L’Ascension du Seigneur, Proclamation
de la Transcendance humaine
Ascension; 27 mai 1979;
Lectures : Actes 1,1-11; Éphésiens 1,17-23; Marc 16,15-20.
Le capitaine du bateau dit au mousse
qui avait le mal de mer en montant dans les haubans : « Regarde en
haut! »
Quand j’étais séminariste, j’ai
entendu cette histoire qui en ces circonstances me revient à l’esprit et que je
voulais vous transmettre. C’est l’histoire d’un mousse que le capitaine envoya
réparer un bris dans la
mâture. De là -haut, voyant la mer qui se mouvait sous ses
yeux, il eut le mal de mer au point qu’il était près de tomber. Alors, le
capitaine lui dit de regarder en haut. Et ce fut son salut. Regardant vers le
ciel, il cessa de voir cette mer agitée et il put faire son travail tranquille.
Ici aussi, cette semaine, les
événements nous offrent l’image d’une mer agitée et plusieurs ont le mal de
mer. Regardez en haut! Telle est la fête liturgique de l’Ascension.
Cette comparaison me vient à l’esprit
parce que la majorité de nos frères et sœurs, salvadoriens, voyant la situation
actuelle, cette mer agitée de notre histoire et toute cette confusion, en
viennent à perdre l’espérance. Et il est opportun, en ces circonstances de
notre histoire, d’entendre l’année liturgique qui nous dit comme un cri :
regardez en haut! C’est la fête de l’Ascension du Seigneur. Ce corps d’homme
qui est en même temps Dieu, s’élevant au-dessus des événements de ce monde afin
de nous situer dans une perspective d’éternité au-dessus des choses qui passent.
Je crois que c’est là notre meilleure orientation en ces heures de confusions.
Notre atmosphère est très tendue. Il
y a beaucoup de morts qui se sont déjà présentés devant le tribunal de Dieu
pour rendre compte de leur agir pendant cette vie. On dirait que notre Patrie
s’est convertie en un champ de guerre. Il y a de nombreux foyers en deuil.
Plusieurs, sans doute, auront l’espérance chrétienne et prieront avec sérénité,
mais de nombreux autres entretiennent des sentiments de vengeance, de rancœurs
et de violences. Il y a de nombreux blessés. Il y a deux forces qui
s’entrechoquent dans le sang et qui s’effraient mutuellement. Il y a beaucoup
de haine, de peurs, de tensions et d’alarmes et le peuple, sous l’État de
siège, devient d’une part plus timide et d’autre part plus agressif. En un mot,
nous vivons cette fête de l’Ascension à un moment où tout ici-bas, nous invite
à fuir, mais le chrétien ne fuit pas. L’Ascension nous convie à nous incarner
davantage dans l’histoire, en gardant à l’esprit cette perspective du ciel
parce que le chrétien doit juger l’histoire avec des perspectives d’éternité.
La Cathédrale, comme les autres
temples qui ne sont plus occupés, apparaît semblable à un navire qui se remet
d’une tempête. […]
Elle a été occupée, elle était fermée
au culte, et cette semaine, enfin, grâce à Dieu, elle s’ouvre à nouveau au
culte. Le recteur de la Cathédrale a prononcé les prières de réparation qui ont
coutume d’être prononcées pour ouvrir nouvellement au culte ces navires qui
continuent de se balancer sur la mer de l’histoire.
La vie et la mort doivent avoir un
sens. Quel sens doit avoir le gouvernement d’un peuple, les revendications du
peuple, le bien-être de l’argent, la misère et la marginalisation?
Vous ĂŞtes dans ce navire qui est le
symbole de l’unité et de la doctrine, de la sérénité et de la voix éternelle de
l’Église. Même lorsque cette voix est altérée par d’autres qui n’ont pas
d’endroits pour se dire, la voix de l’Église continue d’être connue et elle
veut être, malgré la distorsion et la mauvaise volonté, la calomnie et la
diffamation, la voix qui prĂŞche le message Ă©ternel du Seigneur. Celui-ci,
depuis les hauteurs du Ciel, attire Ă Lui toutes les choses de la Terre, pour
nous dire le sens de la vie et de la mort, le sens du gouvernement et des
luttes populaires, le sens du bonheur, de la misère, de l’exclusion, des
situations de péché, pour que nous fassions déjà de cette Terre, illuminée par
cette vision de l’éternité, ce qu’elle doit être, le pèlerinage des frères,
tous fils de Dieu, à la suite de cette tête qui est déjà entrée au ciel et qui
attire Ă elle tous ceux qui veulent la suivre avec amour, avec foi et avec
espérance.
Seul le Christ peut donner un sens Ă
la vie et la fête de l’Ascension est une perspective certaine de l’éternité.
C’est là la véritable grâce de Pâques
que nous avons méditée durant tout ce temps de la Résurrection du Christ.
L’accomplissement de tant de bénédictions de Dieu qui culmine maintenant dans
ce message de l’Ascension, le cadeau extraordinaire du Christ s’élevant au ciel
et qui dit aux hommes et aux femmes, le sens véritable de la vie et de la mort.
Plan de l’homélie :
1) Le Christ, Source de la Transcendance
Chrétienne
2) L’Église, Mission de Transcendance
3) Nous avons tous une Vocation Ă la
Transcendance
1) Le Christ, Source de la
Transcendance
Que veut dire transcendance? C’est
comme s’affranchir de ses limites. C’est comme ne plus être emprisonné par la matière. C’est
comme si l’être humain se disait à lui-même : je suis au-dessus de tout ce
qui veut m’enfermer, ni la mort, ni la vie, ni l’argent, ni le pouvoir, ni les
flatteries, rien ne peut soustraire l’homme ou la femme à sa vocation
transcendantale. Il y a quelque chose d’autre que l’histoire, il y a quelque
chose qui franchit le seuil de la matière et du temps. C’est ce que nous
appelons le transcendant, l’eschatologique, l’au-delà , la finalité. Dieu
qui ne se laisse pas enfermer par les choses sinon que c’est Lui qui les
contient toutes, est le but auquel nous appelle le Christ ressuscité.
A) Qu’est-ce que cĂ©lèbre l’Église Ă
l’Ascension du Seigneur?
C’est un événement qui possède ses
propres dimensions historiques. Quarante jours après la Résurrection, après
avoir parlé avec ses apôtres du Règne de Dieu et être apparu de nombreuses fois.
Tous ces événements historiques que l’évangéliste devait situer, à tout le
moins, en termes symboliques. Quarante jours ne sont pas une référence
chronologique exacte. Dans l’Évangile (Mc 16,15-20), cela représente un nombre
symbolique qui est nécessaire afin de relier l’enseignement du Dieu qui vint
nous apporter ce message, avec les hommes qui furent les témoins du Christ
ressuscité. C’est comme un nombre de perfection, de carême et de plénitude,
comme un nombre de plénitude et de coordination entre le message que le Christ
apporta et celui que les hommes et les femmes doivent porter.
Quarante jours, et le Christ fut
complètement uni à l’humanité.
Nous célébrons aussi le fait
théologique : la glorification du Christ.
Dans notre catéchèse de l’Ascension,
davantage que la dimension des quarante jours, ce qui nous intéresse ici c’est
que nous célébrons un fait théologique. Le fait de la glorification du Fils de
Dieu. Peu avant de mourir, le Christ engloba en une seule parole l’heure de la
glorification; autant la mort que la Résurrection, l’Ascension et l’envoi de
l’Esprit saint. Tout cela n’est qu’un seul événement théologique :
« Il convient que Je m’en aille parce que si Je ne m’en vais pas et que Je
ne suis pas glorifié par le Père, vous ne recevrez pas l’Esprit qui reliera ma
vie divine à la vôtre : l’Église. » Le fait théologique
qu’aujourd’hui nous célébrons est celui qui est le plus important, c’est le
fait que le Christ a été assumé avec tous ses mérites, avec tous ses
enseignements, avec toute son Église, Christ et l’Église sont une seule et même
chose qui est aujourd’hui assumée à la gloire du Père. C’est pourquoi le Christ
se présente aujourd’hui plus que jamais, comme un chemin vers la transcendance.
B) Le Christ, Chemin vers la
Transcendance
L’Évangile nous a dit aujourd’hui (Mc
16,19) : « Or le Seigneur, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel
et il s’assit à la droite de Dieu. » L’expression « s’asseoir à la
droite de Dieu » ne doit pas être comprise au sens littéral parce que Dieu
n’a pas de corps. Il n’a ni droite, ni gauche, il s’agit plutôt du concept du
Psaume 110 qui dit : « Le Seigneur dit Ă mon Seigneur “assieds-toi Ă
ma droite.” » C’est un psaume qui chantait la réalité du roi d’Israël.
Pour les Orientaux, pour les Hébreux, la royauté et l’autorité étaient une
participation de Dieu et le roi, comme s’il était assis à la droite de Dieu,
participait de cette royauté. C’est ainsi que s’explique l’expression de notre
credo qui dit : « Il monta aux cieux où Il est assis à la droite du Père. »
Cela veut dire qu’Il a été assumé pour participer à l’autorité, à la grandeur
et à la gloire de Dieu. C’est un homme qui naquit d’une femme, mais qui
incarnait une personne divine et quand Il eut accompli sa mission historique
sur la Terre, non seulement le divin, mais l’humain également, qui est né de la Vierge Marie, qui
porte notre humanité, un homme en chair et en os comme nous, est monté aux
cieux pour se faire Dieu, pour participer au divin. Le Christ est Dieu, le
Christ est un homme qui, assis à la droite de Dieu, possède toutes les
prérogatives de Dieu. Et nous, qui avons été emportés avec Lui, avons reçu
également cette vocation divine. C’est un chemin vers la transcendance qui nous
élève à voir par delà l’Histoire.
La première lecture d’aujourd’hui (Ac
1,1-11) nous invite, avec les apôtres « à attendre ce que le Père avait
promis… » Il est Celui qui nous donne tout et nous devons espérer de cette
transcendance, la force qui peut transformer le monde.
La seconde lecture (Ep 1,17-23)
l’appelle « le Père de la gloire… son Pouvoir est au-dessus de tout
pouvoir. » C’est là qu’est la véritable transcendance d’où dérive
l’intelligence des hommes, la capacité d’organisation des êtres humains. Toutes
les capacités que nous avons nous viennent de là , de la source de la
Transcendance et c’est pour cela qu’elles s’orientent vers là .
La sainte lecture d’aujourd’hui (Mc
16,15-20) nous a parlé de la puissance de l’Esprit saint. Elle dit que le
Christ « mû par l’Esprit » a été élevé au Ciel. Le chemin de la
transcendance ne peut être parcouru que par la force de l’Esprit. C’est le
triomphe du Christ sur toute la
nature. Un jour, Il dit : « Quand Je serai élevé
sur Terre, J’attirerai toutes les choses à moi. » Et le Christ apparaît
aujourd’hui dans la plénitude de son destin.
Saint Paul découvre le secret des
projets de Dieu et découvre le Christ comme le sommet de tous les idéaux de
Dieu. Tout fut créé par Lui et pour Lui. Toute créature, même s’il s’agit de
l’homme le plus intelligent, est une créature. Il n’a pas raison d’être s’il ne
s’oriente pas vers Celui par qui toutes les choses furent créées et pour Lequel
toutes les choses existent. Dans la seconde lecture d’aujourd’hui (Ep 1,17-23)
il est également question du Christ qui planifie tout en tout, c’est-à -dire que
la créature est vide lorsqu’elle demeure séparée de son Créateur. Ainsi comme
le rayon de lumière qui voudrait se séparer du foyer et qui deviendrait
ténèbres, l’homme, la créature, le soleil, les étoiles, et tout ce qui existe,
s’ils sont séparés de la plénitude qui donne l’être, ils demeurent vides.
L’homme est une absurdité quand il ne
s’oriente pas vers Dieu. Le Christ apparaît aujourd’hui comme la clé de toute
l’Histoire, comme la source de la transcendance. 27/05/79, p.361-362, VI.
2) L’Église, Mission de Transcendance
A) Raccordement de la vie du Christ
avec la mission de l’Église.
« Allez par le monde
entier… »
Nous avons entendu aujourd’hui dans
la clôture de l’Évangile de saint Marc (16,15-20) : « Allez par le
monde entier et proclamez l’Évangile à toute la création. » Et la seconde
lecture (Eph 1,17-23), qui est une réflexion sur cette gloire que le Christ
fait sienne en cette fête de l’Ascension, nous présente aussi l’Église comme un
corps qui complète l’existence de cette tête glorieuse qu’est le Christ et que,
depuis cette Église qui est son corps, Christ est Roi de l’Univers. Quel
honneur pour ceux qui forment l’Église! Nous sommes la plénitude du Christ,
nous sommes comme le complément du Dieu qui se fit homme.
B) La Transcendance du Christ ne s’en
va pas avec Lui, elle demeure dans l’Histoire pour que l’Église continue de la
proclamer.
L’Église doit réaliser dans
l’Histoire la grande mission de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et si la mission
du Christ est une mission de transcendance, l’Église ne peut être comprise sans
avoir un sens profond de ce qu’est la transcendance.
Le Seigneur agit avec eux.
L’Ascension rend le Christ plus présent dans la vie de toute l’Église.
Qu’est-ce que cela signifie? Dans l’Évangile d’aujourd’hui, quand on nous dit
que les premiers croyants du Christ réalisaient des signes, que les poisons ne
leur faisaient rien, qu’ils parlaient plusieurs langues, c’étaient là des
signes du pouvoir de Dieu pour dire qu’avec l’Église venait cette puissance de Dieu
qui a tout créé. Le sens des charismes, le sens de tous ces prodiges, des
guérisons, des langues, ce ne sont pas des jouets, ce ne sont pas des
exhibitions, ni des objets de vanités. Ils se produisirent en un temps où cela
était nécessaire comme dit saint Augustin : « Pour arroser
l’arbrisseau de l’Église. » Comme tout jeune arbre qu’on arrose, celui-ci
précisait de cette eau des prodiges de Dieu, une fois que l’arbre est devenu
corpulent, il n’est plus nécessaire de l’arroser. Comme l’arbre fleuri, chaque
floraison est comme une vie nouvelle qui, dans l’arbre, parfois centenaire et
qui sait, millénaire, nous indique que la vie est présente en lui; ainsi est
l’Église. Cette dernière continue d’être ce prodige de Dieu dans l’Histoire et
elle le sera tant qu’elle orientera dans sa fonction transcendante. Je tiens Ă
souligner ce sens pour que nous comprenions bien en cette heure de confusions,
ce qu’est l’Église et ce qu’elle n’est pas.
L’Église et l’être humain dans le
Christ
Le Pape a dit dans son encyclique Redemptor Hominis :
« Jésus-Christ est le chemin principal de l’Église. Il est notre chemin
vers la maison du Père et Il est également le chemin vers chaque homme. »
Voyez quelle image plus belle! Le Christ est le chemin qui nous conduit Ă la
transcendance du Père, mais Il est aussi le chemin de l’Église qui nous conduit
vers chaque homme. En ce moment, vous n’êtes pas pour moi une multitude, vous
êtes un ensemble d’hommes et de femmes. Chacun a un chemin qui le relie à Dieu
et la mission de l’Église qui prêche, qui sanctifie et qui oriente est
précisément de mettre chacun de vous en contact avec Dieu. Et le Pape nous
dit : « Le Christ est le chemin par lequel l’Église marche vers
chaque homme. » Les chemins qui vous ont conduit ici aujourd’hui, pour que
nous soyons tous réunis en Cathédrale, sont les chemins de l’Église. Ma parole
en ce moment marche par les chemins de l’Église vers chacun de vous et elle
n’aurait aucune efficacité si ce n’était qu’elle marche par le chemin véritable
qu’est le Christ. Si je ne prêchais pas le Christ, si je ne vous conviais pas
tous : justes et pécheurs, oppresseurs et opprimés – comme on aime dire de
nos jours – je ne marcherais pas sur les chemins de l’Église. Ce chemin doit
parvenir à tous si vous voulez être sauvés et l’Église est chargée de parcourir
ce difficile chemin du Christ en lien avec chacun et chacune.
Sur ce chemin qui conduit du Christ Ă
l’être humain, sur ce chemin par lequel le Christ s’unit à chacun, l’Église ne
peut être arrêtée par personne. Je me réjouis que ce matin les applaudissements
soient pour le Pape et ma pensée coïncide parfaitement avec la sienne. L’Église ne
désire pas autre chose que d’apporter le Christ aux hommes et sur cette voie
rien ne peut l’arrêter. « C’est là l’exigence du bien temporel et du bien
éternel de l’être humain. » Notez bien : le bien temporel ne signifie
pas s’engager en politique. Lorsque l’Église parle aussi du bien temporel, elle
sait qu’elle n’atteindra pas la personne humaine tant qu’elle ne saura pas
respecter le chemin qui nous relie au Christ. C’est cela l’exigence du bien
temporel et du bien éternel de l’homme et de la femme.
L’Église, en considération du Christ
et en raison du mystère qui constitue la vie de l’Église même, ne peut demeurer
insensible à tout ce qui sert au véritable bien de l’homme, comme elle ne peut
non plus demeurer indifférente à ce qui le menace. Le Concile Vatican II a
exprimé cette sollicitude fondamentale de l’Église afin que « la vie en ce
monde soit plus conforme à l’éminente dignité humaine sous tous ses aspects,
pour la rendre toujours plus humaine. » C’est la sollicitude du Christ
lui-mĂŞme, le Bon Pasteur de tous les hommes, et le Concile nous dit :
« L’Église qui en raison de son ministère et de sa compétence, ne se
confond en aucune manière avec la communauté politique et elle n’est rattachée
à aucun système politique. Elle est en même temps, signe et sauvegarde du
caractère transcendant de la personne humaine. » C’est ce que fait
l’Église au milieu de toutes les complications politiques, elle ne fait pas de
politique, elle s’adresse à la politique pour défendre l’homme et la femme dans
leur transcendance et pour dire à tous les régimes, qu’ils soient totalitaires
ou démocratiques, communistes, socialistes ou de n’importe quel signe
historique : l’Église ne professe aucun système parce qu’elle doit dire Ă
tous les systèmes : Ce qui compte c’est l’être humain et sa transcendance
et il faut respecter cette transcendance, cette union de l’homme avec Dieu, et
cela doit être sous tous les systèmes politiques. 27/05/79, p.362-364, VI.
3) Nous avons tous une Vocation Ă la
Transcendance
A) Appel Universel. Personne n’est
exclu. Prêcher à toute créature.
En cette fĂŞte, et Ă cause de ce que
nous venons de dire, chaque homme et chaque femme, chacun d’entre nous, même si
un athée qui se glorifie de ne pas croire en Dieu se trouvait ici, ce n’est pas
lui qui détermine sa nature et sa relation avec le Créateur. Même s’il conteste
l’existence de Dieu, l’homme est toujours un être transcendant vers Dieu, même
l’incroyant, doit vérifier ce que disait saint Augustin, le grand humaniste,
qui parcourut lui aussi des chemins d’incroyance et qui ne fut pas heureux
jusqu’à ce qu’il parvienne à dire cette phrase : « Seigneur, Tu nous
as faits pour Toi et notre cœur demeure inquiet jusqu’à ce qu’il repose en
Toi. » Dieu est l’unique point de gravité en qui l’être humain peut se
reposer. Comme lorsqu’une pierre est parvenue à l’abîme, comme lorsque le
Christ est monté vers Dieu.
C’est pourquoi, lorsque le Christ est
monté aux cieux, ces muscles et ces nerfs, cette vie qui était née d’une femme
comme nous-mêmes qui sommes nés d’une femme nous indique le véritable destin
transcendant de notre vie. Le mystère de l’être humain, dit le Concile Vatican
II : « Qu’il ne peut être éclairci que par le mystère du Dieu qui se
fit homme ». Si ce n’avait été du Christ, le Fils de l’homme, nous ne
serions qu’une absurdité, un non-sens. Oui, les luttes revendicatrices pour la
dignité, la liberté humaine et l’égalité entre tous, ont leur sens, mais
uniquement à la lumière du Christ. C’est pourquoi le Pape disait également aux
hommes d’aujourd’hui, à ceux qui luttent pour la liberté et pour de justes
revendications : « N’ayez pas peur du Christ, ouvrez-Lui les portes
de la politique, de l’économie, de la sociologie, etc., parce que tout retrouve
son sens quand la lumière du Dieu qui se fit homme l’illumine. » Et si ce
n’est pas ainsi, nous aurons ce que nous avons connu ces jours-ci : du
sang, de la violence, des vengeances, de la haine, etc. L’homme est un loup
pour l’homme si la foi dans le Christ ne le transforme pas.
Il y a dans la parole d’aujourd’hui
une question de vie ou de mort. Quand le Christ envoie prĂŞcher son message, il
dit (Mc 16,16) : « Celui qui croira sera sauvé et celui qui ne croira
pas se condamnera. » Il s’agit là de l’anathème le plus terrifiant, Dieu
ne condamne personne, puisqu’Il a demandé que tous soient appelés.
« Allez et prĂŞchez ce message Ă
tous. » C’est l’homme lui-même qui se condamne. Celui qui s’ouvre à ce
message de Salut, se sauve parce qu’il a rencontré le chemin de Dieu, mais
l’homme qui croit davantage dans ses propres industries, qui se croit plus sage
que Dieu et qui rejette les commandements et la foi, ne peut entrer dans le
Royaume des Cieux. S’il y a un endroit où l’on entre librement, c’est au Ciel.
Personne n’y est contraint par la force! Seul se sauvera celui qui librement
veut être sauvé, mais celui qui ne veut pas se sauver librement doit aller à un
endroit dont le Christ nous a parlé aujourd’hui.
MĂ©ditation personnelle de la
transcendance. Nécessité de vivre l’espérance chrétienne.
Je voudrais revenir sur la seconde
lecture qui traite de la transcendance humaine avec un doigté inimitable. Saint
Paul dit comme en une prière qui ce matin s’élèvera à la recherche du Christ
qui va au Ciel : « Que le Dieu de Notre Seigneur Jésus-Christ… »
Quelle belle expression! Pour saint Paul, Dieu est toujours le Dieu de
Jésus-Christ, le Dieu des chrétiens ne peut être un autre, c’est le Dieu de Jésus-Christ,
Celui qui s’identifia avec les pauvres, celui qui donna sa vie pour les autres,
Celui qui envoya son Fils Jésus-Christ pour prendre parti, sans ambiguïté pour
les pauvres, mais sans déprécier les autres. Il les convia tous sur le terrain
des pauvres pour pouvoir nous rendre égaux à Lui. Personne n’est condamné dans
la vie, seul celui qui rejette l’appel du Christ pauvre et humble et qui
préfère les idolâtries de ses richesses et de son pouvoir.
« Daigne le Dieu de Notre
Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, comme le nomme également saint
Paul aujourd’hui (Ep 1,17), vous donner un esprit de sagesse et de révélation
qui vous le fasse vraiment connaître. » C’est un privilège, une grâce de
Dieu, que de parvenir à Le connaître. Frères, je pense que plusieurs croient
qu’ils connaissent Dieu alors qu’ils adorent des idoles. L’Église ne veut plus
être complice de ces faux dieux. L’Église a choisi une voie bien claire pour
rencontrer le véritable Dieu de Notre Seigneur Jésus-Christ et elle ne se satisfait
plus d’une piété hypocrite.
C’est le Dieu véritable qui doit
éclairer vos yeux, votre cœur, pour que vous sachiez où se trouve le Dieu
véritable et pour que vous n’ayez plus peur des idoles qui veulent faire
compétition à Dieu. Mais selon cette même lecture (Ep 1,18-23) d’aujourd’hui,
ces fausses divinités seront vaincues par l’unique Dieu véritable.
« Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle
espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage
parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa Puissance revĂŞt pour
nous, les croyants, selon la vigueur de sa Force, qu’il a déployée en la
personne du Christ, le ressuscitant d’entre les morts et le faisant siéger à sa
droite dans les cieux, bien au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu,
Seigneurie et de tout autre nom qui se pourra nommer, non seulement dans ce
siècle-ci, mais encore dans le siècle à venir. Il a tout mis sous ses pieds et
l’a constitué, au sommet de tout, Tête pour l’Église, laquelle est son corps,
la Plénitude de Celui qui est rempli, tout en tout. » C’est cela,
l’absolu, c’est cela, la force, c’est cela, la gloire, c’est cela, la richesse,
c’est cela, la
vérité. Ne soyons pas fanatiques dans nos luttes pour les
choses de ce monde.
Application à l’activité politique
Parmi le bon et le juste des
organisations qui poursuivent des revendications au milieu de tant de péché et
d’injustice, il est dommage que leurs perspectives soient myopes et que
celles-ci demeurent au niveau de l’atteinte des biens temporels, des libertés
de la Terre, de l’égalité, ici uniquement en ce monde. Lorsque j’ai écrit dans
ma Lettre pastorale que le service que l’Église prête aux justes revendications
des hommes, ce fut, précisément, d’englober tous ces nobles efforts de liberté
et de justice, dans la grande libération, dans la libération du Christ qui est
au-dessus de toute puissance présente et future. C’est pourquoi, quand je dis
aujourd’hui que tout homme détient une vocation à la transcendance, je veux
vous rappeler la pensée sereine de l’Église : « Pour lutter pour la
justice au sein d’une organisation populaire, il n’est pas nécessaire d’être
chrétien, ni de reconnaître explicitement une foi en Jésus-Christ. Nous pouvons
très bien être un bon politicien et bien travailler pour la réalisation d’une
société plus juste sans être chrétien, à condition de respecter et de tenir
compte de la valeur humaine et sociale de la personne. »
Que cela demeure bien clair :
aucune organisation ne peut revendiquer le titre de chrétien. S’il s’agit d’une
lutte politique, c’est un champ ouvert aux croyants et aux non-croyants et rien
n’identifie une organisation, encore bien moins une qui emploie la force
terroriste, avec l’Église. C’est comme si toutes les revendications, même
celles qui sont faites avec violence, voulaient se prétendre de l’Église. Que
cette définition demeure bien claire.
« Mais ceux qui se professent
chrétiens et qui en tant que tels s’organisent ont l’obligation de confesser
leur foi dans le Christ et d’employer, dans leur agir social et politique, les
méthodes qui sont en accord avec cette foi. » Je poursuis en expliquant la
manière dont le fanatisme politique ou l’euphorie des revendications peut faire
oublier les exigences de la foi chrétienne, ils peuvent faire oublier que la
politique n’est pas l’unique dimension de l’être humain. Et que pour un
chrétien, la foi est ce qui est premier. C’est pourquoi, je déplore que, si
certains chrétiens ont pu être initialement motivés par leur foi chrétienne
dans leur engagement envers des pauvres, ils ont lamentablement perdu cette foi
et ils la considèrent aujourd’hui sans valeur. Comme nous le disons
vulgairement, ils s’en sont servis comme d’un escabeau et après, ils l’ont
rejeté d’un coup de pied. Et cela peut bien se produire avec l’Église pour ceux
qui voulurent l’utiliser. Lorsqu’elle ne leur sert plus, elle devient de trop.
Ne vous surprenez pas! Je ne vous demanderais que ceci : nous vous
exhortons à la sincérité et à ne pas employer cette foi que vous n’avez plus,
pour parvenir Ă vos objectifs politiques, aussi justes soit-il.
Je veux qu’en ces temps, cette idée
soit très claire à votre esprit, non parce que l’Église veut tourner le dos aux
justes revendications du peuple, nous avons fait serment en ce sens et c’est
notre engagement pastoral qui nous l’exige. L’Église de Vatican II, de MedellĂn
et de Puebla est bien claire en ce sens lorsqu’elle demande aux pasteurs d’être
avec leur peuple dans leurs justes revendications, mais le peuple de ses justes
revendications ne s’identifie pas lui non plus à aucune organisation, surtout
lorsque ces dernières désirèrent emprunter des chemins qui ne sont pas ceux de
la foi du peuple. Que le peuple soit fidèle à sa foi et s’il désire
s’incorporer dans une organisation, s’il désire demeurer fidèle à sa foi, qu’il
tienne compte de ce que nous avons dit : la préférence principale d’un
chrétien ce n’est pas les traits politiques d’un système ou d’un groupe, sinon
sa foi dans le Christ, celle que nous ne devons jamais trahir et pour laquelle
il faut ĂŞtre prĂŞt Ă tout laisser. Nous ne devons jamais laisser Notre Seigneur
Jésus-Christ. C’est ce que je veux dire lorsque je parle que l’homme possède
une vocation transcendante.
Cela m’attriste de penser au nombre de
morts qui se sont présentés devant le tribunal de Dieu ces jours-ci. Dieu
tiendra certainement compte des justes motivations de chacun. Nous ne pouvons
pas juger quelqu’un qui est mort, seul Dieu juge! Mais, certainement, que ce
qui prévaut devant le tribunal du Seigneur, c’est cette transcendance de celui
ou celle qui s’efforça d’être juste et qui rechercha la justice, mais avec le
Christ, la justice du Règne de Dieu, non pas une autre. La justice du Règne de
Dieu est celle qui brillera pour toute l’éternité. C’est cela l’Église que je
voudrais, ayez une conscience claire de ce que nous sommes en train de
construire.
Passons maintenant en revue les
événements de notre histoire concrète, de cette Église, mais n’oublions pas ce
sens transcendant, cette mission transcendante, cette source de transcendance
qu’est le Christ ressuscité. Je voudrais que le principal de mon message ne
soit pas autre chose que ce que le Christ nous a dit dans l’Évangile
d’aujourd’hui : « Allez par le monde entier et prêchez l’Évangile. »
Ne déformez pas notre message. Si nous devons parler des tristes réalités de
notre environnement, ce n’est pas que nous le voulions ou que nous les
provoquions, sinon que nous les illuminons avec l’intention qu’ils s’en aillent
et qu’elles se soignent. C’est un sens de conversion, de Règne et de vie
Ă©ternelle. 27/05/79, p.364-367, VI.
Pensée finale : Nous terminons
en nous approchant de l’autel avec la vision claire et lumineuse du Christ qui
s’élève aux cieux en nous donnant cette perspective de transcendance.
N’oublions pas ce message de transcendance et ne nous laissons pas enfermer
dans le cadre matériel où se développe parfois notre vie. Sachons rompre toutes
ces choses qui veulent nous rendre esclaves de toute sorte de servitude.
Sachons regarder par-dessus tout, au-delà de l’histoire et du temps, la figure
d’un Christ qui nous dit depuis son éternité qu’Il est la Tête et qu’Il veut
faire de nous tous des membres mystiques de son corps, pour qu’à la recherche
de cette Tête, après avoir accompli avec Lui la mission en faveur de la liberté
et de la dignité humaine sur cette Terre, nous sachions profiter de la joie de
la justice éternelle auprès du trône du Père de la gloire. Ainsi
soit-il… 27/05/79, p.371-372, VI.