Les Crises du Règne de Dieu

 

Vingt-cinquième dimanche du temps ordinaire; 24 septembre 1978; Lectures : IsaĂŻe 55,6-9; Philippiens 1,20c-24,27a; Matthieu 20,1-16.

 

Au Moyen âge, la Vierge inspira un ordre d’hommes généreux qui, devant le problème de l’esclavage, dans les prisons musulmanes, s’organisèrent pour aller racheter ces prisonniers. En plus d’apporter de grandes quantités d’argent qu’ils recueillaient en Europe à cette fin, ils faisaient le vœu de rester eux-mêmes prisonniers au lieu de ceux qui étaient détenus, pour que ces derniers acquièrent la liberté. Il s’agit d’une page très glorieuse de l’effort de l’Église pour la libération des humains. La défense des droits humains n’est pas une chose d’aujourd’hui, elle a toujours été la cause de l’Évangile.

 

Saluons les prisonniers parce que ce jour est considéré comme étant le jour de la patronne des centres carcéraux. On honore aujourd’hui la Vierge de la Merci, dans ces centres où l’on souffre beaucoup.

La Vierge de la Merci, présente aujourd’hui dans les souffrances des prisons, illuminant Dieu sait quelle cruauté; apportant consolation à ceux qui loin de leur famille, souffrent un isolement inhumain. Elle est tout un symbole pour l’heure que nous traversons. Hier, j’ai eu l’opportunité de célébrer la Sainte messe et d’assister à la confirmation d’un groupe de femmes, au Centre de Réforme pour Femmes, appelé vulgairement la Prison des Femmes. La présence des religieuses du Bon Pasteur convertit ce centre en un véritable foyer de formation. La présence de la chapelle de la communauté apporte une présence de soleil qui illumine les ténèbres; on ne s’y sent presque pas en prison. Combien est bénéfique la présence de l’espérance chrétienne, de la requête de la foi! Même lorsqu’elle illumine des situations difficiles, même si l’incarcération est méritée, le prisonnier doit payer ses fautes; mais il doit rencontrer là, une école pour qu’il puisse réintégrer la société. Je désire féliciter les sœurs du Bon Pasteur pour ce labeur qui est comme un indice de ce que devraient être les prisons dans notre pays. 24/09/78, p.199-200, V.

 

Qu’est-ce qu’une Église qui se fonde sur les communautés ecclésiales de base? Comment devient-on conscient du christianisme? Comment se forme une conscience critique à partir de l’Évangile en regard des réalités du pays? Ces groupes sont ceux qui sont souvent victimes de persécutions, ceux qu’on cherche à interdire, à éliminer, à terroriser, mais je peux vous assurer qu’il s’agit là de réunions nettement évangéliques. Naturellement, lorsque l’Évangile est absorbé et qu’il oriente un groupe, cela donne une pensée critique et cela dérange l’ordre établi. Et lorsque celui-ci n’est pas juste, il n’est pas évangélique. L’Évangile se heurte brutalement contre les réalités antiévangéliques; mais l’Église ne peut s’empêcher de continuer de former la conscience évangélique de ses chrétiens. 24/09/78, p.200, V.

 

Dans un de ses discours, le Pape insista sur la nĂ©cessitĂ© d’intervention de l’Église en prĂ©sentant et en recommandant des solutions aux grands problèmes de la libertĂ©, de la justice et de la paix pour que les laĂŻcs catholiques luttent afin de rĂ©soudre ces problèmes. Il apporta un Ă©claircissement très utile : que la libĂ©ration politique, sociale et Ă©conomique, que beaucoup d’hommes et de femmes recherchent, ne coĂŻncide pas avec la libĂ©ration en JĂ©sus-Christ. Entendons-nous bien. Dans une de mes lettres pastorales, j’explique qu’un des services de l’Église est d’appuyer ces efforts de revendications du peuple; et le meilleur service que l’Église apporte, c’est de dire quel est son propre critère de libĂ©ration. C’est ici que le Pape (Paul VI) dit : « Ne coĂŻncide pas signifie qu’on ne peut mesurer la libĂ©ration chrĂ©tienne par la libĂ©ration terrestre. Â» Cela ne signifie pas qu’elles soient incompatibles, mais comme le dit ma lettre pastorale, la grande libĂ©ration chrĂ©tienne englobe et intègre ces efforts libĂ©rateurs de la Terre. Nous disons Ă  tous ceux qui travaillent pour un monde meilleur, pour une sociĂ©tĂ© plus juste, tout cela est bon, mais souvenez-vous que tout ne se termine pas lĂ . L’être humain possède aussi une vocation Ă©ternelle et divine, et si nous dĂ©sirons un monde plus juste pour lui, durant son existence sur Terre, n’oublions pas que le dĂ©finitif est sa libĂ©ration transcendantale. Celle qu’apporta le Christ en nous sauvant du pĂ©chĂ© et en nous Ă©levant Ă  la grâce des enfants de Dieu qui doivent vivre Ă©ternellement libres. En ce sens, si nous sommes d’accord avec le Pape, ces libĂ©rations ne coĂŻncident pas, mais elles ne sont pas opposĂ©es non plus, de sorte que nous ne pouvons pas dire que nous sommes avec le Pape lorsque nous nĂ©gligeons les rĂ©alitĂ©s terrestres pour ne penser qu’à celles du ciel. Le Pape appuie Ă©galement tous ces efforts de justice et de libertĂ© dans le monde.

 

Autre aspect de l’actualitĂ© catholique : L’Église polonaise demanda de lire Ă  tous les pupitres de Pologne, une lettre pastorale signĂ©e par tous les Ă©vĂŞques. La vie sociale d’une nation, disent-ils, requiert de l’ouverture et une place pour l’expression de l’opinion publique. Les personnes qui contrĂ´lent les moyens de communication dans ces deux pays ont Ă  l’esprit leur unique intĂ©rĂŞt, autant en Pologne qu’au Salvador, pouvons-nous dire, que nous avons le droit de manifester notre critique et notre opinion. Si l’on n’apprĂ©cie pas cet effort de libertĂ©, cela veut dire, disent les Ă©vĂŞques polonais, qu’on nous considère simplement comme des objets, afin que ceux qui ont pris le pouvoir manipulent les citoyens dĂ©pourvus de la possibilitĂ© de prononcer publiquement leurs opinions.

 

Observez, mes frères, l’Église, en n’importe quelle situation – ici, parce que la situation n’est pas communiste, mais capitaliste –, mais en Pologne oĂą la situation n’est pas capitaliste, mais communiste, dans l’un et l’autre lieu, l’Église ne s’infĂ©ode pas, ni au communisme, ni au capitalisme, mais elle proclame la libertĂ© Ă©vangĂ©lique. Sachez lire les journaux, vous ai-je dit Ă  plusieurs reprises, parce que ce que disent ici les Ă©vĂŞques polonais est bien triste : « Les moyens de communication qui ont le devoir d’informer et de satisfaire ce droit Ă  l’information qu’a toute personne, sont souvent les instruments qui se laissent manipuler par le pouvoir politique ou Ă©conomique pour dĂ©naturer, pour fausser les informations qui ne sont dĂ©jĂ  plus de l’information, mais qui se convertissent en propagande politique. Â»

 

Cette Église qui est en train de s’édifier avec cette mystique, avec cette prĂ©sence, mĂŞme si elle apparaĂ®t humble, comme nous l’avons dĂ©fini dans les rĂ©alisations de notre archidiocèse, est entourĂ©e par un monde gigantesque. Combien de fois je pense au pauvre David face Ă  Goliath; l’Église, c’est David, mais celui-ci put dire Ă  Goliath qui se moquait de lui Ă  cause de sa petite taille : « Tu viens Ă  moi en t’appuyant sur ton armĂ©e et sur tes forces; je viens Ă  toi en m’appuyant sur le nom du Seigneur. Â» Et au nom du Seigneur l’humble berger, David, avec une pierre dans le front, abat de sa hauteur Goliath le gĂ©ant. L’Église doit affronter le gĂ©ant de tous les temps : les idoles qu’adorent les humains. Comment cela se rĂ©alise-t-il? Avant de vous le dire je veux que nous prenions conscience que toute cette Église dont je viens de vous parler, de ses rĂ©alisations concrètes, ici dans l’archidiocèse, en Pologne, Ă  Rome, oĂą n’importe oĂą ailleurs, c’est la mĂŞme Église, qui prĂ©cisĂ©ment ce dimanche 24 septembre 1978, est en train de lire dans ses temples ces mĂŞmes lectures que nous venons d’entendre : IsaĂŻe 55, 6-9; Philippiens 1,20-24,27 et Matthieu 20,1-16. Quelle belle discipline! L’Évangile de Matthieu a Ă©tĂ© l’aliment de tout le peuple universel de Dieu en cette annĂ©e.

 

Et comme je vous le disais, c’est un Ă©vangile prĂ©cieusement organisĂ©. J’ai envoyĂ© Ă  plusieurs personnes qui me l’ont demandĂ© le schĂ©ma de l’Évangile qu’on trouve dans le prologue des Ă©vangiles synoptiques, dans l’édition de la Bible de JĂ©rusalem. Tous les passages que nous avons lus au cours des dimanches prĂ©cĂ©dents se rĂ©fèrent Ă  l’Église, au Règne de Dieu, comme communautĂ© qui commence dès maintenant avec vous, avec nous, les hommes et les femmes qui croyons en ce Christ, et qui Le suivons. Il nous a Ă©tĂ© donnĂ© dans ces chapitres, les normes en quoi doit correspondre cette communautĂ©, le chef qui est son fondement : le Pape. Les chapitres 19 Ă  25 de Saint Matthieu nous prĂ©sentent la crise par oĂą doit passer l’Église, le Règne de Dieu, avant son Ă©tablissement dĂ©finitif. Ici nous retrouvons des paraboles sublimes, comme celle que nous avons lue aujourd’hui, oĂą l’on parle des conflits d’idĂ©es, de critères diffĂ©rents entre Dieu et les hommes. Et tout ce passage se termine avec le discours majestueux du Christ, que l’on nomme discours eschatologique oĂą Il nous parle de la fin de l’Histoire et du commencement de l’éternitĂ©, oĂą le Seigneur nous parle du jugement final. «Venez Ă  moi, bĂ©nis de mon Père, parce que tout le bien que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est Ă  moi que vous l’avez fait. Allez, maudits, au feu Ă©ternel, parce que vos exclusions, tous ces pauvres que vous avez dĂ©prĂ©ciĂ©s, c’est moi que vous avez dĂ©prĂ©ciĂ©. Â»

 

Ce prĂ©cieux discours conclut cette section dont nous commençons Ă  vous offrir ce dimanche et que j’intitulerai : « Les crises du Règne de Dieu. Â» En prĂ©sentant ces crises dans les lectures d’aujourd’hui, mon premier point sera : recherchez quelle est la volontĂ© de Dieu. Le second point sera : cette volontĂ© de Dieu provoque des crises dans les volontĂ©s humaines. Et le troisième point est celui-ci : saint Paul, dans la seconde lecture d’aujourd’hui, se prĂ©sente comme le juif qui sentit cette crise et qui la rĂ©solut en faveur du Règne de Dieu.

 

Comme Paul, tout homme aujourd’hui est appelé à résoudre sa crise.

Si, en cette heure de 1978, quelqu’un ne connaĂ®t pas de crises religieuses, ce n’est pas une personne de son temps. Cela ne m’inquiète pas qu’il y ait des crises. Plusieurs l’ont dĂ©jĂ  rĂ©solu comme saint Paul. D’autres ont choisi de les rĂ©soudre, comme aurait pu le faire saint Paul, en haĂŻssant l’Église. Mais regardons tout d’abord quelle est la pensĂ©e de Dieu dans les lectures d’aujourd’hui. IsaĂŻe (55,8-9) : « Vos pensĂ©es ne sont pas mes pensĂ©es, et mes voies ne sont pas vos voies. Comme les cieux sont Ă©levĂ©s au-dessus de la Terre, autant sont Ă©levĂ©es mes voix au-dessus de vos voies. Â» Et lorsqu’aujourd’hui se dĂ©roule la parabole du Christ, nous Ă©voquons la crise dont il va ĂŞtre victime, dans sa propre vie, parce que dĂ©jĂ , dans cette section (Mt 20,1-16), on commence la narration de la passion du Christ. Il dit, face Ă  la critique des travailleurs de la vigne que sa rĂ©compense est gĂ©nĂ©reuse, que ce n’est pas comme ils pensent que Lui rĂ©tribue les humains. Parce que vous ĂŞtes misĂ©rables dans vos calculs, vous voulez que moi, Dieu, je sois mesquin. Quelle est la pensĂ©e de Dieu? Elle est au-dessus de notre pensĂ©e, et bĂ©nit soit Dieu! Dieu ne s’identifie pas aux pensĂ©es des ĂŞtres humains. Plusieurs voudraient, comme dit la chanson, un Dieu de poche; un Dieu qui s’accommode de mes idoles; un Dieu qui se contente que je paie mes ouvriers le moins possible; un Dieu qui approuve mes outrages. Comment certaines gens peuvent-elles prier ce Dieu, dire le Notre Père, si elles le traitent comme l’un de leurs serviteurs ou de leurs travailleurs.

 

IsaĂŻe dit : « Aujourd’hui, Dieu se laisse rencontrer. Recherchez Dieu pendant qu’on peut le rencontrer. C’est un Dieu qui s’approche pour que nous l’invoquions. C’est un Dieu qui offre sa piĂ©tĂ©, riche en pardon. Â» Chers frères pĂ©cheurs, moi, le plus pĂ©cheur d’entre vous tous, je voudrais vous communiquer cette espĂ©rance et cette joie que je ressens dans ma misère, lorsque je pense que le Dieu que j’adore, est un Dieu qui m’appelle Ă  sa piĂ©tĂ©, qui est riche en pardon. Pour cela, j’essaie de m’approcher de Lui, non pas avec arrogance ni en voulant qu’Il s’abaisse Ă  mes misères, mais en tâchant de me repentir de mes pĂ©chĂ©s et appelant Ă  tous pour qu’ils Le cherchent. Comme dit IsaĂŻe (55,6) aujourd’hui : « Cherchez YahvĂ© pendant qu’il se laisse trouver, invoquez-le pendant qu’Il est proche. Â» Viendra un moment oĂą il sera trop tard, et je ne voudrai pas qu’en cette heure du jugement de Dieu, qui sera terrible pour ceux qui ne L’auront pas recherchĂ©, alors qu’on pouvait encore le trouver. Â» 24/09/78, p.204-206, V.

 

Dans l’Évangile d’aujourd’hui (Mt 20,1-16), Dieu apparaĂ®t en prenant l’initiative. Il sort Ă  la recherche de travailleurs. Frères, vous croyez que ceux qui sont ici dans la cathĂ©drale le sont de leur propre initiative? Cela est certain, parce que nous sommes libres et personne n’est venu ici de force. C’est cela la dĂ©licatesse de Dieu qui me fit libre et qui, derrière ma libertĂ©, me donne sa grâce, son attirance afin que j’utilise cette libertĂ© pour le rechercher. Mais l’initiative de venir Ă  la messe provient de Dieu qui m’a donnĂ© la libertĂ© et me donne aussi l’attirance de rechercher le bien. On ne vient pas Ă  l’Église pour cĂ©lĂ©brer une rĂ©union; on y vient pour adorer Dieu. On ne vient pas Ă  l’Église par curiositĂ© politique; on y vient avec piĂ©tĂ© pour chercher Dieu. Dieu sort Ă  notre rencontre. Pour nous tous, Il marche Ă  notre rencontre. Il sortit Ă  la première heure, lorsque le jour commence Ă  paraĂ®tre, au dĂ©but de la matinĂ©e, Ă  midi, Ă  trois heures de l’après-midi et jusqu’à la tombĂ©e du jour. Il sort Ă  la recherche de travailleurs : « Venez travailler, qu’est-ce que vous attendez au milieu de la place – parce que personne n’est venu les chercher – venez, je vais vous payer le juste salaire. Â» Car selon le système injuste de ce temps, le salaire dĂ©pendait du bon vouloir du patron. Ce n’est pas de cela que la parabole fait l’éloge. Ce que la parole dĂ©sire enseigner, c’est l’initiative de Dieu, et sa gĂ©nĂ©rositĂ© de payer la mĂŞme chose aux ouvriers de la dernière heure qu’à ceux qui arrivèrent au dĂ©but. La rĂ©compense de Dieu est gĂ©nĂ©reuse et ceux qui sont venus Ă  la première heure se fâchent contre Dieu parce qu’ils se sentent propriĂ©taires de l’Église. Nous, les bons, vous, les mauvais qui venez Ă  peine d’arriver; nous voudrions qu’à ceux-ci on paie moins qu’à nous, parce que nous croyons que Dieu est notre dĂ©biteur?

 

Frères, devant ce Dieu qui nous est rĂ©vĂ©lĂ©, qui mĂŞme devant le plus grand des pĂ©cheurs, Ă  la dernière heure de sa vie, l’amour avec lequel cet homme retourne Ă  Dieu et le reconnaĂ®t – souvenez-vous du bon larron : Seigneur souviens-toi de moi lorsque tu seras dans ton Royaume. Le Christ lui rĂ©pond : aujourd'hui mĂŞme, tu entreras avec moi dans le Paradis – combien riche est Dieu en misĂ©ricorde et en pardon. Devant Dieu, nous n’avons aucun privilège ni aucun droit. Si nous l’avons servi depuis notre plus tendre jeunesse, bĂ©nit soit Dieu!, nous avons fait bon usage de notre vie, mais cela ne nous donne aucun droit Ă  nous sentir propriĂ©taires de l’Église mĂŞme si nous sommes des Ă©vĂŞques, mĂŞme si nous sommes des prĂŞtres. Nous pouvons avoir davantage besoin de la misĂ©ricorde de Dieu, que le pĂ©cheur qui vient Ă  peine de se convertir et qui par son amour est peut-ĂŞtre plus proche de Dieu que ceux qui se sentent propriĂ©taires de l’Église.

 

Dieu est bon. Personne ne peut juger ses initiatives, faire appel Ă  sa misĂ©ricorde, demander comme le bon larron, ne serait-ce qu’un souvenir de Dieu, car Il me donnera davantage qu’un souvenir. J’essaie de vous prĂ©senter le Dieu de la Bible, le Dieu des lectures d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’est notre Dieu. BĂ©ni soit-Il! Il nous a donnĂ© de connaĂ®tre comment Il appelle Ă  toute heure, et, chaque heure, Il est disposĂ© Ă  nous recevoir. Les crimes que nous avons commis n’importent pas. C’est pourquoi, mes frères, je vous rĂ©pète ce que je vous ai dit tant de fois, vous adressant la parole au travers de la radio, Ă  ceux qui peut-ĂŞtre sont les auteurs de tant d’injustices et de violences, Ă  ceux qui ont fait pleurer tant de foyers, Ă  ceux qui se souillèrent du sang de tant d’assassinats, Ă  ceux qui ont les mains souillĂ©es de tortures, Ă  ceux qui ont fait taire leur conscience. Ceux qui ne souffrent pas de voir sous leurs bottes un homme humiliĂ©, souffrant, peut-ĂŞtre sur le point de mourir; Ă  ceux-lĂ , je leur dis : tes crimes n’importent pas, ils sont laids, ils sont horribles, tu as outragĂ© la dignitĂ© humaine, mais Dieu t’appelle et te pardonne. Et peut-ĂŞtre qu’ici vient la rĂ©pugnance de ceux qui se sentent les ouvriers de la première heure. Comment puis-je ĂŞtre au ciel avec ces criminels?

Frères, au Ciel il n’y a pas de criminels. Le plus grand criminel qui s’est repenti de ses pĂ©chĂ©s est dĂ©jĂ  un fils de Dieu. La prostituĂ©e Marie-Madeleine, lorsqu’elle pleure sur ses pĂ©chĂ©s, la sociĂ©tĂ© continue de la montrer du doigt : regardez s’Il Ă©tait un prophète, Il saurait de qui il s’agit et qui est en train de le toucher; mais le Christ se retourne pour prendre sa dĂ©fense, ce n’est dĂ©jĂ  plus une pĂ©cheresse, elle a beaucoup aimĂ©, elle s’est repentie de ses fautes, c’est dĂ©jĂ  sainte Marie-Madeleine. Les pĂ©chĂ©s du passĂ© ne comptent plus, ils se sont envolĂ©s. C’est pourquoi la justification chrĂ©tienne se nomme renaissance. C’est ce que dit le Christ Ă  Nicodème : si tu ne nais pas de nouveau… Tout homme qui se repent de ses fautes, laisse comme une coquille vide sa mauvaise vie passĂ©e et comme une chrysalide, le papillon qui naĂ®t de nouveau abandonne son cocon, il est dĂ©jĂ  un ĂŞtre nouveau. Il n’a plus rien Ă  voir avec ce qu’il fut auparavant. BĂ©ni soit Dieu! C’est cela la gĂ©nĂ©rositĂ© de Dieu. Nous ne pouvons pas la comprendre, parce que nous savons dire cette chose si cruelle : je lui pardonne, mais je n’oublie pas. Cela n’est pas chrĂ©tien. Dieu pardonne et oublie.

 

Quelle est la rĂ©action que produit cette pensĂ©e de Dieu? Le Dieu qui se rĂ©vèle est si bon, qu’Il rencontre chez les ĂŞtres humains le conflit. La parabole nous dit : « Ils se mirent Ă  protester contre leur maĂ®tre. Â» Un des conflits les plus sĂ©rieux de l’histoire de l’Église, est celui qui affleure aujourd’hui dans l’Évangile de saint Matthieu, dans cette section, et que saint Paul a eu Ă  souffrir dans sa propre chair. Il s’agit du fait que le Christ avait apportĂ© une nouvelle religion. Et les Juifs qui vivaient selon l’ancienne religion, enseignĂ©e par MoĂŻse, croyaient qu’il Ă©tait nĂ©cessaire de continuer d’observer les lois hĂ©braĂŻques; tandis que Paul et ceux qui prĂŞchaient aux Gentils, qui n’étaient pas Juifs, disaient qu’il n’était pas nĂ©cessaire de se faire Juif, d’être circoncis et de garder les lois de MoĂŻse, mais plutĂ´t de croire dans le Christ, sans plus.

 

 

Ce conflit se reflète aujourd’hui dans la parabole (Mt 20,1-16). L’objectif de cette parabole des travailleurs de la vigne reflète la crise du premier christianisme : C’étaient les pharisiens, les Juifs qui se convertissaient au christianisme, qui se sentaient les propriĂ©taires de celui-ci parce que la Bible, c’était eux, et le Christ Ă©tait le Messie attendu du peuple juif. Ils disaient qu’ils Ă©taient venus adorer Dieu dès les premières heures du jour. Ils pensaient qu’ils avaient des droits, au contraire de ces Gentils que saint Paul allait rencontrer en leur enseignant ce mĂŞme Christ. Les Juifs convertis les considĂ©raient comme des chrĂ©tiens de second ordre. Saint Paul et la communautĂ© primitive disaient que c’est uniquement par le Christ que s’obtient le Salut. Les Juifs ne se sauveront pas pour avoir gardĂ© la loi de MoĂŻse, mais pour leur foi en JĂ©sus-Christ. Et le Gentil, le paĂŻen, se sauve par le Christ. L’un et l’autre n’ont aucun autre droit que celui de gratitude envers le Christ. C’est ce que rĂ©solut la première communautĂ©, ainsi comme trouve sa solution la parabole d’aujourd’hui : payant le mĂŞme salaire Ă  tous, c’est-Ă -dire leur donnant Ă  connaĂ®tre le Dieu que je viens de vous prĂ©senter; un Dieu qui ne reconnaĂ®t pas de privilèges autres que la saintetĂ© de chaque ĂŞtre humain, peu importe d’oĂą il provient.

 

Pour Dieu, les classes sociales n’existent pas; pour Dieu, les catĂ©gories humaines n’existent pas. L’unique catĂ©gorie, c’est de croire au Christ et de vivre conformĂ©ment Ă  cette foi. L’explication, nous la dĂ©couvrons dans la lecture d’aujourd’hui (Is 55,6-9) : « Mes pensĂ©es ne sont pas vos pensĂ©es. Serais-tu jaloux parce que je suis bon? Â» Le conflit actuel de l’Église apparaĂ®t semblable Ă  ceux d’autrefois. Ils se nomment progressistes ou traditionnels. Il y a ceux qui ont une spiritualitĂ© qui ne se prĂ©occupe que du ciel et pour qui tous les efforts de l’Église sur cette Terre leur apparaissent ĂŞtre du communisme. Il y en a d’autres qui se prĂ©occupent des biens de ce monde, mais avec tant d’entrain qu’ils en oublient la transcendance du Ciel. Les conflits existent encore aujourd’hui. Mais souvenons-nous, mes frères, que la vocation de l’homme, comme dit le Concile, est terrestre et cĂ©leste. La première lecture (Is 55,6-9) nous donne un cadre pour interprĂ©ter la situation actuelle.

 

Lorsqu’Isaïe parle de chercher Dieu pendant que l’on peut encore le faire, il n’oublie pas les choses de la Terre. Au contraire, le cadre où enseigne Isaïe est celui de la déportation, de l’exclusion de la patrie où vivait le peuple juif. L’heure du retour arrive et l’exil va se terminer. Mais Isaïe leur disait qu’il ne suffit pas de retourner à la patrie, qu’une rénovation morale est nécessaire parce que c’est pour leurs péchés que Dieu les a punis à être les esclaves d’autres hommes. Pour retourner à la patrie, la liberté de Dieu, la conversion du cœur est nécessaire.

 

Vous voyez alors, et vous pouvez l’étudier dans la Lettre pastorale où je dis qu’un des plus importants services que l’Église a apporté aux revendications de la Terre, c’est de les incorporer et de les orienter vers les fins transcendantes de la libération. Une libération qui oublie ce Dieu que nous devons rechercher; une libération qui ne tiendrait pas compte de la nécessaire libération du péché ne serait pas la libération de Dieu. Et cela ne servirait à rien, disent les évêques à Medellín (pour que vous voyez qu’ils ne sont pas communistes), rien ne servirait de changer les structures, les gouvernements, les situations, tant que le cœur de l’homme ne change pas. À quoi sert de manœuvrer de nouvelles structures si c’est avec un cœur égoïste? Nous n’aurions alors que des hommes nouveaux dans les mêmes situations anciennes. Ce que l’Église plaide, c’est une rénovation intérieure, transcendance du regard pour rechercher la véritable liberté. Sans cette perspective éternelle, divine de Dieu, rien ne sert, ou très peu, les libérations de la Terre. Tenons compte de cela pour que vous ne disiez pas après que nous prêchons le communisme, la lutte des classes; mais ce que nous prêchons, c’est la rénovation de l’être humain, la transcendance de Dieu, l’amour qui provient seulement d’en haut, même si cela nous en coûte. 24/09/78, p.206-209, V.

 

Ma vie n’a pas d’autre sens. PrĂŞcher le Christ, l’honorer dans ma vie et dans ma mort. Mon Ă©ternitĂ© aussi m’attend pour vivre Ă©ternellement avec Lui. Frères, c’est cela la vĂ©ritable rĂ©action devant la crise de la foi, devant les situations difficiles. Je vous demande de lire l’ensemble de cette Ă©pĂ®tre aux Philippiens – seulement cinq chapitres – parce que saint Paul nous y donne des normes de valeurs, un courage pour affronter des situations qui s’apparentent aujourd’hui Ă  celles qu’il a vĂ©cues. Aucune lâchetĂ©! MĂŞme les chaĂ®nes de la prison le rĂ©jouissent parce qu’il fait connaĂ®tre le Christ Ă  tous les soldats. Comme celui qui dit : Ici, dans la caserne des militaires, enchaĂ®nĂ©, je fais connaĂ®tre ce Christ auquel je crois. Et celui qui dĂ©sire l’entendre – plusieurs militaires se convertirent – parce que Dieu appelle tous, mĂŞme celui qui torture. Et le Christ sera la rĂ©ponse devant la crise des hommes. Vous n’avez pas rencontrĂ© le Christ? Vous ne pouvez pas ĂŞtre heureux si vous n’avez pas fait la connaissance du Seigneur. C’est pourquoi, mes frères, vivons la crise de notre Église non pas par lâchetĂ©, mais pour ĂŞtre fidèles Ă  notre foi, Ă  notre Christ. […]

 

La Parole de Dieu n’est pas attachée, disait saint Paul. C’est pourquoi cette Parole est notre force. Croire au Christ est notre solution. L’aimer, ne pas avoir peur, à cause des hommes, de la vérité que le Christ nous offre. 24/09/78, p.210, V.