L’Église de la véritable
Indépendance, l’Église de la Liberté authentique
Vingt-quatrième dimanche du temps ordinaire;
11 septembre 1977; Lectures : Exode 32,7-11)13-14; Timothée 1,12-17; Luc
15,1-32.
Péché social
Le péché social existe. Quand les
évêques latino-américains dénoncèrent le péché de l’injustice sociale comme
péché institutionnel de l’Amérique latine, ils faisaient écho à cette page de
l’Exode (32,7-11)13-14) lorsque Dieu lui-même dit à Moïse : « Ton
peuple a péché. Il s’est éloigné de la voie que Je lui avais tracée. Je vais
détruire ce peuple. » Et c’est l’intervention de Moïse, véritable libérateur
devant Dieu. 11/09/77, p.212, I-II.
PĂ©cheur repenti
Je voudrais inviter chaque
Salvadorien au repentir et cela, peu importe son péché et sa situation
actuelle. En cette heure où nous célébrons l’anniversaire de la patrie, combien
de fils de celle-ci se noient dans le vice, se traînent par terre en ignorant
leur dignité humaine et salvadorienne. Combien de couples en conflit, combien y
a-t-il d’époux adultères, de fils dégénérés, combien y a-t-il de jeunes qui se
perdent dans le vice au lieu de s’alimenter de grands idéaux pour le futur,
combien existe-t-il de familles déchirées, combien d’angoisses des disparus,
combien de douleurs dans ces cadavres ambulants dans les cachots de nos
prisons, torturés, horriblement flagellés, disparus injustement, morts vivants
de notre patrie. C’est l’image d’un peuple auquel Dieu pourrait s’approcher le
15 septembre et dire à nouveau comme Il dit à Moïse : « Mon pauvre
peuple salvadorien, le pauvre peuple qui s’est éloigné des chemins du bonheur
que Je lui avais tracés. » Un revirement s’impose, frères. 11/09/77,
p.213, I-II.
Éloignement de Dieu
« L’homme a été créé par Dieu,
disait saint Augustin, et son cœur demeure inquiet tant qu’il ne repose pas en
Dieu. » Dieu m’a fait pour Lui et toute ma raison d’être, la culture de
mes qualités, le développement de mes facultés, toute ma vie sera heureuse en
se développant si elle a pour centre la gloire de Dieu. Saint Ignace de Loyola
le dit en employant ces formules jésuites : Ad mayorem Dei gloriam, « À la plus grande gloire de
Dieu ». C’est pour cela que les jésuites travaillent et qu’ils avancent
jusqu’aux frontières dangereuses de l’Église, qu’ils continuent même si on les
menace de mort s’ils ne s’en vont pas. Parce qu’ils travaillent pour la gloire
de Dieu et si Ă cet endroit la mort les surprend, celle-ci ne pourra pas leur
enlever la gloire de Dieu qu’ils continueront de savourer pour toujours, dans
la mesure où ils la cultivent ici, dès cette vie. Bienheureux l’homme qui sait
travailler pour la gloire de Dieu, qui sent qu’en aucune autre partie du monde
il ne peut ĂŞtre aussi heureux que sous la loi du Seigneur.
La bête insensée qui se frappe contre
une roche ne fait aucun mal Ă la roche, elle se fait du mal Ă elle-mĂŞme. Il en
est de même pour le pécheur, pour celui qui persécute l’Église. Celui qui tue
des prêtres, qui les expulse, qui torture le catéchiste est en train de ruer
dans les brancards. L’Église ne bronche pas. L’Église demeure même si cela ne
paraît pas dans les journaux, même si on la critique. L’Église est un rocher
qui demeurera pour toujours. C’est pourquoi il vaut mieux rester fidèle à cette
Église que de recevoir de l’argent pour l’espionner. Il vaut mieux être un
humble fils de l’Église que d’être bien politiquement et économiquement, mais
en piétinant cette pauvre Église. Parfois, il me semble que c’est nous, mes
frères, qui détruisons la maison paternelle. Il nous faut d’abord beaucoup
réfléchir. 11/09/77, p.214-215, I-II.
Inégalités
Dans le monde actuel, il existe de
nombreuses inégalités sociales, où les richesses font que plusieurs se sentent
les euphories de l’enfant prodigue. Le père ne manque pas, la maison paternelle
ne manque pas. Ici il y a des amis, il y a un banquet, il y a des fĂŞtes, toutes
les portes s’ouvrent à l’argent. C’est pour cela que le Christ faisait ces
admonestations sévères envers les richesses, non que les richesses soient
mauvaises en soi, mais parce que l’homme, à l’imitation du fils prodigue, met
tout son plaisir, tout son pouvoir, toute sa joie dans l’argent. C’est comme ce
que Dieu dit à Moïse dans la première lecture (Ex 32,7-11)13-14) – observez comment le Seigneur a bien défini ici la
position d’une richesse qui s’est convertie en idolâtrie : « Je vois
ce peuple à la nuque raide. Ils se sont détournés du chemin que Je leur avais
indiqué. Ils se sont fabriqué un taureau de métal », un veau d’or.
Qu’est-ce d’autre que la richesse
lorsqu’on ne pense plus à Dieu? Une idole d’or, un veau d’or qu’ils adorent et
auquel ils offrent des sacrifices. Quels sacrifices Ă©normes sont faits devant
cette idole qu’est l’argent, non seulement des sacrifices, mais aussi des
iniquités. On paie pour tuer, on paie le péché et on se vend, tout est
commercialisé, tout est licite pour de l’argent.
Et parce que l’Église veut demeurer
fidèle à ce Dieu unique et qu’elle parle comme Moïse contre les faux dieux que
les humains idolâtrent, l’Église doit souffrir. Sa mission prophétique est
douloureuse, mais nécessaire. Elle prie comme Moïse à Dieu :
« Seigneur aie miséricorde de ce peuple. Fais-lui sentir la vanité de ces
choses. Seigneur ne les condamne pas. » Très chers frères, nous n’avons
jamais prêché avec ressentiment ou avec haine. Nous prêchons avec des regrets,
avec amour, avec douleur, parce que l’idolâtrie de l’argent fait que plusieurs
de nos frères se perdent, parce que le cœur de l’homme est en train de se
métalliser. 11/09/77, p.215, I-II.
Sans Bonheur
Lorsque l’Église se nomme l’Église
des pauvres, cela ne consiste pas en cette pauvreté pécheresse. L’Église
s’approche du pécheur pauvre pour lui dire : « Convertis-toi,
valorise-toi, ne t’endors pas. Tu dois comprendre ta propre dignité. » Et
cette mission de promotion humaine que l’Église est en train de mener à terme,
dérange également parce qu’il convient à plusieurs d’avoir des masses de gens
endormis, des êtres qui ne s’éveillent pas, des personnes conformistes,
satisfaites de la nourriture des porcs.(Parabole de l’enfant prodigue).
L’Église n’est pas d’accord avec cette pauvreté pécheresse. Oui, elle veut la
pauvreté, mais la pauvreté avec dignité, pas celle qui est le fruit d’une
injustice et qu’on doit combattre pour atteindre la digne pauvreté du foyer de
Nazareth. Joseph et Marie étaient pauvres, mais quelle pauvreté plus sainte,
quelle pauvreté plus digne. Grâce à Dieu nous avons des pauvres qui sont eux
aussi de cette catégorie parmi nous. C’est cette catégorie de pauvres dignes,
de pauvres saints, que Jésus Christ proclame : « Bienheureux ceux qui
ont faim, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui ont faim de justice. »
C’est à partir de là que l’Église, suivant l’exemple du Christ, proclame que
c’est cette pauvreté qui va sauver le monde; parce que les riches et les
pauvres doivent se faire pauvres Ă partir de la pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique, non pas Ă
partir de la pauvreté qui est le fruit du désordre, et du vice; sinon à partir
de la pauvreté qui est de tout espérer de Dieu, qui est de tourner le dos au
veau d’or pour adorer le seul Dieu, qui est de partager le bonheur d’avoir avec
tous ceux qui n’ont rien, qui est la joie d’aimer. Parce que ce pauvre pécheur
dans la profondeur de sa misère sent l’appel de l’amour. 11/09/77, p.216, I-II.
Mouvement de conversion
Frères, nous avons souvent dit que
l’Église appelle à la conversion, que lorsqu’elle clame contre le péché, contre
les outrages, contre des formes si nombreuses de péché présent dans notre
environnement, elle ne fait pas cela par triomphalisme, comme si elle se
sentait supérieure. Elle fait cela, se sachant elle-même pécheresse, en sentant
l’appel de l’amour, de la conversion, de la maison du Père qui nous espère.
Vous avez entendu le cri d’angoisse du fils, mais au même moment rempli de
confiance (Lc 15,17-19) : « Combien de journaliers dans la maison de
mon père ont du pain en abondance, tandis que moi je meurs de faim? Je vais me
mettre en chemin vers la maison de mon père et je lui dirai : “Père, j’ai
péché contre toi et le ciel, je ne mérite plus d’être appelé ton fils.” »
C’est l’heure de la conversion. Comme
je voudrais, frères, qu’au lieu de mes pauvres paroles, ce soit la voix de
votre propre conscience. Que vous entendiez là -bas dans l’antre de votre péché
- que ce soit comme adorateur du veau d’or ou comme pauvre victime de votre
mauvaise volonté, vous lamentant sur votre condition de pécheurs; sentez que
Dieu vous appelle, que l’amour vous espère, l’amour qui triomphe parce que là ,
à l’autre bout du chemin, dans sa maison ensoleillée, le pauvre vieux sortait
tous les jours pour guetter s’il ne voyait pas son fils ruiné revenir chez lui.
Et un jour il s’émeut de voir venir sur le chemin une figure squelettique,
repentie, mal à l’aise, et son cœur se serre. « C’est mon fils, » et
il court Ă sa rencontre.
L’Église est pour les pécheurs. Le
Christ est venu pour les pécheurs, « pour moi le premier » disait saint
Paul. Nous rencontrons maintenant le fils prodigue dans sa troisième phase,
celle que je voudrais pour vous tous et pour moi : le retour, où l’amour
attend à bras ouverts. Je ne serai pas rejeté aussi grand que soient mes
péchés. Je vous le répète frères, parce que j’ai reçu ces jours-ci des
confidences très profondes de pécheurs qui m’ont dit : « Est-ce que
le Seigneur me pardonnera si mes péchés sont si grands? » C’est sûr qu’Il
te pardonne, aussi grandes que soient tes fautes, plus grande est sa bonté.
Aucun péché ne peut éteindre l’incendie d’amour de Dieu. Au contraire, cet
amour de Dieu, comme un incendie, détruira tout la malice des péchés qui
existent en ce monde. 11/09/77, p.217, I-II.
Changement des structures et des
cœurs
Je voudrais, très chers frères, comme
fruit de cette réflexion à la veille du jour de la patrie, vous rappeler ce que
l’Église enseigne que les structures sociales, le péché institutionnel dans
lequel nous vivons doivent être changés. Tout cela doit changer, cela ne peut pas
continuer ainsi. Tous ces outrages dont j’ai fait mention au début. Les noms
des victimes changent, mais la cause demeure la mĂŞme. Nous vivons une situation
d’inégalité, d’injustices, de péché et le remède ce n’est pas de réprimer par
la force des armes, de payer pour tuer la voix qui parle. Cela ne réglera rien,
cela fait empirer les choses, cela fait fleurir davantage le cri prophétique de
l’Église. Ce qui fonctionne c’est de se mettre à changer à partir de la
position de chacun, du gouvernement, du capital, de l’ouvrier, du jeune
travailleur, du propriétaire de plantations afin qu’il y ait davantage de
justice et d’amour.
Mais les changements de structures ne
suffisent pas, dit MedellĂn : « Tant que nous n’aurons pas d’hommes
nouveaux, nous n’aurons pas un continent nouveau. » Tant que nous n’aurons
pas de Salvadoriens nouveaux, nous n’aurons pas une patrie meilleure, libre,
véritablement indépendante; parce que le véritable esclavage est ici dans le
cœur du Salvadorien. Attaché au péché on ne peut être un agent de libération.
Nous devons rompre la chaîne du péché : nous devons imiter le fils
prodigue, sentir qu’on ne peut changer avec la nourriture des porcs, la
situation injuste du pays. Ce n’est pas en rapiéçant, en raccommodant, en
fustigeant, en torturant, et en réprimant; il s’agit là des caroubes des
cochons. Il est nécessaire de retourner sincèrement vers Dieu : le peuple,
comme Moïse qui conduit Israël, doit se repentir et demander pardon à Dieu;
l’individu, chacun et chacune d’entre nous, responsable de sa propre destinée;
et tous ensemble, responsables de la réalité de la patrie. Que chaque
Salvadorien rentre dans l’intimité de son cœur et dise en vérité :
« Suis-je un agent de libération pour ma patrie? Me suis-je libéré de mes
propres péchés en premier lieu? Tant que je serai un esclave de Satan dans le
péché, cela ne sert à rien que je me regroupe, que je m’associe, que je crie
libération; je ne suis pas un agent de libération. C’est pour cela que l’Église
amène en cette heure de nécessaire libération du peuple, la mystique de la
libération du péché à partir de la profondeur du cœur de l’enfant prodige.
Peu importe ce que nous avons été,
l’enfant prodigue disparaît comme pécheurs dans les bras de son père et
recommence à être le bon fils qu’il était. Et Paul (I Tm 1,12-17), le
persécuteur, violent et blasphémateur, comme lui-même le rappelle, n’est plus
qu’un apôtre désormais, parce qu’il a aimé le Christ, qu’il s’est laissé inondé
par l’Amour. Nous croyons en l’Amour, frères, en l’Amour qui m’attend, en
l’Amour qui veut cette patrie plus heureuse, en l’Amour qui veut que chaque
Salvadorien soit plus digne, en l’Amour qui espère l’enfant prodigue qui
s’alimente encore de caroubes. Cet Amour veut donner le véritable pain de la
dignité humaine, le véritable éveil d’une conscience digne. Je souhaite à tous
que le 15 septembre prochain (fête nationale) soit véritablement un jour de
rencontre du fils prodigue et de la nation pécheresse avec Dieu qui est
l’amour, qui pardonne et qui nous veut heureux. 11/09/77, p.217-218, I-II.