Le carême, Triomphe du Projet rédempteur de Dieu dans l’Histoire

 

Premier dimanche du carĂŞme; 24 fĂ©vrier 1980; Lectures : DeutĂ©ronome 26,4-10; Romains 10,8-13; Luc 4,1-13.

 

Dieu a un projet, un plan, pour sauver l’Histoire, pour sauver les humains. Et le carĂŞme nous dit comment triomphe le plan de Dieu malgrĂ© les tentations du mal. C’est ainsi que je vais vous prĂ©senter le thème d’aujourd’hui :

 

1) Victoire du Christ sur l’ennemi du projet rédempteur de Dieu

2) Le rôle de l’Esprit Saint comme force du projet rédempteur de Dieu

3) Par la foi, nous participons à la victoire du plan rédempteur de Dieu.

 

1) Victoire du Christ sur l’ennemi du projet rédempteur de Dieu

 

La rencontre du Christ avec le diable dans le désert

 

L’Évangile d’aujourd’hui nous prĂ©sente la rencontre de deux forces de frappe terribles : le Christ et le diable. Le Christ se prĂ©sente comme l’homme qui va apprendre dans l’expĂ©rience personnelle de tout homme, la valeur de la tentation pour raffermir les convictions de l’être humain.

 

Le Christ, comme homme, vit l’expérience d’Israël au désert

 

Sa présence au désert évoque les 40 ans qu’Israël passa au désert sous la conduite du plan de Dieu parmi les tentations et les difficultés du monde, du démon et des adversités dont ils souffrirent.

 

Tout ce passage Ă©voque le livre du DeutĂ©ronome oĂą MoĂŻse parle au peuple en lui rappelant les merveilles que Dieu a rĂ©alisĂ©es durant l’Exode et comment Il s’attend, en retour, Ă  leur fidĂ©litĂ©. Le Christ apparaĂ®t comme une synthèse de ce peuple pendant cette pause merveilleuse au dĂ©sert : le Christ en prière, le Christ qui jeĂ»ne, le Christ qui affronte les tentations du mal. Il se perfectionne comme l’homme dans l’épreuve et sa victoire sera si resplendissante que, tout au long de ses trois annĂ©es de magistère, fulgureront toujours ces principes avec lesquels Il a vaincu les tentations qui voulaient dĂ©truire le plan de Dieu.

 

Le DĂ©sert : Le lieu des fauves et des dĂ©mons

 

Pour les anciens, le désert, zone inhabitée, était comme le lieu réservé aux fauves et aux démons. Le Christ, en entrant en ce lieu de solitude, est comme un nouvel Adam qui n’entre pas au paradis des délices mais qui va refaire ce paradis à partir du désert. Il est le second Adam, le Rédempteur de l’humanité qui va nous rendre le désert converti en paradis si nous savons suivre ses chemins.

 

A) Pierres et pains

 

Arrivent alors les tentations (Lc 4,3-4) : « Si tu es le Fils de Dieu, dis Ă  cette pierre qu’elle devienne du pain. Â» Et JĂ©sus lui rĂ©pondit : « Il est Ă©crit : Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais toute parole qui sort de la bouche de Dieu est vie pour l’homme. Â» Apparaissent ici les projets : le projet de Dieu et le projet du dĂ©mon, le projet du mal. Portons attention afin de savoir reconnaĂ®tre dans quel projet nous nous sommes embarquĂ©s.

 

Type de messies : Gagner les gens en leur donnant ce qu’ils veulent immĂ©diatement

 

Le dĂ©mon propose au Christ une solution facile au problème, un miracle. « Change les pierres en pains Â». Solutions immĂ©diates, ainsi comme plusieurs politiciens qui voudraient voir les problèmes s’arranger d’avance et qui rĂ©clament jusqu’à l’impossible. Ces rĂ©clamations d’adolescents s’apparentent beaucoup Ă  la tentation du diable : vouloir convertir les pierres en pains et ainsi, nous n’aurons plus faim.

 

Mais le Projet de Dieu veut donner un sens au jeûne; il veut donner un sens à la Croix, au désert, au sacrifice. Alors viendra le pain. La Parole de Dieu est justice et le pain ne se fait pas seulement avec des pierres. Le pain qui doit alimenter tous les êtres humains doit être celui de la juste distribution des biens; il doit aussi provenir des sacrifices des riches qui se privent pour partager avec le pauvre; il doit provenir d’une société organisée selon le cœur et la justice de Dieu. C’est cela, la Rédemption que J’apporte, dit le Christ.

 

Ce n’est pas nécessaire de résoudre maintenant par des miracles faciles qui sont à ma portée, certainement, les situations de désert. Je vais agir en certaines occasions, comme lorsque avec cinq pains je vais donner à manger à cinq mille personnes. Pour moi ce n’est pas difficile de multiplier les pains et d’apporter nourriture et salaire, (de bons salaires, une bonne situation) à tous les marginalisés. Mais le monde ne comprendrait pas. Le riche continuerait d’être égoïste, l’humain ne se convertirait pas. Nous ne construirions pas la société que Dieu a créée, une société de gens intelligents et capables de s’aimer avec les biens qu’ils possèdent et de donner suffisamment de pain pour tous.

 

Comme disait Paul VI, lorsqu’il parlait des mĂ©thodes artificielles contre la natalitĂ© : « Combien triste est le sort des humains, devoir priver certains du banquet de la vie parce qu’ils ne savent pas mieux partager. La question n’est pas de priver ceux qui viennent Ă  la vie, mais de faire en sorte que sur la table il y ait du pain pour tous. Â»

 

Ainsi pourrions-nous dire Ă©galement aujourd’hui : ne recherchons pas des solutions immĂ©diates; nous ne pouvons pas arranger d’un seul coup cette sociĂ©tĂ© si injustement organisĂ©e durant tant de temps; mais organisons, oui, la conversion des cĹ“urs. Que tous et chacun sachent vivre l’austĂ©ritĂ© du dĂ©sert, qu’ils sachent savourer la forte RĂ©demption de la Croix; qu’il n’y ait pas de joie plus grande que de gagner le pain Ă  la sueur de son front et qu’il n’y ait pas non plus de pĂ©chĂ© plus diabolique que d’enlever le pain Ă  celui qui a faim. 24/02/80, p.262, VIII.

 

B) Il s’agit d’une vision instantanée, de dominations politiques

 

Il y a une autre caractĂ©ristique du projet de Dieu et du projet du mal dans l’Évangile d’aujourd’hui. L’Évangile dit qu’aussitĂ´t, en un instant - il s’agit d’une vision - le diable fait passer devant le Christ tous les royaumes et les gloires du monde : les grands dĂ©filĂ©s militaires, les voitures des empereurs. Tout cela est la gloire du monde, tout cela est Ă  moi. Quelle triste possession! Je ne voudrais pas avoir quelque chose qui provient du diable -. (Lc 4,6-8) : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes si tu te prosternes devant moi, car elle m’a Ă©tĂ© livrĂ©e et je la donne Ă  qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, elle t’appartiendra tout entière. Â» Et JĂ©sus lui dit : « Il est Ă©crit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et Ă  Lui seul, tu rendras un culte. Â»

 

Idolâtrie du pouvoir

 

Et le Christ continue d’être affamĂ© dans le dĂ©sert mais l’idolâtrie du pouvoir ne l’a pas vaincu. Quelle leçon terrible et actuelle pour notre temps! Pourquoi les hommes du Salvador luttent-ils? Pour le pouvoir? Le diable ne dit-il pas qu’il est facile de l’acquĂ©rir, il suffit de se prosterner Ă  genoux devant lui. Mais le projet de Dieu dit non Ă  l’idolâtrie. Dans ma lettre pastorale, je dis qu’un des services que l’Église nous rend aujourd’hui, c’est de dĂ©masquer les idolâtries : Idolâtrie de l’argent, idolâtrie du pouvoir, prĂ©tention d’avoir les humains Ă  genoux devant ces faux dieux. La vĂ©ritĂ© est que le projet de Dieu est : « Tu adoreras ton Seigneur, ton Dieu. Â» C’est cela, la vraie solution.

 

La véritable Libération de notre peuple, c’est de leur enseigner qu’il existe une lutte entre le pouvoir de Dieu et les pouvoirs faciles de cette Terre où l’on outrage tellement la dignité humaine, les droits humains et où s’établissent des systèmes politiques qui endorment la conscience des puissants. Malheur aux puissants lorsqu’ils ne tiennent pas compte du pouvoir de Dieu, l’Unique Puissant, lorsqu’il s’agit de torturer, de tuer, de massacrer pour subjuguer le peuple au pouvoir! Quelle terrible idolâtrie sont-ils en train d’offrir au dieu pouvoir, au dieu argent! Tant de victimes, tant de sang que Dieu, le véritable Dieu, l’auteur de la vie, que Dieu va charger très cher à ces idolâtres du pouvoir…

 

C) JĂ©rusalem : But de Luc

 

Et la troisième vision est la troisième tentation que Luc nous propose aujourd’hui dans son Évangile lorsque le diable, qui ne veut jamais se laisser vaincre, amène le Christ au sommet du pinacle du temple pour lui proposer une autre tentation. Il lui dit (Lc 4,9-12) : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est Ă©crit : Il donnera pour toi des ordres Ă  ses anges, afin qu’ils te gardent. Sur leurs mains, ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre. Â»

 Et devant ce succès, la multitude du temple va t’applaudir et tu seras acclamĂ© comme le messie qu’ils attentent. Mais JĂ©sus lui rĂ©pondit : « Il est dit : “Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu.” Tu veux voir si Je suis un messie facile, un messie qui recherche les applaudissements, un messie qui veut gagner les multitudes en leur donnant des solutions vaniteuses, me faisant briller vaniteusement devant eux, cela n’est pas le projet de Dieu. Â»

 

Cela vient de l’humilité de Dieu

 

Le projet de Dieu est l’humilitĂ© de l’homme qui, par la foi, vit sa vie ordinaire et s’approche de Dieu, en observant sa volontĂ©. Il n’est pas nĂ©cessaire de faire des choses ostentatoires; il n’est pas nĂ©cessaire et cela cause de nombreux maux, d’avoir une religion triomphaliste, une politique triomphaliste. Ce qui manque, c’est la soliditĂ©, l’honnĂŞte simplicitĂ© des hommes engagĂ©s au service de Dieu. C’est cela, le projet de Dieu : une vie simple, ordinaire, mais lui donnant un sentiment d’amour, de libertĂ©. Comme notre pays serait beau si nous vivions tous ce projet de Dieu, chacun s’occupant de son travail sans prĂ©tention de dominer, gagnant et mangeant simplement avec justice le pain dont sa famille a besoin! Il n’y aurait pas toute cette terrible situation qui surgit prĂ©cisĂ©ment parce que les humains cherchent un faux messie, comme celui que nous proposait Satan.

 

Victoire de JĂ©sus

 

Le Christ triomphe des projets du mal et Il s’accroche Ă  l’unique projet de Dieu, aux idĂ©aux de Dieu; c’est ce que doit faire tout chrĂ©tien. JĂ©sus a vaincu les tentations au nom de tous les humains. Chacun de nous doit savoir de quel cĂ´tĂ© le projet du mal cherche Ă  entrer en lui : les uns par l’orgueil, les autres par la cupiditĂ©, d’autres par la vanitĂ©, d’autres encore par les triomphes faciles. Faites bien attention, mes frères. Le Christ a dit aujourd’hui une parole qui doit ĂŞtre mise sur les lèvres de chacun et face aux tentations faciles de la vie, ayez le courage de dĂ©fendre l’unique projet qui sauve et qui demeure : le projet de Dieu.

 

Le chemin de la Croix est le seul qui mène à la véritable Victoire

 

Une croix, qui n’en porte pas? Vouloir rejeter cette croix, c’est tomber dans la tentation du diable. S’affermir, embrasser avec tendresse la Croix de mon propre devoir, c’est cela, le projet de Dieu. Vivre avec amour sa propre vie, c’est ce que Dieu veut pour sauver les humains. Le Christ apparaît maintenant victorieux. Je vous supplie de ne pas oublier durant tout le carême, cette figure merveilleuse du Christ au désert, entouré de fauves, tenté par le démon, récupérant le paradis. Et Il le récupérera lorsque tous les humains seront comme Lui, des disciples fidèles du projet de Dieu. 24/02/80, p.262-264, VIII.

 

2) Le rôle de l’Esprit Saint comme force du projet rédempteur de Dieu. Insistance de Luc à mentionner l’Esprit

 

Avec quelle insistance l’Évangile de saint Luc nous dit que le Christ était porté par l’Esprit. C’est pourquoi on le désigne comme étant l’Évangile de l’Esprit. On ne peut concevoir un Christ qui soit Sauveur de l’humanité, si ce n’est qu’habité par l’Esprit de Dieu. Dès le commencement, dans les entrailles de la Vierge Marie, l’Esprit Saint est l’auteur de cette nature humaine, uni intrinsèquement à la personne divine de Dieu le Fils. Depuis lors, le Christ est l’œuvre de l’Esprit Saint et ainsi toute l’œuvre de la Rédemption est le fruit de son labeur. Il est nécessaire de tenir compte de cela pour comprendre les autres lectures de ce jour.

 

Le Credo du peuple d’Israël

 

La première lecture (Dt 26,4-10) est le credo du peuple d’IsraĂ«l. Gardons bien cela en tĂŞte, parce que c’est un « je crois en Dieu Â» mais non pas dans un Dieu dĂ©sincarnĂ©, mais dans le Dieu de l’Histoire. Ainsi commandait MoĂŻse au citoyen d’IsraĂ«l : lorsqu’il rĂ©coltera la moisson de son champ, il devra apporter au temple les prĂ©misses et l’offrir Ă  Dieu avec cette prière qui est le credo d’IsraĂ«l. (Dt 26,5-7) : « Tu prononceras ces paroles devant YahvĂ© ton Dieu : “Mon père Ă©tait un aramĂ©en errant qui descendit en Égypte, et c’est en petit nombre qu’il y sĂ©journa avant d’y devenir une nation grande, puissante et nombreuse. Les Égyptiens nous maltraitèrent, nous brimèrent et nous imposèrent une dure servitude. Nous avons fait appel Ă  YahvĂ© le Dieu de nos pères. YahvĂ© entendit notre voix, il vit notre misère, notre peine et notre oppression…” Â» et il poursuit en dĂ©crivant comment Dieu les fit sortir d’Égypte par le dĂ©sert pour leur donner une patrie, une Terre promise.

 

Promesse aux patriarches

 

Le credo d’IsraĂ«l est une histoire. Un credo qui commence par la promesse faite aux patriarches, promesse incroyable : un vieillard Ă  qui Dieu promet un peuple nombreux alors qu’il n’avait aucun fils et qu’il Ă©tait stĂ©rile. Un peuple qui croĂ®t sous l’esclavage et Ă  qui Dieu dit qu’Il va leur donner une terre oĂą coulent le lait et le miel. Ce peuple sort vers la Terre promise et lorsqu’elle devient rĂ©alitĂ©, les fruits de cette terre sont l’expression que Dieu a accompli sa promesse et c’est pourquoi on lui fait des offrandes. Cette offrande de cette messe d’IsraĂ«l, comme notre offertoire, rend grâce pour notre terre, pour notre patrie et pour nous rappeler que Dieu n’a pas abandonnĂ© le peuple.

 

La foi d’Israël est la foi de sa propre politique

 

Les Israélites n’avaient pas une foi vaporeuse comme plusieurs chrétiens qui croient que lorsqu’on parle de ces choses, on se mêle de politique. La foi d’Israël était la foi de sa propre politique, la foi et la politique y étaient converties en un seul acte d’amour au Seigneur. C’était une politique qui s’inspirait de la grâce et des promesses de Dieu. Et le Dieu de tous les peuples, qui est aussi celui du Salvador, doit être un Dieu qui éclaire la politique. C’est Lui qui nous donne nos champs, c’est Lui qui veut la réforme agraire, c’est Lui qui veut une meilleure répartition des biens que le Salvador produit. Ce n’est pas juste que quelques-uns amassent dans leurs voûtes alors que le peuple demeure privé de ces dons que Dieu a créés pour tous. 24/02/80, p.264-265, VIII.

 

L’histoire d’Israël possède une unité et c’est l’Histoire du Salut parce que c’est l’Esprit qui l’apporte

 

Ce credo a été inspiré par l’Esprit Saint qui donne unité à toute l’histoire d’Israël. C’est pourquoi la Bible, qui est l’histoire de ce peuple, apparaît comme le livre de l’Esprit Saint. Même si ce sont des hommes de divers siècles et de diverses cultures qui l’ont écrit, c’est l’Esprit Saint qui écrit les pages de l’histoire d’Israël qu’est la Bible, modèle de toutes les histoires de tous les peuples. C’est pourquoi tous les peuples doivent lire la Bible et apprendre d’elle les relations qui existent entre la foi et la politique.

 

La Bible est le livre modèle pour apprendre ici Ă  vivre cette relation merveilleuse de la foi et de la politique. C’est pourquoi, lorsque l’Esprit Saint amène les temps d’IsraĂ«l jusqu’à sa plĂ©nitude et que naĂ®t le Christ par son Ĺ“uvre, ce Christ commence Ă  former un nouveau peuple : nous les chrĂ©tiens. Et ici surgit encore le peuple; nous sommes l’œuvre de l’Esprit Saint. Dieu rĂ©alise l’Histoire du Salut dans l’histoire de chaque peuple; c’est pourquoi, un peuple ne peut ĂŞtre comparĂ© Ă  un autre peuple et aucun empire n’a le droit de venir influencer la manière d’être de notre peuple…

 

[Applaudissements]

 

Le Dieu des grands empires est le Dieu qui, lĂ -bas, rĂ©clame la justice aux puissants et qui dĂ©fend les pauvres de ce peuple. Il a suffisamment Ă  faire lĂ -bas! Et le Dieu de nos peuples pauvres construit lui aussi l’Histoire du Salut avec l’histoire salvadorienne et non avec l’histoire artificielle… L’Histoire que l’Esprit Saint anime constitue pour le peuple chrĂ©tien une merveilleuse motivation et s’appelle : la RĂ©surrection. L’Esprit qui ressuscita le Christ nous a donnĂ©, en ce Christ ressuscitĂ©, le modèle de l’Histoire. C’est vers lĂ  que doivent tendre toutes les histoires, pour faire des hommes qui après avoir vĂ©cu avec leur croix Ă  l’épaule, ressuscitent Ă  la libertĂ© que l’on doit savourer dĂ©jĂ  sur cette Terre, mais qui ne sera dĂ©finitive que lorsque nous savourerons la plĂ©nitude du Règne de Dieu.

 

Cela ne signifie pas que nous devions délaisser la libération du peuple en attendant l’au-delà de la mort. Je suis en train de dire que le Christ ressuscité appartient déjà à l’histoire présente et qu’Il est source de liberté et de dignité humaine. C’est précisément pour cela que nous célébrons le carême comme préparation pour la Pâque, pour qu’à partir de notre situation salvadorienne, en vivant notre carême salvadorien, les Salvadoriens savourent la Vie nouvelle du Christ ressuscité en cherchant à construire un pays plus juste, plus fraternel, où se vit plus intensément la Vie de Dieu que le Christ nous a apportée et qu’Il nous donne par son mystère pascal.

 

Le carĂŞme et la Pâque nous appartiennent et nous pouvons dire cela de chaque peuple : le Christ est nĂ´tre, le Christ est salvadorien pour les Salvadoriens. Le Christ est ressuscitĂ© ici au Salvador pour nous, pour chercher, Ă  partir de la force de l’Esprit, notre propre idiosyncrasie, notre propre histoire, notre propre libertĂ©, notre propre dignitĂ© de peuple salvadorien. 24/02/80, p.265-266, VIII.

 

3) Par la foi, nous participons à la victoire du plan rédempteur de Dieu

 

La profession de foi d’Israël

 

Dans la première lecture d’aujourd’hui, je vous ai dit qu’il s’agissait lĂ  de la profession de foi du peuple d’IsraĂ«l qui consiste principalement en ces trois grands articles de foi de l’IsraĂ©lite :

 

1) L’élection des patriarches. Dieu choisit un Araméen, Abraham, sans mérite, pour faire naître un peuple à partir de presque rien.

2) Dieu fit un peuple et le sortit de l’esclavage Ă  l’indĂ©pendance : Égypte et l’Exode.

3) Il nous a donné un peuple et ce peuple nous devons le construire selon le cœur de Dieu. Ce credo change pour les chrétiens, non pour cesser d’être patriotes, mais pour donner un sens plus divin à notre histoire comme nous dit la seconde lecture (Rm 10,8-13). 24/02/80, p.267, VIII.

 

Saint Paul nous décrit merveilleusement quel est le processus de la foi chrétienne et quel est son contenu.

 

A) Processus

 

La profession de foi des chrétiens

 

Le processus est bien simple dit saint Paul (Rm 10,8) : « La Parole est tout près de toi, sur tes lèvres et dans ton cĹ“ur. .Entends : la Parole de la foi que nous prĂŞchons. Â» C’est ce qui est primordial : proclamer la Parole de Dieu pour la rendre accessible aux humains. C’est cela, la mission du prĂ©dicateur. C’est cela, la mission de la radio; c’est pourquoi elle nous manque et nous devons l’avoir un jour, parce que les vĂ©hicules de la Parole la transportent auprès des gens et saint Paul nous dit que la foi commence lĂ  oĂą la Parole est entendue. « Comment vont-ils croire, dit saint Paul, s’ils ne l’ont pas entendue? Â»

 

Il est nĂ©cessaire d’entendre la Parole pour voir si nous croyons ou si nous ne croyons pas; mais il faut l’entendre. Que la Parole s’approche! Dans le processus de la foi, chers amis, pères de famille, catĂ©chistes, professeurs de collèges chrĂ©tiens, quelle grande mission est la nĂ´tre : faire entendre la Parole de Dieu Ă  l’ouĂŻe humaine!

 

Acceptation… Intériorisation

 

Ensuite, on l’accepte dans le cœur; c’est l’acceptation de la foi, c’est l’intériorisation, je crois. Mais cette intimité de foi ne suffit pas, dit saint Paul. Il faut l’expliquer, il faut l’extérioriser.

 

Cela se vérifie dans les actes liturgiques

 

Et alors la foi s’extériorise par les signes liturgiques. Les sacrements sont les signes de la foi que l’on porte en son cœur. Les sacrements de la foi se nomment, et c’est pourquoi nul ne devrait recevoir un sacrement sans savoir de quoi il s’agit. C’est pourquoi nous insistons tant sur le fait que l’on ne devrait pas baptiser aucun enfant sans avoir expliqué à ses parents et à ses parrains ce que signifie le baptême. Personne ne devrait se marier à l’Église sans avoir reçu au préalable une explication sur ce qu’est le sacrement du mariage. On doit recevoir un sacrement avec une explication de la foi qu’il porte à l’intérieur.

 

Le sacrement procède de la foi. Venir Ă  la messe le dimanche est un sacrement. L’Eucharistie nous convoque parce que nous croyons que le Christ est notre chef, le conducteur de ce pèlerinage. C’est pourquoi, chaque dimanche, nous venons, remplis de foi, pour nous sentir davantage unis Ă  Lui. Nous expliquons la foi. Si quelqu’un n’est pas catholique, il ne vient pas Ă  la messe parce que ce n’est pas sa foi. Nous venons Ă  la messe pour dire : « cette foi intime que je porte au-dedans de moi, je vais aller la partager avec tous mes frères qui vont assister Ă  la Sainte Messe Â». Cette foi devient explicite en la vivant. C’est ce que je vous ai dit auparavant : convertissons-nous en porte-voix de Dieu! Cette foi que je porte, que je puisse la transmettre par mon exemple, par mon honnĂŞtetĂ©, par mon aimable parole, par la consolation que je donne. Je dois ĂŞtre un modèle de la Parole de Dieu qui s’est faite vie dans l’intimitĂ© de mon ĂŞtre. C’est cela, la foi. 24/02/80, p.267-268, VIII.

 

B) Contenu de la foi chrétienne

 

Quel est le contenu de cette foi chrĂ©tienne? Saint Paul dit deux choses aujourd’hui : croire que le Christ est le Seigneur et que Dieu L’a ressuscitĂ© d’entre les morts. Il s’agit lĂ  des deux grands articles de la foi chrĂ©tienne. Le Christ est le Seigneur, c’est-Ă -dire Dieu, et, devant le Christ seul, il faut nous agenouiller; nous devons n’avoir d’autre ambition que d’être Ă  l’image du Christ, et nous ne devons jamais placer quelque chose au-dessus du Christ notre Seigneur. Il est ressuscitĂ© et Il vit. Il m’attend. Je crois en un homme qui, certes est mort mais qui est vivant et sur qui la mort n’aura plus d’emprise. C’est cela, la foi chrĂ©tienne; c’est pourquoi le carĂŞme nous prĂ©pare Ă  la Pâque pour pouvoir dire non seulement avec les lèvres mais avec la vie : Le Christ est le Seigneur, je n’ai pas Ă  adorer personne d’autre; je ne m’agenouille que devant Lui uniquement et, mĂŞme si je meurs, je serai toujours agenouillĂ© devant le Christ; jamais je ne m’agenouillerai devant des hommes ou des femmes.

 

Contenus distincts… La même offrande à Dieu

 

Comme vous voyez, chers frères, entre la foi de l’Ancien Testament et celle du Nouveau Testament, les contenus diffèrent quelque peu, mais ce qu’ils veulent nous dire de la foi est fondamentalement la mĂŞme chose. Lorsque l’IsraĂ©lite professait sa foi : « Je crois dans le Dieu qui choisit Abraham, je crois dans le Dieu qui fit un peuple et le sortit d’Égypte, je crois dans le Dieu qui m’a donnĂ© cette terre avec ses fruits, Â» ce que je suis en train de dire c’est que : j’ai confiance en Dieu, je crois en Lui, je m’offre Ă  Lui et aucun autre dieu je n’adorerai. Maintenant lorsque le chrĂ©tien dit : « Je crois que le Christ est le Seigneur, je crois que le Christ ressuscita et qu’il est vivant, Â» ce sont des contenus distincts mais l’objet est le mĂŞme. Je dois croire en Dieu, je dois adorer Dieu, je dois suivre le Christ.

 

Pour l’IsraĂ©lite, le Christ n’existait pas. Il Ă©tait une promesse que Dieu allait se faire homme. Pour nous, chrĂ©tiens, cette grande promesse de l’Histoire est dĂ©jĂ  une rĂ©alitĂ©. Le Christ est Dieu fait homme. C’est Ă  nous que revient de changer toute l’histoire d’IsraĂ«l par ce « je crois Â». Il personnifie IsraĂ«l. Le Christ est la personnification de toute cette Histoire du Salut. Le carĂŞme nous prĂ©pare Ă  ĂŞtre dignes de suivre le Christ vĂ©ritable.

 

Ma conclusion serait la suivante : Ayons la foi, croyons en vĂ©ritĂ© et Ă  partir de notre foi, Ă©clairons notre politique, travaillons notre histoire, soyons artisans du destin de notre peuple. Non pas en rĂ©alisant un projet uniquement humain et, encore moins inspirĂ© par le diable, mais un projet que Dieu inspire et qui m’amène Ă  croire en JĂ©sus-Christ, qui me fait sentir l’histoire de ma patrie comme une Histoire du Salut oĂą le Christ est prĂ©sent, dans ma famille, dans les lois de ma terre, dans mon gouvernement, dans tout ce qui constitue ma patrie afin que le Christ soit la lumière qui illumine tout. C’est ainsi que la patrie se transforme en une antichambre de ce Règne de Dieu. Â» 24/02/80, p.268-269, VIII.

 

Mes frères, l’histoire de notre pays est très dense mais je me console en sachant qu’elle est Ă©clairĂ©e par l’Histoire du Salut. Le Christ au dĂ©sert nous a enseignĂ© aujourd’hui qu’un homme peut choisir d’être influencĂ© par la loi du projet de Dieu ou par les tentations du mal. Ce Christ, Fils de l’homme, parce qu’Il reprĂ©sente tous les humains, nous livre le grand message de ce dimanche. Nous bâtissons notre histoire sous ces deux influences : notre foi chrĂ©tienne et les mauvaises influences du crime, de la violence et des autres qui occupent actuellement la première place dans notre histoire.

 

Je vous supplie, comme Jésus dans le désert, de réfléchir, pour connaître ce qu’est le projet de Dieu. Et comme chrétiens, tous et chacun, soyons un reflet de ce projet de Dieu. Cherchez avant tout la volonté du Seigneur et non les caprices des humains, surtout lorsqu’ils sont inspirés par les crimes de l’égoïsme. Que cherchons-nous? Qu’est-ce que Dieu veut? Cherchez la volonté de Dieu jusque dans la faim du désert, jusque sur la Croix de son propre Fils Sauveur du monde, non pas pour des apparences de salut mais par la force véritable qui émane seulement de la Croix et du sacrifice.

 

Le carême est un appel pour que nous aimions notre patrie et pour que nous sachions par quels chemins veut la conduire le Seigneur. Ne nous laissons pas tromper. C’est pourquoi, comme les Israélites, dans notre messe d’aujourd’hui, nous allons proclamer notre foi dans le Dieu de notre histoire… 24/02/80, p.278, VIII.