Les Crises du Règne de Dieu
Vingt-cinquième dimanche du temps
ordinaire; 24 septembre 1978; Lectures : IsaĂŻe 55,6-9; Philippiens
1,20c-24,27a; Matthieu 20,1-16.
Au Moyen âge, la Vierge inspira un
ordre d’hommes généreux qui, devant le problème de l’esclavage, dans les
prisons musulmanes, s’organisèrent pour aller racheter ces prisonniers. En plus
d’apporter de grandes quantités d’argent qu’ils recueillaient en Europe à cette
fin, ils faisaient le vœu de rester eux-mêmes prisonniers au lieu de ceux qui
étaient détenus, pour que ces derniers acquièrent la liberté. Il s’agit
d’une page très glorieuse de l’effort de l’Église pour la libération des
humains. La défense des droits humains n’est pas une chose d’aujourd’hui, elle
a toujours été la cause de l’Évangile.
Saluons les prisonniers parce que ce
jour est considéré comme étant le jour de la patronne des centres carcéraux. On
honore aujourd’hui la Vierge de la Merci, dans ces centres où l’on souffre
beaucoup.
La Vierge de la Merci, présente
aujourd’hui dans les souffrances des prisons, illuminant Dieu sait quelle
cruauté; apportant consolation à ceux qui loin de leur famille, souffrent un
isolement inhumain. Elle est tout un symbole pour l’heure que nous traversons.
Hier, j’ai eu l’opportunité de célébrer la Sainte messe et d’assister à la
confirmation d’un groupe de femmes, au Centre de Réforme pour Femmes, appelé
vulgairement la Prison des Femmes. La présence des religieuses du Bon Pasteur
convertit ce centre en un véritable foyer de formation. La présence de la
chapelle de la communauté apporte une présence de soleil qui illumine les
ténèbres; on ne s’y sent presque pas en prison. Combien est bénéfique la
présence de l’espérance chrétienne, de la requête de la foi! Même lorsqu’elle
illumine des situations difficiles, même si l’incarcération est méritée, le
prisonnier doit payer ses fautes; mais il doit rencontrer lĂ , une Ă©cole pour
qu’il puisse réintégrer la
société. Je désire féliciter les sœurs du Bon Pasteur pour ce
labeur qui est comme un indice de ce que devraient ĂŞtre les prisons dans notre
pays. 24/09/78, p.199-200, V.
Qu’est-ce qu’une Église qui se fonde
sur les communautés ecclésiales de base? Comment devient-on conscient du
christianisme? Comment se forme une conscience critique à partir de l’Évangile
en regard des réalités du pays? Ces groupes sont ceux qui sont souvent victimes
de persécutions, ceux qu’on cherche à interdire, à éliminer, à terroriser, mais
je peux vous assurer qu’il s’agit là de réunions nettement évangéliques.
Naturellement, lorsque l’Évangile est absorbé et qu’il oriente un groupe, cela
donne une pensée critique et cela dérange l’ordre établi. Et lorsque celui-ci
n’est pas juste, il n’est pas évangélique. L’Évangile se heurte brutalement
contre les réalités antiévangéliques; mais l’Église ne peut s’empêcher de
continuer de former la conscience évangélique de ses chrétiens. 24/09/78,
p.200, V.
Dans un de ses discours, le Pape
insista sur la nécessité d’intervention de l’Église en présentant et en
recommandant des solutions aux grands problèmes de la liberté, de la justice et
de la paix pour que les laïcs catholiques luttent afin de résoudre ces
problèmes. Il apporta un éclaircissement très utile : que la libération
politique, sociale et économique, que beaucoup d’hommes et de femmes
recherchent, ne coïncide pas avec la libération en Jésus-Christ. Entendons-nous
bien. Dans une de mes lettres pastorales, j’explique qu’un des services de
l’Église est d’appuyer ces efforts de revendications du peuple; et le meilleur
service que l’Église apporte, c’est de dire quel est son propre critère de
libération. C’est ici que le Pape (Paul VI) dit : « Ne coïncide pas
signifie qu’on ne peut mesurer la libération chrétienne par la libération
terrestre. » Cela ne signifie pas qu’elles soient incompatibles, mais
comme le dit ma lettre pastorale, la grande libération chrétienne englobe et
intègre ces efforts libérateurs de la Terre. Nous disons à tous ceux qui travaillent
pour un monde meilleur, pour une société plus juste, tout cela est bon, mais
souvenez-vous que tout ne se termine pas là . L’être humain possède aussi une
vocation éternelle et divine, et si nous désirons un monde plus juste pour lui,
durant son existence sur Terre, n’oublions pas que le définitif est sa libération
transcendantale. Celle qu’apporta le Christ en nous sauvant du péché et en nous
élevant à la grâce des enfants de Dieu qui doivent vivre éternellement libres.
En ce sens, si nous sommes d’accord avec le Pape, ces libérations ne coïncident
pas, mais elles ne sont pas opposées non plus, de sorte que nous ne pouvons pas
dire que nous sommes avec le Pape lorsque nous négligeons les réalités
terrestres pour ne penser qu’à celles du ciel. Le Pape appuie également tous
ces efforts de justice et de liberté dans le monde.
Autre aspect de l’actualité
catholique : L’Église polonaise demanda de lire à tous les pupitres de
Pologne, une lettre pastorale signée par tous les évêques. La vie sociale d’une
nation, disent-ils, requiert de l’ouverture et une place pour l’expression de
l’opinion publique. Les personnes qui contrôlent les moyens de communication
dans ces deux pays ont à l’esprit leur unique intérêt, autant en Pologne qu’au
Salvador, pouvons-nous dire, que nous avons le droit de manifester notre
critique et notre opinion. Si l’on n’apprécie pas cet effort de liberté, cela
veut dire, disent les évêques polonais, qu’on nous considère simplement comme
des objets, afin que ceux qui ont pris le pouvoir manipulent les citoyens
dépourvus de la possibilité de prononcer publiquement leurs opinions.
Observez, mes frères, l’Église, en
n’importe quelle situation – ici, parce que la situation n’est pas communiste,
mais capitaliste –, mais en Pologne où la situation n’est pas capitaliste, mais
communiste, dans l’un et l’autre lieu, l’Église ne s’inféode pas, ni au
communisme, ni au capitalisme, mais elle proclame la liberté évangélique.
Sachez lire les journaux, vous ai-je dit Ă plusieurs reprises, parce que ce que
disent ici les évêques polonais est bien triste : « Les moyens de
communication qui ont le devoir d’informer et de satisfaire ce droit Ă
l’information qu’a toute personne, sont souvent les instruments qui se laissent
manipuler par le pouvoir politique ou économique pour dénaturer, pour fausser
les informations qui ne sont déjà plus de l’information, mais qui se
convertissent en propagande politique. »
Cette Église qui est en train de
s’édifier avec cette mystique, avec cette présence, même si elle apparaît
humble, comme nous l’avons défini dans les réalisations de notre archidiocèse,
est entourée par un monde gigantesque. Combien de fois je pense au pauvre David
face à Goliath; l’Église, c’est David, mais celui-ci put dire à Goliath qui se
moquait de lui à cause de sa petite taille : « Tu viens à moi en t’appuyant
sur ton armée et sur tes forces; je viens à toi en m’appuyant sur le nom du
Seigneur. » Et au nom du Seigneur l’humble berger, David, avec une pierre
dans le front, abat de sa hauteur Goliath le géant. L’Église doit affronter le
géant de tous les temps : les idoles qu’adorent les humains. Comment cela
se réalise-t-il? Avant de vous le dire je veux que nous prenions conscience que
toute cette Église dont je viens de vous parler, de ses réalisations concrètes,
ici dans l’archidiocèse, en Pologne, à Rome, où n’importe où ailleurs, c’est la
même Église, qui précisément ce dimanche 24 septembre 1978, est en train de
lire dans ses temples ces mêmes lectures que nous venons d’entendre :
IsaĂŻe 55, 6-9; Philippiens 1,20-24,27 et Matthieu 20,1-16. Quelle belle discipline!
L’Évangile de Matthieu a été l’aliment de tout le peuple universel de Dieu en
cette année.
Et comme je vous le disais, c’est un
évangile précieusement organisé. J’ai envoyé à plusieurs personnes qui me l’ont
demandé le schéma de l’Évangile qu’on trouve dans le prologue des évangiles
synoptiques, dans l’édition de la Bible de Jérusalem. Tous les passages que
nous avons lus au cours des dimanches précédents se réfèrent à l’Église, au
Règne de Dieu, comme communauté qui commence dès maintenant avec vous, avec
nous, les hommes et les femmes qui croyons en ce Christ, et qui Le suivons. Il
nous a été donné dans ces chapitres, les normes en quoi doit correspondre cette
communauté, le chef qui est son fondement : le Pape. Les chapitres 19 à 25
de Saint Matthieu nous présentent la crise par où doit passer l’Église, le
Règne de Dieu, avant son établissement définitif. Ici nous retrouvons des
paraboles sublimes, comme celle que nous avons lue aujourd’hui, où l’on parle
des conflits d’idées, de critères différents entre Dieu et les hommes. Et tout
ce passage se termine avec le discours majestueux du Christ, que l’on nomme
discours eschatologique où Il nous parle de la fin de l’Histoire et du
commencement de l’éternité, où le Seigneur nous parle du jugement final. «Venez
à moi, bénis de mon Père, parce que tout le bien que vous avez fait au plus
petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. Allez, maudits, au
feu Ă©ternel, parce que vos exclusions, tous ces pauvres que vous avez
dépréciés, c’est moi que vous avez déprécié. »
Ce précieux discours conclut cette
section dont nous commençons à vous offrir ce dimanche et que
j’intitulerai : « Les crises du Règne de Dieu. » En présentant
ces crises dans les lectures d’aujourd’hui, mon premier point sera : recherchez
quelle est la volonté de Dieu. Le second point sera : cette volonté de
Dieu provoque des crises dans les volontés humaines. Et le troisième point est
celui-ci : saint Paul, dans la seconde lecture d’aujourd’hui, se présente
comme le juif qui sentit cette crise et qui la résolut en faveur du Règne de
Dieu.
Comme Paul, tout homme aujourd’hui
est appelé à résoudre sa crise.
Si, en cette heure de 1978, quelqu’un
ne connaît pas de crises religieuses, ce n’est pas une personne de son temps.
Cela ne m’inquiète pas qu’il y ait des crises. Plusieurs l’ont déjà résolu
comme saint Paul. D’autres ont choisi de les résoudre, comme aurait pu le faire
saint Paul, en haïssant l’Église. Mais regardons tout d’abord quelle est la
pensée de Dieu dans les lectures d’aujourd’hui. Isaïe (55,8-9) :
« Vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes voies ne sont pas vos voies.
Comme les cieux sont élevés au-dessus de la Terre, autant sont élevées mes voix
au-dessus de vos voies. » Et lorsqu’aujourd’hui se déroule la parabole du
Christ, nous Ă©voquons la crise dont il va ĂŞtre victime, dans sa propre vie,
parce que déjà , dans cette section (Mt 20,1-16), on commence la narration de la
passion du Christ. Il dit, face Ă la critique des travailleurs de la vigne que
sa récompense est généreuse, que ce n’est pas comme ils pensent que Lui
rétribue les humains. Parce que vous êtes misérables dans vos calculs, vous
voulez que moi, Dieu, je sois mesquin. Quelle est la pensée de Dieu? Elle est
au-dessus de notre pensée, et bénit soit Dieu! Dieu ne s’identifie pas aux
pensées des êtres humains. Plusieurs voudraient, comme dit la chanson, un Dieu
de poche; un Dieu qui s’accommode de mes idoles; un Dieu qui se contente que je
paie mes ouvriers le moins possible; un Dieu qui approuve mes outrages. Comment
certaines gens peuvent-elles prier ce Dieu, dire le Notre Père, si elles le
traitent comme l’un de leurs serviteurs ou de leurs travailleurs.
Isaïe dit : « Aujourd’hui,
Dieu se laisse rencontrer. Recherchez Dieu pendant qu’on peut le rencontrer.
C’est un Dieu qui s’approche pour que nous l’invoquions. C’est un Dieu qui
offre sa piété, riche en pardon. » Chers frères pécheurs, moi, le plus
pécheur d’entre vous tous, je voudrais vous communiquer cette espérance et
cette joie que je ressens dans ma misère, lorsque je pense que le Dieu que
j’adore, est un Dieu qui m’appelle à sa piété, qui est riche en pardon. Pour
cela, j’essaie de m’approcher de Lui, non pas avec arrogance ni en voulant
qu’Il s’abaisse à mes misères, mais en tâchant de me repentir de mes péchés et
appelant à tous pour qu’ils Le cherchent. Comme dit Isaïe (55,6)
aujourd’hui : « Cherchez Yahvé pendant qu’il se laisse trouver,
invoquez-le pendant qu’Il est proche. » Viendra un moment où il sera trop
tard, et je ne voudrai pas qu’en cette heure du jugement de Dieu, qui sera
terrible pour ceux qui ne L’auront pas recherché, alors qu’on pouvait encore le
trouver. » 24/09/78, p.204-206, V.
Dans l’Évangile d’aujourd’hui (Mt
20,1-16), Dieu apparaît en prenant l’initiative. Il sort à la recherche de travailleurs.
Frères, vous croyez que ceux qui sont ici dans la cathédrale le sont de leur
propre initiative? Cela est certain, parce que nous sommes libres et personne
n’est venu ici de force. C’est cela la délicatesse de Dieu qui me fit libre et
qui, derrière ma liberté, me donne sa grâce, son attirance afin que j’utilise
cette liberté pour le rechercher. Mais l’initiative de venir à la messe
provient de Dieu qui m’a donné la liberté et me donne aussi l’attirance de
rechercher le bien. On ne vient pas à l’Église pour célébrer une réunion; on y
vient pour adorer Dieu. On ne vient pas à l’Église par curiosité politique; on
y vient avec piété pour chercher Dieu. Dieu sort à notre rencontre. Pour nous
tous, Il marche à notre rencontre. Il sortit à la première heure, lorsque le
jour commence à paraître, au début de la matinée, à midi, à trois heures de
l’après-midi et jusqu’à la tombée du jour. Il sort à la recherche de
travailleurs : « Venez travailler, qu’est-ce que vous attendez au
milieu de la place – parce que personne n’est venu les chercher – venez, je
vais vous payer le juste salaire. » Car selon le système injuste de
ce temps, le salaire dépendait du bon vouloir du patron. Ce n’est pas de cela
que la parabole fait l’éloge. Ce que la parole désire enseigner, c’est
l’initiative de Dieu, et sa générosité de payer la même chose aux ouvriers de
la dernière heure qu’à ceux qui arrivèrent au début. La récompense de Dieu est
généreuse et ceux qui sont venus à la première heure se fâchent contre Dieu
parce qu’ils se sentent propriétaires de l’Église. Nous, les bons, vous, les
mauvais qui venez à peine d’arriver; nous voudrions qu’à ceux-ci on paie moins
qu’à nous, parce que nous croyons que Dieu est notre débiteur?
Frères, devant ce Dieu qui nous est
révélé, qui même devant le plus grand des pécheurs, à la dernière heure de sa
vie, l’amour avec lequel cet homme retourne à Dieu et le reconnaît –
souvenez-vous du bon larron : Seigneur souviens-toi de moi lorsque tu
seras dans ton Royaume. Le Christ lui répond : aujourd'hui même, tu
entreras avec moi dans le Paradis – combien riche est Dieu en miséricorde et en
pardon. Devant Dieu, nous n’avons aucun privilège ni aucun droit. Si nous
l’avons servi depuis notre plus tendre jeunesse, bénit soit Dieu!, nous avons
fait bon usage de notre vie, mais cela ne nous donne aucun droit Ă nous sentir
propriétaires de l’Église même si nous sommes des évêques, même si nous sommes
des prêtres. Nous pouvons avoir davantage besoin de la miséricorde de Dieu, que
le pécheur qui vient à peine de se convertir et qui par son amour est peut-être
plus proche de Dieu que ceux qui se sentent propriétaires de l’Église.
Dieu est bon. Personne ne peut juger
ses initiatives, faire appel à sa miséricorde, demander comme le bon larron, ne
serait-ce qu’un souvenir de Dieu, car Il me donnera davantage qu’un souvenir.
J’essaie de vous présenter le Dieu de la Bible, le Dieu des lectures
d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’est notre Dieu. Béni soit-Il! Il nous a donné de
connaĂ®tre comment Il appelle Ă toute heure, et, chaque heure, Il est disposĂ© Ă
nous recevoir. Les crimes que nous avons commis n’importent pas. C’est
pourquoi, mes frères, je vous répète ce que je vous ai dit tant de fois, vous
adressant la parole au travers de la radio, Ă ceux qui peut-ĂŞtre sont les
auteurs de tant d’injustices et de violences, à ceux qui ont fait pleurer tant
de foyers, à ceux qui se souillèrent du sang de tant d’assassinats, à ceux qui
ont les mains souillées de tortures, à ceux qui ont fait taire leur conscience.
Ceux qui ne souffrent pas de voir sous leurs bottes un homme humilié,
souffrant, peut-ĂŞtre sur le point de mourir; Ă ceux-lĂ , je leur dis : tes
crimes n’importent pas, ils sont laids, ils sont horribles, tu as outragé la
dignité humaine, mais Dieu t’appelle et te pardonne. Et peut-être qu’ici vient
la répugnance de ceux qui se sentent les ouvriers de la première heure. Comment
puis-je ĂŞtre au ciel avec ces criminels?
Frères, au Ciel il n’y a pas de
criminels. Le plus grand criminel qui s’est repenti de ses péchés est déjà un
fils de Dieu. La
prostituée Marie-Madeleine, lorsqu’elle pleure sur ses
péchés, la société continue de la montrer du doigt : regardez s’Il était
un prophète, Il saurait de qui il s’agit et qui est en train de le toucher;
mais le Christ se retourne pour prendre sa défense, ce n’est déjà plus une
pĂ©cheresse, elle a beaucoup aimĂ©, elle s’est repentie de ses fautes, c’est dĂ©jĂ
sainte Marie-Madeleine. Les péchés du passé ne comptent plus, ils se sont
envolés. C’est pourquoi la justification chrétienne se nomme renaissance. C’est
ce que dit le Christ à Nicodème : si tu ne nais pas de nouveau… Tout homme
qui se repent de ses fautes, laisse comme une coquille vide sa mauvaise vie
passée et comme une chrysalide, le papillon qui naît de nouveau abandonne son
cocon, il est déjà un être nouveau. Il n’a plus rien à voir avec ce qu’il fut
auparavant. Béni soit Dieu! C’est cela la générosité de Dieu. Nous ne pouvons
pas la comprendre, parce que nous savons dire cette chose si cruelle : je
lui pardonne, mais je n’oublie pas. Cela n’est pas chrétien. Dieu pardonne et
oublie.
Quelle est la réaction que produit
cette pensée de Dieu? Le Dieu qui se révèle est si bon, qu’Il rencontre chez
les êtres humains le conflit. La parabole nous dit : « Ils se mirent
à protester contre leur maître. » Un des conflits les plus sérieux de
l’histoire de l’Église, est celui qui affleure aujourd’hui dans l’Évangile de
saint Matthieu, dans cette section, et que saint Paul a eu Ă souffrir dans sa
propre chair. Il s’agit du fait que le Christ avait apporté une nouvelle
religion. Et les Juifs qui vivaient selon l’ancienne religion, enseignée par
Moïse, croyaient qu’il était nécessaire de continuer d’observer les lois
hébraïques; tandis que Paul et ceux qui prêchaient aux Gentils, qui n’étaient
pas Juifs, disaient qu’il n’était pas nécessaire de se faire Juif, d’être
circoncis et de garder les lois de MoĂŻse, mais plutĂ´t de croire dans le Christ,
sans plus.
Ce conflit se reflète aujourd’hui
dans la parabole (Mt 20,1-16). L’objectif de cette parabole des travailleurs de
la vigne reflète la crise du premier christianisme : C’étaient les
pharisiens, les Juifs qui se convertissaient au christianisme, qui se sentaient
les propriétaires de celui-ci parce que la Bible, c’était eux, et le Christ
était le Messie attendu du peuple juif. Ils disaient qu’ils étaient venus
adorer Dieu dès les premières heures du jour. Ils pensaient qu’ils avaient des
droits, au contraire de ces Gentils que saint Paul allait rencontrer en leur
enseignant ce même Christ. Les Juifs convertis les considéraient comme des
chrétiens de second ordre. Saint Paul et la communauté primitive disaient que
c’est uniquement par le Christ que s’obtient le Salut. Les Juifs ne se
sauveront pas pour avoir gardé la loi de Moïse, mais pour leur foi en Jésus-Christ.
Et le Gentil, le païen, se sauve par le Christ. L’un et l’autre n’ont aucun
autre droit que celui de gratitude envers le Christ. C’est ce que résolut la
première communauté, ainsi comme trouve sa solution la parabole
d’aujourd’hui : payant le mĂŞme salaire Ă tous, c’est-Ă -dire leur donnant Ă
connaître le Dieu que je viens de vous présenter; un Dieu qui ne reconnaît pas
de privilèges autres que la sainteté de chaque être humain, peu importe d’où il
provient.
Pour Dieu, les classes sociales n’existent
pas; pour Dieu, les catégories humaines n’existent pas. L’unique catégorie,
c’est de croire au Christ et de vivre conformément à cette foi. L’explication,
nous la découvrons dans la lecture d’aujourd’hui (Is 55,6-9) : « Mes
pensées ne sont pas vos pensées. Serais-tu jaloux parce que je suis bon? »
Le conflit actuel de l’Église apparaît semblable à ceux d’autrefois. Ils se
nomment progressistes ou traditionnels. Il y a ceux qui ont une spiritualité
qui ne se préoccupe que du ciel et pour qui tous les efforts de l’Église sur
cette Terre leur apparaissent être du communisme. Il y en a d’autres qui se
préoccupent des biens de ce monde, mais avec tant d’entrain qu’ils en oublient
la transcendance du Ciel. Les conflits existent encore aujourd’hui. Mais souvenons-nous,
mes frères, que la vocation de l’homme, comme dit le Concile, est terrestre et
céleste. La première lecture (Is 55,6-9) nous donne un cadre pour interpréter
la situation actuelle.
Lorsqu’Isaïe parle de chercher Dieu
pendant que l’on peut encore le faire, il n’oublie pas les choses de la Terre. Au contraire, le
cadre où enseigne Isaïe est celui de la déportation, de l’exclusion de la
patrie où vivait le peuple juif. L’heure du retour arrive et l’exil va se
terminer. Mais Isaïe leur disait qu’il ne suffit pas de retourner à la patrie,
qu’une rénovation morale est nécessaire parce que c’est pour leurs péchés que
Dieu les a punis à être les esclaves d’autres hommes. Pour retourner à la
patrie, la liberté de Dieu, la conversion du cœur est nécessaire.
Vous voyez alors, et vous pouvez
l’étudier dans la Lettre pastorale où je dis qu’un des plus importants services
que l’Église a apporté aux revendications de la Terre, c’est de les incorporer
et de les orienter vers les fins transcendantes de la libération. Une
libération qui oublie ce Dieu que nous devons rechercher; une libération qui ne
tiendrait pas compte de la nécessaire libération du péché ne serait pas la
libĂ©ration de Dieu. Et cela ne servirait Ă rien, disent les Ă©vĂŞques Ă MedellĂn
(pour que vous voyez qu’ils ne sont pas communistes), rien ne servirait de
changer les structures, les gouvernements, les situations, tant que le cœur de
l’homme ne change pas. À quoi sert de manœuvrer de nouvelles structures si
c’est avec un cœur égoïste? Nous n’aurions alors que des hommes nouveaux dans
les mêmes situations anciennes. Ce que l’Église plaide, c’est une rénovation
intérieure, transcendance du regard pour rechercher la véritable liberté. Sans
cette perspective éternelle, divine de Dieu, rien ne sert, ou très peu, les
libérations de la Terre.
Tenons compte de cela pour que vous ne disiez pas après que
nous prĂŞchons le communisme, la lutte des classes; mais ce que nous prĂŞchons,
c’est la rénovation de l’être humain, la transcendance de Dieu, l’amour qui
provient seulement d’en haut, même si cela nous en coûte. 24/09/78, p.206-209,
V.
Ma vie n’a pas d’autre sens. Prêcher
le Christ, l’honorer dans ma vie et dans ma mort. Mon éternité aussi m’attend
pour vivre éternellement avec Lui. Frères, c’est cela la véritable réaction
devant la crise de la foi, devant les situations difficiles. Je vous demande de
lire l’ensemble de cette épître aux Philippiens – seulement cinq chapitres –
parce que saint Paul nous y donne des normes de valeurs, un courage pour
affronter des situations qui s’apparentent aujourd’hui à celles qu’il a vécues.
Aucune lâcheté! Même les chaînes de la prison le réjouissent parce qu’il fait
connaître le Christ à tous les soldats. Comme celui qui dit : Ici, dans la
caserne des militaires, enchaîné, je fais connaître ce Christ auquel je crois.
Et celui qui désire l’entendre – plusieurs militaires se convertirent – parce
que Dieu appelle tous, même celui qui torture. Et le Christ sera la réponse
devant la crise des hommes. Vous n’avez pas rencontré le Christ? Vous ne pouvez
pas être heureux si vous n’avez pas fait la connaissance du Seigneur. C’est
pourquoi, mes frères, vivons la crise de notre Église non pas par lâcheté, mais
pour être fidèles à notre foi, à notre Christ. […]
La Parole de Dieu n’est pas attachée,
disait saint Paul. C’est pourquoi cette Parole est notre force. Croire au
Christ est notre solution. L’aimer, ne pas avoir peur, à cause des hommes, de
la vérité que le Christ nous offre. 24/09/78, p.210, V.