La Semence de la Parole du Règne
Quinzième dimanche du temps
ordinaire; 16 juillet 1978; lectures : IsaĂŻe 55,10-11; Romains 8,18-32;
Matthieu 13,1-23.
Plan de l’homélie :
1) La Parole du Règne est une Semence
2) La Proclamation de cette Parole
est Semence
3) La RĂ©colte de cette Semence est le
Salut Intégral de l’Homme et du Monde
1) La Parole du Règne est une Semence
Isaïe dans la première lecture
d’aujourd’hui (55,10-11), la compare à la pluie. Hier soir,
alors que j’étudiais ce point, j’admirais la beauté de cette Parole d’Isaïe
quand il sent tomber la pluie qui imbibe la terre doucement. C’est ainsi qu’est
la Parole de Dieu, dit le prophète, pour la faire germer. Mais l’Évangile sait
que la pluie ne sert à rien s’il n’y a pas une graine déjà présente dans la terre. Les deux choses,
les trois sont nécessaires : la pluie, la semence et la terre sinon il n’y
a pas de germination ni de récolte. Mais concentrons-nous sur cet
élément : la semence.
Quand Paul VI disait que nous devions
rénover l’Église et que cela était l’objectif du Concile Vatican II, il dit
très clairement : « La rénovation ne signifie pas de s’accommoder aux
modes modernes, parfois antichrétiennes du monde. Le Rénovation signifie, faire
en sorte que l’Église soit cohérente avec la semence qui a été plantée. »
Un arbre, tout autant qu’il pousse, ne peut être que cohérent avec sa semence.
Ce qu’il nous faut retenir c’est que la Parole de Dieu est une semence qui ne
peut être altérée. Nous voudrions une doctrine qui s’accommode de nos intérêts.
Nous voudrions d’une prédication qui ne dérange pas tant, qui ne crée pas de
conflits. Mais, quand le Christ planta cette graine, il y eut des conflits
parce que cette semence qui est la Parole du Juste, du Saint, de Celui qui sait
ce qu’Il voulait lorsqu’Il a créé l’être humain et la nature, oriente et heurte
le pĂ©chĂ©, contre ceux qui ne veulent pas laisser croĂ®tre cette semence. DĂ©jĂ
dans l’Ancien Testament, quand vous lisez la Genèse, Dieu dit une
« Parole », mais non pas une parole mensongère comme plusieurs des
paroles d’aujourd’hui, sinon une parole puissante, une parole qui identifie
l’allocution, la volonté et l’action. Une Parole qui lorsqu’elle dit « que
la lumière soit », elle fut.
C’est cela le sens de la Parole dans la Bible. Tant et si bien
que quand on y mentionne un nom, « tu lui donneras ce nom », ce n’est
pas comme aujourd’hui, ce nom représente la vocation future de cette personne.
Lorsque dans l’Exode, la Parole de
Dieu qui a créé le monde, est celle qui oriente les pas de Moïse, une autre
perspective s’ouvre alors à cette parole. La Parole de Dieu a fait la création,
mais elle réalise également le Salut. C’est important, frères, que le Salut que
le Christ apporta au monde eût déjà été annoncé par Dieu et sa Parole qui
rachète se situe dans la même ligne que la Parole qui créa. La Création et la
Rédemption sont l’œuvre de la Parole de Dieu. Vouloir une création, vouloir des
champs, du bétail, des fermes, en oubliant la Rédemption du Christ, c’est une
illusion, cela ne se peut pas. Le Dieu qui a créé le bétail, les terres et les
plantations, est le Dieu qui en Jésus-Christ exige la justice, c’est le Dieu
qui rachète, le Dieu qui veut plus de justice entre les hommes. C’est le Dieu
qui châtie le Pharaon pour libérer les opprimés israélites, c’est la Parole de
Dieu qui va créer et va racheter, qui fait l’histoire et qui à l’intérieur de
celle-ci, fait le Salut. Quel consolateur est-ce cela, ce Dieu que nous prions
en disant : « Notre Père »? Ce n’est pas un Dieu désincarné
(étranger) de ma faim, de ma réalité, de ma création. C’est un Dieu qui se
préoccupe de mon corps, de mon alimentation. C’est un Dieu qui me rachète
spirituellement, mais Ă©galement corporellement et socialement. Il est en train
de faire l’histoire. Il est le Dieu de l’histoire du Salvador. Il est le Dieu
de l’Église et celle-ci en parlant de l’histoire du Salvador ne se mêle pas de
politique, elle ne fait que rappeler que le Dieu de notre histoire est le Dieu
qui parle à l’intérieur de son Église et qu’Il réclame à la politique, à la sociologie,
aux choses naturelles du Salvador, de vivre conformément à sa Parole qui a créé
ces biens pour que tous soient heureux et non pour qu’il y ait ces luttes de
classes.
La Parole de Dieu apparaît surtout
quand les prophètes s’adressent aux rois et aux peuples, en leur disant :
« Voici ce que dit le Seigneur! » Ici, la Parole de Dieu devient
une exigence, une dénonciation, elle se fait louange des vertus. Elle est un
appel, une vocation, une transmission de la volonté divine. Et cette mission
des prophètes est celle que le Christ confia à son Église, laquelle, à partir
de sa chair de la cathédrale et des autres temples, se doit de dire :
« Voici ce que dit le Seigneur! » Et le peuple doit obéir, non parce
que c’est l’archevêque qui le dit, mais parce qu’il n’est que l’humble messager
de ce que dit le Seigneur.
Puis nous arrivons au Nouveau
Testament où la Parole de Dieu recouvre des théologies encore plus profondes.
La Parole de Dieu, sur les lèvres du Christ, parvient à sa plus grande
profondeur, c’est la
Bonne Nouvelle, l’Évangile, l’annonce du Salut. Le Règne de
Dieu est advenu et dans sa personne le Christ est lui-mĂŞme la Parole de Dieu,
Il ne fait pas que la dire.
Il est le Verbe, Il se fit chair et Il habita parmi nous.
Dans le Nouveau Testament, la Parole de Dieu n’est pas uniquement une puissance
créatrice, qui préserve et dirige le monde. Dans le Nouveau Testament, la
Parole de Dieu est Dieu fait homme, Dieu qui enseigne.
C’est pourquoi je vous disais comme
m’apparaît pittoresque le caractère de l’homélie d’aujourd’hui (Mt 13,1-23).
Celui qui est monté dans la barque à l’orée du lac, enseignant aux foules,
c’est Dieu qui est en train de parler dans la langue araméenne pour être
entendu de ceux qui l’écoutent. À la Pentecôte, Il se fit polyglotte,
aujourd’hui, Il parle espagnol, Il continue de s’exprimer au travers de ses
prêtres dans cette Église. Mais si ce Christ est la Parole de Dieu, saint Paul
peut l’appeler d’une façon très originale : « Il est le Oui et l’Amen
des promesses. » Comme pour nous dire que tout ce que Dieu a promis dans
l’Ancien Testament est accompli dans le Christ, le Dieu fait homme.
« Amen » veut dire « c’est ainsi ». C’est la consommation
de ce que Dieu a dit. C’est un acte de foi, croire que tout ce que Dieu a
promis comme Salut, comme bonheur, est incarné en Lui, Il est l’Amen, le Oui
des promesses de Dieu. Il est la Puissance qui sauve le monde, Il est le
Sauveur du monde, la
Lumière. Celui qui le suit ne marchera pas dans les ténèbres.
Il est la Vérité et il n’y pas de vérité au dehors de Lui. Il est la Vérité, le
Chemin et la Vie. Il
est Dieu au milieu de nous. Bienheureux celui qui embrasse la foi, qui m’aime
et me suit. 16/07/78, p.67-70, V.
Comme il est merveilleux d’être
chrétien, d’embrasser véritablement la Parole de Dieu incarné, de faire sienne
la force du Salut. C’est avoir l’espérance même quand tout semble perdu. C’est
pourquoi la meilleure satisfaction que me procurent mon travail et mon
ministère épiscopal est quand j’entends le peuple, comme je l’ai entendu cette
semaine en diverses manifestations, qui me dit que je lui transmets
l’espérance. Éveillons leur foi et disons-leur, même lorsqu’il semble qu’il
n’existe pas d’option politique, qu’ils ne se sentent pas appeler à participer
dans ce domaine, rappelons-leur qu’ils sont déjà des travailleurs d’un monde
meilleur lorsqu’ils portent en leur cœur cette foi et cette espérance en
Jésus-Christ. Et si, à partir du Christ qu’ils embrassent avec une foi
chrétienne, ils se sentent appeler à une vocation politique, ils ont le devoir
d’aller y travailler, mais sous l’inspiration de cet Amen, de ce Oui, de ce
chemin qui offre le Salut à notre peuple, parce qu’en dehors de cela il ne peut
y avoir de Salut.
Ce Christ, puissance
« salvatrice » de Dieu incarné, mort sur la croix et ressuscité
pour ne plus mourir, a laissé une institution en ce monde qui se nomme
l’Église. Frères, n’abandonnons pas cette figure de l’Église qui est en train
d’accomplir la mission même de Jésus-Christ. Toute la puissance de Dieu incarné
en Jésus-Christ, a été laissée à cette Église. Allez et prêchez au monde
entier, celui qui croira se sauvera et celui qui ne croira pas se condamnera.
Et les apôtres, lorsqu’ils écrivaient et prêchaient, savaient qu’ils n’étaient
que d’humbles disciples inspirés par cette Révélation qui était venue pour
sauver le monde. C’est à partir de cela que la Bible, garde dans ses pages, la
Parole de Dieu. Mais la Bible seule ne suffit pas, il est nécessaire que la
Bible soit reprise par l’Église pour qu’elle redevienne une Parole vivante. Non
pas pour répéter au pied de la lettre les psaumes et les paraboles, sinon pour
les appliquer à la vie concrète de l’heure où est prêchée cette Parole de Dieu.
La Bible est comme la source où cette révélation, cette Parole de Dieu, est
gardée. Mais à quoi sert la source, aussi limpide soit-elle, si nous ne la
puisons pas dans nos jarres pour l’apporter afin de combler les besoins de nos
foyers. Une Bible qui n’est employée que pour être lue, alors qu’elle n’est
vécue matériellement qu’en lien avec les traditions des temps où ces pages
furent écrites, est une Bible morte. Cela s’appelle du fondamentalisme, ce
n’est pas la révélation de Dieu.
C’est pourquoi, quand nos frères
protestants nous critiquent d’appliquer cette Parole de Dieu aux circonstances
actuelles de notre temps, de notre pays, alors qu’ils se réfugient dans une
prédication désincarnée, spiritualiste, parfois trompeuse et mensongère, comme
les grandes campagnes de purification. Cela n’est pas la vraie Parole de Dieu,
elle s’est déjà fait parole d’hommes, paroles de charlatans, paroles
d’accommodements. C’est pour cela que le gouvernement encourage les campagnes
protestantes. Naturellement, si cette prédication ne dérange pas, ce
christianisme est béni des puissants parce qu’il ne remet pas en cause les
fondements de notre société. Mais au contraire, une prédication qui dit de la
Parole de Dieu : « Le Seigneur dit ceci », la Bible dit ceci
aujourd’hui.
C’est cela la Parole de Dieu qui est
une semence et qui fait germer la
vie. C’est pourquoi l’Église, lorsqu’elle assume cette
Parole, elle l’applique et la vit au travers de ses sacrements. Ceux-ci ne sont
qu’un autre aspect de la Parole de Dieu. La distinction qu’il y avait autrefois
entre évangélisation et diffusion des sacrements, a été surmontée. Par
disgrâce, nous avons longtemps donné les sacrements sans la Parole de Dieu.
Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous exigeons une initiation pré-sacramentelle.
Soyez dociles à assister à ces rencontres qui préparent le baptême, qui vous préparent
Ă recevoir les sacrements, parce que c’est uniquement lorsqu’on arrive Ă
comprendre un sacrement comme Parole de Dieu, expliquée dans la révélation de
Dieu, qu’a un sens l’acte de verser de l’eau sur la tête d’un enfant dans les
fonds baptismaux. S’il n’y a pas d’évangélisation, quel sens cela a-t-il?
Quel sens cela a-t-il d’apporter un
enfant pour que l’évêque lui fasse une croix sur le front avec de l’huile si on
ignore ce que l’Évangile dit de cet Esprit saint qui se donne dans la
Confirmation. À quoi cela sert-il que ceux qui se désirent et se marient
aillent à l’Église pour accomplir un acte social sans en comprendre le grand
mystère que saint Paul explique dans la Bible, du Christ qui se marie avec
l’Église et qui meurt pour elle et d’une Église qui Lui demeure fidèle?
Les sacrements sans l’Évangile, les
sacrements sans la Parole de Dieu, se convertissent presque en magie, en une
coutume, en une routine, en une tradition de famille. Ne baptisons pas parce
que tout le monde est baptisé dans la famille. Ils sont peu nombreux ceux qui
disent : Parce que nous voulons qu’il soit chrétien. Le sacrement est
aussi un aspect de la Parole semence. La grâce de Dieu, dans cette Eucharistie
par exemple, ne provient pas seulement du fait que vous ayez écouté mon sermon.
Si j’ai prononcé l’homélie, je sais dans ma conscience que mon devoir pastoral
est de conduire le peuple à l’autel où nous allons participer dans la foi à la
présence de ce Christ, qui est la Parole que je prêche, préparant cette Parole
qui parle, qui sanctifie, qui rachète, qui devient vie de celui qui communie ou
qui l’adore. L’Eucharistie de chaque dimanche ne peut être séparée de la Parole
de Dieu. Après l’homélie, nous allons à l’autel et dans le corps du Christ,
nous adorons cette Parole qui s’est déjà fait silence parce qu’elle s’est
introduite très profondément dans le cœur de tous ceux qui l’ont méditée, de
tous ceux qui mettent dans le Christ toutes leurs espérances et qui Le rendent
présent dans notre société.
Si l’Église prêche et dit :
« Ceci est la Parole de Dieu. » Est-elle folle, ou en vertu de quel
principe peut-elle dire cela? Frères, il est très intéressant que vous sachiez
que cet Esprit qui inspira le Christ et qui le ressuscita d’entre les morts et
lui donna la vie éternelle, l’Esprit de Dieu, est le même Esprit que le Christ
ressuscité souffla sur son Église dans la nuit de Pâques. Il leur donna en
disant : « Recevez l’Esprit saint. » Et qui dans la
Pentecôte sous la forme d’un ouragan et de langues de feu, prit possession de
cette Église qui grâce à cette vie du Christ dans l’Esprit saint continue de
prêché la Parole de Dieu.
Quelle différence y a-t-il entre
prĂŞcher ici, en ce moment, que de parler comme des amis Ă chacun de vous? En
cet instant, je sais que je suis un instrument de Dieu dans son Église pour
orienter le peuple.
Et je peux dire comme le
Christ : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, Il m’a envoyé pour
Ă©vangĂ©liser les pauvres. L’Esprit qui anima le Christ et qui donna la force Ă
ce corps né de la Vierge, pour qu’Il soit la victime du Salut du monde, est le
mĂŞme Esprit qui donne force et inspiration Ă ma gorge, Ă ma langue et Ă mes
faibles membres. Et Ă vous, Peuple de Dieu, ce mĂŞme Esprit vous donne la
capacité d’entendre comment doit être entendue la Parole de Dieu. Je sais que
plusieurs ne m’entendent pas avec cet Esprit surnaturel, et nous pouvons dire
d’eux comme ceux de la parabole, ils sont la graine qui tombe au bord du chemin
et que le malin emporte. Mais je sais que plusieurs m’écoutent également comme
ceux qui dans la parabole d’aujourd’hui sont de la bonne terre qui reçoit la semence. Que l’esprit
de Dieu donne à cette terre qu’est votre cœur, la capacité d’entendre d’une
manière surnaturelle, la grâce de pouvoir entendre.
Je vous disais que non seulement le
prédicateur enseigne, il apprend, vous m’enseignez vous aussi. Votre attention
est pour moi une inspiration de l’Esprit saint et votre rejet serait pour moi
un rejet de Dieu. C’est pourquoi je vous disais que le peuple a un sens
d’infaillibilité qui se nomme le sens de la foi. L’Esprit saint le donne aux plus humbles
d’entre vous tous pour qu’ils écoutent un prêtre ou un évêque en sachant
discerner ou tout au moins soupçonner que cette doctrine ne doit pas être de
l’Évangile.
Frères, quand j’observe cette
attention, cette foi, et surtout cette conversion, cette recherche de l’Église
et de Dieu, je me dis avec joie : « Digitus Dei est hic » –
ici est le doigt de Dieu. C’est également dans cette ambiance d’application que
j’apporte les dénonciations qui doivent être faites et les joies que nous
devons avoir. Le Concile dit que le Peuple de Dieu illuminé par la foi, doit
tenir compte des aspirations, des exigences, et des idéaux du peuple. Et avec
cette foi il sait discerner ce que Dieu veut au travers des signes des temps.
Il est sûr cependant que tout ce que désirent les hommes n’est pas Parole de
Dieu, mais dans les exigences de notre temps, il y a une bonne part de Dieu.
C’est ici que nous devons user de discernement.
C’est pourquoi quand je dis, à la
lumière de ces paroles, que je vous signale les événements de la semaine, vous
découvrez vous-mêmes où est Dieu et ou est le diable. Où est le Seigneur qui
conduit son peuple par des chemins de bonté et où se trouve le refus de Dieu
qui ne veut pas le Salut dans le Christ. L’Église prêche à partir des
circonstances concrètes, non seulement ici, mais dans toute l’Amérique latine.
Soixante-dix cardinaux, archevĂŞques
et évêques se sont réunis à Bogota pour partager les inquiétudes de tout le
continent. Celles-ci ont été manifestées au cours de la consultation qui a été
menée afin de préparer le document d’étude qui va être amené à Puebla au mois
d’octobre prochain. Cette étude fait référence à l’injustice sociale
disproportionnée qui se reflète particulièrement dans la concentration de la
richesse entre quelques mains. En effet, 10 % de la population d’Amérique
latine accapare l’ensemble des richesses, tandis que l’immense masse populaire
souffre de toutes les carences. On va dire que ce sont des communistes, moi je
dis qu’il s’agit là d’une réflexion de l’Église.
Les évêques qui représentent
l’Épiscopat latino-américain disent également que le manque d’emploi juste et
bien rémunéré a permis une croissance dramatique de la délinquance. Oui,le
terrorisme existe et il faut en finir avec cela, mais la manière, ce n’est pas
par la répression. Il
faut arranger les fondements désordonnés et injustes d’où proviennent les
violences terroristes. Ils parlent aussi de l’injustice sociale qui existe dans
l’hémisphère et qui peut provoquer un véritable cataclysme par l’insurrection
des masses populaires contre les privilégiés. Ils parlent des entreprises
multinationales qui n’ont pas apporté de bénéfices aux pays latino-américains,
mais qui sont au contraire une source de corruption et d’immoralité même dans
leur propre nation. L’Église exprime sa préoccupation pour la propagation des
dictatures militaires en Amérique latine, mais elle signale comme facteurs
propices à la propagation desdites dictatures, la corruption et l’incapacité
des politiciens traditionnels d’établir une démocratie authentique. Dans les
régimes militaires, disent les évêques en Colombie, les droits humains sont
fragilisés, même si l’on reconnaît dans le document que l’Église a joui de
certaines libertés. Grâce à Dieu, l’Église du Salvador peut encore parler, mais
il ne s’agit pas d’éteindre cette voix. Si elle parle, elle se doit de dire la
vérité, sinon, il serait meilleur qu’elle se taise. L’Église exprime sa
préoccupation pour la détérioration du syndicalisme en Amérique latine et
spécialement dans les pays gouvernés par les militaires. 16/07/78, p.70-73, V.
Je voudrais vous présenter ici la
précieuse synthèse que Paul VI fit de l’évangélisation en recueillant les voix
des épiscopats du monde entier réuni à l’occasion du Synode de 1974. Le Pape se
demandait alors dans ce merveilleux document, qu’est-ce que l’évangélisation?
Et il disait que c’était lĂ une rĂ©alitĂ© très complexe et très dynamique Ă
laquelle il fallait inclure tous ses éléments si on voulait avoir une idée
complète de ce dont il s’agissait. Le Pape proposait ces trois éléments :
1) Apporter la Bonne Nouvelle au
monde entier pour qu’il soit ferment de toutes les cultures, pour qu’il
convertisse les consciences des ĂŞtres humains, individuellement et
collectivement, pour que ceux-ci aient des critères non pas selon ce monde,
mais selon l’Évangile. C’est cela en premier lieu, évangéliser, apporter les
critères de l’Évangile du Christ à toute l’humanité pour la rénover dans ses
propres engagements.
2) C’est un témoignage de vie.
Évangéliser ce n’est pas seulement prononcer des paroles. Prêcher est
relativement facile, mais vivre ce qu’on enseigne, comme je l’ai dit au
Saint-Père à Rome : « Saint-Père observer les doctrines du
Saint-Siège, du Magistère, en faire l’éloge, les vanter, les défendre
théoriquement c’est très facile, mais lorsqu’il s’agit d’incarner cette
doctrine et de la vivre dans un diocèse, dans une communauté, en signalant les
faits concrets qui vont contre cette doctrine, c’est à ce moment que les
conflits surgissent. » Et c’est cela, la vie de notre archidiocèse, c’est
pourquoi tous ne sont pas disposés à vivre l’engagement du témoignage, que tous
ne sont pas prêts à souffrir la persécution. Il est facile de dire qu’il n’y a pas
de persécution lorsqu’on n’en est pas victime. Mais tous ces prêtres, ces
religieuses ou fidèles qui veulent annoncer l’Évangile du Christ en vérité,
doivent souffrir la
persécution. Le témoignage de la vie est nécessaire, et ici
je fais un appel pour que la vie de vous tous, ainsi que la mienne, soit
vraiment une prédication silencieuse.
Le Saint-Père m’a dit au cours d’une
conversation intime : « Il ne suffit pas de prêcher, il est
nécessaire de vivre ce que nous prêchons. » Aidez-moi par vos prières pour
que je puisse moi aussi donner le témoignage de ce que je prêche.
3) Le troisième élément de
l’évangélisation ou de la semence, c’est l’annonce explicite. Il ne suffit pas
de donner le bon exemple et de se taire alors qu’il faut parler. Il faut prêcher
le contenu de cette révélation de Dieu. Que Dieu nous aime, que Dieu nous veut
bons, que le Christ est mort sur la croix pour la vérité et pour la justice,
que cette Rédemption du Christ nous amène à des conséquences libératrices. Ce
document de l’Église contient ici une belle doctrine sur la véritable
libération à laquelle l’Église ne peut tourner le dos.
Ainsi, l’adhésion vitale à l’Église
et la manifestation de l’appartenance à une communauté qui, si elle est du
Christ, n’a pas honte de l’Église et accepte comme signe d’appartenance Ă
celle-ci, les Sacrements de l’Église.
Voyez comment le Pape rompt cette
dichotomie entre l’évangélisation et les sacrements et en vient à dire
que : « Les Sacrements deviennent comme le sceau de l’évangélisation.
Quand un homme entend uniquement l’Évangile sans recevoir les sacrements, il
n’est pas véritablement évangélisé. Mais quand dans la cathédrale nous voyons
que la Parole de Dieu est méditée et qu’elle est aussitôt alimentée par
l’Eucharistie par des consciences qui regrettent leurs péchés et qui se sont
placées sous la grâce de Dieu, des consciences qui ont fait bénir leur union,
qui s’efforcent de sortir de leur état d’ébriété, qui tentent de surmonter leur
attrait pour les drogues, pour la prostitution, qui essayent de devenir le
Peuple de Dieu et qui sont véritablement capables de recevoir la grâce de Dieu,
nous avons alors une évangélisation qui parvient à faire converger les coutumes
avec les lois du Seigneur.
Et finalement, mes frères, une
impulsion nouvelle pour évangéliser. Celui qui a été évangélisé doit
évangéliser. La communauté s’évangélise pour évangéliser. Une communauté de
base doit être un groupe de réflexion de la Parole de Dieu pour apprendre à la
vivre, mais aussi pour la transmettre, pour l’irradier. C’est ce que doit être
le foyer, le couple, la
communauté. Nous devons tous être des apôtres, des semeurs.
Le semeur est sorti pour semer sa semence. De nous tous, nous devrions dire
cette belle parole que nous sommes en train de méditer (Mt 13,1-23).
Je vais conclure ma troisième
réflexion qui est la plus stimulante dans les lectures d’aujourd’hui. Il s’agit
de la seconde lecture de saint Paul (Rm 8,18-23) qui nous parle de la récolte. Cette
semence doit produire une récolte. Saint Paul nous parle de la glorification
qui nous sera donnĂ©e un jour et qui est supĂ©rieure Ă toutes les douleurs et Ă
toutes les souffrances qu’il peut y avoir sur cette terre. J’entends cette
phrase de saint Paul, mais traduite dans la souffrance d’un torturé qui a été
attaché par les doigts durant trois jours et tandis qu’il souffrait il
disait : « Les espérances et la gloire que j’attends sont plus
grandes que cette souffrance. » Courage, chers persécutés. Courage aux
torturés ainsi qu’à tous ceux qui espèrent une patrie meilleure et qui ne
voient pas d’horizon. Les souffrances sont des conditions de la Rédemption qui
ne se gagne pas, mais qui nous est offerte par le Christ cloué sur la croix. Après vint la
Résurrection et dans le cœur du Christ ne s’est jamais éteinte la certitude que
le monde allait être racheté malgré ses échecs apparents. Les chrétiens
n’échoueront pas parce qu’ils portent l’Esprit qui ressuscita le Christ.
Un autre fruit de cette récolte est
de voir comme est merveilleuse la création entière qui est soumise à l’être
humain et que saint Paul, dans une phrase tragique, arrive Ă nous dire dans
cette lecture d’aujourd’hui (Rm 8,19-21) : « Car la création en
attente aspire Ă la rĂ©vĂ©lation des fils de Dieu : si elle fut assujettie Ă
la vanité – non qu’elle l’eut voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise –,
c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la
corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. »
Voyez que cette libération que les chrétiens espèrent n’est pas seulement pour
les êtres humains. Ce n’est pas une libération où ceux qui sont opprimés
aujourd’hui vont se mettre demain à opprimer les autres parce que la création
gémit elle aussi sous le poids du péché. Cela se produit souvent, lorsque des
mouvements libérateurs accèdent au pouvoir, ils se mettent à opprimer plus
grossièrement encore que ceux dont ils prétendaient nous racheter. Au
contraire, la libération que le Christ nous offre et que saint Paul amène
jusqu’aux limites cosmiques de la création alors que celle-ci est maintenant
soumise à l’égoïsme, à l’orgueil, à l’envie, à la corruption. La
création n’est pas mauvaise, l’argent n’est pas mauvais, les plantations ou les
fermes ne sont pas mauvaises en soi. Dieu vit ce qu’Il avait fait et Il vit que
cela Ă©tait bon, nous dit la
Bible. Qui l’a soumise à la méchanceté? L’être humain par le
péché, l’homme qui veut s’approprier du bonheur des autres. L’homme égoïste qui
veut tout posséder pour lui-même et pour qui les autres sont de trop. Aussitôt,
le marginal devient violent et il se met Ă haĂŻr, ainsi il soumet son corps et
sa vie au péché sous lequel il gémit maintenant.
Quelle belle comparaison que
celle-ci : Elle gémit dans les douleurs de l’enfantement. Comme la femme
qui est parvenue à son heure, mais avec la certitude qu’elle va donner
naissance à un nouvel être humain. La nature et l’humanité gémissent. Nous
souffrons l’heure de l’accouchement au Salvador, mais cela est très douloureux!
Et cela fait mal parce que l’homme est contre l’homme, le paysan contre le
paysan, le citoyen contre son concitoyen. C’est l’heure où un monde nouveau
doit naître, mais la Rédemption viendra, nous dit saint Paul, dans la mesure où
nous faisons nôtre cette semence de l’Évangile. C’est pour cela que le Christ
compare les différentes catégories de champs où tombe la semence.
Il semble que cette réflexion n’en
soit pas une qui provienne directement du Christ, mais qu’elle soit le fruit
d’une réflexion de la communauté chrétienne primitive. Lorsque les premiers
chrétiens commencèrent à ressentir l’heure que nous aussi vivons actuellement,
à savoir que ce ne sont pas tous qui reçoivent la Parole du Christ avec le même
enthousiasme. Certains la recevaient avec enthousiasme, mais aussitôt après,
devant la persécution, ils étaient effrayés et fuyaient comme des lâches. Ou
bien encore, ceux qui voulaient recevoir une parole qui grandirait dans leur
cĹ“ur, en mĂŞme temps qu’ils continueraient d’adorer leurs richesses. C’est Ă
ceux-ci que se dirige la catégorie de terre dans cette parabole, lorsqu’une
graine tombe dans une terre rocailleuse, au bord du chemin, parmi les Ă©pines.
Frères quel merveilleux examen de conscience pour chacun d’entre nous. Quelle
sorte de cœur est le mien? Quel type de chrétiens suis-je? Terre bonne ou terre
inconstante, lâche ou préférant les avantages de la terre.
Que croissent les charlatans, les
Ă©pines des plaisirs de ce monde, je ne veux pas les laisser, mais je veux aussi
être chrétien. Je vais à la messe, mais je voudrais entendre une parole qui soit
douce Ă mes oreilles et qui ne me remet pas en cause. Maintenant je ne peux
plus aller à la messe parce que partout on nous importune. C’est certain! Celui
qui voudrait que grandissent ensemble, dans son cœur, la Parole de Dieu et les
vices, avec son égoïsme. Cela ne peut être! On ne peut servir deux maîtres. Et
l’Église authentique doit prêcher le véritable et l’unique Seigneur, la
véritable et l’unique Parole. La seule qui sauve, celle qui germe, celle que le
Christ a plantée, non pas celle que le démon et les convenances des hommes
voulurent planter. C’est pourquoi je termine en évoquant la créature qui se
rendit plus féconde de la Parole de Dieu.
En ce jour de la Vierge du Carmel,
comment ne pas penser Ă Elle, alors que tout notre peuple la regarde avec
espoir, mais non pas en s’attendant à un Salut facile? Marie est la première
qui nous dit comme aux serviteurs lors des noces de Cana : « Faites
ce qu’Il vous dit. » Marie nous dit : « Je ne peux pas sauver
personne si ce n’est en obéissant à la Parole de Dieu. Moi-même, lorsqu’une
femme dans la foule félicita le Christ pour la mère qu’Il eut, le Christ dit
que je n’étais pas seulement heureuse parce que j’étais sa mère, cela n’importe
quelle femme aurait pu l’être, je suis grande parce que j’ai entendu la Parole
de Dieu et que je l’ai mise en pratique. » C’est ce qui est admirable chez
Marie. Sa sainteté, la fécondité de la Parole de Dieu, par exemple, lorsqu’elle
retrouva l’enfant Jésus perdu dans le temple, l’Évangile nous rapporte cette
phrase magnifique qui pourrait être la devise de tout chrétien :
« Elle gardait et méditait toutes ces choses dans son cœur. » De
même quand les bergers vinrent adorer l’enfant à Bethléem et qu’ils lui
racontèrent ce qu’ils avaient entendu, Marie méditait la Parole de Dieu dans
son cœur. C’est cela la sainteté du chrétien, que la Parole de Dieu tombe dans
une bonne terre. Puisse Dieu que moi qui tente de la semer ce matin, je ne sois
pas seulement semeur, mais que je sois aussi une terre féconde pour cette
Parole. Aidons-nous mutuellement, faisons une communauté Église où la Parole du
Seigneur produise non seulement trente et soixante fois plus, mais cent pour
un. Levons-nous pour professer notre foi. 16/07/78, p.76-78, V.