Le carĂŞme, plan de Dieu pour
transfigurer les peuples Ă partir du Christ
Deuxième dimanche du carême; 2 mars
1980; Lectures : Genèse 15,5-12,17-18; Philippiens 3,17-4,1; Luc 9,28-36.
Recevez un salut fraternel depuis la
Parole de Dieu, celle qui veut éclairer la réalité de notre peuple. Je remercie
Dieu de pouvoir compter sur cette collaboration si valeureuse de nos amis de
l’extérieur de notre pays. Je vous supplie de savoir nous comprendre en nous
démontrant votre solidarité, surtout dans la prière à ce Jésus, de qui le Père
éternel dit ce matin (Lc 9,35) : « Celui-ci est mon Fils, l’Élu,
écoutez-Le. » Ma parole ne veut pas être autre chose qu’un humble écho de
cette Parole de Dieu qui s’incarne en Jésus-Christ et se fait lumière,
orientation de tous les peuples et qui est l’impératif le plus urgent que les
êtres humains ont reçu de la part de Dieu qui nous a ordonné de l’écouter.
Introduction :
A) Le carême est une préparation pour
célébrer les fêtes de notre Pâque chrétienne.
Nous célébrons la Rédemption; c’est
pourquoi cette célébration du carême ne peut se désintéresser des circonstances
concrètes où les peuples et les chrétiens célèbrent cette période si
significative : la RĂ©demption.
B) L’Histoire du Salut et la
célébration de la Rédemption ne sont pas étrangères à l’histoire de chaque
peuple.
C’est la même chose que la
libération, le Salut. Et notre peuple a exactement besoin de cela : sa
propre libération… La préparation de notre Pâques, de notre Semaine sainte, du
mystère de la Rédemption humaine, s’incarne si profondément dans l’Histoire de
notre peuple salvadorien que nous pouvons dire que c’est un carême, une Semaine
sainte, fait pour nous. C’est la célébration de notre Rédemption!
C) Le Christ transfiguré personnifie
la célébration de notre Rédemption chrétienne et stimule l’espérance de notre
libération nationale.
Et l’Évangile d’aujourd’hui nous
présente le Christ transfiguré, personnifiant la Rédemption des hommes,
l’espérance des peuples. Saint Luc situe cette scène de la transfiguration
comme un préambule pour monter à Jérusalem. « Il parlait de la
passion », nous dit l’Évangile, et c’est un avis pour nous tous; le chemin
de la RĂ©demption doit passer par la croix. Le chemin de la RĂ©surrection doit
être le chemin du calvaire. Tout le sang de notre peuple doit s’unir au sang du
Christ qui est versé sur ce chemin douloureux. Tant le sang salvadorien doit
être le prix d’une patrie nouvelle. Et ce carême, célébré entre le sang et la
douleur de nous tous, doit être le présage d’une transfiguration de notre
peuple, d’une résurrection de notre nation. C’est pourquoi l’Église nous invite,
dans le sens moderne de la pénitence, du jeûne, de la prière, des pratiques
éternellement chrétiennes, à nous adapter aux situations des peuples.
Ce n’est pas la même chose de vivre
un carême où l’on doit jeûner dans ces pays où l’on mange bien, qu’un carême
chez les peuples du Tiers-Monde : affamés, en perpétuel carême, toujours
en jeûne. Dans ces situations, pour ceux qui mangent bien, le carême est un
appel à l’austérité, à se détacher pour partager avec ceux qui en ont besoin.
Par contre, dans les pays pauvres, dans ces foyers où la faim est présente,
nous devons célébrer le carême comme une motivation qui donne un sens de croix
rédemptrice au sacrifice que nous vivons. Non pas avec un faux esprit de
conformisme que Dieu ne veut pas, mais en sentant dans notre propre chair, les
conséquences du péché et de l’injustice. Cela nous stimule à travailler pour la
justice sociale avec un amour véritable pour les pauvres.
Que notre carĂŞme soit un effort pour
la justice sociale et l’amour aux pauvres!
Notre carĂŞme doit Ă©veiller le
sentiment de cette justice sociale. Nous faisons un appel, alors, pour que nous
célébrions notre carême, en donnant à nos souffrances, à notre sang, à notre
douleur, la même valeur que le Christ donna à sa situation de pauvreté,
d’oppression, d’exclusion, d’injustice, convertissant tout cela en la croix
salvatrice qui rachète le monde et les peuples. Je fais un appel également pour
que, sans haine envers quiconque, nous nous convertissions en partageant nos
consolations et aussi nos biens matériels, à l’intérieur de notre pauvreté,
unis à ceux qui en ont peut-être davantage besoin. […]
C’est cela, la synthèse de ma
pensée : Que le carême, en ce dimanche de la Transfiguration du Seigneur,
nous révèle le plan de Dieu. Plan amoureux, puissant, pour transfigurer les
peuples en les sauvant de toutes leurs misères, injustices et péchés, pour les
transformer en peuples de la beauté à partir de la justice et de la sainteté du
Christ lui-même. Je vais développer cette idée, comme de coutume, dans les
pensées suivantes :
Plan de l’homélie :
1) Le Christ transfiguré, terme et
plénitude de l’histoire d’Israël
2) En Jésus-Christ transfiguré Dieu
offre aux peuples un plan de Libération intégrale
3) Le Christ transfiguré est la
présence anticipée d’une Libération définitive
1) Le Christ transfiguré, terme et
plénitude de l’histoire d’Israël
A) L’histoire d’Israël est un élément
fondamental dans la catéchèse du carême
C’est pourquoi, ce peuple que Dieu a
choisi afin qu’il soit son peuple parmi toutes les nations du monde, Dieu le
veut comme pour essayer en lui la Libération qu’Il allait offrir ensuite, par
JĂ©sus-Christ, Ă tous les peuples.
Israël fut choisi comme Peuple de
Dieu
Israël est le modèle de l’Histoire du
Salut, qui après le Christ, devient l’Histoire du Salut dans l’histoire de tous
les peuples. C’est pour cela qu’il ne doit pas y avoir de peuples chrétiens
qui, pendant le carême, ne remontent à l’histoire d’Israël pour apprendre, dans
cette anticipation de Dieu que fut l’Ancien Testament, tout ce que Dieu veut
réaliser aujourd’hui avec tous les peuples du monde.
B) Abraham : début de l’Histoire
du Salut sur fond d’histoire naturelle
C’est pour cela que la première
lecture (Gn 15,5-12; 17-18) d’aujourd’hui nous présente le début de l’Histoire
du Salut dans le patriarcat et le père de toute cette nation : Abraham.
Jusqu’à Abraham, l’Histoire était comme une toile sur laquelle un peintre va
réaliser un tableau magnifique qui se nomme l’Histoire du Salut. Sur l’histoire
universelle, sur l’histoire du monde, Dieu commence avec cette bride :
« Abraham! », à tisser les merveilles de l’Histoire du Salut qui
s’entrelacent à toutes les histoires des peuples du monde.
Deux promesses : Un Peuple
nombreux et une Terre promise…
Objectif : le Christ
Selon les rites de ces peuples
anciens, Dieu leur fait deux promesses. Premièrement, Il montre les Ă©toiles Ă
Abraham et lui dit : (Gn 15,) : « Lève les yeux au ciel et
dénombre les étoiles si tu peux les dénombrer » et Il lui dit :
« Telle sera ta postĂ©ritĂ©. » Quiconque pourrait dire qu’il s’agit lĂ
d’une moquerie de Dieu à l’endroit d’Abraham, déjà vieux et stérile, sans fils,
lorsqu’Il lui promet un peuple, une descendance aussi nombreuse que les étoiles
du ciel. Il lui promet également (Gn 15,18) : « À ta postérité je
donne ce pays ». « C’est ici que va vivre cette nation qui va naître
de tes entrailles ». De ces peuples, qu’Abraham considérait alors comme
des peuples étrangers, lui, un pèlerin de l’histoire, un homme sans patrie,
sans sol, Dieu dit : « Je vais te donner un peuple nombreux et cela
sera ta terre, ta patrie. »
Un pacte unilatéral de Dieu qui prend
l’initiative et s’engage
Naturellement, Abraham dit au
Seigneur (Gn 15,8) : « À quoi saurai-je que je le posséderai? » Alors
Dieu lui demanda d’accomplir ce rite des anciennes promesses, de sacrifier des
animaux et de les séparer en deux. C’était le geste qu’on accomplissait
lorsqu’on faisait un pacte. Entre les animaux partagés en deux passaient ceux
qui juraient comme pour dire : si je n’accomplis pas la parole que j’ai
donnée, que je sois taillé en pièces comme cette bête. Et alors, au crépuscule,
la Bible nous relate cet événement semblable à celui d’Adam quand va naître la
première femme : « Un sommeil profond ». Mais Abraham perçoit
cependant le passage de Dieu sous la forme d’un « four fumant et un
brandon de feu qui passèrent entre les animaux partagés (Gn 15,17). »
Comme quelqu’un qui dit : Dieu a juré avec le serment coutumier, que sa
parole n’est pas mensonge et que sa double promesse « d’une grande nation
et d’une terre promise, va s’accomplir en son temps ».
La foi : condition du peuple de
Dieu. Tout auditeur est Fils d’Abraham
C’est ainsi que naît le peuple
d’IsraĂ«l : d’un pacte de Dieu qui demande Ă un homme, la foi. Ce sera lĂ
la caractéristique de la foi. C’est pourquoi Abraham est non seulement le père
des Juifs qui naquirent pour peupler cette terre, mais il est également le père
du nouvel Israël : le christianisme qui naît, précisément, par la foi.
Nous, chrétiens, si nous croyons, nous sommes des fils et des filles d’Abraham,
nous appartenons Ă cette descendance nombreuse comme les Ă©toiles du ciel, et,
comme les étoiles du ciel, jamais ne s’éteindra cette race de la foi. Les
chrétiens, rien ne pourra les anéantir en ce monde…
Le Christ était l’objectif de cette
initiative
Nous disions donc que toute cette
histoire d’Israël possède un terme, un but, une plénitude. Et la raison de
cette élection d’Abraham, de cette Terre promise, de cette race privilégiée par
le Seigneur, c’est parce qu’en sa descendance seront bénis tous les peuples.
Dans cette phrase se trouve insérée l’existence du Christ. Le Christ qui sera,
en tant qu’homme, fils d’Abraham et de toute sa descendance. Marie, la vierge
élue pour donner chair au Fils de Dieu, est une israélite; elle est une fille
d’Abraham; elle est la fleur dans laquelle est atteint le but, le terme, la gloire
de toute l’histoire d’Israël : Jésus-Christ Notre Seigneur. 02/03/80,
p.288-290, VIII.
C) Jésus entre Moïse et Élie
La loi et les prophètes sont
accomplis en JĂ©sus-Christ
Quand nous voyons dans l’Évangile
d’aujourd’hui (Lc 9,28-36) deux personnages marquants de l’Ancien
Testament : Moïse et Élie,- le grand législateur et le grand prophète du
peuple,- nous voyons également cette grande vérité que nous essayons de
comprendre : que le Christ transfiguré, entre Moïse et Élie, est la
plénitude de toute l’histoire d’Israël. Moïse et Élie représentent les
patriarches, les prophètes. Tout ce fil d’or avec lequel Dieu tisse l’histoire
d’Israël, possède un objectif : nous amener le Rédempteur, faire naître de
cette race le Fils de Dieu fait homme. Mais ce Fils de Dieu fait homme, est ici
entre ces deux grands personnages qui sont les deux grands carêmes d’Israël.
Les deux grands carĂŞmes sur le SinaĂŻ,
s’expliquent avec le Christ transfiguré
Le carĂŞme de MoĂŻse : quarante
ans au désert pour parvenir à la Terre promise et quarante jours et quarante
nuits s’entretenant avec Dieu sur le Mont Sinaï, pour rapporter de là le
Décalogue à son peuple. Le carême d’Élie : celui qui s’est écœuré de la
vie à cause de la persécution du peuple, entreprend un pèlerinage qui ressemble
presque à un suicide (I R 19,4) : « C’en est assez maintenant, Yahvé!
Prends ma vie car je ne suis pas meilleur que mes pères. » Et il s’assoit
auprès d’un arbuste du désert pour attendre la mort quand un ange mystérieux le
réveille et lui dit : « Lève-toi et mange! » C’était le pain
mystérieux avec lequel Dieu l’alimenta et l’ange lui dit (19,7) :
« Lève-toi et mange, autrement le chemin sera trop long pour toi. »
Les Théophanies : Les nuages et
la voix du Père, Signes de l’Ancien Testament de la Présence de Dieu.
Elie marcha 40 jours au désert
jusqu’à ce qu’il se retrouve au pied du Sinaï où il eut également une autre
« théophanie » : il sentit un ouragan, mais Dieu ne s’y trouvait
pas. Il sentit un tremblement de terre, mais Dieu n’était pas dans le
tremblement de terre. Pour finir, passa une brise légère qui lui dit :
« Dieu va passer. » C’est ainsi que Dieu parle dans l’intimité de la
prière; c’est ainsi que se personnifie le dialogue avec le Seigneur : il
est fort comme l’ouragan et comme un tremblement de terre devant les injustices
et les péchés du peuple, et il apparaît tendre et doux avec les prophètes qui
doivent annoncer des choses si terribles aux peuples qui ne veulent pas se
convertir.
La gloire en Jésus-Christ…
Ainsi, entre ces deux carĂŞmes, (MoĂŻse
et Élie) apparaît le grand protagoniste du carême chrétien : le Christ
Notre Seigneur. Il nous dit que toutes ces « théophanies » qui se
manifestent dans les nuées, dans la voix du Père, dans la splendeur du Sinaï,
se produisent ici et qu’il ne s’agit plus de voix mystérieuses des éléments de
la nature. Maintenant, il s’agit du Christ lui-même.
Le Christ est la gloire de Dieu
présent sur la Terre, humble et simple fils de la Vierge, mais qui porte en
lui, cachée, toute une divinité. Et, en cette heure de la transfiguration,
Christ Notre Seigneur se présente comme un nuage où Dieu s’insère. Tout le
secret de Celui qui le cachait se découvre, pour se manifester dans la gloire
de Dieu, de telle sorte qu’ils entendent du ciel qu’Il est Celui qui est venu Ă
l’Histoire : « Celui-ci est mon Fils, l’Élu, écoutez-le. » La
grande révélation! Bienheureux les chrétiens qui n’attendent pas le Christ
comme l’espéraient les Israélites, mais qui le vivent comme déjà présent dans
notre histoire.
Évocation de l’Exode dans la
conversation au sujet de son départ pour sa passion, sa Mort-Résurrection
Moïse et Élie parlaient un langage
douloureux, celui de la passion. C’est ainsi que saint Luc nous les présente
(9,31). Ils parlaient de son exode, de son départ de ce monde, de sa sortie
dans la douleur, sortie sur la croix, humiliante, mais pour ressusciter dans la
gloire d’une Pâque qui ne connaîtra pas de fin. C’est le signal de tous les
peuples que Dieu aime : souffrir des douleurs de l’accouchement qui vont
produire des générations nouvelles, de nouveaux peuples. Faisons en sorte,
frères, que le Christ soit au milieu de notre processus populaire. Travaillons
pour que le Christ ne s’éloigne pas de notre histoire. C’est ce qui est le plus
intéressant en ce moment de la patrie : que le Christ soit la gloire de
Dieu, le pouvoir de Dieu, et que le scandale de la croix et de la douleur ne
nous fasse pas fuir le Christ, rejeter la souffrance mais plutôt l’embrasser.
02/20/80, p.290-291, VIII.
2) En Jésus-Christ transfiguré Dieu
offre aux peuples un plan de Libération intégrale
C’est maintenant l’heure des projets
politiques au Salvador.
Projets politiques qui ne valent rien
tant qu’ils ne reflètent pas le projet de Dieu. Et la mission du pasteur, la
mission de l’Église, n’est pas d’entrer en compétition en proposant un autre
projet, mais, avec l’autonomie et la liberté des fils de Dieu et de l’Évangile,
indiquer le bon qu’il peut y avoir dans chaque projet pour l’encourager ainsi
que le mauvais qui peut exister dans n’importe quel projet, pour le dénoncer et
en finir avec lui.
A) « Celui-ci est mon Fils,
l’Élu, écoutez-le. »
Nous avons le projet de Dieu en
Jésus-Christ présent sur la montagne sainte, transfiguré comme modèle de l’être
humain et une voix du Ciel qui déclare digne cet homme : « Celui-ci
est mon Fils, l’Élu, écoutez-le. » Le projet de Dieu doit prévaloir sur
tous les projets humains si ces derniers veulent être de véritables projets
humains et non des projets inhumains. L’Église doit toujours garder en vue
l’être humain. Il est l’étoile qui guide son chemin, souvent incompris ou
calomnié, parce que plusieurs voudraient faire prévaloir leurs projets
temporels. Rien n’importe davantage à l’Église que la personne humaine. L’homme
est fils de Dieu. C’est pour cela qu’il nous est si douloureux de recueillir
des cadavres torturés. Pour l’Église, le but de tous les projets doit être ce
Dieu : le fils, l’homme. Tout humain est fils de Dieu et en chaque homme
tué est présent un Christ sacrifié que l’Église vénère également…
Les deux termes de l’Histoire du
Salut : la libération et la promotion
Dans les lectures d’aujourd’hui, Dieu
nous révèle les deux extrémités de son projet : libérer de quelque chose,
pour promouvoir vers quelque chose. Libérer de quelque chose, secouer
l’injustice, éloigner le péché, racheter l’être humain du mal.
Il n’existe pas de véritable
libération s’il n’y a pas d’abord une libération du péché, racine de tous les
esclavages
C’est ici que se trouve la cause de
toutes les injustices qui se succèdent dans l’histoire : le péché… Et
c’est pourquoi il ne peut y avoir de libération authentique tant que l’être
humain ne se libère pas du péché… Les groupes de libérations qui surgissent
dans notre patrie devraient tenir compte de cela : que la première
libération que doit rechercher un regroupement politique qui désire vraiment la
libération du peuple, doit être de se libérer lui-même de son propre péché.
Tant qu’il demeurera esclave du péché, de l’égoïsme, de la violence, de la
cruauté, de la haine, il ne sera pas apte à libérer le peuple.
Si le Père a voulu rendre sa
miséricorde et son amour présents en Jésus-Christ, en leur donnant chair
humaine, c’est parce qu’Il voulait que cette chair humaine du Christ soit un
jour clouée sur une croix comme prix, comme signe de ce qu’est pour Dieu le
péché. Ainsi le péché, est la mort. C’est pour cela que, où la mort est
présente, règne le péché. La mort est un signe évident que le péché règne. Il
est effrayant de penser au nombre de morts que nous retrouvons en cette patrie,
de penser que les chemins sacrés de notre sol sont imprégnés toujours plus de
sang humain. Le péché règne au Salvador et les libérateurs de notre pays
doivent commencer par-là : arracher le péché de notre sol.
C’est cela, le projet de Dieu. C’est
là que débute son projet. Vouloir maintenir l’injustice sociale, c’est vouloir
introniser le péché et mettre Dieu à part. Les projets qui sont uniquement montés
pour maintenir ces privilèges scandaleux, ne peuvent être de Dieu.
C’est cela, le terme négatif de la Rédemption.
Le Christ vint pour nous sauver du péché et cela lui coûta très cher. Autant de
douleurs et de souffrances! Ne l’oublions pas pendant ce carême. Le Christ
crucifié me dit à moi-même, qu’avant de parler ou de critiquer les autres, je
dois me regarder moi-même, parce que moi aussi je L’ai cloué sur la croix par
mes péchés et tant que je ne me serai pas amendé en recherchant la libération
de ma propre conscience pour me faire fils de Dieu, j’aurai moi-même besoin de
libération.
Promouvoir jusqu’à la dignité de
participer Ă la vie de Dieu
C’est pourquoi, le second terme
positif, merveilleux, est que ces hommes arrachés au péché, Dieu les élève
jusqu’à la dignité de ses propres fils : « Celui-ci est mon Fils! »
Il n’y a rien de plus beau, et la conscience même le ressent, lorsque, dans un
état de grâce de Dieu, quelqu’un s’est peut être libéré d’un péché qui lui
causait de la répugnance, du dégoût, de l’horreur envers lui-même. Frères,
pardonnez la franchise, mais qui d’entre-nous n’a pas déjà senti le dégoût du
péché? Et, nous tous qui sommes réunis ici, puisions-nous dire dorénavant que
nous avons senti la joie de la Rédemption, nous avons senti la véritable
promotion d’être fils de Dieu, pardonné par Dieu, héritier de Dieu, frères du
Christ, race Ă©ternelle.
Le Christ situe au sommet du mont
Tabor l’image magnifique de la libération. C’est ainsi que Dieu nous veut,
libérés du péché et de la mort, de l’enfer, vivant sa vie éternelle,
immortelle, glorieuse. C’est notre destinée. Et parler de ce ciel ce n’est pas
de l’aliénation, mais plutôt une motivation pour travailler avec plus
d’entrain, d’ardeur aux grandes responsabilités de la Terre. Personne ne
travaille la Terre et la libération politique des peuples avec autant
d’enthousiasme que celui qui espère que les luttes libératrices de l’histoire
s’incorporeront à la grande Libération du Christ. Quand nous savons que tout ce
que nous semons en ce monde - comme nous dit le Concile - en justice, en paix,
en paroles d’amour, en appels à la cordialité, tout cela nous le rencontrerons
transfigurés dans la beauté de notre récompense éternelle.
Puebla : La Vérité sur l’homme…
Le Christ est le modèle du plan
libérateur de Dieu. J’ai ici une très belle page du Document de Puebla où,
suivant le schéma du Pape Jean-Paul II lorsqu’il inaugura cette réunion des
évêques, elle recueille les trois grandes théologies de l’Amérique
latine : la théologie sur le Christ, sur l’Église et sur les hommes.
Ces pages sur l’être humain je vous
recommande (surtout ceux qui ressentent les inquiétudes sociales et politiques)
de non seulement les lire, mais de les étudier parce que l’on ne peut être un
bon politicien, un bon stratège de la sociologie, sans tenir compte de l’être
humain, et l’Église, en ce continent, a beaucoup à dire sur ce sujet. Surtout,
quand elle regarde l’homme dans ce triste défilé que nous décrit Puebla :
« Visages de paysans sans terre, outragés et tués par les forces et les
pouvoirs. Visages d’ouvriers remerciés sans dédommagement, sans salaire
suffisant pour faire vivre leur famille. Visages de gens âgés, visages de
marginalisés, visages d’habitants des bidonvilles, visages d’enfants pauvres
qui dès leur enfance commencent à sentir la morsure cruelle de l’injustice
sociale. » Et pour eux, il semble qu’il n’y ait pas d’avenir. Pour eux, il
n’y aura pas d’école, ni de collèges, ni d’université. De quel droit
pouvons-nous catégoriser des hommes de première classe et d’autres de seconde
classe, quand dans la théologie de l’être humain il n’existe qu’une seule
classe, celle des enfants de Dieu? 02/03/80, p.291-294, VIII.
B) Les ennemis de la Croix du Christ
sont ceux qui n’aspirent qu’aux choses terrestres
Dans la seconde lecture d’aujourd’hui
(Ph 3,17-4,1) saint Paul nous parle de ce Christ en qui Dieu nous offre les
projets de la véritable Libération, et oppose aux disciples du Christ, les
ennemis de la Croix du Christ qui ne recherchent que leurs bénéfices temporels.
« Ils n’aspirent qu’à des choses terrestres, leur dieu est leur ventre,
leur gloire est leur honte. » Ce sont là des phrases dures de saint Paul
pour disqualifier ces projets de l’histoire qui ne recherchent que les biens
temporels. Il présente aussi le grand projet de Dieu qui veut introduire dans
les projets de la Terre, son grand projet divin. Ce Dieu qui, depuis la
résurrection, nous dit que le chrétien est un habitant de l’éternité, qui
marche comme un pèlerin sur cette Terre, la travaillant, parce qu’il doit
rendre des comptes à Dieu, mais sachant que sa patrie définitive est là où le
Christ vit pour toujours et oĂą nous serons heureux avec Lui, le grand
Libérateur des peuples. Les hommes libérés seront ceux qui ont fait leur, ce
que saint Paul appelle (Ph 3,21) : « cette force qu’Il a de pouvoir
même se soumettre toutes choses. »
La force de se soumettre toutes
choses
Frères, ne soyons pas faibles lorsque
nous parlons comme chrétiens de notre foi en Jésus-Christ. Personne ne possède
la force d’un chrétien quand il a la foi dans le Christ qui vit et qu’il puise
son énergie en Dieu. Quel dirigeant de l’humanité peut dire à ses disciples
qu’ils vivront éternellement? Quel victorieux de ce monde peut indiquer à toute
l’humanitĂ© la grande victoire sur sa mort et sa RĂ©surrection? Ce ne sont pas lĂ
de fausses considérations, c’est la réalité fondamentale de notre foi
chrétienne. Le Christ est ressuscité et la mort ne le dominera plus. Le destin
de ce Christ ressuscité est de soumettre toute l’histoire à son empire pour
qu’un jour Il puisse livrer à Dieu le règne de l’univers : règne cosmique,
règne des hommes, de l’histoire, règne sur ses ennemis qui comparaîtront enchaînés
sous le pouvoir de Christ qui vaincra pour toujours.
C’est cela, notre foi qui a vaincu le
monde, disait le Christ, et c’est pourquoi le projet de Dieu compte sur la plus
grande énergie qui soit. Ce n’est pas un projet impopulaire, c’est un projet
qui compte sur l’appui et l’amour de tous les disciples de l’Évangile et qui
s’est fait déjà - nous dit le Concile - une nuée de témoins : tout le
saint et le bon qui vit dans l’Histoire. Nous pensons que nos morts se sont
éloignés de nous. Mais en fait, leur Ciel, leur récompense éternelle, les
perfectionnent dans l’amour et ils continuent d’aimer les mêmes causes pour
lesquelles ils sont morts. Ce qui signifie qu’au Salvador cette force
libératrice ne compte pas seulement sur ceux qui demeurent vivants, mais
également sur tous ceux qu’ils ont voulu tuer mais qui sont plus présents que
jamais dans ce processus du peuple…
[Applaudissements]
C’est pourquoi, nous nous intéressons
en vérité à tous les libérateurs de l’histoire de notre peuple et de tous les
peuples des Amériques et du monde. Je n’oublie pas qu’on nous écoute au Costa
Rica, au travers des ondes courtes de la radio Noticias del Continente, ainsi
que dans de nombreux pays du continent et que le silence de notre radio a
produit un véritable miracle : celui de faire entendre ma voix au-delà des
frontières de notre pays. Je recueille ces applaudissements d’une Église pleine
pour leur envoyer nos salutations et leur dire que cette foi chrétienne, la foi
dans le Christ est celle qui donne sa véritable valeur à tous les processus
libérateurs de nos pays latino américains. Je me réjouis que l’intransigeance
de ceux qui ont voulu faire taire la voix de la YSAX, ait ouvert des horizons
si vastes à cette voix de la petite Église du plus petit pays du continent, et
qu’à partir d’ici nous puissions prononcer cette parole libératrice… 02/03/80,
p.294-295, VIII.
3) Le Christ transfiguré est la
présence anticipée d’une Libération définitive
Images de la RĂ©surrection.
Je l’ai déjà dit mais je veux me
centrer sur l’Évangile d’aujourd’hui. Ce Christ qui s’est transfiguré peu de
jours avant de souffrir le Calvaire, nous dit quel est le but de la souffrance
à laquelle Il invite ses apôtres et les chrétiens.
Exhibition de sa gloire cachée
La théologie de la transfiguration
nous dit que le chemin de la RĂ©demption passe par la croix et par le calvaire,
mais qu’au-delà de l’Histoire se trouve le but des chrétiens. Non pas pour nous
aliéner de l’Histoire, mais pour donner plus de sens à l’Histoire, un sens
définitif. Depuis le jour où le Christ ressuscita, demeura allumée dans cette
même Histoire, une torche de l’éternité. Depuis le jour où le Christ ressuscita
dans l’Histoire des hommes, les humains comptent maintenant sur une motivation
qui n’avait jamais existée auparavant pour personne : le Christ vit et
celui qui travaille avec Lui vivra Ă©ternellement.
Dérivés de la Résurrection
« Notre cité se trouve dans les
cieux, d’où nous attendons ardemment comme Sauveur, le Seigneur Jésus Christ.
(Ph 3,20) » Depuis que le Christ ressuscita et se transfigura pour tous
les hommes dans l’Histoire, le Christ dit à tous ses fidèles :
« Celui qui croit en moi, ne mourra pas pour toujours. » Ce Christ
est Celui qui enthousiasme saint Paul quand il écrit cette épître que nous
avons lue aujourd’hui, où il dit aux premiers chrétiens : « Nous
sommes des citoyens du Ciel, d’où nous attendons un Sauveur qui nous donne
l’énergie pour tout soumettre sous ses pieds. »
Je crois que nous, chrétiens, sommes
appelés à offrir à l’histoire du continent latino américain, ces hommes et ces
femmes nouvelles dont les Ă©vĂŞques rĂ©unis Ă MedellĂn parlaient lorsqu’ils
dirent : « Rien ne sert de changer les structures économiques,
sociales et politiques, il ne sert à rien d’avoir des structures neuves s’il
n’y a pas d’hommes nouveaux pour les faire fonctionner. » Et ces hommes
nouveaux, ces hommes rénovés, ce sont ceux qui, avec leur foi dans la
Résurrection de Jésus-Christ, font leur, cette théologie grandiose de la
transfiguration. Ils n’ont pas peur de souffrir, ils embrassent la croix non
pas avec un esprit de conformisme mais comme Marie, qui à partir de sa pauvreté
et de sa souffrance sut dire : « Il a renvoyé les riches les mains
vides et a comblé de biens les humbles; il a renversé de leur trône les
puissants quand ils se convertissent en idolâtres de leur propre
pouvoir… »
C’est pourquoi la prière que nous
avons élevée au début de notre messe demande au Seigneur qu’Il purifie notre
regard pour qu’un jour également il se remplisse de joie dans la contemplation
de sa gloire. Frères, ne perdons pas de vue cette transcendance du message
chrétien; aussi grandes que soient les préoccupations et les responsabilités
des luttes pour le peuple, ne nous contentons pas des Ă©nergies immanentes, sans
transcendance. Je voudrais qu’il y ait de nombreux politiciens, de nombreux
jeunes, ainsi que des hommes qui s’organisent, mais que ce soit avec un grand
et un profond sens chrétien afin qu’ils puissent apporter ce témoignage de la
transcendance à ce processus de notre peuple qui nécessite, aujourd’hui plus
que jamais, le témoignage chrétien.
C’est pourquoi, le processus
libérateur de notre patrie peut être très sûr que l’Église ne l’abandonnera
pas, qu’elle continuera de l’accompagner, mais avec sa voix authentique de
l’Évangile, de la transcendance du Christ. L’Église continuera de rappeler Ă
tous les libérateurs de l’histoire que, s’ils veulent être forts et efficaces,
ils doivent mettre leur confiance dans le grand Libérateur Jésus-Christ et ne
pas s’éloigner de Lui. Et surtout, faites bien attention d’enlever au peuple
ces sentiments chrétiens qui les rendent si nobles et si généreux. Ces
réflexions que nous avons faites sur le Christ transfiguré et notre carême,
sont celles que nous essayons d’incarner dans notre Église comme archidiocèse.
02/03/80, p.295-297, VIII.
Me sont parvenues de nombreuses
lettres Ă©crites avec le langage simple de la campagne, ce qui me remplit de
beaucoup d’émotions, parce que vraiment nous pouvons y sentir le grand bien que
faisait notre radio et le grand mal qu’ont commis les ennemis de l’Église en
lui enlevant cette voix. Puisse Dieu, qu’ils ne le fassent pas une autre fois,
que le carême les convertisse et qu’ils sachent discuter comme des hommes. Les
raisons se combattent avec des raisons s’ils ne sont pas d’accord… Mais que
l’on n’utilise jamais la force brute pour faire taire une voix de la vérité qui
peut sembler très fragile au sens physique. Souvenez-vous du géant Goliath qui
se riait du petit David parce qu’il allait à sa rencontre seulement avec une
fronde, et David lui dit : tu te ris parce que tu te fies dans ton
armement; je viens Ă toi au nom du Seigneur. Et le nom du Seigneur propulse sa
fronde et la pierre se plante dans le front du géant et il est vaincu par le
petit David. Ce sont les actions de Dieu… La vérité physiquement peut être très
faible comme le petit David, mais pour aussi grand, aussi armé que soit le
mensonge, il n’est rien d’autre qu’un fantastique Goliath qui tombera par terre
sous le coup de fronde de la vérité. 02/03/80, p.298, VIII.
Le Pape déclarait récemment ce que je
veux déclarer aussi : le programme qui choisit la mort des hommes
innocents ne démontre pas posséder une vérité quelconque avec laquelle il
puisse prétendre vaincre, avec laquelle il puisse conquérir les cœurs et les
consciences et servir le véritable progrès de l’homme. Au contraire, ne
serait-ce pas plutôt que la violence est le geste le plus éloquent qui démontre
que celui qui tue ne possède pas de raison ou encore, que ses raisons sont très
faibles. La violence n’honore aucun mouvement. 02/02/80, p.299-300, VIII.