Le Christ nous a confié une mission
prophétique
Quinzième dimanche du temps
ordinaire; 15 juillet 1979; Lectures : Amos 7,12-15; Éphésiens 1,3-14;
Marc 6,7-13.
Le Concile Vatican II dit (LG
35) : « Le Christ, notre grand prophète, qui, par le témoignage de sa
vie et la puissance de sa parole, a proclamé le Royaume du Père, accomplit son
office prophétique jusqu’à la pleine manifestation de la gloire, non seulement
par le moyen de la hiérarchie qui enseigne en son nom et en vertu de son
pouvoir, mais aussi par le moyen des laïcs dont il fait aussi ses témoins et
qu’il remplit du sens de la foi et du don de sa parole afin que la force de
l’Évangile resplendisse dans la vie quotidienne, familiale et sociale. »
Ce que cela veut dire c’est qu’ainsi que Marie qui est le prototype de
l’Église, chaque laïc, chaque père de famille, chaque homme et chaque femme
doivent s’habiliter pour réaliser dans le monde une fonction prophétique. C’est
pour cela que le Christ leur a donné la foi, votre foi qui est si grande, et
qu’Il vous a donné également la grâce de la Parole. La parole humble
d’un père de famille qui conseille, d’un ami, d’un époux. Toutes ces paroles
amoureuses, si elles étaient remplies du sens de la responsabilité prophétique,
seraient combien efficaces pour que s’implante le Règne de Dieu dans la
famille, dans le gouvernement, dans le commerce, dans l’économie.
Cette responsabilité prophétique que
vous avez comme Peuple de Dieu, est grave et moi, en tant que hiérarque, au nom
et avec l’autoritĂ© du Christ, le grand Prophète, vous et moi formons, Ă
l’intérieur de notre propre vocation, la mission prophétique de l’Église.
Marie, tout comme vous, Peuple de Dieu, est une laïque. Marie n’est ni prêtre
ni religieuse. Marie est une séculière et si elle était ici, elle serait assise
sur les bancs de la cathédrale comme une de ces femmes qui m’écoutent et je ne
la distinguerais pas des autres. Mais son cœur rempli de ce charisme
prophétique absorbait les mots du grand prophète Jésus-Christ, son fils, pour
les réaliser avec l’amour, la foi, la charité, avec la vaillance et l’intégrité
avec lesquels un séculier doit être prophète dans la société et l’époque qui
est la sienne.
Nous offrons Ă Marie, Notre Dame du
Carmen, davantage que le port du scapulaire. Si nous le portons comme une
conviction de notre alliance avec Marie, magnifique!, mais ne prenons pas le
scapulaire comme un simple passeport vers le Ciel. Mensonge!, si vous ne faites
pas la volonté du Père, même si vous dites : « Seigneur,
Seigneur! », vous ne vous sauverez pas. La mission prophétique, Marie me l’enseignera,
dans mes engagements, non pas tant envers elle, qui est aussi une esclave du
Seigneur, sinon envers le Seigneur.
Plan de l’homélie :
1) Les conditions du véritable
prophète
2) Les faux prophètes
3) Quel est notre message
prophétique?
1) Les conditions du véritable
prophète
A) Choisi par le Christ
Quels sont les critères du
prophétisme authentique? Nous n’avons qu’à relire le passage de l’Évangile
d’aujourd’hui (Mc 6,7-13) où le Christ nous présente la figure de l’apôtre
envoyé comme un prophète. Nous sommes tous, de par notre baptême, la suite de
ce message de Dieu dans le monde.
Vocation – Mission – Autorisation
Le Christ dit dans son Évangile
d’aujourd’hui (Mc 6, 7) : « Il appela Ă lui les Douze et il se mit Ă
les envoyer en mission deux par deux, en leur donnant pouvoir sur les esprits
impurs. » C’est ce qui est premier. Un sens d’autorité qui vient du
Christ. Dimanche dernier, nous avons dit que tout prophète doit avoir une
vocation, une onction, une mission. C’est ainsi qu’apparaissent aujourd’hui les
prophètes du Nouveau Testament : Il les appela : « Ce n’est pas
vous qui m’avez choisi. Je vous ai choisi. » Le prophète est élu par
l’initiative de Dieu qui l’envoie. Seul peut prêcher celui qui est envoyé. Seul
peut dire : « Voilà ce que le Seigneur m’envoie dire! » Celui
qui entendit le Seigneur lui dire : « Va et dit à ce peuple. »
De l’autorisation, c’est de cela que dépend la mission prophétique. « Il
leur donne autorité sur les esprits impurs. »
Supériorité de l’apôtre
(« représentant » du Christ), sur le prophète de l’Ancien Testament
Les prophètes de l’Ancien Testament
recevaient cette même mission, mais les apôtres ont reçu du Christ une mission,
une autorisation qui les identifient avec Celui qui les envoie. Ils sont
« représentants » du Christ. « Celui qui vous méprise, c’est moi
qu’il méprise et celui qui vous reçoit, c’est moi qu’il reçoit. » Il y a
une autorisation plus intime entre nous, Peuple de Dieu, et le Christ, qu’entre
le prophète de l’Ancien Testament et Dieu. Ils étaient des messagers, nous, en
tant que Peuple de Dieu, nous ne sommes pas que cela, sinon que le Christ est
comme inséré dans la vie de ce Peuple de Dieu et c’est Lui qui parle.
B) Sens communautaire
Quelle autre condition nous signale
l’Évangile d’aujourd’hui? Un sens communautaire.
Il les envoya deux par deux et il
leur dit de se loger chez les gens, dans les familles. Et ils enseignaient au
peuple. Si les gens les acceptaient, la paix venait sur cette maison, mais si
on les rejetait, les apôtres devaient s’en aller de ce village et sa population
était complice du fait que la foi n’avait pas été accueillie en ce lieu. (Mc
6,11) : « Sortez de là et secouez la poussière qui est sous vos pieds
en témoignage contre eux. » Le village qui a rejeté le prophète qu’envoya le
Christ, qui ne voulut pas comme communauté accepter le message pour former une
société, une fraternité qui ne soit pas qu’une convivialité de loups, de gens
qui ont peur les uns des autres, mais qui accepte le message de la fraternité
chrétienne, sera béni. Mais s’il ne l’accepte pas, le geste de secouer les
sandales est un signe de réprobation de Dieu qui condamne cette société.
Libère-nous, Seigneur, de ce que
notre patrie, de laquelle nous pourrions dire ces jours-ci, ce que le Christ
pleurant sur Jérusalem, dit depuis le mont Gethsémani (Mt 23,37-38) :
« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te
sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière
dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes…, et vous n’avez pas
voulu! Voici que votre maison va être laissée déserte. » Libère-nous
Seigneur d’une malédiction semblable! Il est encore temps que nous acceptions
non seulement comme individu, sinon comme fraternité salvadorienne, le message
du Christ qui nous envoie au travers du peuple chrétien, le peuple prophétique.
Il y a tant de gens saints dans notre peuple et on y prie beaucoup! Continuons
de demander que le Seigneur rende efficace la parole de ses prophètes et pour
qu’elle soit entendue, afin que le peuple ne soit pas maudit par le Seigneur.
C) Esprit de Pauvreté
Un autre critère du prophète
véritable, est cette belle description que le Christ nous fait lorsqu’il leur
donne des normes aussi simples et aussi concrètes.
La figure d’un pèlerin (Mc
6,8-9) : « Et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route
qu’un bâton seulement, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture,
mais : “Allez chaussés de sandales et ne mettez pas deux tuniques.” »
C’est-à -dire, avec des comparaisons orientales, bibliques, Il leur
disait : « Vivez l’esprit de pauvreté. » C’est ce que j’aimerais
vous rapporter ce matin, plus que tout, quand existe autant ce sentiment
d’égoïsme, d’avarice, d’envie, de désir des biens matériels. Les hommes se
battent pour ces choses. Christ leur dit : laissez-les, présentez-vous
avec un esprit de pauvreté.
La liberté qui naît de l’esprit de
pauvreté
Parce que personne n’est aussi libre
que celui qui n’est pas subjugué au dieu argent et personne n’est aussi esclave
que celui qui est idolâtre de l’argent. C’est pourquoi le Christ veut rompre
l’assujettissement à cette idolâtrie et qu’Il leur dit : « Ne vous
préoccupez pas, confiez-vous à la Providence qui vous donnera du pain, des
vêtements et tout le nécessaire. » Allez prêcher le Règne de Dieu non pas
pour gagner de l’argent, cela est un mauvais négoce.
Le prophète Amos intervient dans la
première lecture au moment où un faux prophète, plus intéressé à l’argent qu’au
Règne de Dieu, lui dit (7,12-15) : « Voyant, va-t-en; fuis au pays de
Judas; mange ton pain là -bas, et là -bas prophétise. Mais à Béthel cesse
désormais de prophétiser, car c’est un sanctuaire royal, un temple du
royaume. » Et le prophète Amos lui répond avec une sérénité que seule la
pauvreté peut donner : « Je ne suis pas prophète, ni fils de
prophète; je suis bouvier et pinceur de sycomores. Mais Yahvé m’a pris de
derrière le troupeau et m’a dit : “Va, prophétise à mon peuple
Israël.” » Je ne viens pas ici pour faire du commerce, ni pour manger du
pain, je viens parce que Dieu m’a envoyé, j’ai assez avec mes bêtes et mes
figues. Je n’ai pas besoin de m’exposer à cette humiliation que toi, te croyant
grand dans le sanctuaire national, m’adresse à moi, l’humble paysan. C’est ça
la liberté des véritables grands qui sont les pauvres de l’esprit évangélique.
Lorsque le Pape Paul VI parlait de la
rénovation de l’Église, il ne signalait que deux vertus nécessaires pour notre
temps : la charité et l’esprit de pauvreté. Et analysant les raisons pour
lesquelles il convenait que l’Église et les chrétiens vivent l’esprit de
pauvreté, il dit ceci : « Nous pensons que la libération intérieure
qu’apporte l’esprit de pauvreté… » Parce qu’il ne suffit pas de rien
posséder. Il y a des gens qui ne sont pas libérés intérieurement, qui
recherchent avec convoitise, qui haĂŻssent celui qui a des biens, qui vivent
dans le ressentiment. Tout ceci n’est pas la libération qu’apporte la pauvreté. Il
ne suffit pas d’être pauvre, de ne rien posséder, sinon que le véritable pauvre
est celui qui a rompu les chaînes intérieures.
Le Pape dit : « Parce
qu’avec cette libération intérieure nous nous sentons plus sensibles, plus
aptes à comprendre les phénomènes humains reliés aux facteurs
économiques. » Nul n’est aussi compréhensif de la nécessité de l’argent
que celui qui possède l’esprit du pauvre, parce qu’il sait que l’argent, s’il
est utile, que nous ne pouvons nous passer de lui comme moyen et non comme fin,
comme serviteur de l’être humain et non pour que nous devenions son serviteur.
Nous ne devons pas devenir esclaves de l’argent, mais maîtres de l’argent. Il
sait, celui qui est pauvre avec l’esprit évangélique, mieux que le riche,
employer l’argent, il connaît le sens économique de la vie mieux que celui qui
est esclave du dieu argent.
« Également, dit le Pape, cette
liberté intérieure de la pauvreté, donne à la richesse et au progrès qu’il
convient à la richesse génératrice, la juste et sévère appréciation qui lui
convient. » C’est-à -dire que la richesse est nécessaire au progrès des peuples,
nous n’allons pas le nier, mais un progrès comme le nôtre, qui conditionne
l’exploitation de beaucoup qui ne savoureront jamais les progrès de notre
société… ce n’est pas cela, la pauvreté évangélique. À quoi sert-il d’avoir des
autoroutes et des aéroports de magnifiques édifices à plusieurs étages, si tout
cela a été amassé avec le sang des pauvres qui ne vont pas en profiter? Celui
qui est véritablement libre intérieurement, même s’il s’agit de celui qui
construit les routes et les aéroports, il sera donné son véritable sens à cela.
Le véritable sens
c’est celui que le Pape appelle le
sens juste et sévère. Sévère, c’est le mot qui manque. Une richesse sévère dans
le véritable sens de sévérité pour que celui qui la possède puisse la mettre au
service du bien commun. C’est ce que le Seigneur attend de l’esprit de
pauvreté, servir les autres avec l’argent qu’on a, avec un esprit de discipline
et d’austérité.
Un autre avantage de la pauvreté
c’est de « porter à l’indigence un intérêt plus soutenu et généreux. »
Personne ne comprend autant le pauvre que le pauvre évangélique. Il sait ce que
signifie la faim de la mère, de l’enfant, du sans-abri, parce que lui aussi
vit, peut ĂŞtre, dans des conditions physiques Ă©gales, mais dans une
spiritualité de pauvre qui lui fait comprendre et compatir. Il compatit
également avec celui qui n’a rien et il sait être attentionné et généreux. Il
ne donne pas du haut vers le bas, ce n’est plus le temps du paternalisme, c’est
le temps de la fraternité, de sentir que c’est mon frère et qu’il m’intéresse.
Il faut avoir de l’intérêt envers le pauvre, le paysan, celui qui n’a rien.
« Et finalement, dit le Pape,
cet esprit de pauvreté nous rend aptes à désirer que les biens économiques ne
soient pas des sources de luttes, d’égoïsmes, d’orgueil parmi les hommes, sinon
qu’ils sont orientés par des voies de justices et d’équité, vers le bien commun
et par le fait même, plus abondamment distribués. » Si nous n’avons pas
cet esprit que le Christ recommanda à ces apôtres, notre société ne changera
jamais. C’est pourquoi le message d’aujourd’hui, du Christ qui envoie ses
apôtres, ne doit pas être compris comme un souvenir du passé. « Mais en ce
temps-là il n’y avait pas de capitaux! Il n’y avait pas d’édifices, ni de
routes à construire! » Détrompez-vous! Le progrès a toujours été un idéal
de l’humanité, mais il se transforme en égoïsme et en sources de rivalités
quand il n’est pas animé par ce sens de la vertu. L’esprit de pauvreté est une vertu
chrétienne à laquelle nous devons nous convertir.
J’ai également apporté le message de
Puebla pour que vous voyiez que l’Église est sévère envers elle-même. Au numéro
144 il est écrit textuellement : « L’Église a besoin d’être chaque
jour plus indépendante des pouvoirs du monde, afin de pouvoir ainsi disposer
d’un ample espace de liberté qui lui permet d’accomplir son labeur apostolique
sans interférence : l’exercice du culte, l’éducation de la foi et le
développement de ces innombrables activités qui amènent les fidèles à traduire
dans leur vie privée, familiale et sociale, les impératifs moraux qui émanent
de cette même foi. Ainsi, libre d’engagements, seulement avec son témoignage et
son enseignement, l’Église sera plus crédible et mieux entendue. De sorte que
l’exercice du pouvoir sera lui-même évangélisé, dans l’ordre du bien
commun. » Et je me réjouis, frères, de ce que notre Église soit persécutée
précisément pour son option préférentielle pour les pauvres et parce qu’elle
s’efforce de s’incarner dans l’intérêt des pauvres pour dire à tout le peuple,
gouvernants, riches et puissants : « Si vous ne vous faites pas
pauvres, si vous ne vous importez pas de la misère de votre peuple comme s’il
s’agissait de votre propre famille, vous ne pourrez pas sauvez la
société… »
Il y a un autre numéro de Puebla que
je voudrais vous faire connaître pour que vous voyiez la sincérité avec
laquelle l’Église authentique vit aujourd’hui. En parlant de l’option
préférentielle pour les pauvres, Puebla dit ceci : « L’exigence
évangélique de la pauvreté comme solidarité avec le pauvre et comme rejet de la
situation dans laquelle vit la majoritĂ© de ce continent – de sorte que dĂ©jĂ
être pauvre dans l’Église est un geste prophétique, c’est s’identifier à la
majorité du continent – libère le pauvre de son individualisme dans sa vie et
de son attirance envers les faux idéaux de la société de consommation. »
Comme il est important d’apprendre au pauvre l’esprit évangélique de pauvreté!
Parce que s’il y a une maladie chez le pauvre et dans la classe moyenne, c’est
d’être victime de la société de consommation. Vouloir avoir son téléviseur,
vouloir avoir ses réceptions comme en ont ceux des classes aisées, vouloir
savourer la vie, même sans avoir le nécessaire pour subsister. L’esprit de
pauvreté serait la meilleure manière de conjurer ces tentations qui annihilent
la famille et la félicité de l’homme et de la femme.
De sorte que l’Église opte pour les
pauvres pour leur enseigner le véritable sens du détachement, mais encore
davantage, une fois l’Église détachée et vivant dans l’esprit de pauvreté,
Puebla dit qu’elle offre (no 1156) : « … le témoignage d’une Église
pauvre et ainsi elle peut évangéliser les riches qui ont le cœur attaché aux
richesses, en les convertissant de leur esclavage et de leur égoïsme. » Comme
est sage le Seigneur Jésus-Christ d’avoir dit à ses apôtres d’aller évangéliser
avec la figure d’un pauvre pèlerin! Ce n’est plus le temps des grands apparats,
des grands édifices inutiles et des grandes pompes de notre Église. Tout cela,
peut-être, eut sa fonction en d’autres temps, et il faut continuer en fonction
de l’évangélisation, du service. Maintenant, plus que tout, l’Église veut se
présenter pauvre parmi les pauvres et pauvre parmi les riches pour tous les
évangéliser.
Puebla dit de la Vierge, en citant le
Pape Jean-Paul II au sanctuaire de la Vierge de Zapopan, que (no 1144) :
« Marie, dans son chant du magnificat proclame que le Salut de Dieu a Ă
voir avec la justice envers les pauvres, qu’il part aussi de l’engagement
authentique envers les autres, et plus spécialement envers les plus pauvres et
les plus nécessiteux, ainsi que pour la transformation de la société… »
Ce sont les paroles textuelles de
Puebla et du Pape pour que vous voyiez que la dévotion à la Vierge n’est pas
aliénante. Si demain, jour de la Vierge du Carmen, les multitudes accourent
vers son image et revêtent le scapulaire, n’oubliez pas que Marie est avant
tout, une messagère prophétique du Christ et que dans son cantique du
Magnificat elle s’est souvenue des pauvres, des affamés et qu’elle dit
Ă©galement que Dieu demanderait des comptes aux vaniteux et aux orgueilleux, aux
riches du monde et qu’Il les renverra les mains vides s’ils ne se convertissent
pas à la pauvreté de Dieu.
Oui, nous aimons notre Mère, elle est
le modèle, le paradigme du disciple de l’Évangile. Le modèle des pauvres de
Yahvé. Marie, la petite pauvre, celle que le cardinal Pironio appela :
« Celle qui visita l’Amérique
pieds nus, avec un enfant pauvre qui nous enrichit, avec un enfant indigent qui
nous rend libres. » Ayez une grande dévotion à la Vierge, mais une
dévotion libératrice, une dévotion qui nous fait apprendre de Marie la liberté
avec laquelle elle s’exprimait. Une dévotion à la Vierge qui nous fait nous
sentir devant Dieu, non pas pour implanter notre manière de penser ou notre
fausse prudence, sinon pour que nous sachions nous exposer pour le Christ
lorsque les injustices du monde Le clouent sur la croix et que tout le monde
s’enfuit, comme la Vierge qui demeura à ses côtés. Elle est la brave de Yahvé,
celle qui défend les droits de Dieu et de l’homme même au prix du danger et des
humiliations. 15/07/79, p.75-80, VII.
2) Les faux prophètes
Maintenant, observons bien la
première lecture (Amos 7,12-15) qui décrit le triste rôle du faux prophète.
C’était un pseudo-prophète, appelé Amasias. Tenons compte que Béthel, où ce
prêtre exerçait, était un sanctuaire rival de Jérusalem. Israël et la Judée
étaient divisés. La Judée avait son temple à Jérusalem et Israël avait son
temple à Béthel. Le royaume du nord, Israël avait beaucoup fleuri et il s’y
produit ce qui se produit habituellement lorsqu’une société est prospère :
il y a de nombreux vices, beaucoup de luxes qui offensent le pauvre et le culte
des sanctuaires s’est converti en un culte d’apparence. C’est là que Dieu
envoie le berger de JudĂ©e, Amos, pour qu’il aille prophĂ©tiser. Je vous invite Ă
lire vous-mêmes ces pages brèves de ce prophète Amos, pour que vous voyiez la
liberté avec laquelle il s’adresse au roi Jéroboam II, en lui annonçant que son
royaume va être détruit, que son peuple va être amené en exil, qu’il n’y aura
plus de paix s’il n’y a pas de justice, si la société n’est pas mieux ordonnée,
que le luxe et l’injustice sociale, c’en est assez, que Dieu va venir dans sa
colère et qu’Il les châtiera. C’est certain que ce langage de réclamation
dérange. C’est comme si un pauvre paysan allait dans un bal élégant pour
menacer ceux qui s’y trouvent, du châtiment divin. C’est certain qu’on
l’expulse immédiatement.
C’est ainsi qu’on voulait expulser le
pauvre Amos. Mais ce qui est triste c’est que ceux-ci font le jeu de
l’injustice, de l’oppression, du luxe démesuré et du culte qui ne fait pas
honneur à Dieu, sinon qu’il s’efforce de demeurer bien avec les gens. C’est le
jeu que faisaient les propres prĂŞtres du sanctuaire de BĂ©thel.
Opposition au véritable prophète
Comme fut triste le rôle joué par
Amasias. Nous l’avons vu dans la lecture d’aujourd’hui. Premièrement, il
s’oppose à la voix du vrai prophète. « Va-t-en; fuis au pays de Judas;
mange ton pain là -bas, et là -bas prophétise. » Comme si Dieu n’était pas
propriétaire du monde entier et qu’Il ne pouvait pas envoyer ses messagers en
tous lieux. Comme dérange, dans certains milieux, la parole que Paul VI nous a
adressée aujourd’hui : « l’austérité de la richesse! » On ne
veut entendre qu’un langage qui approuve les injustices et les offenses. À quoi
sert un forum national si on n’y convie que ceux qui pensent comme eux? À quoi
cela sert-il de ne pas entendre la voix du Seigneur?
Par intérêts économiques
Qu’est-ce encore qu’un faux prophète?
Le faux prophète dit à Amos : « Mange ton pain là -bas. » Cela
c’est confondre la mission prophétique avec des intérêts économiques. Comme
cela est terrible lorsque la mission sacerdotale ou prophétique est subordonnée
aux intérêts économiques, lorsque ce ministère est exercé en subordination aux
intérêts sociaux et économiques. Combien de fois, très chers frères, et je
parle de vous, les laĂŻcs, qui forment le peuple de Dieu, lorsque vous accĂ©dez Ă
des fonctions politiques, vous n’êtes plus les mêmes. Combien de trahisons
devons-nous regretter? MĂŞme, dans la pudeur de certaines lettres qui
contiennent toujours un ton amical, ils me disent : « Vous comprenez,
je ne peux pas penser comme vous parce qu’autrement je vais perdre mon emploi,
sinon, je n’aurai plus accès aux avantages qui m’ont été accordés. »
Ainsi, nous avons toute une série de
subordination comme le prophète Amasias qui pensait que sa grâce était de
gagner le pain et qu’Amos venait aussi pour cette raison. Mais il se heurta Ă
un homme indépendant et libre : « Je ne travaille pas pour le pain ou
pour l’argent, je viens parce que le Seigneur d’Israël m’a envoyé. »
Pour des intérêts politiques
Amasias est Ă©galement subordonnĂ© Ă
des intérêts politiques puisqu’il déclare : « Ne prêche pas ici, dans
la maison de Dieu parce que c’est le sanctuaire royal, le temple du pays. Ici,
il faut parler comme le roi le veut. » C’est l’heure à laquelle Amos
apparaît semblable à Pierre : « Il faut obéir à Dieu avant les hommes. »
Nous ne pouvons pas travailler pour demeurer bien avec ceux d’en haut. Notre
parole au nom de Dieu, doit dénoncer tant d’injustices. Il y a tant de manières
de se faire complice de ces mains criminelles! L’Église ne peut s’empêcher pour
tout cela, elle doit dire sa parole, même lorsqu’elle dérange ceux qui comme
Amasias, devaient faire respecter davantage la voix du roi que le message de
Dieu. 15/07/79, p.80-81, VII.
3) Quel est notre message
prophétique?
Rappelez-vous que je m’efforce de
parler en tant que membre du peuple, d’un diocèse, s’il est certain que je suis
l’évêque de ce diocèse, je ne suis cependant pas le seul à être envoyé pour
cette mission prophétique. C’est tout mon peuple, ce sont tous mes prêtres, ce
sont toutes mes religieuses, les collèges catholiques, ce sont tous ceux qui
forment la communauté catholique. Et au nom de vous tous, chers laïcs qui
m’écoutez et qui réfléchissez avec moi, je vous dis quelle est notre mission
prophétique. Qu’est-ce que nous devons prêcher par notre témoignage et notre
parole face au peuple salvadorien qui a tant besoin de cette lumière
chrétienne? Vous et moi sommes responsables que ce message du Christ parvienne
Ă tous.
PrĂŞchez la conversion.
Premièrement, il y a un aspect négatif. Vous avez entendu,
dans l’Évangile d’aujourd’hui, comment le Christ les envoya avec pouvoir sur
les esprits impurs (Mc 6,12-13) : « Étant partis, ils prêchèrent
qu’on se repentit; et ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des
onctions d’huile à de nombreux infirmes et les guérissaient. »
Libération du péché. Que cela
signifie-t-il? C’est l’aspect négatif de notre message : le péché.
Ă€ ses origines : pouvoir contre
le démon. C’est une guerre à mort contre le péché; ce péché a ses racines dans
le démon et il a ses fruits.
Dans ses effets. Ses fruits
sont : la maladie, la misère,
l’analphabétisme, la malnutrition,
l’injustice sociale, tout ce que nous voyons surgir. Ce qui germe, ce sont les
fruits de ce tronc qui est le péché enraciné dans l’enfer qui est le diable.
La lutte du peuple prophétique est,
contre le péché, contre le diable et contre les conséquences de tout cela. Sa
lutte est pour les libérations des esclavages de la Terre. C’est pourquoi,
vouloir uniquement parler de se confesser pour ne pas avoir de péché, mais pour
ensuite ne pas lutter contre l’injustice qui prévaut, ce n’est pas être un
véritable Peuple de Dieu. Il est nécessaire que, avec l’effort de ne pas
commettre de péché personnel, nous travaillions aussi pour arracher les péchés
sociaux à la racine, contre le pouvoir de l’Enfer et du Démon.
Les prophètes de l’Ancien Testament,
Jean Baptiste et cette mission des apôtres ne sont pas définitifs, mais une
préparation, ils demeurent là , dans l’aspect négatif, et c’est pour cela que
l’Évangile dit qu’ils allaient en chassant les démons et en guérissant les
malades. C’est-Ă -dire que la promotion humaine dès le dĂ©part, Ă©tait dĂ©jĂ
enseignée par Jésus-Christ.
Aspects positifs : annoncer le
Règne (les bienfaits messianiques) et « Le Kérygme »
Selon l’Évangile de saint Marc qui
est celui de cette année, le Christ se réserve la prérogative d’initier la
partie positive de cette annonce : « Le Règne de Dieu est parvenu
jusqu’à vous. » C’est la partie positive, il ne s’agit plus seulement
d’arracher le péché et ses conséquences, les égoïsmes de la Terre. Ce serait là une
religion très négative si nous ne parlions qu’ainsi, mais le plus beau, c’est
que ce vide laissé par le péché, l’Enfer et les esclavages de la Terre va être
rempli par le Règne de Dieu.
Christ lui-même est le Règne
Selon saint Paul, le Règne de Dieu
n’est pas distinct du Christ. Le Christ lui-même est le Règne de Dieu. Il
incarne le Règne de Dieu. Prêcher le Règne de Dieu dans le monde c’est prêcher
que le Christ soit venu, comme dit le Pape dans sa première homélie lors de sa
consécration : « Ouvrez les portes au Christ, vous les politiciens,
les économistes, les universités, la culture. Il est le seul à détenir les Paroles de
la vie éternelle. » C’est pourquoi tout va si mal au Salvador, parce que
nous voulons construire une civilisation sans le Christ.
Il est donc nécessaire d’ouvrir notre
pensée, notre amour et notre esprit à la seconde lecture (Ep 1,3-14) que nous
offre aujourd’hui saint Paul comme une synthèse du kérygme chrétien. « Kérygme »
est un mot qui signifie « proclamation », « annonce ».
Selon les prophètes de l’Ancien Testament, le kérygme est une phrase définitive
qu’apporterait le Rédempteur lui-même. Et ce fut Lui qui vint nous dire :
« Le Règne de Dieu est proche, ouvrez-lui les portes,
convertissez-vous. »
Instaurer toutes choses dans le
Christ
En cela consiste également le kérygme
que Jésus-Christ prêcha et qu’Il confia à l’Église. Nous, membres de l’Église,
nous sommes chargés d’apporter le kérygme à la société, à notre foyer, à nos
amis, à nos milieux. Que devons-nous prêcher? En plus de cette répudiation du
péché, dans cette belle phrase de saint Paul : « Récapituler dans le
Christ toutes les choses du Ciel et de la Terre. » Saint Paul dit que lui
a été révélé le mystère caché dans la profondeur éternelle de Dieu. Ce mystère
d’avant les siècles est celui-ci : récapituler toutes les choses de la
Terre et du Ciel dans le Christ. Avant que n’existent le Ciel, la Terre,
l’Histoire et les humains, Dieu pensa au Christ comme clé du Ciel, de la Terre
et de l’Histoire. C’est pourquoi le Christ vient pour être la récapitulation.
En cherchant les origines de ce mot,
j’ai découvert que les Grecs employaient ce mot pour désigner une somme,
l’addition de plusieurs nombres qui forment un total, c’est ce qu’ils
appelaient récapitulation. Le Christ vient comme le total, Il vient pour être
le résumé de tout ce qui existe. Le Christ est la clé pour comprendre l’être
humain et l’Histoire. Le Christ est la dernière pierre que l’on pose sur un
Ă©difice, comme ces pierres qui couronnent et donne consistance Ă tout
l’édifice. Le Christ c’est cela : récapitulation de tout l’univers.
La libération par son sang
Saint Paul le présente sous divers
aspects : par son sang nous avons reçu la Rédemption. Il
n’y a pas de Rédemption en dehors du sang du Christ. Si l’homme et la femme
travaillaient aujourd’hui pour des revendications devant une société injuste,
vis-Ă -vis une politique injuste et malhonnĂŞte, face Ă la pourriture du monde,
ils ne rencontreraient la véritable liberté, la véritable
RĂ©demption que dans le Sang de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ.
Seulement dans son sang! C’est pourquoi, venir à la messe le dimanche, c’est
rendre honneur au Sang qui est l’unique espérance de notre Rédemption.
La libération est une parole très
conflictuelle de notre temps, à laquelle la Bible fait pourtant référence.
Libération pour l’ancien Israël, c’était d’être sorti de l’esclavage d’Égypte
vers la Terre promise. Libération signifie pour nous, chrétiens, que le Christ
a payé de son sang la dette de nos péchés et que nous nous sentons libérés.
Filiation divine dans le Christ
« Christ, en plus de nous avoir
libérés du péché, nous a faits fils et filles de Dieu », dit aujourd’hui
saint Paul. La filiation dans le Christ est un autre aspect de notre kérygme,
de notre annonce du Règne de Dieu. Tous les hommes sont appelés à être fils de
Dieu, frères du Christ, cohéritiers de son Règne. C’est cela l’appel qui nous
enthousiasme parce qu’il nous ouvre à des perspectives nouvelles. L’état de
fait actuel au Salvador oĂą nous avons peur les uns des autres ne demeurera pas
permanent. La véritable liberté viendra quand nous nous sentirons tous fils de
Dieu, fraternellement unis dans la filiation que le Christ nous a donnée, quand
nous prierons tous avec sincérité le Notre Père.
Incorporation au Christ
Plus encore, le Christ ne nous fit
pas enfants de Dieu en demeurant à l’écart, comme celui qui signe un document
qui agit en son nom, comme le père de famille qui adopte un fils en signant un
document tout en demeurant distinct de son fils. Il y a quelque chose de plus
grand que saint Paul appelle aujourd’hui : l’incorporation au Christ. Le
chrétien n’est pas seulement fils de Dieu, sinon qu’il est un membre vivant du
Christ. Membre dont la tĂŞte est le Christ. Nous sommes tous un organisme
vivant. Incorporons-nous pour sentir ainsi la belle unité du Peuple de Dieu!
Le Sceau de l’Esprit : Arrhes
Et en dernier, le kérygme, l’annonce
du Règne, nous assure que tout chrétien, depuis le jour du baptême, porte le
sceau de l’Esprit et que celui-ci est comme des arrhes, comme une avance qui se
paie et qui exige déjà le règlement de la dette. Comme si Dieu
s’était fait notre créditeur. Il nous a donné des arrhes, des avances, des
anticipations dans la présence de l’Esprit pour qu’après notre mort,
s’accomplisse la consommation finale, l’héritage, la preuve qu’avec ce sceau
que nous portons déjà dans cette vie le bel héritage des enfants de Dieu dans
la patrie de la consommation finale.
C’est l’annonce que nous sommes
chargés de porter depuis le jour de notre baptême. Cette Rédemption dans le
Christ est aussi un germe fécond, un ferment dans les groupes libérateurs de la Terre. C’est pourquoi
l’Église continue avec sympathie tout effort libérateur des hommes et
précisément pour qu’ils ne perdent pas leur efficacité, pour qu’ils ne perdent
pas leurs forces et qu’ils se croient des dieux, l’Église leur reproche leurs
péchés et leurs abus. Elle leur dit : « La revendication que vous
cherchez est bonne, mais la stratégie que vous suivez ne l’est pas. »
L’Univers, les choses du Ciel et de
la Terre
Frères, le Christ ressuscitĂ© a dĂ©jĂ
placé au sein de l’Histoire le principe d’un monde nouveau. Venir à la messe le
dimanche c’est s’imprégner de ce principe qui redevient présent et se célèbre
dans la messe sur l’autel. Quand nous sortons de la messe, nous savons que nous
avons proclamé la mort qui sauva le monde et nous proclamons la résurrection du
Christ qui vit comme une espérance pour conglutiner l’univers dans son entier.
Vous connaissez cette union, cette
relation intime qui existe entre l’homme et l’univers. Remontons au chapitre de
la Genèse, au chapitre premier, … où Dieu dit à l’homme qu’Il lui livre la
Terre, les étoiles et les astres : « Tout cela est à toi,
domine-le. » Et l’humain, par ses grandes inventions, n’est rien d’autre
que celui qui accomplit ce commandement de Dieu. L’homme du XXe
siècle est allé sur la lune, il a découvert le secret de l’atome. Que
découvrira-t-il encore?
C’est l’accomplissement du
commandement du Seigneur : domine la Terre! Mais la domination absolue de
l’homme sur l’univers sera celle qui a été annoncée aujourd’hui : dans le
Christ qui récapitule les choses du Ciel et de la Terre. C’est quand
l’homme saint parvient à soumettre au Règne de Dieu, ce monde qui est
maintenant esclave du péché et qu’il le dépose aux pieds du Christ et celui-ci
aux pieds de Dieu. C’est cela, la récapitulation. Avant
que n’existent les siècles des siècles, c’était le projet de Dieu et, quand se
terminera l’Histoire, ce sera la réalisation de Dieu : le Christ
récapitulation de toutes choses.
Tout ce que l’Histoire a été, tout ce
que nous faisons de bien ou de mal, sera mesuré selon ce projet de Dieu et seul
subsistera celui qui aura travaillé pour mettre les choses sous le Règne du
Christ. Tout ce qui a tenté de se soustraire au processus de Dieu dans le
Christ est faux, il ne subsistera pas et il ira au dépotoir de l’Histoire. […]
Nous sommes le corps du Christ dans
l’Histoire en ce moment. Le Christ vit aujourd’hui et Il se manifeste en nous.
Le Christ veut parler par nous. Il veut agir par nous. C’est la grande
responsabilité prophétique qu’a le Peuple de Dieu. Puisse Dieu, personne ne la
rejette. 15/07/79, p.81-85, VII.