L’Église de l’espérance

 

Premier dimanche de l’avent; 27 novembre 1977; Lectures : IsaĂŻe 2,1-5; Romains 13,11-14; Matthieu 24, 37-44.

 

 

Caractéristiques de la loi selon saint Thomas d’Aquin

 

Ces derniers jours nous avons entendu les commentaires de toutes sortes de gens au sujet de la proclamation de la loi de l’Ordre Public. Je ne suis pas un expert en droit, je ne suis pas un avocat, mais j’invite les avocats Ă  faire honneur Ă  leurs connaissances juridiques et Ă  donner eux aussi leur jugement sur cette loi. En tant que pasteur, j’aimerais l’éclairer de cette doctrine classique et thĂ©ologique de ce que doit ĂŞtre une loi. Je ne rentrerai pas dans les techniques juridiques, quoique j’ai entendu les commentaires de quelques avocats qui ont dĂ©celĂ© certains pĂ©chĂ©s techniques dans cette loi. Il appartient aux avocats de faire honneur Ă  leur profession et de voir s’il s’agit bien lĂ  d’une vĂ©ritable loi, technique ou pas. Du point de vue thĂ©ologique et sacerdotal, illuminĂ© par la Parole de Dieu, j’ai le droit et le devoir d’éclairer cet Ă©vĂ©nement que nous vivons. Je vais citer une page de notre thĂ©ologien le plus illustre, saint Thomas d’Aquin dans sa « Primera secunde Â», la Somme ThĂ©ologique de saint Thomas contient une partie qui se nomme la Première de la seconde partie « primera secunde Â», la question 90 Ă©tudie la loi et la dĂ©finit ainsi : « La loi est une prescription de la raison, dans l’ordre du bien commun, promulguĂ©e par celui qui a soin de la communautĂ© Â».

 

C’est bref, mais ici nous avons quatre Ă©lĂ©ments d’une loi vĂ©ritable. Prescription de la raison, ordinatio rationis, cela veut dire qu’elle ne doit pas ĂŞtre le fruit de l’arbitraire ou du caprice. Les paĂŻens distinguaient dĂ©jĂ  cet Ă©lĂ©ment rationnel de la loi, de l’élĂ©ment capricieux du dictateur qui prononce cette phrase fameuse : Sic volo, sic juevo, sic pro ratione voluntas, qui signifie : « Ainsi, je l’ordonne, ainsi je le veux, pour l’unique raison que je le veux Â». Cela n’est pas rationnel. L’homme est rĂ©gi par la raison, non par l’arbitraire et le caprice. C’est pourquoi la première caractĂ©ristique d’une loi est d’être rationnelle, ordonnĂ©e Ă  la raison.

 

Deuxièmement, orientée vers un authentique bien commun. Ce n’est pas aux bons désirs d’un gouvernement ou d’un groupe privilégié à qui revient le droit de façonner des lois pour continuer d’opprimer. Les lois doivent être édictées selon la recherche du bien commun afin que tous puissent reconnaître en cette loi la recherche du bonheur, du bien, de la liberté et de la dignité de tous, riches et pauvres.

 

Troisième Ă©lĂ©ment : « DictĂ©e par celui qui a soin de la communautĂ© Â». Ou encore, que celui qui Ă©dicte les lois doit se sentir mandataire de la communautĂ©, parce que la communautĂ© entière ne peut se doter elle-mĂŞme de lois, c’est pourquoi elle nomme quelqu’un Ă  cette fin, un reprĂ©sentant, une assemblĂ©e lĂ©gislative, les lĂ©gislateurs et les gouvernants qui doivent se sentir comme l’écho de la communautĂ©, parce qu’uniquement s’ils sont l’écho de la communautĂ©, leur volontĂ© aura force de loi.

 

Finalement, quatrième Ă©lĂ©ment, qu’elle « soit promulguĂ©e Â». La loi est une mesure et la mesure n’est seulement efficace que lorsqu’elle s’applique Ă  l’objet que l’on vise. C’est pourquoi, si une loi est faite pour le bien d’une sociĂ©tĂ©, elle doit ĂŞtre promulguĂ©e, ĂŞtre donnĂ©e Ă  cette communautĂ© pour qu’elle soit connue, analysĂ©e et acceptĂ©e, c’est alors qu’elle devient loi. C’est alors seulement que nous pouvons dire qu’une loi donnĂ©e par les hommes est le reflet de la loi naturelle, parce que seule la loi naturelle est la source de toute loi.

 

C’est pourquoi saint Thomas dans un autre article dit ceci : « La loi qui n’est pas juste, ne doit pas ĂŞtre appelĂ©e loi. La force de la loi dĂ©pend du niveau de sa justice, et lorsqu’il s’agit des choses humaines, la justice est proportionnelle avec sa conformitĂ© aux normes de la raison. Ainsi, la première norme de la raison est la loi naturelle, par consĂ©quent, toute loi humaine possĂ©dera le caractère d’une loi dans la mesure oĂą elle dĂ©rive de la loi de la nature. Et si elle s’éloigne d’un point de la loi naturelle, elle ne sera plus dès lors loi mais corruption de la loi. Â» La loi naturelle, c’est celle qui est inscrite au fond de notre cĹ“ur, celle qui nous dicte plusieurs droits, par exemple : droit d’association, droit Ă  la libertĂ©, droit de se dĂ©fendre en justice, droit de ne pas ĂŞtre torturĂ© pour nous extirper la « vĂ©ritĂ© Â». Si toutes ces lois naturelles sont piĂ©tinĂ©es par une pseudo loi, saint Thomas dit clairement : « Il ne s’agit pas lĂ  d’une loi, mais de la corruption de la loi. Â» 27/11/77, p.3-4, III.

 

 

Les quatre fonctions de la loi

 

Saint Thomas analyse aussi quels sont les quatre actes de la loi. En fonction des actions humaines qui sont son objet, la loi rĂ©gularise les actes humains d’une sociĂ©tĂ©, il dit premièrement : « Commander les actes vertueux Â»; deuxièmement : « Interdits les actes pĂ©cheurs Â»; troisièmement : « Permettre les actes indiffĂ©rents Â»; et quatrièmement : « Punir pour amener Ă  l’obĂ©issance de la loi juste. « Nous sommes ainsi d’accord qu’une loi stimule la vertu, interdit les injustices de tous. Nous avons souvent dit qu’il existe en AmĂ©rique latine une injustice institutionnalisĂ©e et si une loi ne tient pas compte de cette injustice qu’il faut redresser, elle est injuste. La loi ne doit pas ĂŞtre l’écho de cette classe qui a instituĂ© l’oppression, mais elle doit se faire Ă©galement l’écho de la classe qui reçoit la rĂ©pression et l’oppression. Seulement alors, lorsque primera le bien de ceux d’en haut et de ceux d’en bas et lorsque le mal de ceux d’en haut et de ceux d’en bas sera puni, seulement alors la loi sera juste. 27/11/7, p.4, III.

 

 

Microphone de Dieu

 

L’on pourrait faire taire l’Église par la force. Puisse Dieu, qu’on ne nous enlève pas ce microphone qui fait tant de biens, mais si un jour, par la force, disparaissait la voix de l’Église, frères, il existe quelque chose qu’on ne peut faire taire : la conscience d’un peuple qui possède en tant que microphone de Dieu, l’obligation de proclamer mĂŞme sans Ă©metteur, de toute part, la libertĂ© du message du Christ pour promouvoir les humains afin qu’ils deviennent de vĂ©ritables fils de Dieu. […] Chaque catholique doit ĂŞtre un martyr, un tĂ©moin du message que Dieu doit proclamer librement devant les hommes et les femmes. 27/11/77, p.4, III.

 

 

Église sans peur

 

J’ai Ă©tĂ© invitĂ© en tant que participant et observateur au Septième Congrès latino-amĂ©ricain des travailleurs qui s’est tenu au Costa Rica du 21 au 26 novembre dernier. Ne pouvant pas m’y rendre, j’ai suppliĂ© le Docteur JĂ©sus Delgado de bien vouloir me reprĂ©senter. Il m’a racontĂ© avec une profonde Ă©motion l’ovation dont fut l’objet le nom de l’Église du Salvador de la part de ces ouvriers venus de tous les pays du continent latino-amĂ©ricain. Un d’entre eux lui dit : « Ah, si l’Église avait Ă©tĂ© ainsi, authentiquement l’Église de l’Évangile, sans peur des pauvres de la Terre, nous n’aurions pas Ă  dĂ©plorer l’éloignement de la classe ouvrière, ni n’existerait l’athĂ©isme Â». Il est triste, très chers frères, de penser que nous sommes responsables de cela parce que nous avons cherchĂ© Ă  appuyer notre Église sur les forces de la Terre, mais l’Église qui ne s’appuie pas sur ses propres faiblesses et dans la force omnipotente du Christ finit par tout perdre.» 27/11/77, p.5, III.

 

 

L’Église n’est pas le jouet des pouvoirs de la Terre

 

Qu’il est bon d’entendre qu’il existe de nos frères protestants qui ne sont pas d’accord avec cette manipulation et qu’inspirés par le même esprit que l’Église catholique, savent qu’un Évangile qui ne tient pas compte des droits humains, qu’un christianisme qui ne construit pas l’Histoire de la Terre, n’est pas l’authentique doctrine du Christ, mais simplement un instrument du pouvoir. Nous regrettons qu’en d’autres temps notre Église soit tombée elle aussi dans ce péché, mais nous voulons réviser cette attitude et en accord avec la spiritualité authentiquement évangélique, nous, les catholiques et les véritables croyants dans l’Évangile, même au-dehors de l’Église, nous ne voulons plus être les jouets des pouvoirs de la Terre. Nous voulons plutôt être l’Église qui porte l’Évangile authentique, fier de notre Seigneur Jésus-Christ, même s’il est nécessaire pour cela de mourir sur une croix comme Lui. 27/11/77, p.6, III.

 

 

La violence de l’amour

 

C’est cela le but mes frères, but que les prophètes nous signalèrent, but que continue d’indiquer l’Église. Les ennemis, ceux qui disent que l’Église ne parle pas, qui la discrĂ©ditent et disent : « Elle prĂŞche la violence, la politique, le communisme. « Ce sont lĂ  les distorsions du pĂ©chĂ©, mais ceux qui ont surmontĂ© les forces du mal entendent l’Église authentique. Ils entendront toujours l’écho d’IsaĂŻe, l’écho de Christ, l’écho des prophètes. Jamais nous n’avons prĂŞchĂ© la violence, seulement la violence de l’amour, celle que nous laissa le Christ clouĂ© sur une croix, celle que se fait Ă  soi-mĂŞme chacun de nous afin d’arriver Ă  vaincre son Ă©goĂŻsme et pour qu’il n’y ait plus d’inĂ©galitĂ©s si cruelles parmi nous.

 

Cette violence n’est pas celle de l’épĂ©e, de la haine, c’est la violence de l’amour, celle de la fraternitĂ©, celle qui veut transformer les armes en outils pour le travail. Quel magnifique appel pourrions-nous faire ici, alors que le travail abonde dans nos campagnes, afin qu’il ne se convertisse pas en haine, en lutte ou en sang? Depuis dimanche dernier, je clame pour que les rĂ©coltes de cafĂ©, de coton et de canne Ă  sucre soient un chant de louange au Seigneur. Non pas inspirĂ© par des lois, mais par l’amour de fraternitĂ© qui unit les propriĂ©taires et les travailleurs. Faisons de nos campagnes un hymne qui naĂ®t de la gĂ©nĂ©rositĂ© avec laquelle Dieu nous offre ses rĂ©coltes. C’est cela notre but, vers la paix nous marchons.» 27/11/77, p.9, III.

 

 

L’Heure eschatologique

 

« L’Eschatologie Â», les derniers temps. IsaĂŻe (2,1-5), sept siècles avant le Christ, nous annonce qu’avec le Christ Fils de Dieu qui s’est fait homme va commencer l’étape ultime de l’Histoire. Combien durera-t-elle? Nous l’ignorons, mais nous sommes dĂ©jĂ  en elle nous dit saint Paul (Rom.13,11-14). Maintenant nous sommes plus près de son avènement que lorsque l’ont annoncĂ© les prophètes. Nous vivons dĂ©jĂ  Ă  l’heure eschatologique parce que le Christ par son incarnation et sa rĂ©surrection a injectĂ© dans la Terre la dernière opportunitĂ© que Dieu a donnĂ©e aux humains pour ĂŞtre sauvĂ©s. Le Salut dĂ©bute sur cette Terre, il signifie libertĂ©, la vĂ©ritable libĂ©ration du pĂ©chĂ©, des Ă©goĂŻsmes, de l’analphabĂ©tisme, de la faim. Ces libĂ©rations de la Terre nous prĂ©parent pour la grande LibertĂ© du Règne des Cieux.

DĂ©jĂ  le Christ ressuscitĂ© doit ĂŞtre la lumière des hommes et des femmes qui construisent l’Histoire. Le Christ doit ĂŞtre l’inspiration de toutes les lois que se donnent les humains, non le caprice des puissants, mais la volontĂ© du Christ qui demandera peut-ĂŞtre la conversion aux puissants. La loi du Christ est l’eschatologie. Seuls ceux qui vivent cette vie en conformitĂ© avec le Christ seront rĂ©chappĂ©s pour la vie Ă©ternelle. L’Évangile sous la figure d’un sĂ©questrĂ© nous dit cette grande vĂ©ritĂ© (Mt 24,40-41) : « Qu’à la fin des temps nous dit-il : deux hommes travaillaient, deux femmes aussi travaillaient, mais tandis que l’un d’eux est assumĂ©, l’autre est laissĂ©. « C’est-Ă -dire que sur cette Terre on ne voit pas toujours la diffĂ©rence, tous travaillent, cependant, certains seront amenĂ©s par Dieu dans son Royaume et d’autres seront laissĂ©s. Combien tristes seront ceux qui demeureront exclus du Règne des Cieux! Ça, c’est de l’exclusion, ceux qui demanderont : « Et nous Seigneur? Â»

 

Et la rĂ©ponse de l’Évangile est cinglante (Mt 25,41-42) : « Ă‰loignez-vous de moi maudits, dans le feu Ă©ternel, parce que j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donnĂ© Ă  manger. Â» C’est-Ă -dire que vous n’avez pas vĂ©cu l’Eschatologie dans le sens chrĂ©tien que Je voulais en venant m’incarner sur cette Terre, en me faisant homme, en mourant pour les humains, et en ressuscitant pour vous donner une vie nouvelle et un message de libĂ©ration. Bienheureux ceux qui l’accueillir. Ceux-lĂ , Je les reconnais tandis que les autres, combien seront-ils? Nous l’ignorons, c’est le mystère de l’Eschatologie. Mais un mystère que nous pouvons rĂ©soudre en notre faveur en commençant dès cet avent, prĂ©paration de NoĂ«l, appel Ă  la pĂ©nitence, Ă  nous convertir au Christ, Ă  nous revĂŞtir du Christ et peu importe les considĂ©rations humaines, lorsque l’on porte au fond de sa conscience la joie de s’efforcer d’être fidèle au Christ notre Sauveur. Â»

 

 

Vigilance : disposition spirituelle de l’avent

 

Puisse Dieu que cette parole de l’Aven incarnĂ©e dans l’histoire si dense de cette semaine, soit entendue par-dessus tous les murmures de la Terre, la Voix du Seigneur : « Je viens Ă  vous, ĂŞtes-vous prĂŞts comme la vigile qui n’attend pas l’avertissement du voleur, mais demeure attentif. Vigilance parce qu’à l’heure oĂą vous vous en attendez le moins Il peut vous surprendre. « La vigilance est la disposition spirituelle que doit produire en nous ce merveilleux temps de prĂ©paration Ă  NoĂ«l. Le Christ vient, ne l’attendons pas comme les enfants qui espèrent des jouets. Attendons-le comme des chrĂ©tiens qui savent qu’Il est dĂ©jĂ  venu. Il nous annonça dès lors sa seconde venue pour nous surprendre sur le chemin de la vie et nous cueillir lĂ  oĂą nous serons tombĂ©s morts pour rĂ©gner avec Lui. Nous devons rĂ©gner avec Lui par la vertu et par la saintetĂ©.

 

Soyons de véritables chrétiens, dignes de cette heure eschatologique qui court depuis la première venue du Christ jusqu’à la seconde, ultime période de l’Histoire, sachons la vivre comme ceux qui vivent quelque chose qui n’est pas permanent, mais transitoire. Ne vous installez pas, ne vous attachez pas, ne vous perdez pas pour les biens du pouvoir de la Terre. Les enchantements du Règne de Dieu viennent déjà nous submerger. Comme on enlève, comme on séquestre une personne au point de lui enlever tous traits, ainsi nous serons séquestrés par l’amour du Christ qui nous prendra pour toujours dans son Ciel. Ainsi soit-il. 27/11/77, p.11, III.