de sottises et il s’écrit tant de calomnies insipides dans les journaux : « Il n’y a plus personne qui va Ă  l’Église parce qu’on y prĂŞche davantage de politique que de religion. Â» Ici, nous avons la preuve; jamais la Basilique n’avait Ă©tĂ© aussi remplie… Lorsque je disais Ă  une mère souffrante qui est ici, que l’atmosphère de la Basilique n’était peut-ĂŞtre pas appropriĂ©e pour ses chers dĂ©funts, elle insista pour les amener ici et c’est ici qu’ils sont prĂ©sents parmi les applaudissements du peuple…

 

Dona Rosa est l’expression de ces âmes intelligentes, compréhensives, véritablement pieuses, qui comprennent que le Pasteur doit parler de politique non parce qu’il est un homme politique, mais parce que depuis le dynamisme de Dieu, la politique tombe aussi sous la domination de Dieu. Celui-ci nous a enseigné à partir de la révélation de son Nom, qu’Il est un Dieu qui veut être avec les humains, un Dieu qui ressent la douleur de ceux qui sont torturés et qui meurent de la sorte; un Dieu qui réprouve avec l’Église, qui dénonce la torture, la répression et tous ses crimes. Le Dieu que nous adorons n’est pas un Dieu mort; c’est un Dieu vivant qui sent, qui agit, qui travaille, qui conduit cette histoire et en Lui nous espérons, en Lui nous nous confions. Dieu est avec nous comme Il était avec Israël…

 

La volonté de Dieu… Libérer les peuples de l’esclavage… et faire de Moïse son instrument.

 

Et la troisième chose qui nous est rĂ©vĂ©lĂ©e aujourd’hui dans l’Ancien Testament, c’est la volontĂ© de Dieu de libĂ©rer les peuples de l’esclavage. Il s’agit maintenant d’IsraĂ«l et Il dit Ă  MoĂŻse qu’il est son instrument. Et ici nous entendons des paroles que Dieu pourrait dire au peuple du Salvador (cf. Ex 13,7-10) : « J’ai entendu les plaintes, les lamentations de mon peuple. Sont parvenues jusqu’à Moi, la douleur et l’oppression de ce peuple. Je ne veux pas les laisser abandonnĂ©s. J’ai dĂ©cidĂ© de les libĂ©rer et Tu vas ĂŞtre le guide de cette libĂ©ration. Â» Cette volontĂ© fait naĂ®tre l’histoire de l’Exode. Dès lors, MoĂŻse travailla pour arracher son peuple aux griffes de l’esclavages d’Égypte, pour les conduire au travers de nombreuses vicissitudes du dĂ©sert, jusqu’à la Terre Sainte, « une terre, lui dit Dieu, oĂą ruissellent le lait et le miel. Â»

 

Il lui révélait ainsi quelque chose de plus. Dieu lui disait également qu’Israël est le chemin de l’Histoire. Aucun peuple ne possède une terre où ruissellent le lait et le miel mais dans ce désir de libération, cette envie de faire un peuple plus juste, cette volonté d’arracher les pauvres et les opprimés de l’oppression et de l’injustice, est la volonté de Dieu qui ne les veut pas ainsi mais en marche vers une Terre promise qu’ils ne rencontreront pas en ce monde mais qui passe par ce monde. Cette Terre doit déjà être une antichambre de ce Ciel où se trouvent en vérité cette Terre nouvelle, ces cieux nouveaux, où se trouvent les richesses véritables qui ruissellent le lait et miel.

 

C’est pourquoi, mes frères, la prĂ©sence de ces cadavres ici, parmi nous, nous dit la vĂ©ritable dimension de notre confiance en Dieu. Sans doute que plusieurs politiciens m’écoutent, plusieurs qui sans avoir la foi en Dieu, tentent de construire cette patrie plus juste, mais je leur dirai : Mes chers frères athĂ©es, mes chers frères qui ne croient pas au Christ, ni en l’Église, votre lutte est noble mais elle n’est pas complète; laissez-vous conduire par ces plans de Dieu, par ces projets de libĂ©rations vĂ©ritables; incrustez votre soif de justice en ces projets qui ne s’achèvent pas sur la Terre. Ces plans de Dieu donnent aux projets de la Terre leur vĂ©ritable force, leur vĂ©ritable dynamisme, leur vĂ©ritable projection, leur vĂ©ritable espĂ©rance, la transcendance.

 

JĂ©sus est « Yeshua Â», YahvĂ© Sauve.

 

Saint Paul nous rappelle que la dernière action par laquelle culmine l’histoire de l’Ancien Testament, le dernier acte, l’acte le plus culminant de l’agir de Dieu dans l’histoire d’IsraĂ«l, ce fut quand le Fils de Dieu se fit homme. Et ce mĂŞme Dieu ordonne de lui donner un nom semblable Ă  celui qu’Il rĂ©vĂ©la sur le mont SinaĂŻ : «JĂ©sus Â». En hĂ©breux c’est une contraction. « Yeshua Â» veut dire : YahvĂ© sauve. JĂ©sus, notre Christ, Lui qui va ĂŞtre prĂ©sent dans notre Eucharistie de ce matin, est le YahvĂ© Ă©ternel, mais devenu prĂ©sence humaine dans le Christ; il va ĂŞtre prĂ©sent Ă  tous les moments de l’histoire des peuples chrĂ©tiens ou non chrĂ©tiens; Il possède toujours le projet indĂ©clinable de libĂ©rer de l’injustice tous les peuples du monde.

 

Saint Paul analysa pour les chrétiens l’enseignement et la leçon de l’Exode.

 

Saint Paul, dans la seconde lecture d’aujourd’hui (I Co 10,1-6.10-12) proroge ce rĂ©cit de l’histoire d’IsraĂ«l qui naquit avec la rĂ©vĂ©lation de Dieu et qui se prolongea pendant 40 ans au dĂ©sert, puis durant toute l’histoire d’IsraĂ«l, Ă  travers ses règnes et ses prophètes. La leçon d’IsraĂ«l avec laquelle saint Paul nous met en garde, nous dit dans la lecture d’aujourd’hui (I Cor 10,6 et 11) : « Ces faits se sont produits – au dĂ©sert – pour nous servir d’exemple, pour que nous n’ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mĂŞmes. […] Â»

 

Cela leur arrivait pour servir d’exemple, et a Ă©tĂ© Ă©crit pour notre instruction Ă  nous qui touchons Ă  la fin des temps. L’ère chrĂ©tienne est la dernière dans le projet de Dieu et elle veut donc ĂŞtre comme l’apprentissage de toute cette leçon de l’histoire d’IsraĂ«l, de l’Histoire du Salut. La principale leçon que nous retirons de cela aujourd’hui et que saint Paul nous prĂ©sente comme un châtiment, dans le fracas de ceux qui perdirent la fidĂ©litĂ© Ă  Dieu, c’est prĂ©cisĂ©ment ceci : Il ne suffit pas d’appartenir au Peuple de Dieu.

 

Il ne suffit pas d’appartenir au Peuple de Dieu pour ĂŞtre sauvé… Il faut encore avoir la conversion personnelle, prĂ©alable indispensable au Salut. Saint Paul nous dit aujourd’hui : Ceux qui sortirent d’Égypte vers la Terre promise appartenaient tous au Peuple de Dieu, ils Ă©taient tous fils d’Abraham mais ce ne furent pas tous qui parvinrent au terme de ce pèlerinage. Plusieurs demeurèrent Ă©tendus dans le dĂ©sert et la cause de tout cela fut que plusieurs ne furent pas agrĂ©ables Ă  Dieu, parce qu’ils ne furent pas fidèles Ă  ses promesses, Ă  ses attentes. C’est de lĂ  que la condition indispensable au Salut ce n’est pas de s’appeler chrĂ©tien ou d’être des fils d’Abraham. La condition indispensable c’est celle que nous prĂŞchons ce matin : la conversion personnelle. Si vous ne faites pas pĂ©nitence, votre baptĂŞme ne sert Ă  rien. Si vous ne faites pas pĂ©nitence, il ne sert Ă  rien d’appartenir au Peuple de Dieu. Si vous ne convertissez pas votre cĹ“ur Ă  Dieu par le repentir des fautes, ne pensez pas que vous entrerez au Règne des Cieux. C’est cela, la grande leçon et le grand exemple. 09/03/80, p.313-317, VIII.

 

3) Qu’est-ce que signifie se convertir, aujourd’hui, au Salvador?

 

Et maintenant, chers frères, ma troisième et dernière pensĂ©e, je l’ai fait correspondre Ă  notre cher peuple en me demandant, comme troisième idĂ©e de cette homĂ©lie : Que signifie aujourd’hui pour le Salvador, se convertir au Seigneur par les chemins du Christ? Qui est le Salvadorien authentique qui peut dire aujourd’hui qu’il appartient au Peuple de Dieu? Celui qui marche en adhĂ©rant de près au Christ, en recherchant cette JĂ©rusalem cĂ©leste, tout en travaillant sur Terre, mais non pas pour ses propres projets, mais selon le projet du Dieu transcendant qui nous approche de son Règne. 09/03/80, p.317, VIII.