Le dynamisme de l’Église

 

Vingtième dimanche du temps ordinaire; 20 aoĂ»t 1978; Lectures : IsaĂŻe 56,1.6-7; Romains 11,13-15.29-32; Matthieu 15,21-28.

 

Il est merveilleux de se sentir frères et sœurs chaque dimanche, surtout en ce moment qui est un moment de famille. Nous sommes la famille de Dieu qui est en pèlerinage sur la Terre et chaque dimanche, comme les familles unies se réunissent chaque fin de semaine chez leurs parents, avec les autres membres de leur famille qui sont dispersés par leurs occupations tout au long de la semaine. Nous venons pour partager, pour sentir vraiment que l’occupation de chacun est importante pour tous. C’est ainsi que nous nous unissons en une même force d’amour, de foi et d’espérance au milieu d’un monde qui nous offre tant de difficultés, parce que précisément pour cela, les familles s’unissent davantage alors qu’au-dehors les tempêtes redoublent d’intensité.

 

C’est pourquoi, en cette ambiance de famille, c’est le Père qui nous oriente, qui nous conseille, qui nous parle et ce Père est notre Dieu celui que nous appelons Notre Père. Il nous parle et le prĂŞtre et l’évĂŞque qui prĂŞche ne sont rien de plus que ses messagers tirĂ©s de cette mĂŞme famille pour communiquer son message divin. Et ce message est organisĂ© tout au long de l’annĂ©e liturgique, de sorte que chaque dimanche est nouveau, chacun nous prĂ©sente des aspects diffĂ©rents de cette famille si merveilleuse qui se nomme l’Église, prĂ©misse du Règne de Dieu sur la Terre. Comment ce message pourrait-il ne pas ĂŞtre merveilleux s’il parle du Règne de Dieu quoiqu’encore entremĂŞlĂ© des limites et des imperfections des hommes et des femmes qui forment l’Église. Mais nous allons tenter d’être moins indignes de cette vie Ă  laquelle Dieu veut participer avec nous dans sa plĂ©nitude lorsque notre pèlerinage sur Terre sera terminĂ©. Je rĂ©sume les aspects que nous offre ce dimanche la Parole divine par ces trois thèmes :

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Le dynamisme missionnaire du Règne de Dieu

2) Le dynamisme spirituel du Règne de Dieu

3) Le dynamisme social du Règne de Dieu dans son Église

 

Ce seront les trois aspects de l’homélie d’aujourd’hui.

 

L’Église possède un minimum de dynamisme missionnaire, l’Église possède un dynamisme spirituel et Ă©galement un dynamisme social ici sur Terre. Mais avant de pĂ©nĂ©trer plus Ă  fond dans cette rĂ©flexion de la Parole, pour que la marque concrète de notre Église, telle qu’on la voit se dĂ©velopper sous des aspects si variĂ©s Ă  l’intĂ©rieur de notre archidiocèse, je voudrais Ă©voquer ici quelques nouvelles de notre vie ecclĂ©siale. Ă€ la fin, lorsque je parlerai du dynamisme social de l’Église, je vais prĂ©senter des aspects qui ne sont pas proprement ecclĂ©siaux, qui se vivent dans la vie politique, dans la vie Ă©conomique, dans la vie de notre peuple, au cĹ“ur de notre histoire, mais qui ne sont pas Ă©trangers non plus Ă  notre Église, sinon que celle-ci se doit de les illuminer. La philosophie dit : il faut d’abord ĂŞtre pour ensuite pouvoir agir. L’Église possède avant tout ce travail : ĂŞtre, se construire. Je vous invite toujours, très chers frères, Ă  regarder dans ma pauvre parole cet effort primordial. Il ne s’agit pas ici d’un effort de confrontation, je ne me bats contre personne. Je veux simplement aider le Christ Ă  construire son Église en vous aimant tous, les baptisĂ©s qui sont l’Église, Ă  prendre conscience, Ă  participer, Ă  faire de ce peuple qui marche une vĂ©ritable torche qui illumine le monde. C’est pourquoi personne ne doit Ă©couter mes paroles avec des intentions polĂ©miques. Je ne veux pas ĂŞtre une opposition comme on m’a dit cette semaine. Je veux simplement ĂŞtre une affirmation. Lorsqu’un homme rĂ©pond oui Ă  ses propres convictions, il ne se confronte pas, il affirme simplement et naturellement qu’il y en a d’autres qui ne pensent pas comme lui et c’est alors que vient la confrontation, mais non pas parce que tel Ă©tait l’intention de celui qui s’est affirmĂ©. 20/08/78, p.129-130, V.

 

 

1) Le dynamisme missionnaire du Règne de Dieu

 

Dans la Parole d’aujourd’hui qui ne dĂ©couvre pas – s’il l’a Ă©coutĂ©e avec attention, sans que je la commente – qu’il existe trois dynamismes. Le Christ lui-mĂŞme garantit que ce Règne de Dieu possède un dynamisme missionnaire, un dynamisme spirituel et un dynamisme social. Lorsque je dis, en premier lieu, un dynamisme missionnaire, je regarde la bontĂ© du Christ dans l’Évangile d’aujourd’hui (Mt 15,21-28) qui s’avance jusqu’aux limites de la Palestine afin de pouvoir apercevoir depuis lĂ , les frontières du monde paĂŻen. C’est une femme paĂŻenne, une CananĂ©enne, qui vient Ă  Lui en quĂŞte du pouvoir de Dieu que le Christ apporte. Et le dialogue du Christ Sauveur avec la reprĂ©sentante du monde paĂŻen apparaĂ®t dur. Cependant, pour ceux qui pĂ©nètrent l’atmosphère de cette Ă©poque et de ce peuple, il ne l’est pas tant que cela si l’on comprend mieux la situation, le contexte. « Il n’est pas bien de jeter le pain des fils aux chiens. Â» Observez la diffĂ©rence qui existait dans la mentalitĂ© juive. Eux – les juifs – Ă©taient les enfants de Dieu, les autres peuples, les gentils – c’est Ă  ce groupe que nous appartenions nous aussi –, nous Ă©tions les chiens. Et l’humilitĂ© de la CananĂ©enne gagne le cĹ“ur du RĂ©dempteur. Oui, Seigneur, il paraĂ®t que cela est très typique du Moyen-Orient, ils sont très sages pour capter la pensĂ©e et en faire une farce ou bien une rĂ©ponse merveilleuse. La CananĂ©enne le dĂ©montre ici au Christ et Celui-ci nous donne une leçon de vie en ce monde incarnĂ© dans les modes de vie de son peuple et de son temps. La CananĂ©enne lui dit (Mt 15,21-28) : « Oui, Seigneur, mais justement les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maĂ®tres! Â»

 

Mais avant que le Christ ne se soit approchĂ© de la fenĂŞtre du monde paĂŻen, la première lecture (Is 56,1, 6-7), nous avait dit que Dieu ne poserait plus ces limites. « Ma Maison est une maison de prière et ainsi l’appelleront tous les peuples. Â» C’est le plan de Dieu, non pas seulement sauver le peuple d’IsraĂ«l, comme celui qui dit, remplir de Dieu le peuple d’IsraĂ«l afin que de ce peuple divinisĂ©, illuminĂ© par la lumière de Dieu, apporte la lumière Ă  tous les peuples parce que le dessein de Dieu est le Salut de tous. Le Concile possède un document spĂ©cifique pour expliquer ce dynamisme missionnaire de l’Église : « L’Église qui est en pèlerinage se nomme missionnaire, parce qu’elle est le fruit de ce Dieu Père qui commande. Â» C’est ce que signifie mission : du verbe latin mitere, envoyer. Ainsi comme mon Père m’a envoyĂ©, m’a fait missionnaire, ainsi je vous envoie, je fais de vous mes envoyĂ©s, mes missionnaires. Le Concile dit Ă©galement que le Père envoie comme missionnaire son Fils et après que ce Dernier ait rĂ©alisĂ© l’œuvre en sa Personne et qu’Il soit retournĂ© au Ciel, le Père et le Fils envoient, font missionnaire, l’Esprit saint qui vient pour animer cette Église. C’est pour cela que cette Église, fruit de cette mission du Père et du Fils, est vĂ©ritablement missionnaire et porte en elle un dynamisme universel.

 

La stratĂ©gie est que le Christ a d’abord Ă©tĂ© envoyĂ© aux brebis d’IsraĂ«l pour qu’elles ne pĂ©rissent pas. Il ne pouvait pas sortir des limites de Palestine, mais Il dit aux apĂ´tres : « Vous serez mes tĂ©moins Ă  JĂ©rusalem, en Samarie et jusqu’aux confins de la Terre. Â» Et lorsqu’Il ressuscita rempli du pouvoir et de la majestĂ©, Il envoya son Église dans le monde avec toute la puissance du Ciel et de la Terre. « Allez par le monde entier. Faites des disciples du christianisme chez tous les peuples, baptisez dans ma foi tous les hommes. Â» Le dynamisme missionnaire a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© par la venue du Christ et de l’Esprit saint.

Mais, dans la seconde lecture, je vous invite, très chers frères, Ă  rĂ©flĂ©chir dans vos foyers et Ă  observer cette stratĂ©gie dĂ©crite par saint Paul, sous une forme que nous qualifierons de dialectique, mais efficace. Il dit que Dieu accorda la prĂ©fĂ©rence Ă  son peuple, mais ce dernier ne fut pas digne de ce don de Dieu. Seul un reste, un petit groupe, se maintint fidèle. Les autres n’acceptèrent pas le Christ. Vingt siècles ont passĂ© et les Juifs n’ont pas acceptĂ© le Christ. Cela faisait souffrir saint Paul. Souvenez-vous de dimanche dernier lorsque saint Paul dit : « Je voudrais ĂŞtre maudit pour que mes frères acceptent le Salut. Et parce qu’ils ne l’acceptèrent pas, les apĂ´tres secouèrent leurs sandales et sont allĂ©s vers les peuples paĂŻens. Le Christ leur Ă©tait seulement apparu au travers de la CananĂ©enne. Il ne marcha pas sur les chemins des terres paĂŻennes parce qu’Il avait Ă©tĂ© envoyĂ© pour accomplir les promesses du peuple qui devait ĂŞtre le missionnaire : IsraĂ«l. Mais ce dernier n’en fut pas digne. Alors, les apĂ´tres sont sortis pour prĂŞcher et saint Paul dit dans son Ă©pĂ®tre (Rm 11,13-14) : « Je suis bien l’apĂ´tre des paĂŻens et j’honore mon ministère, mais c’est avec l’espoir d’exciter la jalousie de ceux de mon sang et d’en sauver quelques-uns. Â»

 

C’est cela la stratégie de l’Évangile. Premièrement, les juifs ne l’acceptèrent pas, puis il s’en va vers les païens. À l’entendre, en acceptant les gentils, les Juifs se remplissent de jalousie. Observez comment les gentils profitent d’une grâce que Dieu leur offrait, alors les Juifs commencèrent à se convertir. L’obstination des Juifs, le rejet qu’ils eurent pour le Christ a été le Salut des peuples païens, nous dit saint Paul. Logiquement, le Salut apporté par Jésus-Christ sera d’autant plus un torrent de vie lorsque les Juifs se convertiront et se rempliront de la grâce de Dieu.

 

C’est pourquoi plusieurs en sont arrivĂ©s Ă  croire que la fin du monde se produira lorsque les Juifs se convertiront, mais ce n’est pas ce que dit la Bible. La Bible dit que lorsque les juifs se convertiront il y aura une plĂ©nitude de vie chez le peuple juif qui se convertira Ă©galement en plĂ©nitude de vie pour les peuples gentils. Posant ainsi comme un antagonisme dialectique : Peuple gentil et peuple juif, saint Paul nous prĂ©sente aujourd’hui l’universalisme du Salut. Et c’est pourquoi son Ă©pĂ®tre se termine aujourd’hui par cette phrase qui nous apparaĂ®t comme un grand mystère (Rm 11,32) : « Car Dieu a enfermĂ© tout le monde dans la dĂ©sobĂ©issance pour faire Ă  tous la misĂ©ricorde. Â» Le Salut prĂ©suppose le pĂ©chĂ©. Et autant les Juifs ont pĂ©chĂ© en rejetant le Christ que les gentils lorsque les Juifs leur annoncèrent le Dieu vĂ©ritable et que les paĂŻens ne l’acceptèrent pas. Mais maintenant que les gentils l’acceptent, Dieu a misĂ©ricorde d’eux. Ils leur pardonnent leur manque de foi et leur dĂ©sobĂ©issance, Il se retourne aussi vers le peuple juif, lui qui a pĂ©chĂ© par dĂ©sobĂ©issance, reviendra et se sauvera.

 

Frères, quelle belle leçon pour nous tous qui sommes enfermés dans la désobéissance! Tous ceux qui veulent montrer aux autres frères leurs péchés et ne se regardent pas eux-mêmes comme pécheurs ne sont pas dignes de ce Salut de Dieu. Lorsque l’on lance au visage de l’Église, au Pape et aux évêques tout particulièrement les péchés de l’Église, l’on oublie cette grande stratégie de Dieu. Du péché, de la désobéissance, d’une Église misérable par ses éléments humains, Dieu se prévaut pour sauver dans sa miséricorde. La seule chose qui vaut ici c’est la miséricorde de Dieu qui s’accepte par la foi. C’est cela la seconde pensée de cette lecture.

 

Je voudrais, mes frères, que nous prenions cela en compte parce que plusieurs – comme vous allez le lire dans notre lettre pastorale – désirent manipuler l’Église afin de se prévaloir de son dynamisme dans des rédemptions temporelles. L’Église ne rejette pas ces rédemptions temporelles. Dans ma lettre pastorale, je dis que l’Église sera une alliée généreuse des objectifs justes et du droit d’organisation que les gens ont. Personne ne peut enlever aux hommes le droit de s’associer, à condition qu’il s’agisse d’une association qui poursuit une juste cause.

 

Nous ne défendons pas ici les associations criminelles. Dans n’importe quels secteurs de la société, qu’il s’agisse de séquestrer, de voler ou de tuer; pour ceux-là, il n’existe pas de droit d’association. Mais s’unir pour survivre, pour se nourrir, pour défendre leurs droits, tous les êtres humains ont droit à cela. Le regroupement est un droit lorsque ses objectifs sont justes. Et l’Église sera toujours du côté de ce droit d’organisation et de ces justes objectifs. Que l’on n’exige pas cependant de l’Église qu’elle consacre toutes ses énergies à cette seule cause. 20/08/78, p.135-137, V.

 

 

2) Le dynamisme spirituel du Règne de Dieu

 

Je base ma rĂ©flexion sur cette parole du Concile Vatican II qui est aussi une parole tirĂ©e de la Bible : « La propre mission que le Christ confia Ă  son Église n’est pas d’ordre politique Ă©conomique ou social. La fin qu’Il lui assigna est d’ordre religieux Â» – mais Ă©coutez bien ceci. « Mais prĂ©cisĂ©ment de cette mĂŞme mission religieuse dĂ©rivent des fonctions, des lumières et des Ă©nergies qui peuvent servir Ă  Ă©tablir et Ă  consolider la communautĂ© humaine selon la loi divine. Plus encore, oĂą cela sera nĂ©cessaire selon les circonstances du temps et du lieu, la mission de l’Église peut crĂ©er, doit crĂ©er des Ĺ“uvres au service de tous, particulièrement des nĂ©cessiteux, comme, les Ĺ“uvres de misĂ©ricorde ou semblables. Â»

 

C’est de cette pensĂ©e du Concile sur les dynamismes que je veux vous entretenir maintenant. Le premier est le dynamisme spirituel. La mission spĂ©cifique de l’Église est religieuse. Cela signifie unir les hommes Ă  Dieu, les relations avec Dieu. Et dans les lectures d’aujourd’hui, apparaissent plusieurs de ces Ă©lĂ©ments. Par exemple, lorsque la première lecture (Is 56,7) nous dit : « Ma maison sera appelĂ©e maison de prières par tous les peuples. Â» Je vous ai toujours rappelĂ©, mes frères, que notre force est la prière. Si un chrĂ©tien ne prie pas, il ne peut pas compter sur ce dynamisme spirituel. C’est pour cela que la CananĂ©enne fait cette prière Ă  Dieu en s’adressant au Christ qui se sent attirĂ© vers elle par cette prière.

 

 

Deuxièmement, dans la seconde lecture (Rm 11,13-15; 29-32) et dans l’Évangile (Mt 15,21-28), on fait l’éloge de la foi. Grande est ta foi, dit le Christ Ă  la femme. Et saint Paul dans la seconde lecture dit : « Ceux qui ont Ă©tĂ© obĂ©issants rencontreront la misĂ©ricorde. La foi comme une obĂ©issance, une acceptation de Dieu. Sans foi il est impossible d’appartenir Ă  ce Règne de Dieu. Â» Le dynamisme spirituel de l’Église dĂ©rive de sa foi. Cela m’attriste d’entendre un catholique qui dit : je n’ai plus la foi. Et cela me rĂ©jouit Ă©normĂ©ment lorsque j’entends dire de plusieurs personnes en ce moment : j’ai retrouvĂ© la foi dans l’Église.

 

Retrouver la foi, c’est elle qui nous donne mutuellement la force aux uns et aux autres. La foi, la prière, l’humilitĂ© sont des vertus très mĂ©connues en ce monde, et cependant, lorsque l’on entend la CananĂ©enne qui, au lieu de se sentir blessĂ©e par l’expression du Christ qui la traite de petit chien, lui rĂ©pond par un sourire. « Les chiens aussi mangent des miettes qui tombent de la table de leur maĂ®tre. Â» Quelle humilitĂ© plus grande pourrait ajouter le Christ. L’humilitĂ© qui est la vĂ©ritĂ©, parce que l’orgueil est son contraire, c’est la pire folie qu’un homme puisse avoir, se croire lui-mĂŞme. Et arriver jusqu’à se croire irremplaçable. Nous devons tous ĂŞtre humbles dans le sens de la vĂ©ritĂ©, de reconnaĂ®tre nos limites, nos petitesses.

Le sens spirituel c’est ce que nous vivons prĂ©sentement. Lorsque le Seigneur dit (Is 56,7) : « Je les mènerai Ă  ma sainte montagne, Je les comblerai de joie dans ma maison de prières. Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agrĂ©Ă©s sur mon autel, car ma maison sera appelĂ©e maison de prière pour tous les peuples. Â» Observer le sens liturgique, aller Ă  la messe, c’est servir. C’est ce que signifie le mot liturgie : service. Les protestants l’appellent leur rĂ©union, leur service.

 

Nous pouvons Ă©galement appeler notre messe, un service, dans le sens oĂą nous venons apporter comme serviteurs, le pain et le vin, symboles de nos sueurs et de notre travail pour qu’Il se serve et pour faire de son corps et de son sang l’aliment du monde. Nous apportons tous quelque chose de nous-mĂŞmes comme serviteurs lorsque nous venons Ă  la messe, nous collaborons tous, jusqu’au plus humble qui vient dire au Seigneur : je n’ai pas de travail, j’ai passĂ© toute la semaine Ă  chercher et je n’ai rien d’autre Ă  t’offrir que mes angoisses. Je n’ai pas d’emploi, cela aussi est un service. Cela aussi est une offrande, c’est un holocauste, un sacrifice; ou la mère qui vient raconter l’infirmitĂ© de son fils ou celle du disparu; ou le torturĂ© qui du fond de sa prison offre ses souffrances au Seigneur; ou encore celui qui porte la peine morale d’une calomnie, comme celui qui m’a Ă©crit d’un petit village de Chalatenango qu’il est victime d’une calomnie par une mauvaise langue. S’il m’écoutait, je lui dirais : ta situation morale ne doit pas t’affliger si ta conscience est propre.

C’est cela le service du peuple sacerdotal. C’est cela la mission de l’Église : Ă©veiller, comme je le fais en ce moment, le sens spirituel de votre vie; la valeur divine de vos actions humaines. N’oubliez pas ceci, très chers frères, c’est ce que l’Église offre aux organisations populaires, Ă  la politique, Ă  l’industrie, au commerce, au journalier, Ă  la vendeuse du marchĂ©, Ă  tous ceux qui apportent Ă  l’Église ce service de promouvoir le dynamisme spirituel. Qui ne peut offrir Ă  Dieu cette grande force qu’est la vie spirituelle?

 

Je vois aussi dans ces lectures un autre Ă©lĂ©ment spirituel : la conversion. La seconde lecture (Rm 11) est un poème sur la nĂ©cessitĂ© de la conversion qui concerne autant les juifs que les paĂŻens. Les deux peuples ont Ă©tĂ© enfermĂ©s dans la dĂ©sobĂ©issance. Nous avons pĂ©chĂ©. Et les deux, juifs et gentils, ne peuvent se glorifier, mais seulement espĂ©rer la misĂ©ricorde de Dieu qui pardonne notre dĂ©sobĂ©issance universelle. Convertissez-vous! Et lorsque nous indiquons les pĂ©chĂ©s des hommes, les pĂ©chĂ©s du gouvernement, les pĂ©chĂ©s du capital, les pĂ©chĂ©s des criminels, les pĂ©chĂ©s mĂŞmes de notre Église, les pĂ©chĂ©s des collèges catholiques, les pĂ©chĂ©s de ces mĂŞmes Ă©vĂŞques parmi lesquels se trouve votre serviteur, les pĂ©chĂ©s de nos prĂŞtres, les pĂ©chĂ©s des couples. Qui n’a pas de pĂ©chĂ©s? PĂ©chĂ©s de jeunesse, pĂ©chĂ© de l’âge mĂ»re, jusqu’à l’enfance, Ă  peine atteignent-ils l’âge de la raison qu’ils commencent Ă  dĂ©sobĂ©ir. Dieu nous a tous enfermĂ©s dans la dĂ©sobĂ©issance afin de nous racheter par sa misĂ©ricorde.

 

Si je signale les péchés des hommes, c’est dans le but de les amener à la conversion. C’est pour cela que le Christ est venu et c’est la tâche qu’il a confiée à son Église. Le Règne de Dieu possède un grand dynamisme spirituel qui se nomme la conversion.

 

Frères, rĂ©flĂ©chissez bien, prĂ©cisĂ©ment lorsque le monde a besoin de revendications sociales et politiques. Lorsque nous avons besoin de changements profonds et audaces. Qui va les rĂ©aliser? MedellĂ­n dit clairement : « Les hommes nouveaux Â». Les hommes nouveaux renouvelĂ©s par cette conversion. Les inquisiteurs des systèmes caducs, ceux qui veulent conserver, Ă  force de rĂ©pression et de crimes et de pĂ©chĂ©s, une situation qui ne peut plus continuer, ceux-lĂ  ne vont pas rĂ©nover le monde. Il est nĂ©cessaire que les politiciens et les non-politiciens, les gens du pouvoir et les gens du peuple, que nous essayons tous de nous rĂ©nover par cette conversion intĂ©rieure.

 

Puisse Dieu que nous ayons une semaine qui reflète la lumière de cette parole, en recherchant oĂą se situe le mal en notre RĂ©publique. Et nous le dĂ©couvrirons en notre propre conscience. Nous avons tous pĂ©chĂ©. Comme disent ces tribus indigènes que lorsqu’un dĂ©couvre une personne assassinĂ©e, tous doivent passer devant le cadavre et Ă©tendre leur main au-dessus de son corps en disant : « Je suis innocent. Â» Et c’est ainsi qu’on reconnaĂ®t le vĂ©ritable coupable. Mais je pense qu’ici nous devons tous passer devant le cadavre ensanglantĂ© de notre patrie et dire comme ce poète devant le Christ crucifiĂ© : « TremblĂ©s humains, car nous avons tous contribuĂ© Ă  sa mort. Â»

 

Un mouvement spirituel de conversion, du haut vers le bas, comme un courant Ă©lectrique qui inonde d’énergie une installation, qui passe aussi par nos veines, par notre âme, par notre cĹ“ur, c’est le sens de la parole d’aujourd’hui, une conversion pour faire de nous des hommes nouveaux. Parce que Paul VI dit : « Ă€ quoi servirait un changement de structures si au cĹ“ur de ces structures nouvelles les hommes qui les dirigent et ceux qui vivent en elles ne sont pas rĂ©novĂ©s? Â» Cela n’aura Ă©tĂ© rien d’autre qu’un changement de pĂ©chĂ©. Un changement de système, mais toujours dans le pĂ©chĂ©. 20/08/78, p.138-140, V.

 

 

3) Le dynamisme social du Règne de Dieu dans son Église

 

C’est pourquoi, avant les rĂ©novations de structures, ou mieux encore, avec les rĂ©novations de structures nous devons vivre une rĂ©novation des cĹ“urs. C’est pourquoi ma troisième rĂ©flexion concerne le dynamisme social de l’Église. Je n’invente rien. Tout cela je le prends des lectures d’aujourd’hui, lorsque le prophète IsaĂŻe dit qu’il va appeler aussi les Ă©trangers sur la montagne sainte, mais Ă  une seule condition (Is 56,1) : « Observez le droit, pratiquez la justice, car mon Salut est près d’arriver et ma justice de se rĂ©vĂ©ler. Â» Quelle belle promesse que nous entendons Ă©galement ici au Salvador comme une espĂ©rance! La victoire de Dieu va ĂŞtre rĂ©vĂ©lĂ©e. Dieu doit triompher. Le diable qui est l’instigateur du pĂ©chĂ© ne peut pas gagner. C’est Dieu qui est l’instigateur de la rĂ©novation.

Et la rĂ©novation se trouve ici dans ces brèves paroles : « Gardez le droit, et pratiquez la justice. Â» Pour que vous sachiez qu’il ne s’agit pas lĂ  d’un simple caprice de l’Église, ni qu’elle a abandonnĂ© sa mission pour se lancer en politique. Le Concile nous a dit que sa mission n’est pas politique, mais parce qu’elle est religieuse, de cette relation avec Dieu, dĂ©coulent les forces, le dynamisme, pour pouvoir se convertir en une force de rĂ©novation politique, de rĂ©novation sociale, de rĂ©novation morale, sans sortir de son rĂ´le religieux. J’ai conscience, et ceux qui m’ont suivi de près seront d’accord avec moi, que je n’ai jamais utilisĂ© cette cathĂ©drale pour faire de la politique. J’ai fait de la religion, j’ai rempli la fonction du message religieux de l’Église pour en extraire, comme dit le Concile, les dynamismes et les forces qui peuvent construire une sociĂ©tĂ© selon le cĹ“ur de Dieu.

 

Je ne suis pas qualifiĂ© ni en sociologie, ni en politique, ni en organisations populaires. Je ne suis qu’un humble pasteur qui dit Ă  tous ceux qui dĂ©tiennent ces compĂ©tences : unissez-vous, mettez-vous au service de votre peuple, tout ce que vous savez, ne vous enfermez pas, apportez votre contribution. Alors oui on pratiquera le droit et l’on fera justice. 20/08/78,p.140-141, V.