Service anniversaire de Dona Sarita;
Dernière homélie de Monseigneur Romero
24 mars 1980.
Plusieurs se surprennent. Ils pensent
que le christianisme ne devrait pas se mĂŞler de toutes ces choses, alors que
c’est le contraire. Vous venez d’entendre dans l’Évangile du Christ qu’il est
nécessaire de ne pas tant s’aimer soi-même, de ne pas désirer s’éviter les
risques de la vie que l’Histoire exige de nous, et que celui qui désire
éloigner de lui ce danger, perdra sa vie. Au contraire, celui qui se donne par
amour au Christ au service des autres, celui-là vivra comme le grain de blé qui
ne meurt qu’en apparence. S’il ne mourait pas, il demeurerait seul. Si la
récolte existe, c’est parce qu’il meurt, parce qu’il se laisse immoler dans
cette terre, et c’est ainsi qu’il produit la récolte.
Depuis cette éternité, Dona Sarita a
merveilleusement confirmé ce qu’affirment ces pages du Concile Vatican II que
j’ai choisies pour elle. « Nous ignorons le temps où aura lieu la
consommation de la Terre et de l’humanité. Nous ne connaissons pas non plus de
quelle manière l’univers se transformera. La face de ce monde, enlaidie par le
péché, passe, mais Dieu nous enseigne qu’Il nous a préparé une nouvelle demeure
et une Terre nouvelle où habite la justice et dont la béatitude est capable de
rassasier et de surpasser toutes les aspirations de paix qui surgissent dans le
cœur humain. Une fois la mort vaincue, les fils et les filles de Dieu
ressusciteront dans le Christ et ce qui fut semé sous le signe de la faiblesse
et de la corruption, sera revêtu de l’incorruptibilité et demeurera la charité
de leurs œuvres. Ils se verront libérés de la servitude de la vanité de toutes
les créatures que Dieu créa en pensant à l’être humain.
Il nous avertit qu’il ne sert à rien
à l’homme de gagner le monde s’il se perd lui-même. Néanmoins, l’attente d’une
Terre nouvelle ne doit pas l’amortir mais au contraire aviver davantage en lui
la préoccupation de parfaire cette Terre où croît le corps de la nouvelle
famille humaine, lequel peut, d’une certaine manière, anticiper l’aube du
siècle nouveau, même s’il faut savoir distinguer attentivement le progrès
temporel et la croissance du Règne du Christ. Le premier, en tant qu’il peut
contribuer à mieux ordonner la société humaine, intéresse en grande mesure le
Règne de Dieu.
Donc, les biens de la dignité
humaine, l’union fraternelle et la liberté, en un mot, tous les fruits
excellents de la nature et de notre effort, après les avoir propagés sur la Terre,
dans l’Esprit du Seigneur et en accord avec les commandements, nous les
retrouverons purs de toutes taches, illuminés et transfigurés, lorsque le
Christ livrera au Père le Règne éternel et universel. « Règne de vérité et
de vie, Règne de sainteté et de grâce, Règne de justice, d’amour et de
paix. » Le Règne est déjà mystérieusement présent sur notre Terre et
lorsque le Seigneur viendra, il consumera sa perfection. »
C’est cela, l’espérance qui nous
alimente nous les chrétiens. Nous savons que tout effort pour améliorer une
société, surtout lorsque l’injustice et le péché y sont si incrustés, est un
effort que Dieu bénit, que Dieu veut et que Dieu nous exige. Et lorsque nous
rencontrons des gens généreux dont la pensée s’incarne et qui travaillent pour
des idéaux, il faut essayer de les purifier dans le christianisme, tâcher de
les revêtir de cette espérance de l’au-delà , parce qu’ils deviendront alors
plus forts. Nous avons la certitude que tout ce que nous semons sur la Terre,
si nous l’alimentons de l’espérance chrétienne, n’échouera jamais; nous le
retrouverons purifié dans ce Règne où précisément, le mérite est dans ce que
nous aurons fait sur cette Terre.
Sinon, je crois bien que nous
espérerions en vain en ces heures d’espérance et de lutte. Rappelons-nous, avec
reconnaissance, de cette femme généreuse qui sut comprendre les inquiétudes et
les efforts de son fils et de tous ceux qui travaillent pour un monde meilleur.
Elle sut également faire sa petite part pour soulager la souffrance. Et il n’y a
pas de doute que cela est la garantie que son Ciel doit être également à la
mesure de son sacrifice et de cette compréhension qui manque à plusieurs en ce
moment au Salvador.
Je vous supplie tous de considérer
ces choses depuis le moment historique, avec cette espérance, avec cet esprit
de don de soi, de sacrifice et de faire ce que nous pouvons. Nous pouvons tous
faire quelque chose, en débutant par un sentiment de compréhension. Cette
sainte femme dont nous honorons la mémoire aujourd’hui, ne put peut-être pas
faire des choses directement, mais elle encouragea ceux qui pouvaient
travailler, elle comprenait leur lutte et surtout, elle priait. Ce qui fait que
même après sa mort, elle nous dit ce message d’éternité : « Il vaut
la peine de travailler parce que toutes ces aspirations de justice, de paix et
de bien que nous avons déjà sur cette Terre, nous les avons formées, en nous
nourrissant d’une espérance chrétienne. Nous savons que personne ne peut pour
toujours et que ceux qui ont mis dans leur travail un sentiment de foi très
grand, d’amour de Dieu, d’espérance entre les hommes, ça leur revient
maintenant, dans les splendeurs d’une couronne qui doit être la récompense de
tous ceux qui travaillent ainsi, répandant les vérités, l’amour, la justice et
les bontés sur la Terre. Tout cela ne demeure pas ici, mais purifié par
l’Esprit de Dieu, cela nous sera rendu et donné en récompense. »
Cette sainte messe, cette Eucharistie
est précisément un acte de foi. Avec la foi chrétienne, il semble en ce moment
que la voix diatribe se convertit en corps du Seigneur qui s’offrit pour la
Rédemption du monde et qu’en ce calice, le vin se transforme en ce Sang qui fut
le prix du Salut. Que ce Corps immolé et ce Sang sacrifié pour les hommes, nous
alimentent Ă©galement pour offrir notre corps et notre sang Ă la souffrance et Ă
la douleur, comme le Christ, non pour soi-mĂŞme, mais pour apporter des concepts
de justice et de paix Ă notre peuple. Unissons-nous donc intimement, en foi et
en espérance, à ce moment de prière pour Dona Sarita et pour nous. 24/03/80,
p.382-384, VIII.
[À ce moment précis se fit entendre
une détonation. Oscar Romero s’écroule, abattu d’une balle explosive en plein
cœur. Nous sommes le lundi 24 mars 1980, il est environ 17h30, heure du
Salvador.]