L’Ascension du Seigneur, Proclamation de la Transcendance humaine

 

Ascension; 27 mai 1979; Lectures : Actes 1,1-11; ÉphĂ©siens 1,17-23; Marc 16,15-20.

 

Le capitaine du bateau dit au mousse qui avait le mal de mer en montant dans les haubans : « Regarde en haut! Â»

 

Quand j’étais séminariste, j’ai entendu cette histoire qui en ces circonstances me revient à l’esprit et que je voulais vous transmettre. C’est l’histoire d’un mousse que le capitaine envoya réparer un bris dans la mâture. De là-haut, voyant la mer qui se mouvait sous ses yeux, il eut le mal de mer au point qu’il était près de tomber. Alors, le capitaine lui dit de regarder en haut. Et ce fut son salut. Regardant vers le ciel, il cessa de voir cette mer agitée et il put faire son travail tranquille.

 

Ici aussi, cette semaine, les événements nous offrent l’image d’une mer agitée et plusieurs ont le mal de mer. Regardez en haut! Telle est la fête liturgique de l’Ascension.

 

Cette comparaison me vient Ă  l’esprit parce que la majoritĂ© de nos frères et sĹ“urs, salvadoriens, voyant la situation actuelle, cette mer agitĂ©e de notre histoire et toute cette confusion, en viennent Ă  perdre l’espĂ©rance. Et il est opportun, en ces circonstances de notre histoire, d’entendre l’annĂ©e liturgique qui nous dit comme un cri : regardez en haut! C’est la fĂŞte de l’Ascension du Seigneur. Ce corps d’homme qui est en mĂŞme temps Dieu, s’élevant au-dessus des Ă©vĂ©nements de ce monde afin de nous situer dans une perspective d’éternitĂ© au-dessus des choses qui passent. Je crois que c’est lĂ  notre meilleure orientation en ces heures de confusions.

 

Notre atmosphère est très tendue. Il y a beaucoup de morts qui se sont déjà présentés devant le tribunal de Dieu pour rendre compte de leur agir pendant cette vie. On dirait que notre Patrie s’est convertie en un champ de guerre. Il y a de nombreux foyers en deuil. Plusieurs, sans doute, auront l’espérance chrétienne et prieront avec sérénité, mais de nombreux autres entretiennent des sentiments de vengeance, de rancœurs et de violences. Il y a de nombreux blessés. Il y a deux forces qui s’entrechoquent dans le sang et qui s’effraient mutuellement. Il y a beaucoup de haine, de peurs, de tensions et d’alarmes et le peuple, sous l’État de siège, devient d’une part plus timide et d’autre part plus agressif. En un mot, nous vivons cette fête de l’Ascension à un moment où tout ici-bas, nous invite à fuir, mais le chrétien ne fuit pas. L’Ascension nous convie à nous incarner davantage dans l’histoire, en gardant à l’esprit cette perspective du ciel parce que le chrétien doit juger l’histoire avec des perspectives d’éternité.

 

La Cathédrale, comme les autres temples qui ne sont plus occupés, apparaît semblable à un navire qui se remet d’une tempête. […]

Elle a été occupée, elle était fermée au culte, et cette semaine, enfin, grâce à Dieu, elle s’ouvre à nouveau au culte. Le recteur de la Cathédrale a prononcé les prières de réparation qui ont coutume d’être prononcées pour ouvrir nouvellement au culte ces navires qui continuent de se balancer sur la mer de l’histoire.

 

La vie et la mort doivent avoir un sens. Quel sens doit avoir le gouvernement d’un peuple, les revendications du peuple, le bien-être de l’argent, la misère et la marginalisation?

Vous êtes dans ce navire qui est le symbole de l’unité et de la doctrine, de la sérénité et de la voix éternelle de l’Église. Même lorsque cette voix est altérée par d’autres qui n’ont pas d’endroits pour se dire, la voix de l’Église continue d’être connue et elle veut être, malgré la distorsion et la mauvaise volonté, la calomnie et la diffamation, la voix qui prêche le message éternel du Seigneur. Celui-ci, depuis les hauteurs du Ciel, attire à Lui toutes les choses de la Terre, pour nous dire le sens de la vie et de la mort, le sens du gouvernement et des luttes populaires, le sens du bonheur, de la misère, de l’exclusion, des situations de péché, pour que nous fassions déjà de cette Terre, illuminée par cette vision de l’éternité, ce qu’elle doit être, le pèlerinage des frères, tous fils de Dieu, à la suite de cette tête qui est déjà entrée au ciel et qui attire à elle tous ceux qui veulent la suivre avec amour, avec foi et avec espérance.

Seul le Christ peut donner un sens à la vie et la fête de l’Ascension est une perspective certaine de l’éternité.

 

C’est là la véritable grâce de Pâques que nous avons méditée durant tout ce temps de la Résurrection du Christ. L’accomplissement de tant de bénédictions de Dieu qui culmine maintenant dans ce message de l’Ascension, le cadeau extraordinaire du Christ s’élevant au ciel et qui dit aux hommes et aux femmes, le sens véritable de la vie et de la mort.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Le Christ, Source de la Transcendance Chrétienne

2) L’Église, Mission de Transcendance

3) Nous avons tous une Vocation Ă  la Transcendance

 

 

1) Le Christ, Source de la Transcendance

 

Que veut dire transcendance? C’est comme s’affranchir de ses limites. C’est comme ne plus ĂŞtre emprisonnĂ© par la matière. C’est comme si l’être humain se disait Ă  lui-mĂŞme : je suis au-dessus de tout ce qui veut m’enfermer, ni la mort, ni la vie, ni l’argent, ni le pouvoir, ni les flatteries, rien ne peut soustraire l’homme ou la femme Ă  sa vocation transcendantale. Il y a quelque chose d’autre que l’histoire, il y a quelque chose qui franchit le seuil de la matière et du temps. C’est ce que nous appelons le transcendant, l’eschatologique, l’au-delĂ , la finalitĂ©. Dieu qui ne se laisse pas enfermer par les choses sinon que c’est Lui qui les contient toutes, est le but auquel nous appelle le Christ ressuscitĂ©.

 

 

A) Qu’est-ce que célèbre l’Église à l’Ascension du Seigneur?

 

C’est un événement qui possède ses propres dimensions historiques. Quarante jours après la Résurrection, après avoir parlé avec ses apôtres du Règne de Dieu et être apparu de nombreuses fois. Tous ces événements historiques que l’évangéliste devait situer, à tout le moins, en termes symboliques. Quarante jours ne sont pas une référence chronologique exacte. Dans l’Évangile (Mc 16,15-20), cela représente un nombre symbolique qui est nécessaire afin de relier l’enseignement du Dieu qui vint nous apporter ce message, avec les hommes qui furent les témoins du Christ ressuscité. C’est comme un nombre de perfection, de carême et de plénitude, comme un nombre de plénitude et de coordination entre le message que le Christ apporta et celui que les hommes et les femmes doivent porter.

 

Quarante jours, et le Christ fut complètement uni à l’humanité.

Nous cĂ©lĂ©brons aussi le fait thĂ©ologique : la glorification du Christ.

Dans notre catĂ©chèse de l’Ascension, davantage que la dimension des quarante jours, ce qui nous intĂ©resse ici c’est que nous cĂ©lĂ©brons un fait thĂ©ologique. Le fait de la glorification du Fils de Dieu. Peu avant de mourir, le Christ engloba en une seule parole l’heure de la glorification; autant la mort que la RĂ©surrection, l’Ascension et l’envoi de l’Esprit saint. Tout cela n’est qu’un seul Ă©vĂ©nement thĂ©ologique : « Il convient que Je m’en aille parce que si Je ne m’en vais pas et que Je ne suis pas glorifiĂ© par le Père, vous ne recevrez pas l’Esprit qui reliera ma vie divine Ă  la vĂ´tre : l’Église. Â» Le fait thĂ©ologique qu’aujourd’hui nous cĂ©lĂ©brons est celui qui est le plus important, c’est le fait que le Christ a Ă©tĂ© assumĂ© avec tous ses mĂ©rites, avec tous ses enseignements, avec toute son Église, Christ et l’Église sont une seule et mĂŞme chose qui est aujourd’hui assumĂ©e Ă  la gloire du Père. C’est pourquoi le Christ se prĂ©sente aujourd’hui plus que jamais, comme un chemin vers la transcendance.

 

 

B) Le Christ, Chemin vers la Transcendance

 

L’Évangile nous a dit aujourd’hui (Mc 16,19) : « Or le Seigneur, après leur avoir parlĂ©, fut enlevĂ© au ciel et il s’assit Ă  la droite de Dieu. Â» L’expression « s’asseoir Ă  la droite de Dieu Â» ne doit pas ĂŞtre comprise au sens littĂ©ral parce que Dieu n’a pas de corps. Il n’a ni droite, ni gauche, il s’agit plutĂ´t du concept du Psaume 110 qui dit : « Le Seigneur dit Ă  mon Seigneur “assieds-toi Ă  ma droite.” Â» C’est un psaume qui chantait la rĂ©alitĂ© du roi d’IsraĂ«l. Pour les Orientaux, pour les HĂ©breux, la royautĂ© et l’autoritĂ© Ă©taient une participation de Dieu et le roi, comme s’il Ă©tait assis Ă  la droite de Dieu, participait de cette royautĂ©. C’est ainsi que s’explique l’expression de notre credo qui dit : « Il monta aux cieux oĂą Il est assis Ă  la droite du Père. Â» Cela veut dire qu’Il a Ă©tĂ© assumĂ© pour participer Ă  l’autoritĂ©, Ă  la grandeur et Ă  la gloire de Dieu. C’est un homme qui naquit d’une femme, mais qui incarnait une personne divine et quand Il eut accompli sa mission historique sur la Terre, non seulement le divin, mais l’humain Ă©galement, qui est nĂ© de la Vierge Marie, qui porte notre humanitĂ©, un homme en chair et en os comme nous, est montĂ© aux cieux pour se faire Dieu, pour participer au divin. Le Christ est Dieu, le Christ est un homme qui, assis Ă  la droite de Dieu, possède toutes les prĂ©rogatives de Dieu. Et nous, qui avons Ă©tĂ© emportĂ©s avec Lui, avons reçu Ă©galement cette vocation divine. C’est un chemin vers la transcendance qui nous Ă©lève Ă  voir par delĂ  l’Histoire.

 

La première lecture d’aujourd’hui (Ac 1,1-11) nous invite, avec les apĂ´tres « Ă  attendre ce que le Père avait promis… Â» Il est Celui qui nous donne tout et nous devons espĂ©rer de cette transcendance, la force qui peut transformer le monde.

 

La seconde lecture (Ep 1,17-23) l’appelle « le Père de la gloire… son Pouvoir est au-dessus de tout pouvoir. Â» C’est lĂ  qu’est la vĂ©ritable transcendance d’oĂą dĂ©rive l’intelligence des hommes, la capacitĂ© d’organisation des ĂŞtres humains. Toutes les capacitĂ©s que nous avons nous viennent de lĂ , de la source de la Transcendance et c’est pour cela qu’elles s’orientent vers lĂ .

 

La sainte lecture d’aujourd’hui (Mc 16,15-20) nous a parlĂ© de la puissance de l’Esprit saint. Elle dit que le Christ « mĂ» par l’Esprit Â» a Ă©tĂ© Ă©levĂ© au Ciel. Le chemin de la transcendance ne peut ĂŞtre parcouru que par la force de l’Esprit. C’est le triomphe du Christ sur toute la nature. Un jour, Il dit : « Quand Je serai Ă©levĂ© sur Terre, J’attirerai toutes les choses Ă  moi. Â» Et le Christ apparaĂ®t aujourd’hui dans la plĂ©nitude de son destin.

 

Saint Paul découvre le secret des projets de Dieu et découvre le Christ comme le sommet de tous les idéaux de Dieu. Tout fut créé par Lui et pour Lui. Toute créature, même s’il s’agit de l’homme le plus intelligent, est une créature. Il n’a pas raison d’être s’il ne s’oriente pas vers Celui par qui toutes les choses furent créées et pour Lequel toutes les choses existent. Dans la seconde lecture d’aujourd’hui (Ep 1,17-23) il est également question du Christ qui planifie tout en tout, c’est-à-dire que la créature est vide lorsqu’elle demeure séparée de son Créateur. Ainsi comme le rayon de lumière qui voudrait se séparer du foyer et qui deviendrait ténèbres, l’homme, la créature, le soleil, les étoiles, et tout ce qui existe, s’ils sont séparés de la plénitude qui donne l’être, ils demeurent vides.

 

L’homme est une absurdité quand il ne s’oriente pas vers Dieu. Le Christ apparaît aujourd’hui comme la clé de toute l’Histoire, comme la source de la transcendance. 27/05/79, p.361-362, VI.

 

 

2) L’Église, Mission de Transcendance

 

 

A) Raccordement de la vie du Christ avec la mission de l’Église.

 

« Allez par le monde entier… Â»

 

Nous avons entendu aujourd’hui dans la clĂ´ture de l’Évangile de saint Marc (16,15-20) : « Allez par le monde entier et proclamez l’Évangile Ă  toute la crĂ©ation. Â» Et la seconde lecture (Eph 1,17-23), qui est une rĂ©flexion sur cette gloire que le Christ fait sienne en cette fĂŞte de l’Ascension, nous prĂ©sente aussi l’Église comme un corps qui complète l’existence de cette tĂŞte glorieuse qu’est le Christ et que, depuis cette Église qui est son corps, Christ est Roi de l’Univers. Quel honneur pour ceux qui forment l’Église! Nous sommes la plĂ©nitude du Christ, nous sommes comme le complĂ©ment du Dieu qui se fit homme.

 

 

B) La Transcendance du Christ ne s’en va pas avec Lui, elle demeure dans l’Histoire pour que l’Église continue de la proclamer.

 

L’Église doit réaliser dans l’Histoire la grande mission de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et si la mission du Christ est une mission de transcendance, l’Église ne peut être comprise sans avoir un sens profond de ce qu’est la transcendance.

 

Le Seigneur agit avec eux. L’Ascension rend le Christ plus prĂ©sent dans la vie de toute l’Église. Qu’est-ce que cela signifie? Dans l’Évangile d’aujourd’hui, quand on nous dit que les premiers croyants du Christ rĂ©alisaient des signes, que les poisons ne leur faisaient rien, qu’ils parlaient plusieurs langues, c’étaient lĂ  des signes du pouvoir de Dieu pour dire qu’avec l’Église venait cette puissance de Dieu qui a tout crĂ©Ă©. Le sens des charismes, le sens de tous ces prodiges, des guĂ©risons, des langues, ce ne sont pas des jouets, ce ne sont pas des exhibitions, ni des objets de vanitĂ©s. Ils se produisirent en un temps oĂą cela Ă©tait nĂ©cessaire comme dit saint Augustin : « Pour arroser l’arbrisseau de l’Église. Â» Comme tout jeune arbre qu’on arrose, celui-ci prĂ©cisait de cette eau des prodiges de Dieu, une fois que l’arbre est devenu corpulent, il n’est plus nĂ©cessaire de l’arroser. Comme l’arbre fleuri, chaque floraison est comme une vie nouvelle qui, dans l’arbre, parfois centenaire et qui sait, millĂ©naire, nous indique que la vie est prĂ©sente en lui; ainsi est l’Église. Cette dernière continue d’être ce prodige de Dieu dans l’Histoire et elle le sera tant qu’elle orientera dans sa fonction transcendante. Je tiens Ă  souligner ce sens pour que nous comprenions bien en cette heure de confusions, ce qu’est l’Église et ce qu’elle n’est pas.

 

 

L’Église et l’être humain dans le Christ

 

Le Pape a dit dans son encyclique Redemptor Hominis : « JĂ©sus-Christ est le chemin principal de l’Église. Il est notre chemin vers la maison du Père et Il est Ă©galement le chemin vers chaque homme. Â» Voyez quelle image plus belle! Le Christ est le chemin qui nous conduit Ă  la transcendance du Père, mais Il est aussi le chemin de l’Église qui nous conduit vers chaque homme. En ce moment, vous n’êtes pas pour moi une multitude, vous ĂŞtes un ensemble d’hommes et de femmes. Chacun a un chemin qui le relie Ă  Dieu et la mission de l’Église qui prĂŞche, qui sanctifie et qui oriente est prĂ©cisĂ©ment de mettre chacun de vous en contact avec Dieu. Et le Pape nous dit : « Le Christ est le chemin par lequel l’Église marche vers chaque homme. Â» Les chemins qui vous ont conduit ici aujourd’hui, pour que nous soyons tous rĂ©unis en CathĂ©drale, sont les chemins de l’Église. Ma parole en ce moment marche par les chemins de l’Église vers chacun de vous et elle n’aurait aucune efficacitĂ© si ce n’était qu’elle marche par le chemin vĂ©ritable qu’est le Christ. Si je ne prĂŞchais pas le Christ, si je ne vous conviais pas tous : justes et pĂ©cheurs, oppresseurs et opprimĂ©s – comme on aime dire de nos jours – je ne marcherais pas sur les chemins de l’Église. Ce chemin doit parvenir Ă  tous si vous voulez ĂŞtre sauvĂ©s et l’Église est chargĂ©e de parcourir ce difficile chemin du Christ en lien avec chacun et chacune.

 

 

Sur ce chemin qui conduit du Christ Ă  l’être humain, sur ce chemin par lequel le Christ s’unit Ă  chacun, l’Église ne peut ĂŞtre arrĂŞtĂ©e par personne. Je me rĂ©jouis que ce matin les applaudissements soient pour le Pape et ma pensĂ©e coĂŻncide parfaitement avec la sienne. L’Église ne dĂ©sire pas autre chose que d’apporter le Christ aux hommes et sur cette voie rien ne peut l’arrĂŞter. « C’est lĂ  l’exigence du bien temporel et du bien Ă©ternel de l’être humain. Â» Notez bien : le bien temporel ne signifie pas s’engager en politique. Lorsque l’Église parle aussi du bien temporel, elle sait qu’elle n’atteindra pas la personne humaine tant qu’elle ne saura pas respecter le chemin qui nous relie au Christ. C’est cela l’exigence du bien temporel et du bien Ă©ternel de l’homme et de la femme.

 

L’Église, en considĂ©ration du Christ et en raison du mystère qui constitue la vie de l’Église mĂŞme, ne peut demeurer insensible Ă  tout ce qui sert au vĂ©ritable bien de l’homme, comme elle ne peut non plus demeurer indiffĂ©rente Ă  ce qui le menace. Le Concile Vatican II a exprimĂ© cette sollicitude fondamentale de l’Église afin que « la vie en ce monde soit plus conforme Ă  l’éminente dignitĂ© humaine sous tous ses aspects, pour la rendre toujours plus humaine. Â» C’est la sollicitude du Christ lui-mĂŞme, le Bon Pasteur de tous les hommes, et le Concile nous dit : « L’Église qui en raison de son ministère et de sa compĂ©tence, ne se confond en aucune manière avec la communautĂ© politique et elle n’est rattachĂ©e Ă  aucun système politique. Elle est en mĂŞme temps, signe et sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine. Â» C’est ce que fait l’Église au milieu de toutes les complications politiques, elle ne fait pas de politique, elle s’adresse Ă  la politique pour dĂ©fendre l’homme et la femme dans leur transcendance et pour dire Ă  tous les rĂ©gimes, qu’ils soient totalitaires ou dĂ©mocratiques, communistes, socialistes ou de n’importe quel signe historique : l’Église ne professe aucun système parce qu’elle doit dire Ă  tous les systèmes : Ce qui compte c’est l’être humain et sa transcendance et il faut respecter cette transcendance, cette union de l’homme avec Dieu, et cela doit ĂŞtre sous tous les systèmes politiques. 27/05/79, p.362-364, VI.

 

 

3) Nous avons tous une Vocation Ă  la Transcendance

 

 

A) Appel Universel. Personne n’est exclu. Prêcher à toute créature.

 

En cette fĂŞte, et Ă  cause de ce que nous venons de dire, chaque homme et chaque femme, chacun d’entre nous, mĂŞme si un athĂ©e qui se glorifie de ne pas croire en Dieu se trouvait ici, ce n’est pas lui qui dĂ©termine sa nature et sa relation avec le CrĂ©ateur. MĂŞme s’il conteste l’existence de Dieu, l’homme est toujours un ĂŞtre transcendant vers Dieu, mĂŞme l’incroyant, doit vĂ©rifier ce que disait saint Augustin, le grand humaniste, qui parcourut lui aussi des chemins d’incroyance et qui ne fut pas heureux jusqu’à ce qu’il parvienne Ă  dire cette phrase : « Seigneur, Tu nous as faits pour Toi et notre cĹ“ur demeure inquiet jusqu’à ce qu’il repose en Toi. Â» Dieu est l’unique point de gravitĂ© en qui l’être humain peut se reposer. Comme lorsqu’une pierre est parvenue Ă  l’abĂ®me, comme lorsque le Christ est montĂ© vers Dieu.

 

C’est pourquoi, lorsque le Christ est montĂ© aux cieux, ces muscles et ces nerfs, cette vie qui Ă©tait nĂ©e d’une femme comme nous-mĂŞmes qui sommes nĂ©s d’une femme nous indique le vĂ©ritable destin transcendant de notre vie. Le mystère de l’être humain, dit le Concile Vatican II : « Qu’il ne peut ĂŞtre Ă©clairci que par le mystère du Dieu qui se fit homme Â». Si ce n’avait Ă©tĂ© du Christ, le Fils de l’homme, nous ne serions qu’une absurditĂ©, un non-sens. Oui, les luttes revendicatrices pour la dignitĂ©, la libertĂ© humaine et l’égalitĂ© entre tous, ont leur sens, mais uniquement Ă  la lumière du Christ. C’est pourquoi le Pape disait Ă©galement aux hommes d’aujourd’hui, Ă  ceux qui luttent pour la libertĂ© et pour de justes revendications : « N’ayez pas peur du Christ, ouvrez-Lui les portes de la politique, de l’économie, de la sociologie, etc., parce que tout retrouve son sens quand la lumière du Dieu qui se fit homme l’illumine. Â» Et si ce n’est pas ainsi, nous aurons ce que nous avons connu ces jours-ci : du sang, de la violence, des vengeances, de la haine, etc. L’homme est un loup pour l’homme si la foi dans le Christ ne le transforme pas.

Il y a dans la parole d’aujourd’hui une question de vie ou de mort. Quand le Christ envoie prĂŞcher son message, il dit (Mc 16,16) : « Celui qui croira sera sauvĂ© et celui qui ne croira pas se condamnera. Â» Il s’agit lĂ  de l’anathème le plus terrifiant, Dieu ne condamne personne, puisqu’Il a demandĂ© que tous soient appelĂ©s.

 

« Allez et prĂŞchez ce message Ă  tous. Â» C’est l’homme lui-mĂŞme qui se condamne. Celui qui s’ouvre Ă  ce message de Salut, se sauve parce qu’il a rencontrĂ© le chemin de Dieu, mais l’homme qui croit davantage dans ses propres industries, qui se croit plus sage que Dieu et qui rejette les commandements et la foi, ne peut entrer dans le Royaume des Cieux. S’il y a un endroit oĂą l’on entre librement, c’est au Ciel. Personne n’y est contraint par la force! Seul se sauvera celui qui librement veut ĂŞtre sauvĂ©, mais celui qui ne veut pas se sauver librement doit aller Ă  un endroit dont le Christ nous a parlĂ© aujourd’hui.

 

 

Méditation personnelle de la transcendance. Nécessité de vivre l’espérance chrétienne.

 

Je voudrais revenir sur la seconde lecture qui traite de la transcendance humaine avec un doigtĂ© inimitable. Saint Paul dit comme en une prière qui ce matin s’élèvera Ă  la recherche du Christ qui va au Ciel : « Que le Dieu de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ… Â» Quelle belle expression! Pour saint Paul, Dieu est toujours le Dieu de JĂ©sus-Christ, le Dieu des chrĂ©tiens ne peut ĂŞtre un autre, c’est le Dieu de JĂ©sus-Christ, Celui qui s’identifia avec les pauvres, celui qui donna sa vie pour les autres, Celui qui envoya son Fils JĂ©sus-Christ pour prendre parti, sans ambiguĂŻtĂ© pour les pauvres, mais sans dĂ©prĂ©cier les autres. Il les convia tous sur le terrain des pauvres pour pouvoir nous rendre Ă©gaux Ă  Lui. Personne n’est condamnĂ© dans la vie, seul celui qui rejette l’appel du Christ pauvre et humble et qui prĂ©fère les idolâtries de ses richesses et de son pouvoir.

 

« Daigne le Dieu de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ, le Père de la gloire, comme le nomme Ă©galement saint Paul aujourd’hui (Ep 1,17), vous donner un esprit de sagesse et de rĂ©vĂ©lation qui vous le fasse vraiment connaĂ®tre. Â» C’est un privilège, une grâce de Dieu, que de parvenir Ă  Le connaĂ®tre. Frères, je pense que plusieurs croient qu’ils connaissent Dieu alors qu’ils adorent des idoles. L’Église ne veut plus ĂŞtre complice de ces faux dieux. L’Église a choisi une voie bien claire pour rencontrer le vĂ©ritable Dieu de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ et elle ne se satisfait plus d’une piĂ©tĂ© hypocrite.

 

C’est le Dieu vĂ©ritable qui doit Ă©clairer vos yeux, votre cĹ“ur, pour que vous sachiez oĂą se trouve le Dieu vĂ©ritable et pour que vous n’ayez plus peur des idoles qui veulent faire compĂ©tition Ă  Dieu. Mais selon cette mĂŞme lecture (Ep 1,18-23) d’aujourd’hui, ces fausses divinitĂ©s seront vaincues par l’unique Dieu vĂ©ritable. « Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cĹ“ur pour vous faire voir quelle espĂ©rance vous ouvre son appel, quels trĂ©sors de gloire renferme son hĂ©ritage parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa Puissance revĂŞt pour nous, les croyants, selon la vigueur de sa Force, qu’il a dĂ©ployĂ©e en la personne du Christ, le ressuscitant d’entre les morts et le faisant siĂ©ger Ă  sa droite dans les cieux, bien au-dessus de toute PrincipautĂ©, Puissance, Vertu, Seigneurie et de tout autre nom qui se pourra nommer, non seulement dans ce siècle-ci, mais encore dans le siècle Ă  venir. Il a tout mis sous ses pieds et l’a constituĂ©, au sommet de tout, TĂŞte pour l’Église, laquelle est son corps, la PlĂ©nitude de Celui qui est rempli, tout en tout. Â» C’est cela, l’absolu, c’est cela, la force, c’est cela, la gloire, c’est cela, la richesse, c’est cela, la vĂ©ritĂ©. Ne soyons pas fanatiques dans nos luttes pour les choses de ce monde.

 

 

Application à l’activité politique

 

Parmi le bon et le juste des organisations qui poursuivent des revendications au milieu de tant de pĂ©chĂ© et d’injustice, il est dommage que leurs perspectives soient myopes et que celles-ci demeurent au niveau de l’atteinte des biens temporels, des libertĂ©s de la Terre, de l’égalitĂ©, ici uniquement en ce monde. Lorsque j’ai Ă©crit dans ma Lettre pastorale que le service que l’Église prĂŞte aux justes revendications des hommes, ce fut, prĂ©cisĂ©ment, d’englober tous ces nobles efforts de libertĂ© et de justice, dans la grande libĂ©ration, dans la libĂ©ration du Christ qui est au-dessus de toute puissance prĂ©sente et future. C’est pourquoi, quand je dis aujourd’hui que tout homme dĂ©tient une vocation Ă  la transcendance, je veux vous rappeler la pensĂ©e sereine de l’Église : « Pour lutter pour la justice au sein d’une organisation populaire, il n’est pas nĂ©cessaire d’être chrĂ©tien, ni de reconnaĂ®tre explicitement une foi en JĂ©sus-Christ. Nous pouvons très bien ĂŞtre un bon politicien et bien travailler pour la rĂ©alisation d’une sociĂ©tĂ© plus juste sans ĂŞtre chrĂ©tien, Ă  condition de respecter et de tenir compte de la valeur humaine et sociale de la personne. Â»

 

Que cela demeure bien clair : aucune organisation ne peut revendiquer le titre de chrĂ©tien. S’il s’agit d’une lutte politique, c’est un champ ouvert aux croyants et aux non-croyants et rien n’identifie une organisation, encore bien moins une qui emploie la force terroriste, avec l’Église. C’est comme si toutes les revendications, mĂŞme celles qui sont faites avec violence, voulaient se prĂ©tendre de l’Église. Que cette dĂ©finition demeure bien claire.

« Mais ceux qui se professent chrĂ©tiens et qui en tant que tels s’organisent ont l’obligation de confesser leur foi dans le Christ et d’employer, dans leur agir social et politique, les mĂ©thodes qui sont en accord avec cette foi. Â» Je poursuis en expliquant la manière dont le fanatisme politique ou l’euphorie des revendications peut faire oublier les exigences de la foi chrĂ©tienne, ils peuvent faire oublier que la politique n’est pas l’unique dimension de l’être humain. Et que pour un chrĂ©tien, la foi est ce qui est premier. C’est pourquoi, je dĂ©plore que, si certains chrĂ©tiens ont pu ĂŞtre initialement motivĂ©s par leur foi chrĂ©tienne dans leur engagement envers des pauvres, ils ont lamentablement perdu cette foi et ils la considèrent aujourd’hui sans valeur. Comme nous le disons vulgairement, ils s’en sont servis comme d’un escabeau et après, ils l’ont rejetĂ© d’un coup de pied. Et cela peut bien se produire avec l’Église pour ceux qui voulurent l’utiliser. Lorsqu’elle ne leur sert plus, elle devient de trop. Ne vous surprenez pas! Je ne vous demanderais que ceci : nous vous exhortons Ă  la sincĂ©ritĂ© et Ă  ne pas employer cette foi que vous n’avez plus, pour parvenir Ă  vos objectifs politiques, aussi justes soit-il.

 

Je veux qu’en ces temps, cette idĂ©e soit très claire Ă  votre esprit, non parce que l’Église veut tourner le dos aux justes revendications du peuple, nous avons fait serment en ce sens et c’est notre engagement pastoral qui nous l’exige. L’Église de Vatican II, de MedellĂ­n et de Puebla est bien claire en ce sens lorsqu’elle demande aux pasteurs d’être avec leur peuple dans leurs justes revendications, mais le peuple de ses justes revendications ne s’identifie pas lui non plus Ă  aucune organisation, surtout lorsque ces dernières dĂ©sirèrent emprunter des chemins qui ne sont pas ceux de la foi du peuple. Que le peuple soit fidèle Ă  sa foi et s’il dĂ©sire s’incorporer dans une organisation, s’il dĂ©sire demeurer fidèle Ă  sa foi, qu’il tienne compte de ce que nous avons dit : la prĂ©fĂ©rence principale d’un chrĂ©tien ce n’est pas les traits politiques d’un système ou d’un groupe, sinon sa foi dans le Christ, celle que nous ne devons jamais trahir et pour laquelle il faut ĂŞtre prĂŞt Ă  tout laisser. Nous ne devons jamais laisser Notre Seigneur JĂ©sus-Christ. C’est ce que je veux dire lorsque je parle que l’homme possède une vocation transcendante.

 

Cela m’attriste de penser au nombre de morts qui se sont présentés devant le tribunal de Dieu ces jours-ci. Dieu tiendra certainement compte des justes motivations de chacun. Nous ne pouvons pas juger quelqu’un qui est mort, seul Dieu juge! Mais, certainement, que ce qui prévaut devant le tribunal du Seigneur, c’est cette transcendance de celui ou celle qui s’efforça d’être juste et qui rechercha la justice, mais avec le Christ, la justice du Règne de Dieu, non pas une autre. La justice du Règne de Dieu est celle qui brillera pour toute l’éternité. C’est cela l’Église que je voudrais, ayez une conscience claire de ce que nous sommes en train de construire.

 

Passons maintenant en revue les Ă©vĂ©nements de notre histoire concrète, de cette Église, mais n’oublions pas ce sens transcendant, cette mission transcendante, cette source de transcendance qu’est le Christ ressuscitĂ©. Je voudrais que le principal de mon message ne soit pas autre chose que ce que le Christ nous a dit dans l’Évangile d’aujourd’hui : « Allez par le monde entier et prĂŞchez l’Évangile. Â» Ne dĂ©formez pas notre message. Si nous devons parler des tristes rĂ©alitĂ©s de notre environnement, ce n’est pas que nous le voulions ou que nous les provoquions, sinon que nous les illuminons avec l’intention qu’ils s’en aillent et qu’elles se soignent. C’est un sens de conversion, de Règne et de vie Ă©ternelle. 27/05/79, p.364-367, VI.

 

PensĂ©e finale : Nous terminons en nous approchant de l’autel avec la vision claire et lumineuse du Christ qui s’élève aux cieux en nous donnant cette perspective de transcendance. N’oublions pas ce message de transcendance et ne nous laissons pas enfermer dans le cadre matĂ©riel oĂą se dĂ©veloppe parfois notre vie. Sachons rompre toutes ces choses qui veulent nous rendre esclaves de toute sorte de servitude. Sachons regarder par-dessus tout, au-delĂ  de l’histoire et du temps, la figure d’un Christ qui nous dit depuis son Ă©ternitĂ© qu’Il est la TĂŞte et qu’Il veut faire de nous tous des membres mystiques de son corps, pour qu’à la recherche de cette TĂŞte, après avoir accompli avec Lui la mission en faveur de la libertĂ© et de la dignitĂ© humaine sur cette Terre, nous sachions profiter de la joie de la justice Ă©ternelle auprès du trĂ´ne du Père de la gloire. Ainsi soit-il… 27/05/79, p.371-372, VI.