Le dynamisme de l’Église
Vingtième dimanche du temps
ordinaire; 20 août 1978; Lectures : Isaïe 56,1.6-7; Romains
11,13-15.29-32; Matthieu 15,21-28.
Il est merveilleux de se sentir
frères et sœurs chaque dimanche, surtout en ce moment qui est un moment de
famille. Nous sommes la famille de Dieu qui est en pèlerinage sur la Terre et
chaque dimanche, comme les familles unies se réunissent chaque fin de semaine
chez leurs parents, avec les autres membres de leur famille qui sont dispersés
par leurs occupations tout au long de la semaine. Nous venons
pour partager, pour sentir vraiment que l’occupation de chacun est importante
pour tous. C’est ainsi que nous nous unissons en une même force d’amour, de foi
et d’espérance au milieu d’un monde qui nous offre tant de difficultés, parce
que précisément pour cela, les familles s’unissent davantage alors qu’au-dehors
les tempêtes redoublent d’intensité.
C’est pourquoi, en cette ambiance de
famille, c’est le Père qui nous oriente, qui nous conseille, qui nous parle et
ce Père est notre Dieu celui que nous appelons Notre Père. Il nous parle et le
prêtre et l’évêque qui prêche ne sont rien de plus que ses messagers tirés de
cette mĂŞme famille pour communiquer son message divin. Et ce message est
organisé tout au long de l’année liturgique, de sorte que chaque dimanche est
nouveau, chacun nous présente des aspects différents de cette famille si
merveilleuse qui se nomme l’Église, prémisse du Règne de Dieu sur la Terre. Comment ce
message pourrait-il ne pas être merveilleux s’il parle du Règne de Dieu
quoiqu’encore entremêlé des limites et des imperfections des hommes et des
femmes qui forment l’Église. Mais nous allons tenter d’être moins indignes de
cette vie à laquelle Dieu veut participer avec nous dans sa plénitude lorsque
notre pèlerinage sur Terre sera terminé. Je résume les aspects que nous offre
ce dimanche la Parole divine par ces trois thèmes :
Plan de l’homélie :
1) Le dynamisme missionnaire du Règne
de Dieu
2) Le dynamisme spirituel du Règne de
Dieu
3) Le dynamisme social du Règne de
Dieu dans son Église
Ce seront les trois aspects de
l’homélie d’aujourd’hui.
L’Église possède un minimum de dynamisme
missionnaire, l’Église possède un dynamisme spirituel et également un dynamisme
social ici sur Terre. Mais avant de pénétrer plus à fond dans cette réflexion
de la Parole, pour que la marque concrète de notre Église, telle qu’on la voit
se développer sous des aspects si variés à l’intérieur de notre archidiocèse,
je voudrais évoquer ici quelques nouvelles de notre vie ecclésiale. À la fin,
lorsque je parlerai du dynamisme social de l’Église, je vais présenter des
aspects qui ne sont pas proprement ecclésiaux, qui se vivent dans la vie
politique, dans la vie économique, dans la vie de notre peuple, au cœur de
notre histoire, mais qui ne sont pas étrangers non plus à notre Église, sinon
que celle-ci se doit de les illuminer. La philosophie dit : il faut
d’abord être pour ensuite pouvoir agir. L’Église possède avant tout ce
travail : être, se construire. Je vous invite toujours, très chers frères,
à regarder dans ma pauvre parole cet effort primordial. Il ne s’agit pas ici
d’un effort de confrontation, je ne me bats contre personne. Je veux simplement
aider le Christ à construire son Église en vous aimant tous, les baptisés qui
sont l’Église, à prendre conscience, à participer, à faire de ce peuple qui
marche une véritable torche qui illumine le monde. C’est pourquoi personne ne
doit écouter mes paroles avec des intentions polémiques. Je ne veux pas être
une opposition comme on m’a dit cette semaine. Je veux simplement être une
affirmation. Lorsqu’un homme répond oui à ses propres convictions, il ne se confronte
pas, il affirme simplement et naturellement qu’il y en a d’autres qui ne
pensent pas comme lui et c’est alors que vient la confrontation, mais non pas
parce que tel était l’intention de celui qui s’est affirmé. 20/08/78,
p.129-130, V.
1) Le dynamisme missionnaire du Règne
de Dieu
Dans la Parole d’aujourd’hui qui ne
découvre pas – s’il l’a écoutée avec attention, sans que je la commente – qu’il
existe trois dynamismes. Le Christ lui-même garantit que ce Règne de Dieu
possède un dynamisme missionnaire, un dynamisme spirituel et un dynamisme
social. Lorsque je dis, en premier lieu, un dynamisme missionnaire, je regarde
la bonté du Christ dans l’Évangile d’aujourd’hui (Mt 15,21-28) qui s’avance
jusqu’aux limites de la Palestine afin de pouvoir apercevoir depuis là , les
frontières du monde paĂŻen. C’est une femme paĂŻenne, une CananĂ©enne, qui vient Ă
Lui en quĂŞte du pouvoir de Dieu que le Christ apporte. Et le dialogue du Christ
Sauveur avec la représentante du monde païen apparaît dur. Cependant, pour ceux
qui pénètrent l’atmosphère de cette époque et de ce peuple, il ne l’est pas
tant que cela si l’on comprend mieux la situation, le contexte. « Il n’est
pas bien de jeter le pain des fils aux chiens. » Observez la différence
qui existait dans la mentalité juive. Eux – les juifs – étaient les enfants de
Dieu, les autres peuples, les gentils – c’est à ce groupe que nous appartenions
nous aussi –, nous étions les chiens. Et l’humilité de la Cananéenne gagne le
cœur du Rédempteur. Oui, Seigneur, il paraît que cela est très typique du
Moyen-Orient, ils sont très sages pour capter la pensée et en faire une farce
ou bien une réponse merveilleuse. La Cananéenne le démontre ici au Christ et
Celui-ci nous donne une leçon de vie en ce monde incarné dans les modes de vie
de son peuple et de son temps. La Cananéenne lui dit (Mt 15,21-28) :
« Oui, Seigneur, mais justement les petits chiens mangent des miettes qui
tombent de la table de leurs maîtres! »
Mais avant que le Christ ne se soit
approché de la fenêtre du monde païen, la première lecture (Is 56,1, 6-7), nous
avait dit que Dieu ne poserait plus ces limites. « Ma Maison est une
maison de prière et ainsi l’appelleront tous les peuples. » C’est le plan
de Dieu, non pas seulement sauver le peuple d’Israël, comme celui qui dit,
remplir de Dieu le peuple d’Israël afin que de ce peuple divinisé, illuminé par
la lumière de Dieu, apporte la lumière à tous les peuples parce que le dessein
de Dieu est le Salut de tous. Le Concile possède un document spécifique pour
expliquer ce dynamisme missionnaire de l’Église : « L’Église qui est
en pèlerinage se nomme missionnaire, parce qu’elle est le fruit de ce Dieu Père
qui commande. » C’est ce que signifie mission : du verbe latin mitere, envoyer. Ainsi comme mon Père
m’a envoyé, m’a fait missionnaire, ainsi je vous envoie, je fais de vous mes
envoyés, mes missionnaires. Le Concile dit également que le Père envoie comme
missionnaire son Fils et après que ce Dernier ait réalisé l’œuvre en sa
Personne et qu’Il soit retourné au Ciel, le Père et le Fils envoient, font
missionnaire, l’Esprit saint qui vient pour animer cette Église. C’est pour
cela que cette Église, fruit de cette mission du Père et du Fils, est
véritablement missionnaire et porte en elle un dynamisme universel.
La stratégie est que le Christ a
d’abord été envoyé aux brebis d’Israël pour qu’elles ne périssent pas. Il ne
pouvait pas sortir des limites de Palestine, mais Il dit aux apĂ´tres :
« Vous serez mes témoins à Jérusalem, en Samarie et jusqu’aux confins de
la Terre. » Et lorsqu’Il ressuscita rempli du pouvoir et de la
majesté, Il envoya son Église dans le monde avec toute la puissance du Ciel et
de la Terre. « Allez par le monde entier. Faites des disciples du
christianisme chez tous les peuples, baptisez dans ma foi tous les
hommes. » Le dynamisme missionnaire a été libéré par la venue du Christ et
de l’Esprit saint.
Mais, dans la seconde lecture, je
vous invite, très chers frères, à réfléchir dans vos foyers et à observer cette
stratégie décrite par saint Paul, sous une forme que nous qualifierons de
dialectique, mais efficace. Il dit que Dieu accorda la préférence à son peuple,
mais ce dernier ne fut pas digne de ce don de Dieu. Seul un reste, un petit
groupe, se maintint fidèle. Les autres n’acceptèrent pas le Christ. Vingt
siècles ont passé et les Juifs n’ont pas accepté le Christ. Cela faisait
souffrir saint Paul. Souvenez-vous de dimanche dernier lorsque saint Paul
dit : « Je voudrais être maudit pour que mes frères acceptent le
Salut. Et parce qu’ils ne l’acceptèrent pas, les apôtres secouèrent leurs
sandales et sont allés vers les peuples païens. Le Christ leur était seulement
apparu au travers de la
Cananéenne. Il ne marcha pas sur les chemins des terres
païennes parce qu’Il avait été envoyé pour accomplir les promesses du peuple
qui devait être le missionnaire : Israël. Mais ce dernier n’en fut pas
digne. Alors, les apĂ´tres sont sortis pour prĂŞcher et saint Paul dit dans son
épître (Rm 11,13-14) : « Je suis bien l’apôtre des païens et j’honore
mon ministère, mais c’est avec l’espoir d’exciter la jalousie de ceux de mon
sang et d’en sauver quelques-uns. »
C’est cela la stratégie de
l’Évangile. Premièrement, les juifs ne l’acceptèrent pas, puis il s’en va vers
les païens. À l’entendre, en acceptant les gentils, les Juifs se remplissent de
jalousie. Observez comment les gentils profitent d’une grâce que Dieu leur
offrait, alors les Juifs commencèrent à se convertir. L’obstination des Juifs,
le rejet qu’ils eurent pour le Christ a été le Salut des peuples païens, nous
dit saint Paul. Logiquement, le Salut apporté par Jésus-Christ sera d’autant
plus un torrent de vie lorsque les Juifs se convertiront et se rempliront de la
grâce de Dieu.
C’est pourquoi plusieurs en sont
arrivés à croire que la fin du monde se produira lorsque les Juifs se
convertiront, mais ce n’est pas ce que dit la Bible. La Bible
dit que lorsque les juifs se convertiront il y aura une plénitude de vie chez
le peuple juif qui se convertira également en plénitude de vie pour les peuples
gentils. Posant ainsi comme un antagonisme dialectique : Peuple gentil et
peuple juif, saint Paul nous présente aujourd’hui l’universalisme du Salut. Et
c’est pourquoi son épître se termine aujourd’hui par cette phrase qui nous
apparaît comme un grand mystère (Rm 11,32) : « Car Dieu a enfermé
tout le monde dans la désobéissance pour faire à tous la miséricorde. » Le
Salut présuppose le péché. Et autant les Juifs ont péché en rejetant le Christ
que les gentils lorsque les Juifs leur annoncèrent le Dieu véritable et que les
païens ne l’acceptèrent pas. Mais maintenant que les gentils l’acceptent, Dieu
a miséricorde d’eux. Ils leur pardonnent leur manque de foi et leur
désobéissance, Il se retourne aussi vers le peuple juif, lui qui a péché par
désobéissance, reviendra et se sauvera.
Frères, quelle belle leçon pour nous
tous qui sommes enfermés dans la désobéissance! Tous ceux qui veulent montrer
aux autres frères leurs péchés et ne se regardent pas eux-mêmes comme pécheurs
ne sont pas dignes de ce Salut de Dieu. Lorsque l’on lance au visage de
l’Église, au Pape et aux évêques tout particulièrement les péchés de l’Église,
l’on oublie cette grande stratégie de Dieu. Du péché, de la désobéissance,
d’une Église misérable par ses éléments humains, Dieu se prévaut pour sauver
dans sa miséricorde. La seule chose qui vaut ici c’est la miséricorde de Dieu
qui s’accepte par la foi. C’est
cela la seconde pensée de cette lecture.
Je voudrais, mes frères, que nous
prenions cela en compte parce que plusieurs – comme vous allez le lire dans
notre lettre pastorale – désirent manipuler l’Église afin de se prévaloir de
son dynamisme dans des rédemptions temporelles. L’Église ne rejette pas ces
rédemptions temporelles. Dans ma lettre pastorale, je dis que l’Église sera une
alliée généreuse des objectifs justes et du droit d’organisation que les gens
ont. Personne ne peut enlever aux hommes le droit de s’associer, à condition
qu’il s’agisse d’une association qui poursuit une juste cause.
Nous ne défendons pas ici les
associations criminelles. Dans n’importe quels secteurs de la société, qu’il
s’agisse de séquestrer, de voler ou de tuer; pour ceux-là , il n’existe pas de
droit d’association. Mais s’unir pour survivre, pour se nourrir, pour défendre
leurs droits, tous les ĂŞtres humains ont droit Ă cela. Le regroupement est un
droit lorsque ses objectifs sont justes. Et l’Église sera toujours du côté de
ce droit d’organisation et de ces justes objectifs. Que l’on n’exige pas
cependant de l’Église qu’elle consacre toutes ses énergies à cette seule cause.
20/08/78, p.135-137, V.
2) Le dynamisme spirituel du Règne de
Dieu
Je base ma réflexion sur cette parole
du Concile Vatican II qui est aussi une parole tirée de la Bible :
« La propre mission que le Christ confia à son Église n’est pas d’ordre
politique économique ou social. La fin qu’Il lui assigna est d’ordre
religieux » – mais écoutez bien ceci. « Mais précisément de cette
même mission religieuse dérivent des fonctions, des lumières et des énergies
qui peuvent servir à établir et à consolider la communauté humaine selon la loi
divine. Plus encore, où cela sera nécessaire selon les circonstances du temps
et du lieu, la mission de l’Église peut créer, doit créer des œuvres au service
de tous, particulièrement des nécessiteux, comme, les œuvres de miséricorde ou
semblables. »
C’est de cette pensée du Concile sur
les dynamismes que je veux vous entretenir maintenant. Le premier est le
dynamisme spirituel. La mission spécifique de l’Église est religieuse. Cela
signifie unir les hommes Ă Dieu, les relations avec Dieu. Et dans les lectures
d’aujourd’hui, apparaissent plusieurs de ces éléments. Par exemple, lorsque la
première lecture (Is 56,7) nous dit : « Ma maison sera appelée maison
de prières par tous les peuples. » Je vous ai toujours rappelé, mes
frères, que notre force est la
prière. Si un chrétien ne prie pas, il ne peut pas compter
sur ce dynamisme spirituel. C’est pour cela que la Cananéenne fait cette prière
à Dieu en s’adressant au Christ qui se sent attiré vers elle par cette prière.
Deuxièmement, dans la seconde lecture
(Rm 11,13-15; 29-32) et dans l’Évangile (Mt 15,21-28), on fait l’éloge de la foi. Grande est ta
foi, dit le Christ Ă la
femme. Et saint Paul dans la seconde lecture dit :
« Ceux qui ont été obéissants rencontreront la miséricorde. La
foi comme une obéissance, une acceptation de Dieu. Sans foi il est impossible
d’appartenir à ce Règne de Dieu. » Le dynamisme spirituel de l’Église
dérive de sa foi. Cela m’attriste d’entendre un catholique qui dit : je
n’ai plus la foi. Et
cela me réjouit énormément lorsque j’entends dire de plusieurs personnes en ce
moment : j’ai retrouvé la foi dans l’Église.
Retrouver la foi, c’est elle qui nous
donne mutuellement la force aux uns et aux autres. La foi, la prière,
l’humilité sont des vertus très méconnues en ce monde, et cependant, lorsque
l’on entend la Cananéenne qui, au lieu de se sentir blessée par l’expression du
Christ qui la traite de petit chien, lui répond par un sourire. « Les
chiens aussi mangent des miettes qui tombent de la table de leur maître. »
Quelle humilité plus grande pourrait ajouter le Christ. L’humilité qui est la
vérité, parce que l’orgueil est son contraire, c’est la pire folie qu’un homme
puisse avoir, se croire lui-même. Et arriver jusqu’à se croire irremplaçable.
Nous devons tous être humbles dans le sens de la vérité, de reconnaître nos
limites, nos petitesses.
Le sens spirituel c’est ce que nous
vivons présentement. Lorsque le Seigneur dit (Is 56,7) : « Je les
mènerai à ma sainte montagne, Je les comblerai de joie dans ma maison de
prières. Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, car
ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples. » Observer
le sens liturgique, aller à la messe, c’est servir. C’est ce que signifie le
mot liturgie : service. Les protestants l’appellent leur réunion, leur
service.
Nous pouvons Ă©galement appeler notre
messe, un service, dans le sens oĂą nous venons apporter comme serviteurs, le
pain et le vin, symboles de nos sueurs et de notre travail pour qu’Il se serve
et pour faire de son corps et de son sang l’aliment du monde. Nous apportons
tous quelque chose de nous-mĂŞmes comme serviteurs lorsque nous venons Ă la
messe, nous collaborons tous, jusqu’au plus humble qui vient dire au
Seigneur : je n’ai pas de travail, j’ai passé toute la semaine à chercher
et je n’ai rien d’autre à t’offrir que mes angoisses. Je n’ai pas d’emploi,
cela aussi est un service. Cela aussi est une offrande, c’est un holocauste, un
sacrifice; ou la mère qui vient raconter l’infirmité de son fils ou celle du
disparu; ou le torturé qui du fond de sa prison offre ses souffrances au
Seigneur; ou encore celui qui porte la peine morale d’une calomnie, comme celui
qui m’a écrit d’un petit village de Chalatenango qu’il est victime d’une
calomnie par une mauvaise langue. S’il m’écoutait, je lui dirais : ta
situation morale ne doit pas t’affliger si ta conscience est propre.
C’est cela le service du peuple
sacerdotal. C’est cela la mission de l’Église : éveiller, comme je le fais
en ce moment, le sens spirituel de votre vie; la valeur divine de vos actions
humaines. N’oubliez pas ceci, très chers frères, c’est ce que l’Église offre
aux organisations populaires, à la politique, à l’industrie, au commerce, au
journalier, à la vendeuse du marché, à tous ceux qui apportent à l’Église ce
service de promouvoir le dynamisme spirituel. Qui ne peut offrir Ă Dieu cette
grande force qu’est la vie spirituelle?
Je vois aussi dans ces lectures un
autre élément spirituel : la conversion. La seconde lecture (Rm 11) est un
poème sur la nécessité de la conversion qui concerne autant les juifs que les
païens. Les deux peuples ont été enfermés dans la désobéissance. Nous
avons péché. Et les deux, juifs et gentils, ne peuvent se glorifier, mais
seulement espérer la miséricorde de Dieu qui pardonne notre désobéissance
universelle. Convertissez-vous! Et lorsque nous indiquons les péchés des
hommes, les péchés du gouvernement, les péchés du capital, les péchés des
criminels, les péchés mêmes de notre Église, les péchés des collèges
catholiques, les péchés de ces mêmes évêques parmi lesquels se trouve votre
serviteur, les péchés de nos prêtres, les péchés des couples. Qui n’a pas de
péchés? Péchés de jeunesse, péché de l’âge mûre, jusqu’à l’enfance, à peine
atteignent-ils l’âge de la raison qu’ils commencent à désobéir. Dieu nous a
tous enfermés dans la désobéissance afin de nous racheter par sa miséricorde.
Si je signale les péchés des hommes,
c’est dans le but de les amener à la conversion. C’est pour cela que le Christ est
venu et c’est la tâche qu’il a confiée à son Église. Le Règne de Dieu possède
un grand dynamisme spirituel qui se nomme la conversion.
Frères, réfléchissez bien,
précisément lorsque le monde a besoin de revendications sociales et politiques.
Lorsque nous avons besoin de changements profonds et audaces. Qui va les
rĂ©aliser? MedellĂn dit clairement : « Les hommes nouveaux ». Les
hommes nouveaux renouvelés par cette conversion. Les inquisiteurs des systèmes
caducs, ceux qui veulent conserver, à force de répression et de crimes et de
péchés, une situation qui ne peut plus continuer, ceux-là ne vont pas rénover
le monde. Il est nécessaire que les politiciens et les non-politiciens, les
gens du pouvoir et les gens du peuple, que nous essayons tous de nous rénover par
cette conversion intérieure.
Puisse Dieu que nous ayons une
semaine qui reflète la lumière de cette parole, en recherchant où se situe le
mal en notre République. Et nous le découvrirons en notre propre conscience.
Nous avons tous péché. Comme disent ces tribus indigènes que lorsqu’un découvre
une personne assassinée, tous doivent passer devant le cadavre et étendre leur
main au-dessus de son corps en disant : « Je suis
innocent. » Et c’est ainsi qu’on reconnaît le véritable coupable.
Mais je pense qu’ici nous devons tous passer devant le cadavre ensanglanté de
notre patrie et dire comme ce poète devant le Christ crucifié :
« Tremblés humains, car nous avons tous contribué à sa mort. »
Un mouvement spirituel de conversion,
du haut vers le bas, comme un courant électrique qui inonde d’énergie une
installation, qui passe aussi par nos veines, par notre âme, par notre cœur,
c’est le sens de la parole d’aujourd’hui, une conversion pour faire de nous des
hommes nouveaux. Parce que Paul VI dit : « À quoi servirait un
changement de structures si au cœur de ces structures nouvelles les hommes qui
les dirigent et ceux qui vivent en elles ne sont pas rénovés? » Cela
n’aura été rien d’autre qu’un changement de péché. Un changement de système,
mais toujours dans le péché. 20/08/78, p.138-140, V.
3) Le dynamisme social du Règne de
Dieu dans son Église
C’est pourquoi, avant les rénovations
de structures, ou mieux encore, avec les rénovations de structures nous devons
vivre une rénovation des cœurs. C’est pourquoi ma troisième réflexion concerne
le dynamisme social de l’Église. Je n’invente rien. Tout cela je le prends des
lectures d’aujourd’hui, lorsque le prophète Isaïe dit qu’il va appeler aussi
les Ă©trangers sur la montagne sainte, mais Ă une seule condition (Is 56,1) :
« Observez le droit, pratiquez la justice, car mon Salut est près
d’arriver et ma justice de se révéler. » Quelle belle promesse que nous
entendons également ici au Salvador comme une espérance! La victoire de Dieu va
être révélée. Dieu doit triompher. Le diable qui est l’instigateur du péché ne
peut pas gagner. C’est Dieu qui est l’instigateur de la rénovation.
Et la rénovation se trouve ici dans
ces brèves paroles : « Gardez le droit, et pratiquez la
justice. » Pour que vous sachiez qu’il ne s’agit pas là d’un simple
caprice de l’Église, ni qu’elle a abandonné sa mission pour se lancer en
politique. Le Concile nous a dit que sa mission n’est pas politique, mais parce
qu’elle est religieuse, de cette relation avec Dieu, découlent les forces, le
dynamisme, pour pouvoir se convertir en une force de rénovation politique, de
rénovation sociale, de rénovation morale, sans sortir de son rôle religieux.
J’ai conscience, et ceux qui m’ont suivi de près seront d’accord avec moi, que
je n’ai jamais utilisé cette cathédrale pour faire de la politique. J’ai fait
de la religion, j’ai rempli la fonction du message religieux de l’Église pour
en extraire, comme dit le Concile, les dynamismes et les forces qui peuvent
construire une société selon le cœur de Dieu.
Je ne suis pas qualifié ni en
sociologie, ni en politique, ni en organisations populaires. Je ne suis qu’un
humble pasteur qui dit à tous ceux qui détiennent ces compétences :
unissez-vous, mettez-vous au service de votre peuple, tout ce que vous savez,
ne vous enfermez pas, apportez votre contribution. Alors oui on pratiquera le
droit et l’on fera justice. 20/08/78,p.140-141, V.