L’Église, communauté prophétique, sacramentelle et d’amour

 

Vingt-troisième dimanche ordinaire; 10 septembre 1978; Lectures : ÉzĂ©quiel 33,7-9; Romains 13,8-10; Matthieu 18,15-20.

 

Très chers frères, les lectures bibliques que nous avons écoutées – non seulement avec une attention humaine, mais avec une véritable foi, parce que c’est la Parole de Dieu –, je suis heureux de vous dire qu’elles correspondent avec le fondement théologique et pastoral de la Lettre pastorale qui ces jours-ci est venue à votre connaissance. Je voudrais que cette Lettre pastorale soit un objet de réflexion dans les communautés, qu’elle soit étudiée attentivement. Néanmoins, nous n’avons pas pu répondre à la demande de cette semaine avec l’édition que nous avions annoncée, mais dès les premiers jours de la semaine prochaine nous aurons la nouvelle édition. D’autre part, dans l’hebdomadaire Orientación qu’aujourd’hui nous distribuons, apparaît le texte intégral de la Lettre pastorale. Lorsque cela vous apparaîtra opportun lors de vos réunions, en famille ou en petits groupes, étudiez-la et vous verrez comment l’idée centrale présente l’identité de l’Église, c’est-à-dire la nature et la mission authentique de l’Église fondée par le Christ. Celles-ci sont basées précisément sur cette Parole de Dieu que nous allons réfléchir à la lumière des textes bibliques. C’est une nature et une mission que l’Église doit garder bien claires à l’esprit des catholiques, de ceux qui la forment. À partir de là, ayant une idée précise, claire et nette, de ce qu’est l’Église, nous pourrons apporter notre aide, sans peur, au monde avec tous ses problèmes. C’est pour cela qu’existe l’Église, ce pourquoi le Christ l’a fondée, non pas pour se préserver et se conserver elle-même, sinon qu’en se conservant, elle serve le monde.

 

Les relations de l’Église avec les organisations populaires sont le thème de la Lettre pastorale. C’est un service que l’Église doit apporter aux organisations politiques de paysans et d’ouvriers, à tous les hommes qui veulent s’organiser avec l’idéal d’un monde, d’une patrie meilleure. L’Église agirait mal en se refermant sur elle-même, avec son trésor de doctrine, avec sa force morale en ne tentant pas de répondre, depuis la Parole de Dieu, aux questions angoissantes du monde actuel, de notre patrie actuelle. Nous l’avons répété à plusieurs reprises, l’Église n’est pas une organisation populaire. Dans cette Lettre pastorale, nous disons que l’Église, sans s’identifier à ces organisations, leur rend un service irremplaçable. En premier lieu, c’est au sein de leur communauté ecclésiale que plusieurs chrétiens prirent conscience des exigences de l’Évangile et de la justice chrétienne pour construire un monde juste. De sorte que l’Église n’a aucunement honte que de ses communautés soient sortis des hommes et des femmes inquiètes socialement et politiquement. Le Concile lui-même rappelle qu’un des devoirs les plus graves de l’heure actuelle est l’éducation civique et politique, et que les hommes qui possèdent la capacité pour cet art noble qu’est la politique se cultivent et s’y préparent. L’Église n’a pas honte de dire qu’à l’origine de plusieurs politiciens et de plusieurs groupes ou organisations, on retrouve une réflexion sur la Parole de Dieu. Mais l’Église demeure authentique, comme le foyer, comme la mère lorsqu’elle a fini d’élever ses enfants et qu’ils s’en vont. Elle sait avec joie qu’elle leur a donné cette conscience, cette responsabilité et que ses fils et ses filles iront dans le monde à la recherche d’options concrètes desquelles ils seront responsables.

 

C’est également à partir de cette identité d’Église, sans se confondre avec les organisations populaires, qu’elle défend le droit d’organisation. C’est un droit humain. Personne ne peut empêcher un homme de s’organiser avec qui il veut, à condition que les fins qu’il recherche soient honnêtes et bonnes, qu’elles soient pour survivre ou pour avoir du pain sur la table de son foyer, pour améliorer ses conditions de vie. L’Église défend et elle l’a fait grâce à Dieu, ce droit d’organisation. Un autre service irremplaçable de l’Église – que nous défendons dans notre Lettre pastorale – est l’appui aux justes revendications de quelques organisations qu’elles proviennent. Il n’est pas nécessaire que cette organisation soit explicitement chrétienne. Il suffit qu’une organisation poursuive une juste fin. L’Église l’appuie parce que son devoir est de défendre la justice du Règne de Dieu et s’il y a un reflet du Règne de Dieu dans un groupe humain, l’Église sait que là se trouve Dieu qui lui demande son engagement pour défendre la justice qui s’y retrouve. Tout comme, un autre service de l’Église qu’elle est l’unique à pouvoir dire à partir de l’Évangile, l’Église a le devoir et le droit de dénoncer l’injustice, le mal et le péché qui se trouvent dans n’importe quelle organisation, même si celle-ci se dit chrétienne. L’Église n’est pas engagée avec aucune d’elles afin de pouvoir leur dire ce qui est mauvais dans leurs actions, ce qui est péché, ce qui doit être dénoncé et répudié. Grâce à Dieu, l’Église le fait. Ici dans l’archidiocèse, elle a fait son devoir de défendre la justice et de dénoncer l’injustice. Mais pour pouvoir rendre ce service, surtout celui d’incorporer les inquiétudes des hommes qui recherchent la justice, qui revendiquent sur la Terre, l’Église doit les incorporer à la grande libération du Christ, à la grande Rédemption. 10/09/78, p.173-175, V.

 

L’Église dit à tous les hommes et à toutes les organisations qui poursuivent une noble et juste fin, que cela est bon, mais que cela ne suffit pas, il faut l’incorporer à la Rédemption chrétienne. Si tu ne te libères pas du péché que le Christ est venu rompre – les chaînes du péché –, si tu ne t’élèves pas jusqu’à devenir enfant de Dieu par la grâce et la sainteté, si ta libération se passe du Christ et qu’elle se fie seulement aux idéologies de la Terre, ta libération ne sera pas complète. Je veux te servir, en te conduisant par la main à la véritable Rédemption, vers ton véritable destin, vers la vocation intégrale de l’être humain. C’est cela, le grand service de l’Église, et c’est pour cela, pour pouvoir prêter ce service, pour pouvoir avoir ces relations avec les organisations populaires, avec les groupes humains que l’Église doit être maîtresse d’elle-même, de son identité. Comme un médecin – Paul VI utilise cette comparaison dans sa première encyclique Ecclesiam Suam – qui va soigner une zone infectée, pour ne pas être contaminé, il s’immunise sinon il tombera malade lui aussi. À quoi servirait un médecin malade pour les malades? C’est pourquoi il s’immunise tout comme l’Église le fait avec sa propre identité. C’est pour cela que l’Église ne peut se confondre avec aucune idéologie ou organisation de la Terre pour pouvoir leur rendre son service d’Église. Tout comme le médecin donne son véritable service de soigner les malades en s’immunisant lui-même contre la maladie. Je ne dis pas que toutes les organisations sont malades, mais il s’agit d’une comparaison pour vous dire comment l’Église, en rendant ces services, doit premièrement bien définir quelle est sa mission. 10/09/78, p.175, V.

 

C’est cela l’Église! Un groupe d’hommes et de femmes qui s’alimentent de la Parole de Dieu. Qui s’alimentent de l’Eucharistie, comme vous qui êtes venus à la messe aujourd’hui, c’est cela l’Église! Ici dans l’église le dimanche, celui qui m’a écouté avec sincérité, sans préjugé, sans haine, sans méchanceté, sans intention de défendre ce qui ne peut l’être, celui qui m’a entendu ici, ne peut pas dire que je fais des sermons politiques ou subversifs, tout cela c’est de la calomnie, rien de plus. Ils m’écoutent en ce moment ceux-là et je répète ce que j’ai toujours dit. Ce que je dis depuis l’ambon de la cathédrale c’est ce qu’est l’Église. Et depuis cette Église, appuyer le bon, le féliciter, l’encourager, consoler les victimes des outrages, des injustices et aussi avec vaillance dénoncer les abus, les tortures, les disparitions, l’injustice sociale, cela ce n’est pas faire de la politique. Cela se nomme construire l’Église et accomplir son devoir à partir de sa propre identité. J’ai la conscience bien tranquille et je fais appel à tous les chrétiens afin que nous construisions la véritable Église. C’est à cela que nous invite la Parole que nous avons lue aujourd’hui.

 

L’Évangile de saint Matthieu (18,15-20) est celui qui nous donne le thème pour toute cette année. Ne négligeons pas cette pensée. Chaque dimanche, nous lisons un morceau de l’Évangile de saint Matthieu, et pour mieux le comprendre nous éclairons cette idée à partir de l’Ancien Testament. Aujourd’hui, c’est Ézéquiel (33,7-9) qui illumine merveilleusement le problème que Jésus-Christ traite dans l’évangile de Matthieu et dans les épîtres des apôtres, qui apparaissent comme les déductions directes du magistère du Christ à titre de comparaisons. L’Évangile est éclairé par l’Ancien Testament, il est commenté par les épîtres des apôtres et il arrive jusqu’à nous pour nous donner l’idée de ce qu’est l’Église de l’archidiocèse de San Salvador en 1978. Il s’agit de la même Église que le Christ a annoncée dans son Évangile, l’Église que les prophètes annoncèrent et que les apôtres enseignèrent aux premiers chrétiens.

 

C’est l’immense honneur que je ressens. C’est pourquoi je suis heureux que prĂ©vale une atmosphère positive lors de mes prĂ©dications et que cette parole soit Ă©coutĂ©e avec le dĂ©sir sincère de connaĂ®tre et de construire parmi nous la vĂ©ritable Église du Christ, en 1978, ici au Salvador. Je vous disais – et cela me fait très plaisir de savoir que plusieurs qui entendirent cela rĂ©clament le schĂ©ma de l’Évangile de saint Matthieu qui est la lecture de cette annĂ©e – ne vous attendez pas Ă  recevoir un livre, il s’agit d’un schĂ©ma, d’une feuille simplement. Ă€ ceux qui dĂ©tiennent une Bible de JĂ©rusalem, je les avise que ce schĂ©ma s’y trouve, au dĂ©but des Évangiles oĂą il est Ă©crit : Introduction aux Évangiles synoptiques. Cherchez-y l’Évangile de saint Matthieu et vous y trouverez ce prĂ©cieux commentaire qui dit que cet Évangile apparaĂ®t comme un drame en sept actes sur la venue du Règne de Dieu. Il y est dĂ©crit et indiquĂ© les chapitres qui correspondent Ă  chaque partie, Ă  chaque acte, de ce prĂ©cieux drame. Lorsqu’il parle du cinquième acte, du chapitre 16 Ă  18 de l’Évangile de saint Matthieu, on parle des commencements du Règne de Dieu sur la Terre, dans un groupe de disciples qui a Pierre comme chef. Les prĂ©mices de l’Église dont les règles de vie se dessinent dans le discours communautaire. Aujourd’hui prĂ©cisĂ©ment, le passage du chapitre 18 fait partie du discours du Christ sur la communautĂ©.

 

Rappelez-vous que l’Évangile, davantage qu’une biographie du Christ, est la réflexion des premières communautés sur les enseignements du Christ, et que les apôtres écrivirent comme fruit de ces réflexions les discours dont ils se souvenaient du Christ, mais après les avoir médités en communauté. Il est intéressant de savoir que ce chapitre 18 est le fruit de la première communauté chrétienne et qu’il nous indique comment était l’Église qui germait à sa source, du Christ qui l’avait récemment créé. On parle ici de l’humilité que doivent avoir ses pasteurs. Les apôtres discutaient pour savoir qui était le plus grand – le débat hiérarchique de toujours – et le Christ leur dit non, ici celui qui désire être grand devra devenir comme un enfant, serviteurs de tous. L’autorité dans l’Église n’est pas de commander, c’est de servir et celui qui ne devient pas comme un enfant dans le christianisme, ne pourra entrer au Règne des Cieux.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) L’Église, une communauté prophétique

2) L’Église, une communauté sacramentelle

3) L’Église, une communauté d’amour. C’est cela l’Église. Ce sont là les trois caractéristiques qui sont comme le résumé de nos trois lectures.

 

 

1) L’Église, une communauté prophétique

 

Je dis en premier lieu que l’Église que le Christ voulut, c’est une communautĂ© prophĂ©tique. Le Concile dit, en commentant cette pensĂ©e (L. G.12) : « Le saint Peuple de Dieu, participe Ă  la fonction prophĂ©tique du Christ en diffusant son tĂ©moignage vivant dans sa vie de foi et de charitĂ©. Â» Voyez-vous tous, vous ĂŞtes le peuple prophĂ©tique, un peuple que Dieu a organisĂ© pour rĂ©pandre le tĂ©moignage vivant de sa doctrine. Ce mĂŞme Concile, lorsqu’il parle du mariage des laĂŻcs, dit que la vie de famille est une situation propice pour dĂ©velopper ce sens prophĂ©tique du Peuple de Dieu, parce qu’en vivant saintement, les Ă©poux en relation avec leurs enfants, sont comme une petite Église et qu’à partir d’elle, avec leurs vertus, ils animent la saintetĂ© de la sociĂ©tĂ©, ainsi comme elle reproche le mal, l’injustice et ce qu’il y a de pernicieux en ce monde. Il n’existe pas de reproche plus grand pour une sociĂ©tĂ© pĂ©cheresse qu’une famille sainte. Un appel, de la part du Peuple de Dieu, de la part de la Parole divine pour tous ceux qui participent Ă  cette rĂ©flexion, membres d’une famille, nous vous proposons de faire de votre foyer, des relations des Ă©poux entre eux et avec vos enfants, un modèle, un tĂ©moignage d’amour, de saintetĂ©, de justice, de charitĂ© au sein de ce monde Ă©goĂŻste, pĂ©cheur et violent.

 

Il n’y a rien de plus nĂ©cessaire en cette heure de violence et de terrorisme que les foyers saints qui transpirent l’amour. La mission prophĂ©tique est une obligation de Dieu. C’est pour cela que, lorsqu’avec un ton ironique on me dit que je me prends pour un prophète, je leur dis : « BĂ©ni soit Dieu! Â» Et toi aussi tu dois l’être parce que tout chrĂ©tien, tout le Peuple de Dieu, toutes les familles doivent dĂ©velopper un sens prophĂ©tique pour donner un sens Ă  la mission de Dieu en ce monde. Porter une prĂ©sence divine qui rĂ©clame justice et qui rejette le pĂ©chĂ©. Supposons, dit Paul VI dans son exhortation sur l’ÉvangĂ©lisation du monde actuel, qu’un groupe de chrĂ©tiens se proposent de vivre avec l’authenticitĂ© de l’Évangile dans lequel ils croient. Ce groupe est dĂ©jĂ  en soi une interrogation pour le monde. Quelle classe de gens est-ce cela, qu’espèrent-ils, qu’aiment-ils, qui sont-ils? Et c’est lĂ  que commence le christianisme. LĂ , Ă  JĂ©rusalem, nous dit le livre des Actes des ApĂ´tres, ils s’unissaient pour vivre, et le peuple remarquait Ă  quel point ils s’aimaient et ils louaient Dieu. La communautĂ© oĂą il n’existe pas d’inĂ©galitĂ©s sociales, oĂą celui qui possède partage avec celui qui n’en a pas et oĂą personne n’avait honte d’être pauvre, ni personne ne s’enorgueillit d’être riche. C’est cela le tĂ©moignage de la charitĂ© et de l’amour, la communautĂ© prophĂ©tique annonçait par sa seule prĂ©sence ce que Dieu attendait des humains lorsqu’Il les a crĂ©Ă©s comme des ĂŞtres sociaux.

 

C’est ce que nous dĂ©couvrons dans les lectures d’aujourd’hui. La première lecture est merveilleuse – ÉzĂ©quiel (33, 7-9). Il paraĂ®t que peu d’hommes ont pĂ©nĂ©trĂ© autant le mystère de Dieu comme ce prophète, au point que cela semble anormal. Voyez comment prendre quelqu’un pour un fou constitue une ignominie. Le prophète ÉzĂ©quiel Ă©tait considĂ©rĂ© comme fou, il s’était tant avancĂ© dans le monde de Dieu que les hommes le considĂ©raient anormal. Qui sont les anormaux, ceux qui se sont tant Ă©loignĂ©s de Dieu que ceux qui le recherchent leur semblent anormaux, ou bien ceux qui fondent le centre de leur vie en Dieu? Ainsi, ce prophète ÉzĂ©quiel, fou pour le monde, prĂŞche ce grand mystère, cette parabole que nous avons Ă©coutĂ©e aujourd’hui. Le chapitre 33 d’ÉzĂ©quiel est peut-ĂŞtre une des descriptions les plus belles de la mission prophĂ©tique que Dieu a voulue pour les hommes. La parabole est la suivante : « Si Dieu permet la guerre contre un peuple, ce peuple nomme des sentinelles qui veillent pour observer quand l’ennemi s’approche. Et lorsqu’il s’approche, ils sonnent le cor. Et dans la ville on entend la trompette.

 

Celui qui entend la trompette et se prĂ©pare Ă  se dĂ©fendre ne mourra pas, comme non plus ne mourra pas la sentinelle parce qu’elle accomplit son devoir. Mais celui qui entend la sentinelle sans en tenir compte mourra parce que la sentinelle a rempli sa tâche. Â» Si, au contraire, dit la parabole : La sentinelle nĂ©glige d’accomplir son devoir, en ne sonnant pas la trompette, l’ennemi rentre et ceux qui s’y Ă©taient prĂ©parĂ©s ne seront pas vaincus, mais la sentinelle est responsable de sa nĂ©gligence et par la faute de la sentinelle mourront Ă©galement d’autres qui ne s’y Ă©taient pas prĂ©parĂ©s. Tous sont condamnĂ©s : la sentinelle et le peuple. Ensuite, le prophète applique cela Ă  sa propre mission : « Je suis la sentinelle. Â» Le prophète est une sentinelle, une vigile et, lorsque Dieu dit : « maudits, convertissez-vous Â», le prophète doit ĂŞtre la trompette de Dieu pour dire : « maudits, convertissez-vous Â». Et si le maudit ne se convertit pas, il se perdra, mais le prophète sauve sa responsabilitĂ©. Mais si le prophète ne crie pas, le maudit se perdra par sa faute. Mais moi, dit Dieu, je demanderai Ă©galement des comptes au prophète parce qu’il n’a pas proclamĂ©, qu’il ne fut pas une trompette ni une vigile. 10/09/78, p.177-178, V.

 

C’est cette mĂŞme parabole que nous rencontrons dans l’Évangile (Mt 18, 15-20) d’aujourd’hui, oĂą le Christ dit : « Si ton frère vient Ă  pĂ©cher, va le trouver et reprends-le, seul Ă  seul. S’il t’écoute, tu auras gagnĂ© ton frère. S’il n’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres tĂ©moins, pour que toute l’affaire soit dĂ©cidĂ©e sur la parole de deux ou trois tĂ©moins. Que s’il refuse de les Ă©couter, dis-le Ă  la communautĂ©. Et s’il refuse d’écouter mĂŞme la communautĂ© qu’il soit pour toi comme le paĂŻen et le publicain. Â» Dans le langage du Christ, ces paroles signifient qu’il soit excommuniĂ©, qu’il n’appartient plus Ă  cette communautĂ© Ă  cause de son obstination.

 

Ici, nous avons l’explication que l’Église possède une mission prophĂ©tique. Pourquoi un prophète doit-il intervenir entre Dieu et le mĂ©chant? Pourquoi une communautĂ© est-elle appelĂ©e comme tĂ©moin? Parce que s’il n’écoute pas la communautĂ© il sera mis dehors. Nous avons ici deux grandes explications que vous devriez prendre en compte. La première concerne l’existence du pĂ©chĂ© social. La lecture biblique d’aujourd’hui l’a bien dit : « Le mĂ©chant se perdra par sa faute Â», mais elle mentionne aussi la coresponsabilitĂ© du prophète qui n’annonce pas. Tout homme qui laisse passer les injustices, surtout s’il peut les Ă©viter, toute famille qui se conforme dans l’égoĂŻsme et ne met pas le sens chrĂ©tien dans sa vie, tout foyer qui ne se sanctifie pas comme Dieu le veut et qui vit dans le pĂ©chĂ©, s’est contaminĂ©, s’est fait complices du pĂ©chĂ© social. Ă€ tel point que dans un pays comme le Salvador on a dĂ©crĂ©tĂ© une loi pour conserver l’ordre. Quel ordre? L’ordre de l’injustice, que l’on ne doit pas toucher afin que se maintienne telle quelle cette situation que l’on ne peut dĂ©noncer, car ce serait lĂ  faire de la politique. C’est cela le Salvador, le pĂ©chĂ© institutionnalisĂ© que dĂ©crit MedellĂ­n. [Interrompu par de forts applaudissements.] Votre attitude dĂ©montre que vous ĂŞtes d’accord avec le fait que l’Église ne peut se taire. Ses pasteurs doivent parler. Nous devons tous ĂŞtre un peuple prophĂ©tique, appelĂ© par l’intention du prophĂ©tisme.

 

ÉzĂ©quiel, si vous continuez de lire plus avant le chapitre 33, dit aux fils d’IsraĂ«l, Ă  ses paysans : « Ne soyez pas pessimistes, vous avez dit que Dieu nous a abandonnĂ©s Ă  cause de nos pĂ©chĂ©s. Qui pourra nous sauver? Le prophète Ă©lève l’esprit et dit : « Dieu aussi dit : Je ne dĂ©sire pas la mort du pĂ©cheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Je suis un Dieu de pardon, je suis un Dieu qui veut le juste, je suis un Dieu qui rĂ©clame et qui punit, mais je suis aussi un Dieu qui est disposĂ© au pardon. Â» Et ici, j’aimerais invoquer le souvenir de vous tous qui avez eu la bontĂ© de suivre mes rĂ©flexions depuis plus d’une annĂ©e. Chaque fois qu’il y a eu un outrage, chaque fois que nous avons dĂ©noncĂ© quelque chose, nous terminions par un appel Ă  la conversion. Convertissez-vous, pĂ©cheur! Lorsqu’ici en cathĂ©drale nous cĂ©lĂ©brions les funĂ©railles du Père Grande – assassinĂ© – nous disions : « Grâce Ă  Dieu ceux qui l’assassinèrent nous Ă©coute depuis leur repère d’assassin et je leur dis : « Convertissez-vous, le Seigneur vous aime, Il vous attend! Â» Jamais la haine ou le ressentiment n’est prĂ©sent dans la dĂ©nonciation des prophètes. Le peuple prophĂ©tique de Dieu ne peut pas haĂŻr, il doit aimer. Le peuple prophĂ©tique, comme dit l’Évangile d’aujourd’hui, recherche celui qui est dans l’erreur pour le gagner au Seigneur, et le prophète qui parle du châtiment de la sentinelle nĂ©gligente, fait aussi l’éloge de Dieu qui appelle Ă  la conversion.

 

C’est pourquoi, très chers frères, surtout vous, mes frères qui me haïssez, vous qui croyez que je prêche la violence et qui me calomniez en sachant que cela est faux, vous qui avez les mains tachées de crimes, de tortures, d’outrages et d’injustices, convertissez-vous, je vous aime beaucoup, cela me fait de la peine parce que vous marchez sur des chemins de perdition. 10/09/78, p.176, V.

 

 

2) L’Église, une communauté sacramentelle

 

Toute cette mission de l’Église, entre les intérêts de la Terre – nous le disions dans notre Lettre pastorale –, n’est pas pour se perdre parmi les choses de la Terre, parce qu’alors, dit le Pape, l’Église perdrait toute sa force. L’Église n’annoncerait pas la véritable libération de Dieu, en comprenant les revendications des pauvres qui réclament du pain, des analphabètes qui demandent l’accès à l’éducation, des pauvres dans la misère, l’Église deviendrait elle aussi une misérable, mais sans donner l’espérance du pardon et de la Rédemption. C’est précisément pour cela que l’Église porte une mission transcendante, elle ne doit jamais oublier sa vision de Dieu et c’est là que se trouve le signe de la communauté. Soyez donc des communautés qui luttent pour de justes revendications sans jamais oublier l’unique chose qui puisse nous donner la force et l’inspiration qui est Dieu.

 

L’Évangile de ce matin nous donne la règle. Que dit le Christ lui-mĂŞme? Chaque fois que deux ou trois seront rĂ©unis en mon nom, lĂ  Je serai prĂ©sent au milieu d’eux. Grâce Ă  Dieu parce que lĂ  oĂą il y a une communautĂ© qui se met Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  ta Parole, avec une sincĂ©ritĂ© religieuse, lĂ  Tu te fais prĂ©sent, Christ bĂ©ni, LibĂ©rateur des hommes. Comment ne me remplirai-je pas le cĹ“ur d’allĂ©gresse Ă  la vision d’une Église oĂą fleurissent les communautĂ©s ecclĂ©siales de base? Et je vais demander Ă  mes prĂŞtres qu’ils fassent fleurir partout des communautĂ©s : dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques, dans les communes rurales, dans les familles. Parce que lĂ  oĂą deux ou trois s’assemblent, lĂ  se trouve mon signe sacramentel. Ici, ce matin, en cette cathĂ©drale se trouve cette prĂ©sence du Christ. Le protagoniste de ce matin est le Christ Notre Seigneur. Il nous donne son tĂ©moignage, non pas uniquement dans l’hostie consacrĂ©e, mais aussi vous tous et moi qui formons une communautĂ©, et lĂ  oĂą un groupe de chrĂ©tiens se rĂ©unit autour d’un appareil radio, qui mĂ©dite cette Parole, comme Parole de Dieu, lĂ  se trouve le Christ, ici est le Christ. BĂ©ni soit Dieu! Nous ne marchons pas seuls.

 

C’est pourquoi la communautĂ© ecclĂ©siale est sacramentelle. Qu’est-ce qu’un sacrement? C’est un signe visible d’une rĂ©alitĂ© invisible. Le visible ce sont vos visages, le salut affectueux que nous nous donnons Ă  la sortie, tout cela c’est la communautĂ© visible. Mais l’invisible, le visage que nous ne voyons pas, mais dans lequel nous croyons et que nous dĂ©couvrons dans le visage de chacun de nous : le Christ Notre Seigneur. Il existe une autre rĂ©alitĂ© dans cette communautĂ© sacramentelle, lorsque le Christ dit : « Quand deux de vous se mettront d’accord pour demander quelque chose Ă  mon Père, mon Père qui est au ciel vous l’accordera. Â» Quelle chose plus belle qu’une communautĂ©, signe de la volontĂ© de Dieu, parce que Dieu seul concède ce qu’on lui demande, selon sa volontĂ©. Et la volontĂ© de Dieu, lorsqu’on y rĂ©flĂ©chit en communautĂ©, est distincte de ce que plusieurs dĂ©siraient qu’elle soit. Certains voudraient que le pauvre dise toujours que c’est la volontĂ© de Dieu qu’il vive ainsi, mais ce n’est pas sa volontĂ© que certains aient tout et que d’autres n’aient rien. Cela ne peut ĂŞtre sa volontĂ©. La volontĂ© de Dieu est que tous ses fils et ses filles soient heureux. Lorsque deux ou trois se mettent d’accord pour demander Ă  Dieu, Dieu leur concède. C’est la communautĂ© de l’amour. La volontĂ© qui s’unifie en Dieu. Qu’il est merveilleux de savoir que ce matin, notre prière, notre messe seront aussi entendues de Dieu parce que nous sommes plus de deux. La cathĂ©drale est pleine pour demander au Père uni au Christ, ce dont notre sociĂ©tĂ© a besoin. Faisons de notre messe dominicale une heure d’espĂ©rance.

 

En troisième lieu, la prĂ©sence d’un Dieu que l’on accepte ou que l’on rejette. Si après avoir appelĂ© Ă  l’ordre le pĂ©cheur, toi seul ou avec des tĂ©moins, et qu’il n’en tienne pas compte, dis-le Ă  la communautĂ©, et si la communautĂ© ne parvient pas Ă  lui faire changer d’attitudes, qu’il soit considĂ©rĂ© comme excommuniĂ©, comme sĂ©parĂ©. C’est ici que prend son sens cette parole Ă  Pierre : « Tout ce que tu lieras sur Terre, demeurera lier au Ciel. Â» Retenez bien ceci, qui est une des prĂ©rogatives du Pape, mais qui ne lui est pas exclusive. Dieu l’a donnĂ© Ă  tout le Peuple de Dieu, mais le Pape est l’expression maximum de ce privilège. Ă€ Pierre il lui dit en un sens exclusif : « Ce que tu lieras sur Terre le demeurera dans le Ciel. Â» Et maintenant, Il dit Ă  la communautĂ© : ce que vous et votre pasteur considĂ©rez comme une erreur, cette erreur, l’infaillibilitĂ©, le jugement sera prononcĂ© par le Pape. Mais c’est tout le Peuple de Dieu Ă©galement qui jouit de cette prĂ©rogative lorsqu’il est en communion – communautĂ© – avec ses pasteurs. Nous devons tenir bien compte de cela pour savoir qu’en chaque diocèse, l’ÉvĂŞque, en communion avec le Pape, est le signe de l’unitĂ©, de la vĂ©ritĂ©. 10/09/78, p.180-181, V.

 

 

3) L’Église, une communauté d’amour

 

Et finalement, chers frères, j’aimerais vous dire un petit mot sur la seconde lecture d’aujourd’hui (Rm 13,8-10), pour dire que la communautĂ© qu’est l’Église est une communautĂ© d’amour. Lorsque le Concile dit joliment en parlant du Peuple de Dieu : « Les caractĂ©ristiques de ce Peuple sont qu’il a pour tĂŞte le Christ RĂ©dempteur, comme condition la dignitĂ© et la libertĂ© des enfants de Dieu. Il a pour loi le commandement nouveau de l’amour comme le Christ lui-mĂŞme nous aima. Il a comme fin la dilatation toujours plus grande du Règne de Dieu sur la Terre. Â» On ne pourrait pas le dire avec de plus belles paroles, l’identitĂ© de notre Église se caractĂ©rise par l’amour. Nous dirions comme la constitution qui doit ĂŞtre respectĂ©e au Salvador, parce que c’est l’âme de la nationalitĂ©. La Constitution des chrĂ©tiens tient en un seul mot : l’amour.

C’est pourquoi dit saint Paul, celui qui agit avec amour, accomplit toute la loi, parce qu’il ne volera pas, qu’il ne tuera pas et qu’il ne fera pas de mal aux autres. Tout cela est compris dans une seule parole : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mĂŞme. Â» Si nous vivions l’amour envers notre prochain, le terrorisme n’existerait pas, ni la rĂ©pression, ni l’égoĂŻsme, ni les inĂ©galitĂ©s si cruelles de la sociĂ©tĂ©, ni les sĂ©questrations, ni les crimes. L’amour est la synthèse de la loi. Non seulement sa synthèse, il est ce qui donne un sens chrĂ©tien Ă  toutes les relations humaines. C’est pourquoi mĂŞme ceux qui se nomment athĂ©es, lorsqu’ils sont humains, accomplissent l’essence de la relation que Dieu veut entre les hommes : l’amour. L’amour remplit tous les devoirs humains. Sans l’amour la justice n’est rien d’autre qu’une Ă©pĂ©e. Mais avec amour, la justice elle-mĂŞme devient une accolade de frères. Sans amour les lois sont difficiles, rĂ©pressives, cruelles, policières. Mais s’il y avait de l’amour, les corps de sĂ©curitĂ© deviendraient superflus, les tortures n’existeraient plus, ni les prisons, il n’y aurait plus d’entrain pour frapper. Très chers frères, c’est cela l’Église.

 

C’est pourquoi cette communauté prophétique, cette communauté sacramentelle, cette communauté d’amour est celle que nous devons construire. C’est là l’essentiel de ma prédication.

Mais cela demeurerait une prĂ©dication thĂ©orique, si nous ne tentions pas d’envisager Ă  partir de notre intĂ©rioritĂ© d’Église, notre extĂ©rioritĂ© : la rĂ©alitĂ© oĂą doit se dĂ©velopper notre mission afin de voir si nous rĂ©alisons vraiment notre Église prophĂ©tique, notre Église sacramentelle, notre Église d’amour. 10/09/78, p.181-182 V.