Le Divin Sauveur, Chair pour la vie du monde

 

Dix-neuvième dimanche du temps ordinaire; 12 août 1979; Lectures : I Rois 19,4-8; Éphésiens 4,3.5,2; Jean 6,41-52.

 

À la communauté qui réfléchit en ce dimanche sur la Parole de Dieu se présentent trois faits marquants :

 

1. Aujourd’hui, le second dimanche d’août, nous célébrons, même si cela est peu connu, le jour du prêtre. Il ne s’agit pas là d’une auto-félicitation, sinon de dire le besoin qu’a le prêtre de la prière et de la compréhension du Peuple de Dieu, à qui il est destiné. C’est pourquoi j’en profite pour exprimer la solidarité de l’évêque avec tous les prêtres du diocèse et je demande pour eux, de la part du Peuple de Dieu, de ses paroisses, de ses chapelles et de toutes ses œuvres, pour qu’ils sachent leurs démontrer, surtout, en prière et par leur appui moral de solidarité en cette heure si difficile pour être prêtre.

Cette mission demeure cependant indispensable, malgré toutes les difficultés que cela représente. Et cette difficulté doit être précisément la stimulation la plus grande pour que, aujourd’hui plus que jamais, être des prêtres selon l’Évangile.

 

2. Enterrement du père Macias, victime de la persécution

Le second événement apparaît uni au premier. En cette semaine nous avons enterré le père Alirio Napoleon Marcia, assassiné, comme vous savez, dans sa propre Église paroissiale de San Estaban Catarina. Comme dit Monseigneur Rivera dans son homélie funèbre : « Il tomba comme tombent les prophètes : entre le vestibule et l’autel. Â» Cette mort a été pour l’ensemble du clergé, des religieux et des séminaristes, l’occasion d’une profonde réflexion.

 

3. Célébration de notre fête patronale

Mais la lumière qui illumine cette réflexion est le troisième fait que nous allons célébrer lundi de cette semaine : la fête patronale du Divin Sauveur du Monde. Tout autant les lectures d’aujourd’hui, comme tous ces événements de la semaine, nous invitent à illuminer de la lumière du Christ Rédempteur et Sauveur du Monde nos réalités d’Église et du pays.

 

 

Plan de l’homélie :

1) La chair dans l’homme sans le Christ

2) La chair dans le Christ : vie de Dieu en chair humaine

3) La chair de l’homme se libère et se promeut seulement par la

 

Chair du Christ qui donne vie au monde

 

Puisse, Dieu, mon message demeurer bien clair et sachez, très chers frères, qu’avant tout, ce que je veux par ma prédication, c’est rendre accessible à tous, jusqu’au plus humble, le grand message de l’Évangile, lequel je sers de tout mon cÅ“ur. Je ne veux pas qu’on le dénature, je souhaite que ce qu’on retiendra de cette prédication ne soit pas uniquement la chronique de la semaine, la critique au gouvernement et la dénonciation du péché. Tout cela vient en plus, tout cela apparaît avec la lumière de l’Évangile qui bute sur ces réalités. Mais le principal que je désirerais que vous reteniez de ma prédication c’est la lumière de l’Évangile avec laquelle vous-même pouvez illuminer non pas seulement les faits que je signale, sinon les événements concrets de votre vie, de votre famille, de vos amitiés, de leur exemple. C’est pour cela que nous prêchons afin que chaque chrétien qui réfléchit sur l’Évangile illumine dans sa vie et à partir de sa vie, les réalités qui l’entourent avec les critères du Christ. Et le grand critère que le Christ nous donne aujourd’hui apparaît sous ce titre : la chair.

 

 

1) La chair dans l’homme sans le Christ

 

 

A) Qu’est-ce que la chair dans la Bible?

 

Cela est très important parce qu’en premier lieu je veux savoir ce qu’est la chair. Mais non pas à vous qui pourriez me donner tant d’opinions de ce à quoi vous croyez, et dont la vérité n’est pas absente. Qu’est-ce que la chair selon la Bible? C’est ce que je veux vous présenter.

 

 

Vie

 

Selon la Bible, la parole chair apparaît comme expression de vie. Toute chair verra le Salut de Dieu - dit la Bible - tout homme, tout vivant.

 

 

Corps

 

Cela signifie également le corps en tant qu’opposition au spirituel. L’homme est un composé d’âme et de corps. Le corps se nomme dans la Bible, la chair, mais il ne s’agit pas ici de la distinction philosophique qui apparaît bien longtemps après ces considérations bibliques. Sinon que pour la Bible, le corps et l’âme forment ensemble la chair. La chair, c’est, donc, le corps de l’homme animé par une vie.

 

 

Personne

 

Ne soyons donc pas si stricts lorsque nous lisons la Bible, à séparer le corps de l’âme avec les critères postérieurs de la philosophie grecque. Tentons plutôt de voir comme la Bible, avec simplicité, le corps animé par l’esprit, c’est la personne. La Bible nomme chair la personne. La chair de telle ou telle personne. Cette personne, cette vie possède deux versants parce qu’elle fut créée à l’origine en sainteté par Dieu, fille de Dieu, en grâce de Dieu, en amitié avec Dieu, la chair d’Adam, chair d’homme, chair humaine, sans péché.

Chez Adam s’est perdue la justice originelle. Concupiscence… fragilité… mauvaise inclination. « Homme vieux Â», charnel.

 

Mais, une fois commise la désobéissance du péché, elle se convertit en chair de péché, chair encline au mal. La chair, alors, la Bible la considère comme l’homme dans ses mauvais penchants, l’homme charnel, l’homme égoïste, l’homme hypocrite, menteur, ambitieux. Tout ce mal que nous portons en nous, nous l’appelons l’homme charnel. La chair prend déjà un sens péjoratif, un sens associé au mal, d’inclinaison au péché, à la concupiscence.

 

En Jésus-Christ est récupérée la justice perdue : la vie selon l’Esprit, « Homme nouveau Â», Å“uvre de l’Esprit.

 

 

Devant ce versant de l’homme mauvais, incliné au mal, se trouve le versant de l’homme spirituel, la chair selon l’esprit. C’est ce que saint Paul appelle la chair en Jésus-Christ, le second Adam, qui vient racheter la chair du péché, qui paya les péchés de la chair et qui guérit également les mauvais penchants de l’homme. C’est pourquoi l’homme racheté est la chair, mais la chair insérée dans le Christ, qui malgré qu’il sente les tentations et les inclinaisons du mal, sent également la Force de Dieu qui le sauve. La chair possède donc deux sens, la tendance au mal, et la chair rachetée, encore mauvaise, mais avec une tendance au bien. 12/08/79, p.162-163, VII.

 

 

B) La chair dans les lectures d’aujourd’hui

 

Prenant en compte ces concepts, les lectures d’aujourd’hui (I Roi 19,4-8; Ep 4,3.5,2; Jn 6,41-52) nous présente la chair de l’Homme sans le Christ : c’est à dire, la chair comme nous l’avons héritée d’Adam et Ève, la chair qui naît de l’homme et de la femme. Ce qui naît de la chair est chair. Un nouveau-né est né de la chair. La chair avec sa concupiscence dont le Christ dit (Jn 6,63) : « La chair ne sert de rien. Â» La chair est péché ou tendance au péché. C’est ce à quoi je me réfère lorsque dans les lectures d’aujourd’hui je fais référence à l’homme, la chair sans le Christ.

 

 

Le conflit entre Élie et Jézabel, femme du roi Ajab

 

Jézabel est la femme du roi Ajab, une femme mauvaise qui lorsqu’elle vit qu’Élie luttait pour les droits de Dieu contre les faux prophètes, lui envoya un message comme ceux qu’envoie l’UGB de nos jours : « Demain, à cette heure, tu seras toi aussi avec les faux prophètes morts. Â» Élie eut peur. Qui ne ressent pas la peur devant une menace de mort? Et Élie prit la fuite parce que l’escadron de la mort l’avait menacé, Jézabel, la femme perverse d’Ajab.

 

 

Figures de la chair sans le Christ : Jézabel vindicative, Élie découragé

 

Je rencontre autant chez Jézabel que chez Élie, la chair sans le Christ. Jézabel avec ses tendances criminelles, vindicatives, c’est la chair sans le Christ. Élie également oublie momentanément la protection de Dieu et il fuit : la chair peureuse, la lâcheté, celui qui se cache, c’est aussi la chair sans le Christ, l’homme lâche.

 

 

Opposition à l’Esprit

 

Saint Paul dit : « Ne vous opposez pas à l’Esprit. Â» Les humains qui s’opposent à l’esprit sont la chair sans le Christ. Toute opposition à l’Église est chair sans le Christ. Tous les crimes pour tuer la vie sont abus, sont chair, sont les crimes des hommes sans le Christ.

Attitudes d’amertume, de colère, d’irritation, d’insultes

Et dans la seconde lecture (Ep 4,3; 5,2), saint Paul nous parle de ne pas nous laisser entraîner par l’amertume, la colère, l’irritabilité et les insultes. Tout cela est également la chair sans le Christ. Analysons notre propre et pauvre chair lorsqu’elle se laisse emporter par l’amertume, par la colère, la haine, la rancœur, nous faisons honneur à la chair du péché, à la chair sans le Christ.

 

« Les Juifs Â»â€¦ lorsqu’on perd la foi, on perd la dimension divine du Christ et l’on voit seulement que la chair « du fils de Joseph Â»â€¦ Le murmure se substitue à la foi. Lorsque le Christ parle de sa vie éternelle, le pain qu’il a apporté du Ciel qui apporte lui-même la vie éternelle, les juifs Le critiquent. Lorsque saint Jean utilise le terme « juifs Â», il veut généralement signifier par là les ennemis du Christ, les autorités rebelles au Christ au temps des juifs. Parce que s’il est certain que toute autorité vient de Dieu, les hommes cherchent à se revêtir de cette autorité, ils veulent se diviniser et se croire plus grands que Dieu. Et ils voulurent juger le Christ et ils Le critiquèrent parce qu’Il disait (Jn 6,41-42) : « Je suis le pain descendu du Ciel. Â» Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph dont nous connaissons le père et la mère? Comment peut-il dire qu’il est descendu du Ciel? Â»

 

Cet épisode apparaît bien intéressant, frères, pour comprendre la critique contre l’Église. La critique contre Dieu ne peut procéder que lorsqu’on a perdu la foi. Quand le peuple d’Israël marchait avec Moïse au désert, tant qu’ils croyaient, tout allait bien, mais quand ils commençaient à douter de Dieu, lorsqu’ils commencèrent à murmurer et à critiquer, les châtiments de Dieu furent nécessaires pour les faire croire à nouveau. Le Christ sentit également cette tentation lorsqu’ils se mirent à critiquer sa mission : « Comment pourrait-il venir du ciel celui qui est né de Joseph et de Marie?

 

Comment pourrait-il nous apporter la sagesse de la Vie éternelle s’il a vécu ici parmi nous? Â» Ils ne voient que l’homme de chair, même la chair du Christ, le fils de Marie Immaculée et du Père Éternel, Dieu et homme quand nous le regardons uniquement avec des yeux de chair sans le Christ, nous ne découvrons en Lui qu’un homme de chair, un homme comme nous autres et nous le critiquons parce que nous pouvons l’asseoir sur le banc des accusés. Encore bien plus sa pauvre Église, ses évêques et ses prêtres qu’on appelle avec beaucoup de facilité : « marxistes Â», « subversifs Â», « criminels Â». « Vous êtes les responsables de tout le mal qui nous affecte. Â» C’est là la voix de l’homme sans le Christ parce que jusqu’au Christ lui-même, lorsqu’on perd de vue la perspective de la foi divine, apparaît comme un homme vulgaire, criminel, qu’il faut aussi condamner à mort. Jusqu’au Christ quand on a perdu la foi!

 

Le Christ voit bien la vulgarité de cette opinion, mais n’en fait pas de cas : Il est bien au-dessus de tout cela et ce qu’Il fait c’est ratifier son affirmation (Jn 6,48) : « Je suis le Pain vivant, descendu du Ciel. Â» Si vous ne voulez pas le croire, c’est parce que vous avez perdu la foi. Chair sans le Christ vous êtes devenus, c’est pourquoi je vous offre le Pain de la vie éternelle et vous n’en voulez pas. C’est la chair sans transcendance. 12/08/79, p.163-165, VII.

 

 

C) Chair sans le Christ parmi nous

 

Quand le Christ cesse d’être « l’absolu Â», d’autres « valeurs Â» prennent sa place. Dans ma quatrième lettre pastorale, (août 79), je parle des trois objets d’absolutisme qui expliquent la tragique polarisation de notre pays. Je nomme « absolutisation Â», l’attitude d’un homme qui considère absolu ce qu’il lui convient, et le reste lui importe peu. Lorsque cet absolu n’est pas Dieu, ni le Christ, comme les juifs nous nous fabriquons de nombreux absolus. Et s’il est certain qu’aujourd’hui, au Salvador, il existe ce qu’on nomme la polarisation, nous pouvons alors également l’appeler : « absolutisation. Â»

 

 

Absolutisation de la richesse et de la propriété privée

 

Je dénonce, surtout, l’« absolutisation Â» de la richesse. C’est le grand mal du Salvador : la richesse, la propriété privée comme un absolu intouchable et malheur à celui qui ose toucher à ce fil de haute tension, il se brûle!

 

Ces hommes de chair sans le Christ oublient que la richesse n’est ni Dieu ni le Christ. Que l’« absolutisation Â» de la richesse et de la propriété privée est une grande erreur. « La propriété privée nous la respectons, dit le Pape, mais il ne faut pas oublier que toute propriété privée est grevée d’une hypothèque sociale. Â» Que veut dire le Pape? En prenant des paroles de la tradition, la propriété privée n’est pas un absolu, il existe une condition que notre Constitution politique du Salvador reconnaît lorsqu’elle dit : « la propriété privée possède une fonction sociale. Â» Ce qu’on possède n’est pas seulement au profit d’un seul, ce qu’on possède est comme un don de Dieu pour que nous l’administrions au service du bien commun. Il n’est pas juste que quelques-uns aient tout et qu’ils en fassent un absolu de telle sorte que personne ne peut y toucher, et que la majorité demeure marginalisée et se meurt de faim….

 

 

Absolutisation du pouvoir

 

Une autre forme d’absolu des hommes qui ont perdu la foi en Jésus-Christ c’est celle du pouvoir. On en arrive ainsi à la doctrine de la Sécurité nationale, où tout est permis au nom du dieu pouvoir. On en arrive au résultat ridicule que je dénonce dans ma dernière lettre pastorale qu’au nom de la Sécurité nationale, s’est installée une grande insécurité chez le peuple. Cette conception du pouvoir est mauvaise parce que le pouvoir n’est pas Dieu, le pouvoir n’est pas le Christ, et si tout est subordonné au pouvoir, toute opinion, toute expression qui veut critiquer et améliorer les choses est réprimée. Nous avons alors la répression qui se produit en notre pays : l’« absolutisation Â» du pouvoir.

 

 

Absolutisation de la politique

 

Mais il existe une troisième forme d’absolutisation qui est dans la ligne de l’Évangile que nous méditons présentement. C’est l’absolutisation de la politique. Quand mon option politique, ce que je pense être la solution politique, mon parti, mon organisation, je crois être absolu et que je ne peux pas dialoguer avec personne parce que je possède la clé de la solution. « Qu’ils viennent à moi, je ne vais pas vers personne. Â» Nous avons alors un fanatisme, un sectarisme qui est ridicule. En cette heure où le pays souffre, absolutiser les organisations politiques constitue également un crime. Il en résulte que les serviteurs de l’absolu de la droite ici, présentement, au Salvador, possèdent la richesse, la propriété privée, le pouvoir politique, serviteurs de ce front d’extrême droite, les organisations fantômes ou réelles qui menacent de mort, qui criblent de balles, qui séquestrent; tout cela est un service aux faux dieux. C’est également une horrible idolâtrie aux dieux qui réclament en sacrifice des vies humaines. Serviteurs du dieu Moloch. Aussi, les actions des organisations armées de l’extrême gauche sont des crimes de l’absolutisation, ce sont des idolâtries, des péchés, les uns et les autres pèchent dans leur polarisation contre la loi de Dieu. Il faut obéir à Dieu.

 

 

Application aux événements de la semaine

 

Et ici, aujourd’hui, j’aimerais mentionner l’autre aspect de la semaine. Le premier aspect était notre communauté. Maintenant, j’aimerais que nous observions comment, à partir de notre communauté chrétienne, nous pouvons illuminer avec l’Évangile, la réalité qui nous entoure : réalité sociale, réalité politique, réalité économique. Nous avons l’obligation de le faire. Cela n’est pas se mêler de politique, c’est apporter la lampe de la foi et accomplir la mission que Dieu a donnée à l’être humain en ce monde, d’organiser le monde selon Dieu. Et le Peuple de Dieu, nous, l’Église, si vraiment nous venons à l’église pour éclairer notre esprit, notre cÅ“ur, de la Parole de Dieu, nous avons la capacité de critiquer le mal et le bien qui existent autour de nous. 12/08/79, p.165-166, VII.

 

Comme vous voyez, nous sommes assis sur un baril de poudre qui peut exploser si ce n’est déjà fait. Pour moi, il s’agit presque d’une guerre civile, ce qui se passe actuellement, une guerre clandestine entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Cela n’est pas une guerre? Puisse Dieu que cela ne dégénère pas davantage et que nous rencontrions à temps les solutions qu’une force morale, sur des bases de liberté, peut trouver pour notre pays bien-aimé.

 

Je crois qu’il n’est pas nécessaire de payer un prix aussi élevé que le Nicaragua paya pour sa libération. Nous pouvons encore trouver une solution bien à nous. Je crois en la capacité des Salvadoriens et je crois que si l’on respecte leur liberté à partir d’une force morale qui fait accepter l’autorité au lieu de la haïr, les Salvadoriens seront capables de rencontrer une solution qui ne sera pas l’imitation du Nicaragua, mais qui sera plutôt notre propre solution salvadorienne… C’est cela la chair sans le Christ. Voyez où nous conduisent tant de polarisations, tant d’absolus, lorsqu’on oublie l’unique Absolu. 12/08/79, p.168, VII.

 

 

2) La chair dans le Christ : vie de Dieu en chair humaine

 

 

A) Le mystère de l’Incarnation

 

Ceux qui ne reconnurent pas le Christ et Le confondirent avec le fils de Joseph, avec le charpentier de Nazareth, chair sans le Christ, c’est parce qu’ils ne tinrent pas compte de l’Incarnation. Observez bien ce mot si beau de notre religion : incarnation. Ce mot nous révèle le sens sublime de la chair. Quand il eut un exemple de l’humanité si pure, aussi saint que Marie, Dieu lui demanda la permission pour s’incarner, pour se faire fÅ“tus dans ses entrailles et de naître comme un enfant à Bethléem, pour grandir en s’allaitant de son sein. C’est pourquoi Il pouvait dire comme un homme véritable : « J’ai une mère. Â» L’Homme-Dieu, celui-ci est l’absolu parce qu’Il apporte toute la vie de Dieu lorsque l’ange dit à Marie (Lc 1,35) : « L’Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c’est pourquoi l’être qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. Â» Aucune autre femme n’a entendu cela, parce qu’aucune autre n’a pu réunir ces deux grandes couronnes de la femme : la virginité et la maternité. Marie les unit parce qu’elle est la femme qui donne de ses entrailles vierges et pures, la fécondité à la vie de Dieu qui s’incarne, qui se fait chair humaine et Dieu. Le Verbe se fit chair.

 

 

La grande révélation : la chair humaine-Dieu

 

C’est ce que j’aimerais développer dans ma seconde pensée. Non pas moi, mais le Christ, lorsque dans l’Évangile (Jn 6,41-52) d’aujourd’hui nous parle du Prince de la vie qui s’incarne. Quand Il dit : « Personne n’a vu le Père sinon celui qui vient de Dieu, Â» c’est de Lui dont Il parle. Et lorsqu’Il dit, en faisant la comparaison avec la nourriture que les juifs connaissaient : la Manne (Jn 6,49-51) : « Vos pères, dans le désert, ont mangé la manne et sont morts; ce pain est celui qui descend du Ciel pour qu’on le mange et ne meurt pas. […] Qui mangera ce pain vivra à jamais. Â» Quel est ce pain? (Jn 6,51) : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. Â»

 

C’est cela la grande révélation : la chair, le Dieu qui s’est incarné.

La chair du Christ n’est pas comme la nôtre qui nous tue, qui est un corps qui pourrit et dont l’esprit retourne désincarner vers Dieu. Le Christ, chair et esprit, âme et corps, tout cela en une seule personne divine : le Verbe. Le Verbe se fit chair, tout ce que fait ce Verbe-chair, c’est Dieu qui le fait, et possède une valeur infinie. C’est pour cela que nous disons que cette chair-Dieu est crucifiée et, parmi les douleurs de la chair, Dieu lui donne les mérites divins, la Rédemption est infinie, et lorsqu’Il pleure parce qu’on le persécute, parce qu’on ne veut pas écouter son langage, ses larmes, ses plaintes, sont les plaintes de Dieu. Personne ne peut comprendre, sinon avec une grande foi, le mystère du Christ que nous tentons de prêcher chaque dimanche.

 

 

B) Dans les lectures d’aujourd’hui

 

Ce Dieu que le Christ incarne est ce que recherchent les hommes sans Dieu, sans le Christ.

 

 

La force de Dieu que recherche Élie dans sa faiblesse

 

Souvenez-vous maintenant de la première lecture (I Rois 19,4-8). Élie essoufflé, frustré, persécuté, menacé, qui découvre la force lorsqu’un signe dans le désert lui fait sentir que Dieu est très près de lui. Le pain mystérieux qu’il rencontre auprès de lui (I Roi 19,7) : « Lève-toi et mange, autrement le chemin sera trop long pour toi. Â» Il retrouve ses forces et marche quarante jours jusqu’au mont Horeb où cette précieuse théophanie nous est rapportée : « Il y eut un grand ouragan […] mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan. […] Et après l’ouragan, un tremblement de terre, mais Yahvé n’était pas dans le tremblement de terre; et après le tremblement de terre, un feu, mais Yahvé n’était pas dans le feu; et après le feu, une brise légère. Â» Une brise caressante comme celle de nos aurores ou de nos crépuscules - c’est là que se trouvait Dieu. Il semble que le Seigneur voulut enseigner à Élie que ce n’est ni la violence ni la force des éléments qui apporteront les solutions. Je vais t’instruire dans la douceur de ma pensée, dans la brise de la paix. Et Il lui donne les consignes sous cette brise : la victoire assurée sur son ennemi Jézabel, le roi qui allait être détrôné, et d’autres signes de la victoire et des choses qui ne s’arrangent pas par l’ouragan, ni par des tremblements de terre, ni par des incendies, mais par la douceur de la brise de la pensée de Dieu.

 

 

Le Principe divin qui rénove l’être humain de l’intérieur

 

Nous voyons ainsi que ce Dieu de la brise est Celui qui s’incarne en Notre Seigneur Jésus-Christ; et, surtout, frères, je voudrais voir le Christ Notre Seigneur lorsque saint Paul nous dit, dans son épître aux Éphésiens, que nous sommes « marqués du sceau de l’Esprit saint. Â» L’homme qui croit en Dieu est comme marqué par l’Esprit de Dieu.

 

Ou lorsque le Christ nous dit : « Le Dieu qui m’a envoyé pour pardonner les péchés, pour faire de tout les hommes des fils de Dieu par la grâce. Â»

 

Ou bien, lorsque le Christ nous dit dans la seconde lecture d’aujourd’hui (Eph 5,2) : « Aimez comme le Christ s’est livré pour vous. Â» L’unique violence qu’admet l’Évangile c’est celle qu’on se fait à soi-même. Quand le Christ se laisse tuer, c’est une violence qu’Il se fait à Lui-même. La violence envers soi est plus efficace que la violence envers les autres. Il est très facile de tuer, surtout quand on a des armes, mais comme il est difficile de se laisser tuer par amour pour le peuple! 12/08/79, p.168-170, VII.

 

 

3) La chair de l’homme se libère et se promeut seulement par la

 

 

Chair du Christ qui donne vie au monde

 

 

A) Il ne doit exister qu’un seul absolu pour les êtres humains : le

 

Christ qui nous amène au Père, tête de la chair réprimée.

Lorsque le Christ dans l’Évangile (Jn 6,41-52) d’aujourd’hui nous assure les moyens par lesquels nous pouvons nous faire membres de cette chair de Dieu, Il nous offre la chose la plus riche que notre foi puisse posséder. Je voudrais que mes paroles reflètent ici toute l’éloquence et l’efficacité afin que chacun de vous, comme moi, sachions comprendre que notre vie, notre chair n’a pas de sens, qu’elle est une absurdité lorsque nous en faisons un absolu dans les choses de la Terre.

 

Quand nous luttons pour des libérations uniquement temporelles, cela vaut, oui, mais cela ne vaut pas tout l’absolu que Dieu a placé dans notre capacité humaine. Soyons véritablement de grands hommes, même s’il s’agit du plus humble de la communauté, mais qui s’incorpore à la vie dans le Christ. Le Christ est celui qui donne un sens à notre vie. C’est pourquoi Il s’évertue autant, dans ce sixième chapitre de saint Jean, à se présenter comme la figure du pain. Le pain se mange et il devient substance de ma propre vie. C’est ainsi que doit être le Christ, que je mange afin que je devienne le Christ en m’assimilant au Christ. Que chaque chrétien puisse dire comme saint Paul : « Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Â»

 

Lorsque Paul VI parlait de l’Église compréhensive des mouvements de revendications actuelles, il disait que l’Église apportait aussi des hommes libérateurs pour cette heure de l’Église et de l’Histoire. Et quels sont ces hommes libérateurs? Le pape disait : « Ceux que l’Église arme avec un grand éclairage de foi, avec une grande inspiration d’amour et avec une doctrine sociale bien prudente et bien efficace. Â» Quand existeront au Salvador des chrétiens véritablement éclairés par la foi et par l’amour du Christ, bien imprégnés de la doctrine sociale de l’Église, alors nous aurons au sein des groupes politiques la présence d’une Église portée par vous les laïcs qui doivent aller dans les champs politiques, sociologiques, économiques, techniques : vous, les séculiers qui doivent être les saints du monde, saints politiciens, saints commerçants, saints professionnels, vous le serez dans la mesure où votre profession, votre activité politique s’éclairera du Christ qui est la vie de Dieu incarnée dans l’homme.

 

 

B) Comment se réalisent cette libération et cette promotion par la chair du Christ?

 

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Christ nous offre trois moyens pour y parvenir : premièrement la foi, deuxièmement la grâce et troisièmement les sacrements.

 

 

La foi… se laisser enseigner par Dieu

 

Pour que vous voyiez que mon enseignement est parfaitement ecclésial, je dis qu’il n’existe pas un homme chrétien, si ce n’est par la foi comme l’a dit le Christ aujourd’hui (Jn 6,44) : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. Â»

 

La foi est une grâce de Dieu. La foi n’est pas le produit d’une réflexion humaine. Rien d’humain ne peut produire quelque chose de divin et la foi est divine : Dieu seul peut la donner. Quand le Père m’inspire : qui est le Christ? Je dois rendre grâce à Dieu parce que comme le Christ dit à Pierre : « Cela ne t’a pas été révélé ni par la chair, ni par le sang, mais par le Père qui est dans les cieux. Â» C’est la foi qui à cette chair de la Terre, l’être humain, l’illumine des lumières du Ciel. Que nous ne perdions pas la foi, très chers frères. Que chaque fois nous recherchions davantage à suivre le Christ.

 

 

Aller au Fils

 

Quelle belle expression : « Venez à moi, dit le Christ, nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. Â» « Venez à moi Â», c’est faire confiance à quelqu’un. Comme cela me réjouit lorsque dans les humbles petits villages, les gens et les enfants s’assemblent et viennent à nous en toute confiance parce qu’ils savent que nous leur apportons le message de Dieu.

 

C’est cela la foi que le Christ veut : « Allez à Lui Â». Que nous le cherchions en toute confiance, comme quelqu’un qui recherche, angoissé, une personne qui pourrait le protéger. Croire en Jésus-Christ, c’est avoir confiance en Lui, c’est mettre en Lui toute notre vie. Cela ne peut venir que du Père. La foi est un don de Dieu et le Salvador a beaucoup de foi, celle que nous enseignèrent nos aïeux et nos pères. De grâce, ne la perdons pas!

 

 

La grâce : réconciliation et filiation divine

 

Qu’est-ce que la grâce? La grâce est la conversion de l’homme qui laisse le péché pour vivre dans l’amitié avec Dieu. Semblable à la foi, mais encore plus vécue, la grâce c’est faire mienne la vie de Dieu. Être en état de grâce avec Dieu c’est vivre en Dieu de telle sorte que lorsque meurt un homme il s’agit de son destin. S’il est dans la grâce de Dieu sa destinée est le Ciel, en compagnie de Dieu pour toujours, la vie de Dieu qu’il connaît déjà sur cette Terre. S’il n’est pas dans la grâce de Dieu, s’il est dans le péché, s’il est victime de ses passions, s’il s’agit seulement d’un homme de la chair sans le Christ, aussi intelligent ou beau soit-il, là ne se trouve rien d’autre que le péché et il ne peut pas entrer dans le Règne des cieux. Cherchons à vivre dans la grâce de Dieu.

 

 

L’Eucharistie et autres sacrements (Jn 6,51) : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. Â»

 

Saint Jean ne voulut pas raconter, comme les évangélistes antérieurs, la dernière cène, mais il nous raconte quelque chose de très profond, ce que signifie ce sacrement. Nous pourrions dire que saint Jean donne une formation pré-sacramentelle alors que les autres évangiles administrèrent le sacrement.

 

C’est ce qu’aujourd’hui fait l’Église, qui ne baptise plus personne sans qu’il sache ce que signifie le baptême, qui ne donne plus la confirmation sans qu’on sache ce dont il s’agit. Ainsi également, que personne ne communie sans savoir ce qu’est la communion et que le prêtre ne célèbre pas la messe sans savoir ce qu’il fait lorsqu’il dit, en prenant dans ses mains le pain pour le convertir en corps du Seigneur : « Ceci est mon corps. Â»

 

Mais lorsque quelqu’un entend saint Jean dans ce chapitre six, il sait pourquoi il communie. Il sait que cette saveur de l’hostie qui est une saveur de blé, la foi le convertit en vie éternelle. Alors, il comprend cette grande phrase que nous avons tenté de commenter aujourd’hui. « Ceci est le pain que je donnerai, ma chair pour la vie du monde. Â» Ma chair, mais pas la chair comme celle des hommes sans le Christ. Chair du Christ où Dieu s’incarne avec toute sa puissance, avec tout l’amour, avec tout le mérite de la croix, avec toute la sainteté de Dieu dans cette bouche insignifiante : la communion, le pain qui est la chair de Dieu qui vient sanctifier, christifier et spiritualiser toute ma chair sans le Christ.

 

Seigneur, devrions-nous dire en terminant; ne permets pas que je sois encore un homme sans le Christ, mais que, ayant connu la beauté de ton incarnation, je désire davantage m’incorporer au Christ. Puisse, Dieu, toutes les communautés qui ont tenté de faire cette réflexion, sans sortir de la réalité du pays et de l’Église, s’efforcent d’être des bienfaiteurs à partir d’une Église où le Christ administre ses sacrements pour nous donner sa chair qui est la vie du monde, et qu’à partir de là nous soyons lumière et vie pour tout le monde. C’est ce à quoi nous sommes appelés comme Peuple de Dieu, pour qu’en tout ce que nous faisons, nous soyons véritablement des missionnaires de la paix et de l’amour au milieu d’un peuple. Ainsi soit-il… 12/08/79, p.170-173, VII.