L’Humiliation-Exaltation du Fils de Dieu, Rédempteur des hommes

 

Messe du Vendredi saint; 24 mars 1978; Lectures : IsaĂŻe 52,13 et 53,12; HĂ©breux 4,14-16 et 5,7-9; Jean 18,1-19,42.

 

C’est comme si ce que nous venons de lire Ă©tait en train de se passer ici sous nos yeux et que nous Ă©tions nous-mĂŞmes ceux qui sont Ă©claboussĂ©s par ce sang qui se dĂ©verse du Calvaire. La cĂ©rĂ©monie du Vendredi saint qui substantiellement consiste en l’adoration de la Croix, n’est pas une cĂ©rĂ©monie triste, c’est une cĂ©rĂ©monie qui chante le triomphe de la Croix, c’est un chant triomphal Ă  la bannière la plus glorieuse qui se soit Ă©tendue dans l’Histoire : la Sainte Croix. La Croix qui signifie l’humiliation du Christ, mais aussi l’exaltation du Fils de Dieu, Sauveur des hommes.

 

 

Le Serviteur de Dieu, comme un agneau qu’on conduit à l’abattoir

 

 

A) Les souffrances du Christ

 

« Nous le vĂ®mes, mais Il n’avait plus l’apparence humaine, Il Ă©tait horrible, on se cachait le visage en Le voyant, Il donnait le dĂ©goĂ»t, Il faisait peur Ă  voir, un mort comme il n’y en avait jamais eu, un torturĂ© qui a surmontĂ© toutes les tortures, une humiliation jusqu’à l’abĂ®me! Â» Le prophète IsaĂŻe (52,13) par l’inspiration de Dieu nous anticipe, sept siècles avant, ce qui se produit aujourd’hui, l’humiliation de l’Agneau de Dieu.

 

Ce sont des paroles inĂ©galĂ©es. C’est pour cela qu’il disait que davantage que de parler, il est nĂ©cessaire d’aimer, de mĂ©diter et de regarder, et si nĂ©cessaire jusqu’au dĂ©goĂ»t, comment est devenu le visage du Christ, comme un ver qui se tortille dans la poussière de la terre, au milieu du sang et des crachats; dans des douleurs inaudibles, un vĂ©ritable dĂ©chet de l’humanitĂ©. On ne peut le dĂ©crire, c’est pourquoi il est nĂ©cessaire qu’en ce Vendredi saint nous regardions avec les yeux de l’âme cette victime, en quel Ă©tat l’a rendue nos pĂ©chĂ©s. Parce que le Christ ne souffre pas par sa faute, le Christ s’est fait responsable des pĂ©chĂ©s de tous. Celui qui dĂ©sire connaĂ®tre la gravitĂ© de ses pĂ©chĂ©s n’a qu’à regarder le visage du Christ et dire en toute logique : c’est moi qui l’ai rendu ainsi. Je l’ai tuĂ© pour me laver de mes abominations. Il s’est rendu abominable jusqu’à ces paroles qui paraissent ĂŞtre un blasphème, mais qui sont tirĂ©es des saintes Écritures : « Celui qui n’avait pas pĂ©chĂ© pour nous s’est fait pĂ©chĂ©, malĂ©diction, châtiment de Dieu. Â» C’est cela, le Christ, le paratonnerre de l’humanitĂ©, sur Lui se dĂ©chargent tous les Ă©clairs de la colère divine pour nous libĂ©rer, nous qui Ă©tions ceux qui devaient succomber parce que nous avons propagĂ© la cause de la malĂ©diction chaque fois que nous avons commis un pĂ©chĂ©.

 

Il est décevant, mes frères, qu’en cette Semaine sainte, les chrétiens nous ne pleurions pas avec une profonde douleur, pour avoir été la cause des souffrances du Christ; et qu’au lieu de nous purifier et de nous convertir, nous fassions de la Semaine sainte un événement pour le péché. Comme si ce n’était pas suffisant déjà, ce que nous avons placé sur les fragiles épaules du Rédempteur, nous continuons à les charger en péchant et en offensant de plus en plus le Seigneur. 24/03/78, p.102-103, IV.

 

 

B) Les souffrances de notre peuple

 

C’est ici, dans les profondeurs de cette humiliation, tandis que nous observons le Christ cloué sur la croix, que nous invite la Parole Sacrée à déchiffrer ce mystère d’actualité. Si le Christ est le représentant de tout le peuple dans ses douleurs, dans son humiliation, dans ses membres criblés de clous sur une croix, nous devons découvrir la souffrance de notre peuple. C’est notre peuple torturé, c’est notre peuple crucifié, écrasé et humilié qui représente Jésus Christ notre Seigneur pour donner à notre situation si difficile un sens de Rédemption.

 

Il n’est pas surprenant, frères, que le peuple, se sentant humilié comme le Christ, veuille secouer ses croix, qu’il veuille arracher les clous, les fouets, pour se libérer. C’est alors que surgissent les libérateurs du peuple, mais plusieurs dans un sens erroné. Je voudrais, frères, qu’à voir le Christ crucifié en ce Vendredi saint, et à voir dans ses membres notre peuple également sacrifié, nous essayions de voir en quoi consiste la Rédemption que le Christ nous offre dans sa chair bénie pour notre peuple.

 

Le Pape Paul VI a dit que l’Église de nos jours ne peut être indifférente aux angoisses libératrices du peuple, qu’une Église qui ne se met pas à sentir comme siennes les angoisses, la peine et la souffrance du peuple, ne serait pas l’Église authentique de la Rédemption. Mais le Pape, reprenant les voix de l’épiscopat, a dit également quelle libération offre l’Église. Si l’Église, dans ses angoisses de libération, se laisse manipuler par une libération qui n’est pas chrétienne, par une libération de haine, de révolutions, de violences, elle perdra sa force, ce ne serait plus la véritable Rédemption de Jésus-Christ. 24/03/78, p.103, IV.

 

 

C) La Libération qu’apporte l’Église

 

Frères, à ceux qui aspirent avec sincérité et avec une grande sensibilité sociale à un monde meilleur, à une patrie meilleure, à ceux qui veulent laver le sang qui baigne notre peuple, il convient d’écouter des lèvres du grand libérateur Jésus-Christ, la manière dont se doit d’être la libération que l’Église et ses chrétiens offrent à cette patrie, à ce monde, à cette situation. 24/03/78, p.104, IV.

 

 

Les sept paroles

 

« Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font! Â»

Combien loin de la haine, du ressentiment, de la vengeance apparaĂ®t le LibĂ©rateur, Celui qui pouvait dĂ©clencher les forces de la nature et rĂ©duire en miettes ses ennemis qui l’ont crucifiĂ©. Lui qui pouvait se libĂ©rer en pulvĂ©risant ses persĂ©cuteurs, ne dĂ©sire pas la violence. Les chrĂ©tiens doivent offrir leur collaboration Ă  la libĂ©ration de notre peuple, mais Ă  partir de l’amour, Ă  partir du pardon, Ă  partir de cette supplique du Christ : « Père, pardonne-leur. Â» 24/03/78, p.104, IV.

 

 

« Souviens-toi de moi lorsque tu seras dans ton Royaume! Â»

Le LibĂ©rateur des hommes sait que le paradis n’est pas sur cette terre, mais qu’un homme clouĂ© sur une croix comme le voleur peut aspirer Ă  un paradis et il l’aura s’il a la foi. La libĂ©ration chrĂ©tienne est transcendante. Les chrĂ©tiens savent qu’ils ne peuvent pas avoir le paradis sur terre. Nous ne voulons pas non plus endormir personne, parce que la religion ne doit pas ĂŞtre l’opium du peuple, la religion n’est pas un conformisme, elle n’est pas paresse. Au contraire, elle dit aux chrĂ©tiens : dĂ©veloppez-vous, progressez, surpassez-vous, mais avec l’espĂ©rance d’un paradis qui seulement existe au-delĂ  de l’histoire. Nous ne croyons pas en une libĂ©ration qui seulement adviendrait au Ciel et qui nous enseignerait de nous conformer avec l’esclavage ici sur terre. En aucun cas! Nous, chrĂ©tiens, nous savons bien que le paradis doit se reflĂ©ter aussi sur cette terre avec ceux qui, ici-bas, travaillent pour l’implantation d’un règne du Ciel dans les relations humaines, des relations plus humaines, moins oppressives, moins dĂ©primantes, plus Ă©galitaires, oĂą nous nous sentions tous frères. Il est nĂ©cessaire que se reflète ce Ciel sur cette terre, pour que nous, les fidèles de la terre, soyons heureux ici et dans l’éternitĂ©. 24/03/78, p.104-105, IV.

 

 

« Mère, voici ton fils, homme, voici ta mère! Â»

 

La libĂ©ration du Christ est tendresse et amour, c’est la prĂ©sence d’une mère : Marie. Et Marie est le modèle de ceux qui collaborent avec le Christ pour la libĂ©ration de la terre et l’acquisition du Ciel. Marie dans son Action de grâce proclame les grandeurs de Dieu qui dĂ©truit l’orgueil des puissants et Ă©lève les humbles. Elle nous enseigne le chemin de la libĂ©ration vĂ©ritable, de la RĂ©demption chrĂ©tienne, le chemin de l’humilitĂ©, le chemin de l’amour, le chemin d’un engagement comme le sien qui est aussi amour, afin que nous puissions rencontrer en elle le blanc chemin qui nous mène Ă  JĂ©sus. 24/03/78, p.105, IV.

 

 

« J’ai soif. Â»

 

La libération du Christ ne rejette pas les angoisses physiologiques de l’homme, elle ressent la faim de ceux qui n’ont pas suffisamment pour manger, l’angoisse de ceux qui ne gagnent pas assez. La soif du Christ, c’est le signal qu’il se préoccupe et se soucie également de l’angoisse temporelle de ceux qui sont en pèlerinage sur cette Terre; la Rédemption du Christ a aussi à voir avec le bien-être de la gorge, de l’estomac, du corps humain, du logement, d’un endroit pour être alphabétisé, de toutes les nécessités qui font de la Terre ce chemin vers Dieu, la promotion humaine.

 

La soif du Christ en Croix est une soif authentique. Les mystiques ont voulu la transposer en une soif mystérieuse des âmes. Peut-être, mais avant tout, une soif véritable, soif d’eau. Il voulait de l’eau et Il n’en avait pas pour son gosier. On Lui donna du fiel et du vinaigre. 24/03/78, p.105-106, IV.

 

 

« Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonnĂ©? Â»

 

Lorsqu’arrive l’heure de l’épreuve, lorsqu’arrive l’heure Ă  laquelle mĂŞme la foi semble s’obscurcir, lorsque s’éclipse l’espĂ©rance, lorsque le peuple apparaĂ®t sans horizon, n’oublions pas que cet après-midi du Vendredi saint, Lui aussi sentit l’angoisse, le mystère de l’abandon mĂŞme de Dieu. Il se sentit abandonnĂ© par l’amour de son Père, sans espoir de vivre. Comme c’est Ă©trange, Ă  l’heure de l’angoisse des tortures, de l’emprisonnement injuste, des situations qui demeurent sans explication, nous nous retournons vers le Père avec la confiance du Fils pour lui dire : « Père, pourquoi m’as-tu abandonnĂ©? Â» Mais avec la sĂ©curitĂ© que Dieu est seulement en train de mettre Ă  l’épreuve notre volontĂ© de lui obĂ©ir avec amour pour faire sortir Ă  flot cette angoisse humaine. 24/03/78, p.106, IV.

 

 

« Tout est accompli! Â»

 

Combien est belle la vie de l’homme lorsqu’en retournant Ă  la maison du Père il peut dire : tous les dĂ©tails de ma vie ont Ă©tĂ© le reflet de ta volontĂ© divine! Combien triste, par contre, doit ĂŞtre la prĂ©sence d’un reproche devant Dieu. La prĂ©sence d’un rebelle qui se doit de dire Ă  Dieu : Seigneur je n’ai pas obĂ©i Ă  tes lois, je croyais que j’étais libre et que la libertĂ© consistait Ă  enfreindre tes commandements. J’ai recherchĂ© les chemins du bonheur par mes caprices, par mes passions, et par mes vices. Combien belle est la vie, mes frères, lorsque malgrĂ© les Ă©preuves, nous savons que tout a Ă©tĂ© conforme Ă  la volontĂ© du Seigneur! Efforçons-nous d’agir en sorte que le message du Christ mourant sur la Croix se reflète dans notre vie, fidèle Ă  sa volontĂ© très sainte. 24/03/78, p.106, IV.

 

 

« Père, entre tes mains je remets mon esprit. Â»

 

Ă€ l’heure de notre mort, nous sentons que la prĂ©sence du Père recueille notre vie, notre esprit et les transcende avec la satisfaction d’avoir laissĂ© sur terre une lutte inspirĂ©e par l’amour, la foi et l’espĂ©rance, sans sang ni violence. Qu’il serait triste de laisser dans l’empreinte de notre vie, des torturĂ©s, des disparus, des morts, du terrorisme, des incendies et des crimes. Quels comptes devront-ils rendre Ă  Dieu pour leurs mains tachĂ©es de sang qui empoignèrent le fouet et donnèrent des coups de pied Ă  leurs frères! Qu’il sera triste en cette heure de ne pas pouvoir dire : « Père, entre tes mains je remets mon esprit Â», lorsque ce que nous prĂ©senterons Ă  l’heure de notre mort n’est pas un esprit qui a travaillĂ© sur Terre pour l’amour, l’espoir et la foi, mais pour la lutte sanglante que Dieu ne veut pas. 24/03/78, p.106-107, IV.