Responsabilité du Règne…

 

Treizième dimanche du temps ordinaire; 26 juin 1977; Lectures : Rois 19,16b,19-21; Galates 4,31)5,1)13-18; Luc 9,51-62.

 

Vous tous, chers laïcs, religieux, religieuses et prêtres, nous sommes le Peuple de Dieu et sur nos épaules repose la responsabilité de ce Règne de Dieu. Personne ne doit demeurer spectateur. Nous devons tous être dans l’arène de la lutte pour implanter en ce monde ce Règne de Dieu, chacun selon sa vocation. 26/06/77, p.107, I-II.

 

 

DĂ©tachement

 

Il en existe plusieurs qui comme ceux que le Christ rejeta, sont médiocres. Ils désirent davantage s’accommoder avec leur famille, avec les biens de ce monde. Ils ne sont pas capables de se détacher, mais cette vocation chrétienne en est une de détachement. Le Fils de l’homme a vécu détaché des biens de ce monde. L’Église qu’Il a fondée ne doit pas s’appuyer sur aucun pouvoir, comme dirent les évêques à Medellín. Elle doit être détachée de tout pouvoir, que ce soit économique ou politique, et de toutes classes sociales. Elle doit s’appuyer sur elle-même. Nous le répéterons sans cesse, cela ne signifie pas que nous ayons de la haine envers quelque classe que ce soit. Au contraire, cela veut dire aimer toutes les classes. Que l’on sente que cette Église est nécessaire parce qu’elle offre aux gens la faveur d’être sauvés. Ce ne sont pas les gens qui offrent à l’Église la faveur de l’appuyer. 26/06/77, p.108, I-II.

 

 

L’Église libre de la Terre se confie en Dieu

 

Cette épître de saint Paul (Gal 4,31; 5,1, 13-18) traite de la justification, du fait que l’homme ne se justifie pas par ses œuvres terrestres, mais par sa foi en Jésus-Christ. Lorsqu’il travaille à ses tâches en ayant à l’esprit le Christ Notre Seigneur, celui-ci donne leur véritable sens aux occupations terrestres. C’est une Église qui transcende, une Église qui n’offre pas le Paradis sur la Terre, une Église qui, comme le Christ n’offre à ses disciples ni le nid de l’oiseau, ni même une grotte où se reposer. Une Église qui détient toute sa joie et toute son efficacité dans sa propre liberté. […]

 

« Votre vocation est la libertĂ©! Â» Combien belle est la consigne de l’Église : La libertĂ©! C’est une parole qui se rĂ©pète beaucoup de nos jours, mais si nous l’analysons Ă  la lumière de l’Évangile, de la Parole de Dieu, c’est une Parole qui porte un contenu très difficile. Et saint Paul commence en faisant cette distinction : « Ce n’est pas une libertĂ© d’égoĂŻste. Â» La libertĂ© n’est pas le libertinage. La libertĂ© ne veut pas dire faire tout ce dont j’ai envie. La libertĂ© c’est la justification, celle de celui qui a commencĂ© Ă  se libĂ©rer de son pĂ©chĂ©. C’est ici que rĂ©side la racine de tous les maux. Cette voix de la libertĂ© est partie prenante du message de la justification. 26/06/77, p.108-109, I-II.

 

 

Le Christ de la liberté

 

Le Christ se dirige vers Jérusalem où Il va réaliser la grande œuvre de la Liberté. Pour réaliser le dessein de son Père, Il marche résolument vers le sacrifice de la Croix, mais de là vers la liberté de la Résurrection. Il doit d’abord passer plusieurs épreuves, mais le Christ va nous donner la liberté par sa mort sur la Croix. C’est uniquement ainsi que l’être humain pourra atteindre la véritable Liberté, parce que le péché de l’homme ne peut être pardonné que par la Rédemption du Christ.

 

Frères, en premier lieu, la liberté à laquelle nous devons aspirer ne pourrait faire abstraction du Christ. Seul le Christ est le Libérateur, parce que la Liberté arrache le péché, enlève le péché, affranchit le péché. C’est pourquoi l’Église spirituelle par essence, essentiellement religieuse, doit prêcher avant tout la pénitence, la conversion. Si un homme ne se convertit pas de son péché, il ne peut pas être libre, ni libérer les autres. C’est pourquoi l’Église réaffirme sa Libération. Elle n’est pas communiste. Que cela soit bien clair, car on m’accuse d’être communiste. L’Église n’a jamais prêché le communisme parce que si elle prétend libérer les hommes et les femmes c’est à partir du Christ. C’est ce que nous avons toujours enseigné, la liberté que l’Église propose est avant tout la liberté dans la justification, dans le repentir du péché, dans le détachement de l’égoïsme, dans le renoncement à tout ce qui en dérive, dans toutes les conséquences du péché. 26/06/77, p.109, I-II.

 

 

La violence surgit du péché

 

Ces différences de classe sociales, cette injuste distribution des biens, cette non-participation au bien commun de la République à laquelle tous Salvadoriens ont droit, ces outrages dans les cachots, ces tortures, ces humiliations des peuples, sont le produit du péché. Si nous vivions justifiés, si nous n’avions pas le péché dans l’âme, personne n’aurait le courage d’utiliser un fusil contre un autre homme. Si nous avions la conscience chrétienne, si nous étions de véritables chrétiens, nous n’abuserions pas du pouvoir. Certains politiciens seraient chrétiens, et en partant de la sincérité de la justification, ils chercheraient le véritable bien du Règne de Dieu qui rend les nations plus heureuses. C’est pourquoi l’Église doit choquer, parce qu’elle enseigne le Règne de l’amour, de la liberté qui provient de la liberté vis-à-vis du péché. Sinon mes frères, et voici un autre aspect de l’Évangile d’aujourd’hui (Lc 9,51-62), surgit la violence. Et la violence, comme dit le Pape, n’est ni évangélique, ni chrétienne.

 

Pourquoi est-ce que nous vivons dans cette ambiance de violence? Un environnement de violence qui nous fait craindre pour le moindre pas que nous faisons dans la rue! De quel droit une organisation, véritable ou fausse, peu importe, peut-elle menacer de mort les Jésuites et exiger qu’ils s’en aillent? C’est cela, la voix de la violence! La violence ne se justifie pas par le christianisme. Comme nous touchons à ce point, j’aimerais rappeler que les Jésuites ne sont pas une secte séparée de l’Église. Et même si c’était le cas, nous avons déjà suffisamment démontré que ce qui nous importe c’est la dignité humaine, le droit à la vie. Nous avons plaidé en faveur de la défense de ces droits même lorsqu’il s’agit de personnes qui ne sont pas membres de notre Église. 26/06/77, p.110, I-II.

 

 

Violence institutionnelle, violence de réponse

 

Il existe trois sortes de violences : la violence institutionnelle, celle des Samaritains qui s’appropriaient la maison de leur prochain, ne veulent pas hĂ©berger le pèlerin, la violence institutionnelle c’est celle qui opprime en abusant du droit. Je dĂ©sire clarifier ici le rĂ´le de l’autoritĂ©. L’autoritĂ© est un droit et il est certain que la Bible dit que toute autoritĂ© vient de Dieu, lorsque le Christ Ă©tait devant Ponce Pilate ce dernier lui dit : « Tu ne me rĂ©ponds pas? Â» Et le Christ lui rĂ©pondit : « Tu n’aurais aucun pouvoir s’il ne t’était accordĂ© d’en haut. Â» Tout pouvoir provient d’en haut, c’est pour cela prĂ©cisĂ©ment, parce qu’il vient de Dieu, que celui qui le dĂ©tient doit en user selon la volontĂ© de Dieu. Lorsqu’une autoritĂ© abuse des droits de Dieu, des commandements de la loi de Dieu, par exemple : ne pas tuer, ne pas torturer, ne pas faire le mal, on considère qu’elle a outrepassĂ© ses limites. C’est ainsi que l’apĂ´tre Pierre qui apprit la doctrine du Christ lui-mĂŞme, dit aux autoritĂ©s de JĂ©rusalem : « Il ne nous est pas permis d’obĂ©ir aux hommes plutĂ´t que d’obĂ©ir Ă  Dieu. Â» 

 

L’autorité provient de Dieu et c’est pourquoi nous lui obéissons pourvu qu’elle demeure dans les limites de la loi de Dieu. Si un prêtre, par esprit servile, proclame que toute autorité vient de Dieu et qu’elle est pour cela respectable indistinctement de ses actes, ce serait là une manipulation du concept d’autorité. Et il est triste que les phrases qui leur conviennent soient répétées par tous les médias. On utilise ainsi la crédulité des gens, mais l’Église peut tomber dans ce défaut. C’est pourquoi nous devons être très précis lorsque nous étudions la doctrine du Seigneur. Ce n’est pas parce qu’une telle phrase de l’Évangile dit ceci qu’il faut oublier les autres parties de la révélation divine.

 

Cette violence s’institutionnalise si elle veut abuser du pouvoir ou du droit. Alors surgit ce qui se produit aujourd’hui en AmĂ©rique latine : « Il existe, disent les pères Ă  MedellĂ­n, comme un signe des temps, une soif universelle de libĂ©ration. Â» Et l’Église sent que cette aspiration profonde de l’homme latino-amĂ©ricain provient de l’Esprit saint qui lui inspire sa dignitĂ© et lui fait voir la disgrâce dans laquelle il vit. L’Église ne peut demeurer sourde Ă  cette clameur. Elle doit donner sa rĂ©ponse, une rĂ©ponse qui n’a rien de violent. Devant cette situation de violence qui s’institutionnalise surgissent des mouvements de libĂ©ration qui ne sont pas de l’Église : La lutte des classes, la haine, la violence armĂ©e. Cela n’est pas chrĂ©tien non plus.

 

L’Église doit prĂ©parer ses hommes, et elle le fait en ce moment, pour qu’ils vivent une vĂ©ritable libertĂ© des enfants de Dieu, qu’ils sachent que la racine du mal de notre continent est dans le cĹ“ur de chacun, dans le pĂ©chĂ©. Cette libertĂ© proviendra de la violence que chaque chrĂ©tien doit se faire Ă  soi-mĂŞme pour vivre selon l’Évangile. Â» 26/06/77, p.111-112, I-II.

 

 

La violence du Christ c’est le détachement

 

JĂ©sus-Christ fait appel Ă  la violence envers soi-mĂŞme lorsqu’Il dit Ă  celui qui dĂ©sire aller faire ses adieux Ă  sa famille : « Laisse les morts enterrer les morts. Â» Une violence envers soi-mĂŞme signifie le dĂ©tachement de tout, c’est la violence que chacun doit se faire Ă  soi-mĂŞme pour ne jamais se satisfaire des mĂ©diocritĂ©s de la vie, pour se surpasser, pour ĂŞtre meilleur. La libertĂ© que l’Église propose n’est pas Ă©conomique ni politique, pour que les gens aient davantage. Cela apparaĂ®t très secondaire Ă  l’Église. Si elle recherche un bien-ĂŞtre sur cette Terre, son espĂ©rance demeure tournĂ©e vers le Ciel.

 

C’est pour cela que le Christ enseigna à l’Église à dire qu’on ne peut servir deux maîtres, que tous ceux qui font des choses de la Terre une idole tournent le dos à Dieu. Nous devons nous agenouiller devant Dieu et tourner le dos à toutes les autres choses qui ne sont pas de Dieu. Nous devons nous prévaloir des biens de ce monde – argent, pouvoir, richesses –, pour servir le bien commun, pour faire le bien aux autres, regardant toujours vers Dieu, Celui que nous devons servir. Ce qui est fatal dans notre situation c’est cette idolâtrie qui nous sépare de Dieu, même lorsque matériellement nous nous définissons comme chrétiens. 26/06/77, p.112, I-II.