Le Ressuscité vit dans son Église
Deuxième dimanche de Pâques; 2 avril
1978; Lectures : Actes 2,42-47; I Pierre 1,3-9; Jean 20,19-31.
Le contexte concret du christianisme
MĂ©diter la Parole de Dieu les
dimanches n’est pas une simple pratique spirituelle, c’est que les événements
concrets de l’histoire, dans la vie de notre peuple qui vit des circonstances
comme celle de San Pedro Perulapán, c’est le cadre concret du christianisme.
C’est là où le chrétien doit être le sel de la terre, la lumière du monde, que
la vive espérance qu’il porte dans son cœur ne laisse pas éteindre sa foi en
Celui qui est vie et Résurrection. […] Une prédication qui ne tiendrait pas
compte du cadre concret de l’histoire, dont la lumière de l’Évangile
n’éclairerait pas les beautés de la semaine, mais en même temps le laid visage
de notre histoire, ne serait pas l’authentique Évangile de notre Divin Sauveur.
[…]
Une situation tragique
La situation tragique que vit
présentement notre pays est connue de tous, surtout celle de San Pedro
Perulapán où les opérations militaires ont provoqué un nombre élevé de morts,
de blessés, et de disparus, ceux qui ont dû abandonner leur maison ou ceux qui
ont vu la leur détruite. Il s’agit là d’une situation tragique que nous ne
pouvons certainement pas passer sous silence comme pasteurs et sur laquelle
nous devons apporter la lumière qui provient de notre foi chrétienne.
Comme pasteurs qui sommes du Peuple
de Dieu, cette situation nous rappelle en premier lieu la fameuse parabole du
Bon Samaritain qui rencontra un blessé abandonné sur son chemin. Nous aussi
nous rencontrons un peuple qui gît blessé dans de nombreux chemins, ceux qui
souffrent actuellement de cette situation. Cette patrie qui est blessée est
celle qui nous interdit de faire un détour, comme le firent le prêtre et le
LĂ©vite de la parabole, et il est urgent que nous nous approchions, comme le Bon
Samaritain, pour soigner ses blessures.
Frères, la parabole du Christ
condamne l’attitude du prêtre et du Lévite parce qu’il ne suffit pas de porter
des habits ecclésiastiques ou de dire je suis catholique pour être approuvé par
Dieu. La charité avant tout, l’amour au prochain. Même si c’est un évêque, un
prêtre ou un baptisé, s’il n’agit pas selon l’exemple du Bon Samaritain, si
comme les mauvais prêtres de l’Ancien Testament, il fait un détour pour ne pas
voir le corps blessé, pour ne pas toucher à ces choses : « Prudence,
n’offensons pas, doucement! » Alors, nous n’accomplissons pas le
commandement de Dieu. Combien font ce dĂ©tour pour ne pas se retrouver face Ă
face parce qu’ils devraient alors les porter dans leur propre conscience et celle-ci
ne les laissera pas en paix jusqu’à ce qu’ils aient affronté la situation?
L’engagement chrétien est très sérieux et, surtout, notre engagement sacerdotal
et épiscopal nous oblige à sortir à la rencontre du pauvre blessé sur le
chemin. 02/04/78, p.127-129, IV.
La racine véritable de la violence
En pénétrant dans les racines réelles
de la violence, nous voulons rappeler que si on ne crée pas une alternative
sociale et politique dans laquelle les plus pauvres de notre peuple et les
paysans puissent exposer leurs nécessités urgentes et présenter leurs justes
revendications, les poussées de violences vont malheureusement augmenter. Si on
ferme toutes les portes du dialogue aux paysans, si on leur interdit de
s’organiser pour défendre leurs intérêts légitimes, pour manifester
pacifiquement, alors, comme nous l’avons déjà dit, les incidents violents
augmenteront. C’est pourquoi il est urgent de créer un climat social et
politique où les nécessités des paysans puissent être exprimées avec clarté et
liberté.
Frères, le droit d’organisation est
un droit humain, personne ne peut le restreindre. La Constitution pose déjà les
principes de base pour autant que ces organisations ne prétendent pas agir
contre la morale et l’ordre public, mais tout ce qui est de chercher de la
nourriture pour sa famille, un terrain pour semer, faire baisser le prix des
engrais, des insecticides, se préoccuper de ces choses vitales de l’existence
et s’organiser pour ne pas mourir de faim, est un droit. […]
Ce n’est pas l’Église qui sème la
violence, ce qui la sème, ce sont les situations injustes, la situation
d’institutions qui comme les lois injustes ne favorisent qu’un secteur et ne
tiennent pas compte du bien commun, la majorité surtout. Et ici, l’Église ne
pourra pas se taire parce que c’est un droit évangélique que de porter
assistance et un devoir au Père de tous les hommes, qui l’oblige à réclamer aux
hommes la fraternité. 02/04/78, p.131-132, IV.
Il est urgent de transformer les
structures
Mais même s’ils le voulaient, ce dialogue
ne suffirait pas à rétablir la paix désirée si on n’agit pas avec la ferme
volonté de transformer les structures injustes de la société. Seule
cette transformation sera capable d’éliminer les violences oppressives,
répressives ou spontanées. Sinon, comme l’ont dit les évêques
latino-américains, la violence s’institutionnalise et pour cela, les fruits ne
se font pas attendre.
L’Église croit en la paix, mais elle
sait aussi très bien que la paix n’est ni l’absence de violence, ni ne
s’obtient par la violence répressive. La véritable paix s’obtient uniquement
comme fruit de la
justice. Nous voulons croire qu’aucun homme ni aucun
Salvadorien de bonne volonté ne désirent la violence, les luttes entre frères
paysans, les opérations militaires. Combattre la violence en vérité c’est se
mettre à travailler à la tâche exigeante, longue et ardue, de partager
Ă©quitablement entre tous les Salvadoriens les richesses de notre pays, de nos
hommes et de nos femmes. Cela n’est pas du communisme, c’est la justice chrétienne
et indiquer les racines de la violence et exiger de ceux qui peuvent changer,
qu’ils changent, qu’ils fassent un pas significatif vers la construction d’une
véritable patrie, du véritable bien commun. En ne faisant que réprimer de la
sorte par des opérations militaires, on ne fait que semer davantage de
violence. […]
Appel urgent
C’est pourquoi nous lançons un appel
à tous les Salvadoriens de bonne volonté pour qu’ils coopèrent à la
construction de la paix véritable et à la promotion de la justice. Nous
condamnons Ă nouveau la violence des structures et ce type de violences
concrètes qui occasionnent inévitablement une autodéfense violente. Ce n’est ni
par la violence institutionnalisée, ni par celle de la défense qui se venge
pour son propre compte, que nous sortirons de cette spirale de la violence.
Nous faisons appel au bon sens et à la réflexion. Notre
pays ne peut pas continuer ainsi. Il faut surmonter l’indifférence de plusieurs
qui se situent en spectateurs devant cette terrible situation, surtout en
campagne. Il faut combattre l’égoïsme qui se cache chez ceux qui ne veulent pas
céder du leur pour le rendre accessible aux autres. Il nous faut redécouvrir
dans la profondeur évangélique que nous devons servir les majorités pauvres.
[…]
Quel dommage, frères, que sous
prétexte de ne pas nous mêler de politique nous soyons si indifférents!
Plusieurs demeurent les bras croisés et ne font le bien que lorsque cela est
facile et glorieux, parce que cela leur apporte du prestige. Servir, c’est se
sacrifier. 02/04/78, p.132-133, IV
Le Ressuscité vit dans son Église
La RĂ©surrection du Christ est le
titre que l’Église montre au public pour justifier sa prétention d’être un
instrument du Salut du monde. Pourquoi? C’est précisément ce qui apparaît dans
les lectures d’aujourd’hui : le Christ qui revit, insuffle son Esprit dans
son Église naissante : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous
envoie », dit l’Évangile d’aujourd’hui (Jn 20,21) et soufflant, comme le
souffle de la Genèse où Dieu insuffla l’Esprit de vie à cet être de terre, le
Christ qui est Dieu, insuffle toute sa mission de RĂ©demption du monde Ă cet
organisme qu’Il a créé : « Comme mon Père m’a envoyé, Je vous
envoie. »
Plan de l’homélie :
1) Le Christ vit
2) Le Christ vit non seulement dans
le ciel, mais aussi dans sa communauté de croyants sur terre
1) Le Christ vit
Puisse ma pauvre parole parvenir Ă
découvrir cette beauté et que chaque baptisé sente en ce matin de Pâques comme
sa vie est grande, comme l’Église est belle, combien riche est la communauté
même si s’agit de celle du pauvre paysan quand il sent le souffle du
ressuscité : Christ vit.
A) Le Christ vit, Il est présent
Il faut voir dans l’Évangile
l’insistance de ceux qui furent témoins directs comme Thomas qui le toucha, qui
mangea avec Lui. Le Christ insiste dans ses apparitions :
« Touchez-moi, voyez, c’est moi. » Ils doivent manger et ils Lui
donnent un morceau de poisson, Il veut par cela leur démontrer qu’Il n’est pas
un esprit. « Je suis un être de chair et d’os, Je suis le même Jésus
historique qui est passé par les Pâques de la mort et de la Résurrection, qui
vécut incarné sur la terre, Je ne suis plus seulement incarné comme fils de
Marie de Nazareth maintenant en tant que Fils de la RĂ©surrection, Je suis Fils
de Dieu avec une chair qui peut devenir la chair de tous les peuples et de tous
les temps. J’incorporerai les Salvadoriens d’hier, d’aujourd’hui et de demain,
Je suis le Christ salvadorien. » Le Christ vit au Salvador, le Christ vit
au Guatemala, le Christ vit en Afrique. Le Christ historique, Dieu fait homme,
vit toutes les années de l’histoire et dans tous les peuples de la géographie. C’est
cela la caractéristique de ce Christ vivant et présent. […]
Christ, Seigneur et Dieu
C’est lui qui a apporté une mission
de Rédemption. Comme apparaît merveilleux le Salut du Christ ressuscité. Il
apparaît trois fois dans l’Évangile d’aujourd’hui (Jn 20, 19-31) :
« La paix soit avec vous », c’est son présent : la paix. C’est pour cela
qu’un peuple où la paix est massacrée, c’est triste à dire, mais ce n’est pas
un peuple chrétien. Le Salvador appartient à cette zone réprimée où le salut de
paix sonne comme un sarcasme, c’est l’Antéchrist.
B) Le Christ qui doit venir
Saint Pierre dit : « Il
vaut la peine de souffrir parce que nous attendons son Retour, quand cette foi
qui n’est qu’une pousse va culminer avec le grand événement du Salut. »
Ceux qui sont sensibles au Salut et qui sentent aujourd’hui que ce Salut du
Christ ne peut faire abstraction de cette libération de la terre, de la
politique, de l’économie, du social, tiennent compte que l’Église non plus ne
peut faire abstraction de cette libération de la terre, mais elle veut lui
donner une perspective d’espérance dans le Christ qui doit venir pour remettre
les choses à leur place et faire de l’histoire une offrande à Dieu. 02/04/78,
p.135-137, IV.
2) Le Christ vit non seulement dans
le ciel, mais aussi dans sa communauté de croyants sur terre
Communauté de vie
Il s’agit d’une vie en commun à tel
point que plusieurs vendaient leurs choses et les apportaient aux apĂ´tres pour
qu’ils les administrent, pour que personne ne souffre puisqu’ils étaient tous
égaux. C’est cela la vie en commun, partager. Nous sommes très loin de cet
idéal, mais tout au moins dans notre constitution il existe un principe qui
pourrait servir de brèche pour construire cette communauté quand il est dit que
la propriété privée doit avoir une fonction sociale. Fonction sociale qui non
seulement consiste à en produire plus, sinon que cette production répercute sur
le bien commun de tous, dans la justice, naturellement. La vie commune n’est
pas simplement dire : « Je les aime », sinon que cela implique
des actions, des gestes d’amour et non seulement de bonnes intentions.
Aujourd’hui, c’est une occasion magnifique pour sentir celui qui souffre, celui
qui n’a pas de maison, celui qui n’a pas à manger, pour l’aider. Cette
communauté de vie était si sympathique que sa renommée allait en croissant,
nous a dit le livre des Actes des Apôtres (2,42-47) et c’est pourquoi ils se
regroupaient. Observez bien comment se termine cette lecture (Ac 2,47) :
« Et chaque jour le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient
sauvés. » Communauté de Salut, c’est uniquement en appartenant à cette Église
qui se faisait déjà connaître comme l’instrument de la vie du Christ, que
quelqu’un peut se sauver, mais il ne suffit pas d’appartenir à la communauté
Église, le principal est l’Esprit de Dieu qui doit inonder celui qui appartient
à cette Église. C’est pourquoi il en a beaucoup qui se prétendent catholiques,
mais qui ne sont pas chrétiens parce qu’ils ne portent pas l’Esprit du Christ
et ils ne se sauveront pas, seul sauve l’Esprit du Rédempteur qui est dans
cette Église. Affirmer qu’une Église, que son évêque et ses prêtres prêchent la
violence et la haine, c’est méconnaître les origines de l’Église qui est placée
en ce monde pour prêcher l’amour et la communion.
Communauté de foi
Faites bien attention avec ce mot
parce que la communauté doit être distinguée de tout autre organisation et
regroupement humain. Le catholique en tant que membre d’une Église dans une
communauté Église, doit vivre les engagements de sa foi. Si hors de l’Église il
veut apporter sa lumière chrétienne, sa collaboration à la libération du monde
et qu’il s’insère dans un regroupement, il en est personnellement responsable
et qu’il ne vienne pas dire que ses compagnons catholiques ont l’obligation de
s’incorporer à cette même organisation. Aucunement, il s’agit d’un choix libre!
Chacun se doit de porter au-dehors de l’Église l’option concrète que sa
conscience lui dicte de suivre. Mais comme Église, nous ne pouvons nous engager
qu’à être une communauté de foi.
Qu’est-ce que cela veut dire? Ce que
nous a dit aujourd’hui la lecture des Actes des Apôtres (2,42) :
« Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la
communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. » C’est cela
l’Église, celle qui remplit aujourd’hui cette cathédrale en un sens de foi pour
écouter un successeur des apôtres, même s’il en est indigne. C’est ce que je
suis ici dans l’archidiocèse, le successeur des apôtres autour duquel une
communauté se regroupe pour entendre la parole de foi. […]
La foi en JĂ©sus-Christ est celle que
j’ai prêchée. Je dis maintenant que tout homme illuminé par cette foi doit
s’incarner dans l’histoire du Salvador, et qu’à partir du poste que chacun
occupe, il doit s’incarner en faisant en sorte de vivre en véritable chrétien.
Et n’allez pas le mutiler parce que la mystique de cette organisation proclame
la violence, le chrétien qui se fait violent n’est déjà plus chrétien. Si un
chrétien s’incorpore aux groupes paramilitaires et que ceux-ci lui ordonnent de
frapper et de tuer, il n’est déjà plus chrétien. Ni l’un ni l’autre, le chrétien
est celui qui demeure fidèle à sa foi, auditeur assidu de la parole des
apôtres, de la révélation de Dieu et dont il inspire sa vie et les actes de son
existence. Ne le trahissez pas!
Communauté de prière
Une autre grande force de cette
institution du Christ : communauté de prière. Ils étaient assidus à la prière. Comme me
remplit cette parole : la prière! Et quand vous lisez le livre des Actes,
observez combien de fois la communauté se réunissait en prière pour choisir le
substitut de Judas, par exemple, à Mathias; quand Pierre était emprisonné, la
communauté priait, quand les apôtres allaient partir en mission, ils priaient,
quand les persécutions des hérodiens contre les premiers chrétiens faisaient
trembler la communauté, ils priaient et dans la prière ils trouvaient la force
parce que Dieu seul peut nous donner cette force que l’Esprit du Christ
insuffle sur la communauté chrétienne.
Je voudrais remercier Ă©galement en
public cette force de prière qui me provient de toutes parts. Il n’existe rien
de plus beau pour moi que d’entendre dire : « Nous prions pour vous.
Vous n’êtes pas seul, nous vous accompagnons dans notre prière. » Béni
soit Dieu! Mille remerciements! Et maintenant je vous dis : frères, prions
pour ceux qui flanchent, pour ceux qui trahissent, prions pour ceux qui
rougissent de notre foi, prions pour nos pauvres frères qui doutent jusqu’à la
sincérité de l’évêque, prions pour que nous formions une communauté comme les
premiers chrétiens, même avec les dangereux risques que cette mission comporte
afin que nous demeurions fermes dans ce qu’il faut prêcher. Efforçons-nous
d’être comme ces premiers chrétiens qui durent dirent à quelques
reprises : « Nous devons obéir à Dieu avant d’obéir aux hommes, et de
Dieu nous viendra la force pour prĂŞcher cette doctrine qui est unique et
véritable. » […]
Et finalement, la communauté de foi
est eschatologique.
Je vous ai déjà expliqué l’autre jour
ce que cela signifiait : « au-delà », qui ne limite pas aux
choses de cette terre. C’est pourquoi l’apport de l’Église aux forces
libératrices de la terre, ne peut faire abstraction de son espérance en une
autre vie et assurer aux libérateurs de la terre, qu’ici le paradis n’existe
pas, que jamais le communisme ou toute autre organisation qui veut faire
abstraction de l’au-delà , n’y parviendra. Mais ce ciel, il faut déjà le
construire sur cette terre et la communauté Église doit s’efforcer d’être un
reflet de cela. Il me semble que cette cathédrale est déjà le reflet de ce ciel
lorsque nous voyons assis ici dans les mêmes bancs, autant de catégories de
gens, de provenances si diverses; je sens comme l’amour rassemble, comme
l’amour unit et comme il est merveilleux que sur la communauté humaine se
reflète cette vie du ciel que nous attendons. 02/04/78, p.137-141, IV.