Dans l’Église se prolonge la
libération sacerdotale du Christ
Trente-et-unième dimanche du temps
ordinaire; 4 novembre 1979; Lectures : Deutéronome 6,2-6; Hébreux 7,23-28;
Marc 12,28-34.
La messe dominicale :
signification de la présence du prêtre et du peuple sacerdotal
Cette présence sacerdotale, ensemble
avec vous, Peuple de Dieu, sanctifié dans le baptême, participant de l’éternel
sacerdoce du Christ qui nous donne la mesure merveilleuse de ce que signifie
notre messe du dimanche présidé par un prêtre. Ce dernier, même s’il s’agit du
plus humble, détient l’autorisation du Christ pour convoquer le peuple de Dieu
et le présider; et uni avec ce peuple, qui est une part active de cette messe,
offre comme peuple sacerdotal au travers du ministère du prêtre ou du ministre,
le sacrifice le plus magnifique que la Terre puisse offrir Ă Dieu.
Le sacerdoce du Christ
La seconde lecture (He 7,23-28), qui
est providentiellement une lecture sacerdotale, servira de base Ă notre
réflexion. Elle confronte le transitoire de la vie de l’homme qu’est le prêtre,
avec l’éternel, l’irremplaçable, l’infini sacerdoce du Christ. L’épître
d’aujourd’hui nous dit (He 7,23) : « De plus, ceux-là sont devenus
prêtres en grand nombre, parce que la mort les empêchait de durer. »
Les prĂŞtres, nous sommes des hommes
mortels comme tous les mortels, nous vieillissons et nous mourons, mais avec
une satisfaction profonde lorsque passe les années, ce que nous dit cette
épître à la suite (He 7,24) : « Mais Lui, du fait qu’Il demeure pour
l’éternité, Il a un sacerdoce immuable. » Nous ne faisons pas compétition
au Christ, sinon que nous sommes ses humbles serviteurs pour le rendre présent
en ce monde tant que Dieu se prévaut de notre pauvre vie mortelle, pour qu’elle
soit un signe transitoire de l’éternel et de l’unique sacerdoce que nous
représentons. Il est Celui qui peut sauver définitivement ceux qui à travers
Lui s’approche de Dieu, parce qu’Il vit pour toujours pour intercéder en leur
faveur.
Le prĂŞtre est un messager de
l’éternité du Christ même dans son passage pour la vie. L’auteur de l’épître
aux Hébreux poursuit en parlant de l’éternité de ce sacerdoce et de
l’efficacité de ce mystère que le prêtre rend présent aux hommes : Il
pardonne, il donne le Corps du Christ, il baptise, il enseigne la Parole
divine, non pas parce qu’il est éternel ou infaillible, mais parce qu’il est
messager de l’infaillible et de l’Éternel.
C’est cela, notre considération,
mais, unis à ce mystère de l’homme-prêtre-ministre, appréciez, chers laïcs, la
grandeur que vous avez comme Peuple Sacerdotal Ă tel point que nous, prĂŞtres,
provenons du peuple, de nos familles qui sont vous, pour ĂŞtre oints et
retourner au service du peuple. C’est ce que veut dire être ministre, sacerdoce
ministériel, serviteur. Mais ici l’unique Seigneur est le Christ et nous ne
sommes que ses intermédiaires, et vous êtes la partie principale de ce service
pour vous approcher du Christ.
Depuis le jour du baptĂŞme de chacun
de vous, ainsi que de moi-même lorsque je fus baptisé, et chaque messe du
dimanche est, précisément, la manifestation de ce sacerdoce du Christ. Nous ne
venons pas à la messe pour assister à un acte de piété, nous venons à la messe
pour réaliser un mystère profond que plusieurs ne comprennent pas. Jusqu’au
plus petit enfant qui est venu à la messe, jusqu’à celui qui se croit le plus
insignifiant ici présent, il est un membre du Peuple Sacerdotal, de celui que
nous chante la Sainte
Bible : « Il nous fit seigneurs, rois et prêtres
pour notre Dieu. » De sorte que chacun de nous peut dire qu’il est prêtre
pour notre Dieu.
Opportunité des lectures pour faire
cette réflexion sacerdotale et nationale
C’est pourquoi le thème sacerdotal
s’impose parmi les autres lectures pour que nous donnions, comme de coutume, ce
titre à l’homélie d’aujourd’hui. Dans la situation actuelle du pays, serait-ce
une aliénation de venir à la messe tandis qu’il existe tant d’intérêts
politiques, militaires et Ă©conomiques autour de nous? Nous-mĂŞmes sommes les
protagonistes de cette histoire temporelle de la patrie. Ne serait-ce
pas une folie de s’éloigner de cette besogne où se trouve plonger toute la
république pour venir passer un moment tranquille d’adoration à notre Dieu?
D’aucune manière! Si ce qui sauve le monde c’est le Christ-prêtre, présent par
son Peuple Sacerdotal sur la
Terre. Et en faisant cette réflexion d’aujourd’hui, je vous
invite à ce qu’ensemble, avec les prêtres et vous tous, le Peuple Sacerdotal,
nous assumions sérieusement notre tâche de Peuple de Dieu, de prêtres,
d’évêques, non pas pour nous aliéner de l’histoire du Salvador, mais pour être
en cette histoire ce que le Christ veut que son Peuple soit : sel,
lumière, ferment.
Puisse Dieu, et c’est là mon plus
grand souhait que j’aimerais vivre et vous faire comprendre, que je prêche et
que je travaille uniquement pour faire l’Église, pour qu’elle soit toujours
davantage en ce monde, au Salvador, la présence d’un archidiocèse qui soit
vraiment Peuple de Dieu au sein de notre république. Qu’elle soit Peuple de
Dieu, c’est pourquoi, à partir des caractéristiques des lectures d’aujourd’hui
je donne ce titre à mon homélie : dans l’Église se prolonge la Libération
Sacerdotale du Christ.
Puisse Dieu vous faire comprendre ce
grand mystère que même moi je ne comprends pas dans toute sa totalité, mais qui
me fait entrevoir en quoi consiste la responsabilité si grande de ceux qui
forment cette Église.
Plan de l’homélie :
1) Mission du Peuple de Dieu, vous et
nous les prêtres : défenseurs du monothéisme. Dieu est un, seul et unique.
(C’est cela le monothéisme que l’Église défend et proclame).
2) Mission de l’Église en ce temps,
selon les lectures d’aujourd’hui : constructrice de la civilisation de
l’amour. (Comme nous avons besoin de ce ferment de l’amour au milieu d’une pâte
qui se pourrit de haine et de violence).
3) L’Église est ministre du véritable
culte de Dieu.
C’est ici, en synthèse, ma pensée et
je demande à l’Esprit saint que votre attention, si aimable, se convertisse en
intention afin que nous fassions tous sentir cette présence de l’Église au
Salvador comme force libératrice et sacerdotale du Christ.
1) Mission du Peuple de Dieu, vous et
nous les prêtres : défenseurs du monothéisme
A) Polémique du Christ au cours de la
dernière semaine de sa vie
L’Évangile d’aujourd’hui (Mc
12,28-34) nous situe dans la dernière semaine du Christ. Nous avons suivi, dans
l’Évangile de Marc, ce pèlerinage du Christ dans sa montée à Jérusalem,
annonçant à trois reprises sa passion; l’heure est arrivée, c’est déjà l’entrée
triomphale du dimanche des Rameaux. Et ces jours, entre ce dimanche et sa mort,
sont des jours de grande activité parce que là dans l’atrium du temple ou à ses
alentours, se tiennent des discussions qui s’échauffent et présagent déjà de la
fin tragique de ce Maître de la vérité face à tant de mensonges et de
légalismes humains.
Un Ă©pisode amical avec un scribe
L’épisode d’aujourd’hui (Mc 12,28-34)
abaisse le ton de la polémique pour amorcer une conversation amicale avec un
scribe, un docteur de la loi, qui vient demander au Christ au sujet d’une
grande discussion qui avait lieu entre les maîtres d’Israël qui tentaient
d’organiser les innombrables lois de Moïse et de la tradition : Comment
peuvent-elles être cataloguées? Quelles sont les principales lois autour
desquelles il faut articuler toutes les autres qui rendent la religion si
difficile?
Évocation du Shema ou liturgie
d’Israël
« Quel est le premier de tous
les commandements? » lui demande ce maître à Jésus. Jésus répondit :
« Ce que vous avez entendu. » Cette citation que saint Marc nous
rapporte correspond Ă ce que les Juifs appellent la Shema, cela veut dire
« écoute ». « Écoute Israël », c’est presque textuellement
comme le Christ est cité, ce que nous rencontrons dans le livre du Deutéronome
lorsque MoĂŻse, selon la tradition, ordonna Ă son peuple de graver cette parole
dans sa mémoire (Mc 12,28-31) : « Écoute Israël, le Seigneur notre
Dieu est l’unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le
second : tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Moïse prévient contre les idolâtries
de Canaan
Le Christ nous invite Ă ouvrir le
livre du Deutéronome (6, 2-6) et nous rappelle cette fameuse profession de foi
dans le Dieu unique et de l’engagement de l’amour exclusif de l’être humain
envers ce Dieu unique. Il nous invite à ouvrir le livre du Deutéronome où ce
peuple qui a entendu la révélation d’un Dieu vivant et éternel est mis en garde
par Moïse du grand danger qui le guette, à l’entrée de la Terre promise :
la tentation de Canaan. Les Cananéens étaient des hommes qui adoraient des
idoles, de faux dieux.
Seulement une foi monothéiste
Le peuple qui allait entrer en cette
terre nouvelle, qui selon l’expression biblique produit du lait et du miel pour
exprimer son abondance, courait la tentation de croire que le dieu de Canaan
était peut-être plus fort que le Dieu qui leur avait fait parcourir un désert
aride et dur. Il s’agissait d’une tentation théologique très grande et Moïse
prévoyant cela leur dit (Dt 6,4-9) : « Écoute Israël : Yahvé
notre Dieu est le seul Yahvé. Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton cœur, de
toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dicte
aujourd’hui restent dans ton cœur! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur
diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi
bien que debout; tu les attacheras Ă ta main comme un signe, sur ton front
comme un bandeau; tu les Ă©criras sur les poteaux de ta maison et sur tes
portes. » Comme pour dire cette foi en ce Dieu unique doit être ta
consigne personnelle, familiale et sociale. Tu es le peuple de Dieu et tu dois
te distinguer par ton appartenance Ă ce Dieu.
Portée patriotique du monothéisme
d’Israël
C’est une foi au cœur d’un monde
polythéiste, qui adore de nombreux dieux, et cette foi possède une portée
patriotique : Uni Ă cette foi en ton Dieu unique, est la possession de la
terre et tes relations sociales et politiques avec les hommes. Tant que tu
demeureras fidèle à ce Dieu, tu posséderas cette terre où coulent le lait et le
miel; et les idolâtries seront ton grand péril. 04/11/79, p.402-403, VII.
B) Nos idolâtries sont aussi la
destruction de notre patrie
Très chers frères, je veux expliquer
maintenant cette parole de MoĂŻse Ă notre peuple du Salvador. Je voudrais ce
matin que nous fassions nôtre cette pratique qu’a le peuple d’Israël de réciter
deux fois par jour la
Shema. Tout ce texte de MoĂŻse que nous venons de prononcer,
les Juifs le prient chaque jour. C’est ainsi qu’ils le portent jusque sous une
forme matérielle, collé sur les bracelets de leurs mains et de leurs chapeaux,
les bribes qu’ils ont écrites de la loi de Moïse, de la loi de Dieu.
C’est pourquoi le Christ les
critiquait lorsqu’Il disait : « Vous faites consister votre religion
à rendre plus long les phylactères, en rendant plus longues ces lanières et ces
sacs où vous portez les Écritures de la révélation divine. » Ces
phylactères sont exactement ce que Moïse, dans un langage figuré et non au sens
littéral, leur avait dit afin qu’ils n’oublient pas dans tous leurs gestes
quotidiens, sur leurs mains, leur front et devant leurs yeux, pour qu’ils
pensent toujours qu’il n’existe qu’un seul Dieu.
Un Salvadorien pourrait bien
dire : cela est d’une autre époque. Il est vrai que les baals de Canaan
sont d’un autre temps, mais il existe en notre patrie d’autres baals, les
idoles d’aujourd’hui, devant lesquels cette Église qui prolonge la mission
sacerdotale du Christ doit proclamer comme MoĂŻse, la foi en un Dieu unique.
C’est le ministère des prêtres de dire aux humains qu’ils adorent de fausses
idoles, de prendre garde parce qu’ils détruisent la patrie et ils offensent
Dieu. 04/11/79, p.403-404, VII.
Richesses et propriété privée
Dans ma lettre pastorale (août 1979),
j’ai signalé ces trois dangers que court le pays. Trois grandes idolâtries. La
première est celle de la propriété privée et de la richesse. Je vous
invite à ce que, au cours de notre réflexion sur l’unique Dieu véritable, nous
réfléchissions à ces idoles de la richesse et de la propriété privée à l’aide
de ces sages paroles qu’a dites le Pape Jean-Paul II, à Puebla, aux pasteurs
d’Amérique latine : « C’est ici que naît la préoccupation constante de
l’Église pour la délicate question de la propriété. » Et il nous rappelle
les traditions depuis le début du christianisme qui furent systématisées par la
sagesse de Thomas d’Aquin, qui jamais ne donna un sens absolu, d’idole, à la
propriété privée.
Cette voix de l’Église, écho de la
voix de la conscience humaine, qui ne cessa pas de résonner au travers des
siècles au cœur des systèmes et des conditions socioculturelles les plus
variées, mérite et nécessite d’être écoutée aussi à notre époque. Lorsque la
richesse croissante de quelques-uns correspond à la misère croissante des
masses. C’est alors que l’enseignement de l’Église acquiert un caractère
urgent, selon lequel sur toute propriété privée est inscrite une hypothèque
sociale. Le Christ ne demeura pas indifférent devant ce vaste et exigeant
impératif de la morale sociale. L’Église ne pourrait pas non plus l’être. Dans
l’esprit de l’Église, qui est l’Esprit du Christ, et nous appuyant sur sa vaste
et solide doctrine sociale, nous avons toujours œuvré en ce domaine. » Ou
autrement dit : Nous ne nous fatiguerons jamais de dénoncer l’idolâtrie de
la richesse qui fait consister la véritable grandeur de l’homme en
« avoir » et qui oublie que la véritable grandeur c’est « l’être ».
L’être humain ne vaut pas en fonction de ce qu’il possède, mais en fonction de
ce qu’il est. Seuls ceux qui sont idolâtres de l’avoir et avares, s’opposent
aux changements sociaux. Et si nous courons aujourd’hui un grand danger en ce
pays, c’est celui de l’idolâtrie. Peut-être que la plus grande tentation en ce
moment oĂą nous pourrions commencer les transformations dont notre patrie Ă
besoin, c’est l’extrême droite, les fanatiques de la richesse, les idolâtres de
l’argent, ceux qui ne veulent pas qu’on touche à leurs privilèges et qui
s’associent aux militaires rancuniers qui préparent déjà un contrecoup.
En ces jours, jusqu’avec des noms
concrets de militaires et de riches, a été dénoncé un danger insurrectionnel.
Nous ne savons pas jusqu’à quel point ces rumeurs sont fondées, mais il est
certain qu’il existe un réel danger idéologique. Tant que ces idolâtres des
choses de la Terre ne se seront pas convertis au Dieu véritable, ceux-ci
constitueront le plus grand danger pour notre patrie. Nous devons donc nous
efforcer de nous convertir au Dieu unique.
Lorsque nous parlons ainsi, aucun
esprit de ressentiment social ne nous motive. Grâce à Dieu, nous n’adorons pas
la richesse et elle ne nous manque pas, parce que nous avons tout en notre Dieu
unique qui a créé les choses de la Terre. Nous nous sentons infiniment plus
développés et riches que ceux qui croient dans les richesses et l’or de la
Terre. « Combien davantage le cœur de l’homme s’attache à cette idole, dit
le Pape dans Populorum Progressio,
combien il manifeste son degré intime de sous-développement moral » qui
est la cupidité, l’avarice, l’envie, le désir de posséder toujours davantage,
la volonté de subjuguer les autres par sa richesse. C’est en cela que consiste
le plus grand sous-développement moral, parce que l’idolâtrie détruit l’homme
et offense Dieu. 04/11/79, p.404-405, VII.
Sécurité nationale
Il existe une autre idolâtrie que
l’Église se doit de dénoncer et de démasquer à notre époque. En cette heure de
la patrie, elle le fait et doit le faire avec courage, c’est l’idole du
pouvoir, surtout lorsqu’il se nomme Sécurité nationale : on croit ainsi
absolus l’intérêt et le bénéfice de quelques-uns, et alors on désoriente la
noble fonction des forces armées qui, au lieu de servir les véritables intérêts
nationaux, se convertissent en gardienne des intérêts de l’oligarchie,
fomentant ainsi sa propre corruption idéologique et économique. Quelque chose
de similaire se produit avec les corps de sécurité qui, au lieu de prendre soin
de l’ordre civique, deviennent fondamentalement des organismes de répression
des dissidents politiques, et finalement, l’État Major substitue
inconstitutionnellement les instances politiques qui devraient décider
démocratiquement des destinés du pays.
Nous avons alors l’omnipotence de ces
régimes, le mépris de l’individu et de ses droits, le manque total d’éthique
dans les moyens pour parvenir à leurs fins, la Sécurité nationale, sarcastiquement
se convertit en insécurité nationale.
J’invoque tout ceci dans l’esprit de
MedellĂn. Dans le document sur la pastorale des Ă©lites, il y a un apartĂ©
adressé aux pouvoirs militaires qui dit ceci : « En ce qui concerne
les forces armées, l’Église devra leur inculquer que, en plus de leurs
fonctions normales spécifiques, elles ont la mission de garantir les libertés
politiques des citoyens au lieu de leur faire obstacle. Par ailleurs, les
forces armées ont la possibilité d’éduquer, à l’intérieur de leurs propres
cadres, les jeunes recrus en fonction de leur future participation, libre et
responsable, dans la vie politique de leur pays. » (7,20)
Comme vous voyez, l’Église n’est pas
pessimiste, elle ne participe pas à l’idéologie qui dit que l’on ne peut
espérer rien de bon des militaires. L’Église indique les grands péchés des
militaires, mais elle les appelle Ă la conversion. Elle
espère que soit sincère la lumière d’espérance qu’une jeunesse militaire,
véritablement orientée par ces idéaux de noblesse, du service du peuple, ne
recherche pas sa force dans sa propre institution en maltraitant le peuple,
mais dans le peuple qui a besoin de la sentir proche et protectrice de ses
droits et de ses intérêts.
Pour moi, il s’agit d’une heure de
beaucoup d’espérance. Et quand nous prêchons ici en fonction de notre
ministère, le monothéisme, le Dieu unique qui est la mission de l’Église nous
voulons arracher les fausses idoles Ă tous leurs adorateurs. Ainsi, comme nous
l’avons dit aux idolâtres de l’argent, à ceux du pouvoir et des forces armées,
de ne pas faire consister en cela leur grandeur. Ils doivent user de cette
force pour le service de ce peuple qui en a tant besoin, qui a tant pleuré, qui
a trop saigné pour qu’ils recherchent une médecine plus dure. 04/11/79,
p.405-406, VII.
Les organisations populaires
Mais je parle aussi dans ma lettre
pastorale, et je le répète maintenant à la lumière de la Parole de Dieu avec
MoĂŻse qui appelle son peuple Ă adorer un Dieu unique : attention aux
baals. Il existe un autre grand danger d’idolâtrie parmi nous et c’est
l’organisation. L’organisation qui surgit à l’origine d’un droit du peuple de
s’organiser pour se défendre. C’est très bien, nous l’avons dit mille
fois : L’Église défend ce droit du peuple de s’organiser. Mais que,
naissant avec des fins si nobles, ce droit peut se prostituer aussi en une
fausse adoration lorsqu’on s’en fait un absolu, lorsqu’on considère
l’organisation comme une valeur suprême à laquelle il faut subordonner tous les
autres intérêts jusqu’aux intérêts mêmes du peuple. Le peuple n’importe plus
alors, mais seule compte l’organisation. Ils sont idolâtres aussi. Cette vision
absolue de l’organisation dans la pratique se fanatise de sorte que ce ne sont
plus les intérêts du peuple qui priment; c’est là que se situe le grand danger.
Lorsqu’une organisation cesse de
rechercher l’unique absolu qui doit être Dieu, c’est-à -dire, le bien commun de
la patrie, elle politise trop son agir, comme si la dimension politique
devenait l’unique et la principale dans la vie personnelle des paysans, des
ouvriers, des professeurs, des Ă©tudiants, et de tous ceux qui la composent. Il est
dangereux de politiser la vie au point de croire que tout est politique. La
politique est une dimension de la vie, mais elle n’est pas toute la vie.
Une autre absurdité de cette forme
d’idolâtrie de l’organisation c’est lorsqu’elle tente de subordonner à ses
objectifs politiques la mission spécifique des autres organisations
corporatives, sociales ou religieuses. C’est le cas de ceux qui manipulent les
professions au service d’un objectif politique et qui arrivent à vouloir
manipuler l’Église pour qu’elle serve à leurs fins. Ils sont nombreux ceux qui
tombent dans cette tentation de vouloir une Église politisée, laquelle ne peut
être. Si l’Église parle de politique c’est en demeurant Église, mais sans se
laisser manipuler par personne.
Un autre grand danger de cette
idolâtrie c’est lorsqu’on cherche Ă subordonner tous les intĂ©rĂŞts du peuple Ă
ses idéaux politiques. On se désintéresse alors de ce qui fut peut-être au
départ l’aspiration d’un paysan pauvre, d’un ouvrier pour améliorer sa
situation; et l’organisation se convertit en une campagne politique qui peut
l’amener à de tragiques conséquences. Oui, il est certain qu’il faut lutter
jusqu'Ă la mort, mais il faut savoir orienter cette lutte pour que cette mort
en vaille la peine et non pas mourir pour n’importe quoi. Le sectarisme de
l’organisation idolâtrique en arrive à de tels niveaux que cela l’empêche
d’établir le dialogue et l’alliance avec d’autres types d’organisations
revendicatrices. Si en cette heure les Salvadoriens cherchent par des chemins
différents le salut de la patrie, pourquoi veulent-ils se limiter à un seul
sentier et ne pas vouloir entrer en dialogue et en négociations avec les autres
chemins? Entre tous nous pouvons trouver la solution!
Écoutez ce que dit le Concile Vatican
II au sujet des chrétiens qui prennent des options politiques distinctes :
« Plusieurs fois, il se produira que la propre conception chrétienne de la
vie incline les chrétiens, en certains cas, à choisir une solution déterminée.
Mais il pourra arriver, comme cela se produit fréquemment et en tout droit, que
d’autres fidèles guidés par une sincérité aussi grande jugent du même sujet
d’une manière distincte. Dans ces cas de solutions divergentes, en dehors de
l’intention de chaque partie, plusieurs auront facilement tendance à relier
leur solution avec le message évangélique. Ils manipulent alors le message
évangélique comme s’ils avaient le monopole de l’Évangile. » Comprenez
tous, dit le Concile, qu’en de tels cas, il n’est permis à personne de
revendiquer en sa faveur exclusive l’autorité qui appartient à l’Église.
Personne ne peut dire : l’Église est avec moi. Recherchez toujours à vous
éclairer mutuellement par un dialogue sincère, gardant la charité mutuelle et
la sollicitude primordiale pour le bien commun.
Le Plaisir : le Sexe
Je crois que l’enseignement de
l’Église sur le monothéisme et contre toutes les idolâtries est bien clair. Je
voudrais ajouter, à ce point de la mission de l’Église, qu’il existe d’autres
idoles plus honteuses que ceux que je viens de mentionner. Ce sont les idoles
du plaisir, du sexe et du vice. Combien d’hommes aujourd’hui se trouvent en
marge de tout ce qui se passe dans notre patrie! Cela leur importe peu, seuls
leur importent les plaisirs de la chair, se satisfaire eux-mêmes, l’égoïsme,
l’hédonisme. Tout cela, frères, est une idolâtrie combien plus pernicieuse
lorsqu’elle est plus honteuse. Elle détruit la fidélité des ménages, la
noblesse de la fécondité humaine, la grandeur de la maternité de la femme. Combien de
valeurs véritables ont été sacrifiées à cette idole du plaisir et du sexe! Face
à toutes ces idoles, l’Église proclame le grand message que le Christ rappela
au scribe à la veille de sa mort : « Le Seigneur Notre Dieu est
seulement un. » C’est ce en quoi consiste la synthèse de notre mission
monothéiste en ce monde. 04/11/79, p.406-407, VII.
Je dois faire référence aussi en
cette dénonciation de l’idolâtrie, de la violence et de l’organisation ainsi
qu’aux autres idolâtries, à la situation de l’occupation des ministères. Ils
ont déjà libéré la majorité des employés qui étaient retenus en otage. Mais là ,
il y a des personnes qui ne font pas partie de ces ministères, comme on
m’informa d’un groupe de producteurs de café qui étaient allés précisément au
ministère de l’Économie pour négocier en faveur des moyens et des petits
producteurs de café. La Junte a proposé au Bloc Populaire Révolutionnaire de
dialoguer avec elle s’ils libèrent les otages qui restent. Cela me semble un
geste positif de la Junte que d’avoir reconnu comme interlocuteur les membres
d’une organisation populaire, chose que le régime antérieur n’avait jamais
faite. Cela m’apparaît aussi très positif que la Junte ait manifesté une
attitude de dialogue et de l’intérêt pour étudier les propositions du Bloc.
D’autre part, je comprends la
méfiance de l’organisation qui ne veut pas libérer ses otages de crainte d’être
réprimée d’une manière aussi brutale que le furent les manifestations
populaires réalisées cette semaine.
Je me solidarise avec l’angoisse des
familles des otages, je comprends leur angoisse. Quelques-unes ont fait appel Ă
moi comme médiateur, mais la médiation, je le répète, doit se faire entre les
deux parties et le Bloc Populaire Révolutionnaire n’a pas voulu admettre la
médiation de l’archevêque. Pour surmonter cette impasse des négociations et
répondre à la douleur de tant de gens qui se sentent opprimés comme par un
véritable fascisme, qui souffrent l’absence de leurs êtres chers. Je suggère,
j’encourage le Bloc Populaire Révolutionnaire et la Junte du gouvernement pour
qu’ils cherchent à surmonter les difficultés pour entrer en dialogue, et que le
premier point négocié soit celui de la libération des otages. La même chose
doit être faite par les autres organisations. On m’a dit que la Junte a offert
de dialoguer avec d’autres organisations, mais que celles-ci ont refusé.
Il y a un dicton qui dit :
« C’est en parlant que les gens s’entendent. » Nous apprenons Ă
parler le langage politique et non seulement celui de la violence. Soyons
agiles pour refaire nos analyses et nos schémas lorsqu’ils ne correspondent
plus Ă la
réalité. L’histoire ne s’encadre pas dans des systèmes
rigides. L’histoire est vie et celui qui s’engage à modeler cette vie de
l’histoire en politique, doit être un homme qui ne se referme pas sur ses
cadres. Il doit demeurer ouvert pour comprendre dans ces cadres, l’agilité de
l’histoire. C’est ce qui nous manque : que ces groupes organisés soient
véritablement des dirigeants politiques, qu’ils soient des éducateurs du peuple
et qu’ils soient vraiment des forces sociales qui sachent faire pression et
orienter, sans se refermer, mais ouverts. Ce qui importe aujourd’hui plus que
jamais, c’est le bien de la patrie qui doit passer avant le bien de la propre
organisation. Pardonnez-moi, mais je crois qu’en cet appel, se trouve la base
des solutions. Personne ne possède la clé, c’est pour cela que nous souffrons,
mais tous ensemble nous pouvons la trouver. 04/11/79, p.414, VII.
2) Mission de l’Église en ce temps,
selon les lectures d’aujourd’hui : constructrice de la civilisation de
l’amour
A) Perfectionne l’Ancien Testament
Le Christ cite l’Ancien Testament
dans son dialogue avec le scribe. Il lui rappelle le premier
commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout de ton cœur,
de toute ton âme, de toutes tes forces. » Il lui démontre que c’est là que
se situe la base de cette grande nation qui s’appela Peuple de Dieu, tant
qu’ils demeurèrent fidèles au Dieu unique de tout leur cœur. C’est la logique
de ce dialogue : il n’existe qu’un seul Dieu et je dois lui donner tout
mon être, tout mon cœur et toute ma vie. L’Alliance avec Dieu n’est pas une
question juridique, mais de don de soi, d’amour, de tout mon être. Mais le
Christ perfectionne cette loi de l’Ancien Testament lorsqu’Il répond au légiste
de son temps : « La seconde loi est celle-ci : tu aimeras ton
prochain comme toi-même. » L’originalité du Christ est d’unir en un seul
précepte, sous une seule motivation, l’amour au prochain avec l’amour à Dieu. C’est
ce qui est original chez les chrétiens : que nous aimons pour Dieu.
Puebla… la civilisation de l’amour
C’est pourquoi, lorsque Puebla invite
l’Amérique latine à l’option préférentielle pour les pauvres, il écrit :
« Il ne s’agit là d’aucune division, c’est l’appel sans distinction de
classes, aux riches et aux pauvres, pour que nous nous intercédions pour le
pauvre comme s’il s’agissait de notre propre cause. » Plus encore, comme
de la cause du Christ qui dira : « Tout ce que vous lui avez fait,
c’est à moi que vous l’avez fait. » Le Christ s’identifie à l’homme et il
peut dire : « Le premier commandement c’est d’aimer Dieu; et le
second, si semblable à celui-ci, aimer le prochain par amour de Dieu. »
La force qui caractérise
l’homme : l’amour
Si j’avais le temps, nous
analyserions le message de Puebla lorsqu’il appelle à construire la
civilisation de l’amour. J’aimerais seulement dire une phrase. Plusieurs
croient que cet appel à l’amour est inefficace, qu’il est insuffisant, qu’il
est faible; cela est si réel que quelques-uns des journalistes qui
m’interrogèrent m’ont demandé souvent ceci : et vous qui prêchez l’amour,
vous croyez que l’amour peut résoudre cela? Vous ne croyez pas qu’il n’y ait
plus d’autre chemin que celui de la violence, si dans l’histoire, la violence
est la seule qui ait obtenu des changements? Je leur ai répondu : si
vraiment c’est ainsi, c’est la preuve que l’homme n’a pas encore utilisé la
plus grande force qui le caractérise. L’homme ne se caractérise pas par la
force brute, ce n’est pas un animal. L’être humain se caractérise par la raison
et par l’amour.
Puebla dit Ă ceux qui pensent que
prêcher l’amour est une faiblesse, qu’ils offensent le Christ, parce que le
Christ est Celui qui nous commanda de croire en l’amour, Lui qui par amour
sauva le monde entier. Ce qui se passe c’est que nous n’avons pas encore
étrenné la force de l’amour. Ce que nous voyons autour de nous c’est la
méfiance, la violence, la peur, la vengeance.
Puebla dit également : « Il
n’y a pas de satisfaction plus profonde que celle de savoir pardonner, celle de
savoir se réconcilier. » Je crois que cela doit être le mot d’ordre de la
république, réconcilions-nous, ne nous polarisons pas, vivons dans l’intégrité
de l’amour. Soyons capables d’accomplir ce que le Christ disait : que
l’amour n’est pas seulement ce que tu ressens envers celui qui te fait du bien
et t’est sympathique; l’amour c’est aussi d’aimer ton ennemi, savoir lui
pardonner et savoir lui tendre la main, pour qu’ensemble nous puissions
construire le bien qui nous importe Ă tous les deux. 04/11/79, p.415-416, VII.
3) L’Église est ministre du véritable
culte de Dieu
Commentaire du scribe
Frères, je termine avec cette pensée
sacerdotale. Lorsque je dis que l’Église est ministre du véritable culte de
Dieu, je me réfère à ce commentaire que fait le scribe à Jésus-Christ devant la
réponse du principal commandement. Le scribe lui dit (Mc 12,32-34) :
« Fort bien, Maître, tu as eu raison de dire qu’Il est unique et qu’Il n’y
en a pas d’autres que Lui : l’aimer de tout son cœur, de toute son
intelligence et de toute sa force, et aimer le prochain comme soi-mĂŞme, vaut
mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices. » Jésus, voyant
qu’il avait fait une remarque pleine de sens, lui dit : « Tu n’es pas
loin du Royaume de Dieu. » C’est cette proximité du Règne de Dieu, lorsque
nous comprenons que notre religion n’est pas seulement un culte, pas seulement
une prière, en gardant notre cœur dans la haine.
Sacrifice spirituel
Le véritable culte est le culte
spirituel, celui qui aime, celui qui se donne au service des autres, celui qui
va à la messe le dimanche après avoir vécu une semaine de don de soi au foyer,
au travail, et avoir vécu non pas pour lui-même, mais pour les autres. Le culte
spirituel précède le culte structurel. La messe en soi n’a pas de sens, même si
elle est la présence du Christ qui est mort pour nous, si nous ne venons pas
avec l’enthousiasme du Christ qui se livre.
ĂŠtre sur la mĂŞme longueur d'onde que
le Christ c’est ce que saint Paul nous dit également dans la seconde lecture
(He 7,23-28) dont le thème principal a été : le Christ, prêtre éternel qui
s’est livré une fois pour toutes, qui sanctifie tout le peuple. Comme le culte
qui se donne à Dieu lorsqu’il part de la profondeur de son amour est fécond!
04/11/79, p.416, VII.