Le Mystère du Christ

 

Douzième dimanche du temps ordinaire; 19 juin 1977; Lectures : Zacharie 12,10-11; Galates 3,23-29; Luc 9,18-24.

 

C’est comme si chaque annĂ©e l’Église montait un cours de spiritualitĂ© intense. Nous dĂ©veloppons, tout au long de l’annĂ©e, le Mystère du Christ, en qui nous devons croĂ®tre. Ce cycle de 1 977 devrait signifier pour nous, comme lorsqu’à l’école, un Ă©tudiant entreprend un cours supĂ©rieur, le commencement d’une nouvelle annĂ©e. Il s’agit toujours du Mystère du Christ, mais comme dans une spirale ascendante, chaque annĂ©e liturgique devrait signifier pour nous une amĂ©lioration dans notre volontĂ© de suivre et de connaĂ®tre notre divin maĂ®tre et rĂ©dempteur : JĂ©sus-Christ.

 

C’est pourquoi il est intéressant de porter attention au message de chaque dimanche. Ceux qui disent qu’ils ne viennent plus à la messe parce qu’ils sont fatigués d’entendre toujours la même chose n’ont pas saisi la profondeur de l’année liturgique. Chaque dimanche est différent et ainsi comme l’élève souhaite profiter au maximum de son cours, il ne manque aucune classe parce que dans chacune d’elle il apprend quelque chose de nouveau, de même le bon chrétien croît également chaque dimanche dans la contemplation, dans la réflexion du Mystère sauveur.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Le Christ Notre Seigneur

2) L’Œuvre libératrice du Christ

3) Appel du Christ Ă  la conversion. 19/06/77, p.90-91, I-II.

 

 

1) Le Christ Notre Seigneur

 

Ce qui ressort de prime abord, dirions-nous, du message de l’Évangile d’aujourd’hui, c’est ce dialogue du Christ avec ses disciples (Lc 9, 18) : « Qui suis-je au dire des foules? Â» Et cette question se fait actuelle pour ceux qui sont ici en cathĂ©drale et pour ceux qui nous Ă©coutent Ă  la radio. Si le Christ nous demandait, s’Il me fixait et me disait : « Qui est-ce que les gens disent que je suis aujourd’hui? Et toi, que dis-tu de moi? Tu te nommes chrĂ©tien, que penses-tu du Christ, de Celui dont tu tires ton nom de chrĂ©tien? Â» Et combien trembleraient en rĂ©pondant comme les apĂ´tres (Lc 9,19)? Ils rĂ©pondirent : « Jean le Baptiste; pour d’autres Élie; pour d’autres, un des anciens prophètes est ressuscitĂ©. Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je? Â» Et Pierre rĂ©pondit, inspirĂ© par le Père Ă©ternel, parce que personne ne connaĂ®t le Fils sinon le Père, et celui Ă  qui Dieu veut se rĂ©vĂ©ler. C’est une grâce de connaĂ®tre le Christ. Par une simple grâce, Pierre le dĂ©finit en cette brève parole : « Tu es le Messie de Dieu. Â»

 

Tu es l’attendu, le promis dans les promesses faites à Abraham et par les prophètes. Tu es le centre de la Bible. Tu es le cœur des promesses de Dieu. Sur Toi reposent les angoisses de tous les hommes et sans même le comprendre tous les peuples t’espèrent. Tu es le Messie. Tu es le nom que Dieu a donné à tout homme pour être sauvé et hors de Toi il n’existe pas de Salut.

 

C’est cela, l’essence du christianisme. C’est de cela que vit l’Église. C’est pour cela qu’on persécute l’Église. Parce que lorsque le Christ confesse qu’Il est le Fils de Dieu, Il fut considéré comme blasphémateur et ils le condamnèrent à mort. Et l’Église continue de confesser que le Christ est le Seigneur, qu’il n’y a pas d’autre Dieu.

 

Et lorsque les hommes sont agenouillés devant d’autres dieux, cela dérange que l’Église prêche ce Dieu unique. C’est pourquoi l’Église s’insurge devant les idoles du pouvoir, devant les idolâtres de l’argent, devant ceux qui se fabriquent une idole, ceux qui font de la chair une idole, devant ceux qui pensent que Dieu est de trop, que le Christ ne nous manque pas, devant ceux qui se satisfont des choses de la Terre en s’en faisant des idoles. Et l’Église a le droit et le devoir de renverser toutes les idoles et de proclamer que seul le Christ est Seigneur.

 

Combien de sang cela a-t-il coĂ»tĂ© Ă  l’Église? Combien de persĂ©cution et d’humiliation a coĂ»tĂ© cette fidĂ©litĂ© Ă  son unique Seigneur! Imaginez ce que signifie proclamer comme Seigneur le Christ au milieu de l’Empire Romain, lorsque CĂ©sar se proclamait Dieu. C’est de ces mĂŞmes difficultĂ©s dont souffrent l’Église devant les idoles et les cĂ©sars qui s’érigent en divinitĂ©, parce que nous n’avons qu’un seul Dieu : le Christ Notre Seigneur. C’est lĂ  le premier message. Je vous supplie de prendre cela Ă  cĹ“ur afin d’apporter ce message au monde, après la messe, avec la conviction sincère que le Christ est l’unique Seigneur et qu’Il est le seul que nous devons adorer en Lui donnant tout notre cĹ“ur. 19/06/77, p.91-92, I-II.

 

 

2) L’Œuvre libératrice du Christ

 

Le second message d’aujourd’hui est que ce Christ se prĂ©sente avec sa grande Ĺ“uvre libĂ©ratrice. Je voudrais expliquer le sens de cette parole : LibĂ©ration. Plusieurs ont peur de cette Parole. Plusieurs Ă©galement, abusent de cette Parole. Sans peur, ni abus, la vĂ©ritĂ© est que la libĂ©ration est une parole biblique qui exprime toute l’œuvre salvatrice du Seigneur Ă  partir du pĂ©chĂ©. La première libĂ©ration que le Christ annonça et que dans la seconde lecture d’aujourd’hui, saint Paul (Ga 3,23-29) nous dĂ©crit merveilleusement. C’est que le Christ est venu pour renverser le pĂ©chĂ©. Par le baptĂŞme qui lave le pĂ©chĂ© des hommes et par la pĂ©nitence qui les convertit de nouveau s’ils se sont Ă©loignĂ©s de Lui, quelqu’un peut s’incorporer au Christ et devenir un homme nouveau.

 

Un homme nouveau, C’est cela, l’œuvre libératrice. Faire des hommes nouveaux, des hommes qui libèrent du péché, des hommes qui rejettent leur égoïsme, leurs idolâtries, leurs vanités, leur orgueil et qui se font d’humbles disciples du Christ le Seigneur. Tous sont fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ.

 

C’est cela, l’œuvre du Christ, appeler tous les ĂŞtres humains sans discrimination. Et saint Paul a dit que cette discrimination ne compte plus dans le christianisme (Ga 3, 28) : « Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ JĂ©sus. Â»

 

Il n’existe pas de classes sociales pour le christianisme. Il n’y a pas de discrimination de race. C’est pour cela aussi qu’il choque, parce qu’il se doit d’annoncer cette œuvre libératrice, de proclamer à tous les êtres humains leur égalité en Jésus-Christ. Rénovation intérieure du cœur, c’est ce qui nous rend tous égaux. Renouvelons-nous. Tant qu’il n’y aura pas d’hommes nouveaux, il y a de l’orgueil, il existe de la discrimination.

 

Riches et pauvres, lorsqu’ils se convertissent en vérité et qu’ils se nettoient intérieurement par leur baptême en Jésus-Christ et qu’ils croient vraiment au Seigneur, il n’y a plus alors de riches ou de pauvres parce qu’il n’existe plus alors qu’un sentiment de fraternité en Jésus-Christ. Il n’y a plus de supérieur et d’inférieur parce que l’un et l’autre savent qu’ils ne sont rien dans l’ordre de la grâce sans le Christ, le Rédempteur. Il n’existe qu’un seul grand, le Christ qui nous rachète. Il n’y a qu’un Libérateur.

 

C’est pourquoi nous devons faire cette distinction très prudente entre les fausses et les vraies libérations. Comme on a persécuté l’Église en confondant son message avec celui de la subversion, avec quelque chose qui nuit en ce pays. L’Église prêche cette Libération en Jésus-Christ. L’Église promeut la dignité du paysan et celle de l’ouvrier. Elle fait la promotion de l’homme humilié dans la situation que le pays vit actuellement. Parce qu’il y existe, mes frères, des conditions de vie vraiment inhumaines. Et l’Église enseigne la libération de ces gens, précisément à partir de cette situation d’exil qu’est le péché, elle dénonce l’injustice, l’abus, l’outrage et elle dit à tous que nous sommes les fils et les filles de Dieu, parce que nous avons été baptisés par le Christ.

 

Une libĂ©ration qui met dans le cĹ“ur de l’homme l’espĂ©rance : l’espĂ©rance d’un paradis qui ne sera pas sur cette Terre. C’est pour cela que l’Église ne peut pas ĂŞtre communiste. L’Église ne peut rechercher des libĂ©rations Ă  caractères temporelles. Elle ne veut pas libĂ©rer le pauvre en faisant qu’il ait, mais faisant en sorte qu’il soit, qu’il soit plus, qu’il grandisse. L’Église s’intĂ©resse peu pour avoir plus ou moins. Ce qui l’intĂ©resse c’est que celui qui possède ou ne possède pas fasse sa promotion pour qu’il soit vĂ©ritablement un enfant de Dieu. Qu’il vaille, non pour ce qu’il a, mais pour ce qu’il est. C’est cela, la dignitĂ© que l’Église prĂŞche.

 

Une espĂ©rance dans le cĹ“ur de l’être humain qui lui dit : Lorsque se terminera ta vie, tu auras une participation dans le Règne des cieux. Ici, n’espĂ©rez pas un paradis parfait, mais il existera dans la mesure oĂą tu travailleras pour un monde plus juste, oĂą tu t’efforceras d’être plus fraternel avec tes frères, ainsi sera Ă©galement ta rĂ©compense dans l’éternitĂ©, mais sur cette Terre il n’existe pas de paradis. C’est ici qu’est la diffĂ©rence entre le communisme, qui ne croit pas en ce Ciel ni en ce Dieu, et l’Église, qui fait la promotion, avec espĂ©rance, de ce Ciel et de ce Dieu. 19/06/77, p.92-93, I-II.

 

 

3) Appel du Christ Ă  la conversion

 

Et finalement, très chers frères, le Christ Notre Seigneur, en ce dimanche, se prĂ©sente en nous faisant cet appel Ă  la conversion. Comme est dure cette parole du Christ lorsqu’Il accepte la dĂ©finition que la RĂ©vĂ©lation de Dieu a inspirĂ©e Ă  Pierre : « Tu es le Messie de Dieu. Â» Le Christ l’accepte, mais Il la complète avec une dĂ©finition de sa passion et de sa mort. Parce que tout de suite après cette affirmation de Pierre le Christ ajoute (Lc 9, 22-24) : « Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir, ĂŞtre rejetĂ© par les anciens, les grands prĂŞtres et les scribes, ĂŞtre tuĂ© et, le troisième jour, ressusciter. Â» Et en se dirigeant Ă  tous, Il leur dit : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il se renie lui-mĂŞme, qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suit. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie Ă  cause de moi, celui-lĂ  la sauvera. Â»

 

Quelle parole mystĂ©rieuse, quelle parole dure. Nous voulons tous sauver notre vie, mais il existe un salut immĂ©diat et un Salut dĂ©finitif, « mĂ©diat Â», après toute cette vie. Celui qui veut sauver sa vie prĂ©sente, celui qui ne veut pas se dĂ©sinstaller de ses commoditĂ©s, celui qui veut ĂŞtre bien sans s’importer des autres, celui-lĂ  perdra sa vie. Celui qui veut la sauver, qu’il la perde pour le Christ. Que peut bien vouloir dire perdre sa vie pour le Christ? C’est ce qui est difficile en ce moment.

 

Une lettre qui m’est parvenue rĂ©sumait la situation que nous vivons au Salvador comme ceci : « Se sont Ă©loignĂ©s de l’Église ceux qui devaient s’en Ă©loigner, mais y sont demeurĂ©s ceux qui devaient y demeurer. Â» C’est ainsi que m’apparaĂ®t la situation qui est dĂ©crite dans l’Évangile d’aujourd’hui oĂą le Christ nous dit (cf. Lc 8,23) : « Que celui qui veut se sauver en vĂ©ritĂ©, qu’il me suive, qu’il prenne sa croix, qu’il ne s’attache pas aux avantages de la Terre, qu’il se dĂ©tache, qu’il vive pauvrement dans son cĹ“ur, qu’il travaille avec moi Ă  la libĂ©ration du peuple, mais celui qui dĂ©sire ĂŞtre bien… Â»; et quelle chose plus triste lorsqu’il y a des gens qui s’approchent de moi pour me dire : « Monseigneur, je suis avec vous, mais comprenez ma situation. Â» C’est un employeur, quelqu’un qui s’est acquis des biens de valeurs et qui naturellement a de la difficultĂ© Ă  se livrer corps et âme au Christ, mĂŞme au prix de perdre sa vie. Bienheureux celui qui en cette heure, heure de discernement, heure de savoir qui est qui, heure de comparaĂ®tre devant le Christ, qui dit : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi Â», bienheureux celui qui rĂ©pond au Seigneur : « MĂŞme si je perds la vie, je vais avec toi Seigneur. Â» C’est cela, la conversion. […]

 

Ne nous distinguons pas entre riches ou pauvres, mais plutĂ´t entre convertis au Christ, mĂŞme s’il faut pour cela perdre la vie et perdre des commoditĂ©s, mais en ayant la satisfaction de suivre dans l’amour le RĂ©dempteur, qui Ă©tant riche se fit pauvre pour nous enrichir de la vĂ©ritable richesse du Ciel. Qu’on ne vous trompe pas avec les illusions des avantages de la Terre. N’allons pas perdre le Ciel pour les choses de la Terre. Attachons-nous Ă  la vĂ©ritable LibĂ©ration, celle qui se sent dĂ©jĂ  dans l’âme de celui qui ne dĂ©pend pas des Ă©loges, de l’argent, des avantages politiques ou sociales, mais qui a le cĹ“ur libre pour suivre le Christ et lui dire : Seigneur, je te dĂ©voue mon existence mĂŞme si je dois pour cela la perdre parmi les hommes. C’est cela, la conversion que nous demande le Christ.

 

Terminons maintenant par cette belle prophĂ©tie de la première lecture (Za 12,10-11), oĂą le prophète Zacharie nous prĂ©sente un personnage mystĂ©rieux, prophĂ©tique. Saint Jean, lorsqu’il nous raconte la crucifixion du Christ, le cĂ´tĂ© transpercĂ© par la lance du soldat, nous rappelle cette prophĂ©tie. (Za 12,10) : « Ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercĂ©, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique; ils le pleureront comme on pleure un premier-nĂ©. Â»

 

Que veut dire le prophète? Il fait cette description après une catastrophe qu’a vécue le peuple d’Israël, Jérusalem apparaît désolée, mais avec l’espoir que Dieu se souviendra d’elle et la relèvera. Un personnage mystérieux, c’est le Christ qui se pressent déjà comme le prix de la Rédemption. Les peuples ont été humiliés, les hommes ont été tourmentés, mais il existe quelqu’un que les hommes eux-mêmes ont transpercé, c’est le Christ en croix. Mais ils Le regardèrent, et de ce côté ouvert par l’ingratitude des hommes, jaillira l’espérance. Lui seul, et les peuples le regarderont. C’est ce regard que je voudrais que tous les Salvadoriens aient en regardant Celui que nous avons tous transpercé, parce que nous sommes tous pécheurs.

 

En cette heure où l’Église défend la dignité de l’homme et les droits de Dieu, elle doit dire que nous offensons tous le Seigneur et que nous devons tous regarder vers Celui que nos péchés ont transpercé, le Christ Notre Seigneur. Pour qu’Il ait miséricorde de nous afin que cessent ces inquiétudes, ces angoisses, ces outrages à la dignité humaine. Il existe aussi des espoirs humains qui sont sans doute inspirés de Dieu, Créateur des hommes. […] La libération du Christ nous oriente vers l’éternité. […] L’Église travaille pour l’éternité. L’Église apporte une libération qui est du péché, pour promouvoir l’homme nouveau qui en Jésus-Christ vivra pour toujours. 19/06/77, p.93-95, I-II.