La Semence de la Parole du Règne

 

Quinzième dimanche du temps ordinaire; 16 juillet 1978; lectures : IsaĂŻe 55,10-11; Romains 8,18-32; Matthieu 13,1-23.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) La Parole du Règne est une Semence

2) La Proclamation de cette Parole est Semence

3) La Récolte de cette Semence est le Salut Intégral de l’Homme et du Monde

 

 

1) La Parole du Règne est une Semence

 

IsaĂŻe dans la première lecture d’aujourd’hui (55,10-11), la compare Ă  la pluie. Hier soir, alors que j’étudiais ce point, j’admirais la beautĂ© de cette Parole d’IsaĂŻe quand il sent tomber la pluie qui imbibe la terre doucement. C’est ainsi qu’est la Parole de Dieu, dit le prophète, pour la faire germer. Mais l’Évangile sait que la pluie ne sert Ă  rien s’il n’y a pas une graine dĂ©jĂ  prĂ©sente dans la terre. Les deux choses, les trois sont nĂ©cessaires : la pluie, la semence et la terre sinon il n’y a pas de germination ni de rĂ©colte. Mais concentrons-nous sur cet Ă©lĂ©ment : la semence.

 

Quand Paul VI disait que nous devions rĂ©nover l’Église et que cela Ă©tait l’objectif du Concile Vatican II, il dit très clairement : « La rĂ©novation ne signifie pas de s’accommoder aux modes modernes, parfois antichrĂ©tiennes du monde. Le RĂ©novation signifie, faire en sorte que l’Église soit cohĂ©rente avec la semence qui a Ă©tĂ© plantĂ©e. Â» Un arbre, tout autant qu’il pousse, ne peut ĂŞtre que cohĂ©rent avec sa semence. Ce qu’il nous faut retenir c’est que la Parole de Dieu est une semence qui ne peut ĂŞtre altĂ©rĂ©e. Nous voudrions une doctrine qui s’accommode de nos intĂ©rĂŞts. Nous voudrions d’une prĂ©dication qui ne dĂ©range pas tant, qui ne crĂ©e pas de conflits. Mais, quand le Christ planta cette graine, il y eut des conflits parce que cette semence qui est la Parole du Juste, du Saint, de Celui qui sait ce qu’Il voulait lorsqu’Il a crĂ©Ă© l’être humain et la nature, oriente et heurte le pĂ©chĂ©, contre ceux qui ne veulent pas laisser croĂ®tre cette semence. DĂ©jĂ  dans l’Ancien Testament, quand vous lisez la Genèse, Dieu dit une « Parole Â», mais non pas une parole mensongère comme plusieurs des paroles d’aujourd’hui, sinon une parole puissante, une parole qui identifie l’allocution, la volontĂ© et l’action. Une Parole qui lorsqu’elle dit « que la lumière soit Â», elle fut.

C’est cela le sens de la Parole dans la Bible. Tant et si bien que quand on y mentionne un nom, « tu lui donneras ce nom Â», ce n’est pas comme aujourd’hui, ce nom reprĂ©sente la vocation future de cette personne.

 

Lorsque dans l’Exode, la Parole de Dieu qui a crĂ©Ă© le monde, est celle qui oriente les pas de MoĂŻse, une autre perspective s’ouvre alors Ă  cette parole. La Parole de Dieu a fait la crĂ©ation, mais elle rĂ©alise Ă©galement le Salut. C’est important, frères, que le Salut que le Christ apporta au monde eĂ»t dĂ©jĂ  Ă©tĂ© annoncĂ© par Dieu et sa Parole qui rachète se situe dans la mĂŞme ligne que la Parole qui crĂ©a. La CrĂ©ation et la RĂ©demption sont l’œuvre de la Parole de Dieu. Vouloir une crĂ©ation, vouloir des champs, du bĂ©tail, des fermes, en oubliant la RĂ©demption du Christ, c’est une illusion, cela ne se peut pas. Le Dieu qui a crĂ©Ă© le bĂ©tail, les terres et les plantations, est le Dieu qui en JĂ©sus-Christ exige la justice, c’est le Dieu qui rachète, le Dieu qui veut plus de justice entre les hommes. C’est le Dieu qui châtie le Pharaon pour libĂ©rer les opprimĂ©s israĂ©lites, c’est la Parole de Dieu qui va crĂ©er et va racheter, qui fait l’histoire et qui Ă  l’intĂ©rieur de celle-ci, fait le Salut. Quel consolateur est-ce cela, ce Dieu que nous prions en disant : « Notre Père Â»? Ce n’est pas un Dieu dĂ©sincarnĂ© (Ă©tranger) de ma faim, de ma rĂ©alitĂ©, de ma crĂ©ation. C’est un Dieu qui se prĂ©occupe de mon corps, de mon alimentation. C’est un Dieu qui me rachète spirituellement, mais Ă©galement corporellement et socialement. Il est en train de faire l’histoire. Il est le Dieu de l’histoire du Salvador. Il est le Dieu de l’Église et celle-ci en parlant de l’histoire du Salvador ne se mĂŞle pas de politique, elle ne fait que rappeler que le Dieu de notre histoire est le Dieu qui parle Ă  l’intĂ©rieur de son Église et qu’Il rĂ©clame Ă  la politique, Ă  la sociologie, aux choses naturelles du Salvador, de vivre conformĂ©ment Ă  sa Parole qui a crĂ©Ă© ces biens pour que tous soient heureux et non pour qu’il y ait ces luttes de classes.

 

La Parole de Dieu apparaĂ®t surtout quand les prophètes s’adressent aux rois et aux peuples, en leur disant : « Voici ce que dit le Seigneur! Â» Ici, la Parole de Dieu devient une exigence, une dĂ©nonciation, elle se fait louange des vertus. Elle est un appel, une vocation, une transmission de la volontĂ© divine. Et cette mission des prophètes est celle que le Christ confia Ă  son Église, laquelle, Ă  partir de sa chair de la cathĂ©drale et des autres temples, se doit de dire : « Voici ce que dit le Seigneur! Â» Et le peuple doit obĂ©ir, non parce que c’est l’archevĂŞque qui le dit, mais parce qu’il n’est que l’humble messager de ce que dit le Seigneur.

 

Puis nous arrivons au Nouveau Testament où la Parole de Dieu recouvre des théologies encore plus profondes. La Parole de Dieu, sur les lèvres du Christ, parvient à sa plus grande profondeur, c’est la Bonne Nouvelle, l’Évangile, l’annonce du Salut. Le Règne de Dieu est advenu et dans sa personne le Christ est lui-même la Parole de Dieu, Il ne fait pas que la dire. Il est le Verbe, Il se fit chair et Il habita parmi nous. Dans le Nouveau Testament, la Parole de Dieu n’est pas uniquement une puissance créatrice, qui préserve et dirige le monde. Dans le Nouveau Testament, la Parole de Dieu est Dieu fait homme, Dieu qui enseigne.

 

C’est pourquoi je vous disais comme m’apparaĂ®t pittoresque le caractère de l’homĂ©lie d’aujourd’hui (Mt 13,1-23). Celui qui est montĂ© dans la barque Ă  l’orĂ©e du lac, enseignant aux foules, c’est Dieu qui est en train de parler dans la langue aramĂ©enne pour ĂŞtre entendu de ceux qui l’écoutent. Ă€ la PentecĂ´te, Il se fit polyglotte, aujourd’hui, Il parle espagnol, Il continue de s’exprimer au travers de ses prĂŞtres dans cette Église. Mais si ce Christ est la Parole de Dieu, saint Paul peut l’appeler d’une façon très originale : « Il est le Oui et l’Amen des promesses. Â» Comme pour nous dire que tout ce que Dieu a promis dans l’Ancien Testament est accompli dans le Christ, le Dieu fait homme. « Amen Â» veut dire « c’est ainsi Â». C’est la consommation de ce que Dieu a dit. C’est un acte de foi, croire que tout ce que Dieu a promis comme Salut, comme bonheur, est incarnĂ© en Lui, Il est l’Amen, le Oui des promesses de Dieu. Il est la Puissance qui sauve le monde, Il est le Sauveur du monde, la Lumière. Celui qui le suit ne marchera pas dans les tĂ©nèbres. Il est la VĂ©ritĂ© et il n’y pas de vĂ©ritĂ© au dehors de Lui. Il est la VĂ©ritĂ©, le Chemin et la Vie. Il est Dieu au milieu de nous. Bienheureux celui qui embrasse la foi, qui m’aime et me suit. 16/07/78, p.67-70, V.

 

Comme il est merveilleux d’être chrétien, d’embrasser véritablement la Parole de Dieu incarné, de faire sienne la force du Salut. C’est avoir l’espérance même quand tout semble perdu. C’est pourquoi la meilleure satisfaction que me procurent mon travail et mon ministère épiscopal est quand j’entends le peuple, comme je l’ai entendu cette semaine en diverses manifestations, qui me dit que je lui transmets l’espérance. Éveillons leur foi et disons-leur, même lorsqu’il semble qu’il n’existe pas d’option politique, qu’ils ne se sentent pas appeler à participer dans ce domaine, rappelons-leur qu’ils sont déjà des travailleurs d’un monde meilleur lorsqu’ils portent en leur cœur cette foi et cette espérance en Jésus-Christ. Et si, à partir du Christ qu’ils embrassent avec une foi chrétienne, ils se sentent appeler à une vocation politique, ils ont le devoir d’aller y travailler, mais sous l’inspiration de cet Amen, de ce Oui, de ce chemin qui offre le Salut à notre peuple, parce qu’en dehors de cela il ne peut y avoir de Salut.

 

Ce Christ, puissance « salvatrice Â» de Dieu incarnĂ©, mort sur la croix et ressuscitĂ© pour ne plus mourir, a laissĂ© une institution en ce monde qui se nomme l’Église. Frères, n’abandonnons pas cette figure de l’Église qui est en train d’accomplir la mission mĂŞme de JĂ©sus-Christ. Toute la puissance de Dieu incarnĂ© en JĂ©sus-Christ, a Ă©tĂ© laissĂ©e Ă  cette Église. Allez et prĂŞchez au monde entier, celui qui croira se sauvera et celui qui ne croira pas se condamnera. Et les apĂ´tres, lorsqu’ils Ă©crivaient et prĂŞchaient, savaient qu’ils n’étaient que d’humbles disciples inspirĂ©s par cette RĂ©vĂ©lation qui Ă©tait venue pour sauver le monde. C’est Ă  partir de cela que la Bible, garde dans ses pages, la Parole de Dieu. Mais la Bible seule ne suffit pas, il est nĂ©cessaire que la Bible soit reprise par l’Église pour qu’elle redevienne une Parole vivante. Non pas pour rĂ©pĂ©ter au pied de la lettre les psaumes et les paraboles, sinon pour les appliquer Ă  la vie concrète de l’heure oĂą est prĂŞchĂ©e cette Parole de Dieu. La Bible est comme la source oĂą cette rĂ©vĂ©lation, cette Parole de Dieu, est gardĂ©e. Mais Ă  quoi sert la source, aussi limpide soit-elle, si nous ne la puisons pas dans nos jarres pour l’apporter afin de combler les besoins de nos foyers. Une Bible qui n’est employĂ©e que pour ĂŞtre lue, alors qu’elle n’est vĂ©cue matĂ©riellement qu’en lien avec les traditions des temps oĂą ces pages furent Ă©crites, est une Bible morte. Cela s’appelle du fondamentalisme, ce n’est pas la rĂ©vĂ©lation de Dieu.

 

C’est pourquoi, quand nos frères protestants nous critiquent d’appliquer cette Parole de Dieu aux circonstances actuelles de notre temps, de notre pays, alors qu’ils se rĂ©fugient dans une prĂ©dication dĂ©sincarnĂ©e, spiritualiste, parfois trompeuse et mensongère, comme les grandes campagnes de purification. Cela n’est pas la vraie Parole de Dieu, elle s’est dĂ©jĂ  fait parole d’hommes, paroles de charlatans, paroles d’accommodements. C’est pour cela que le gouvernement encourage les campagnes protestantes. Naturellement, si cette prĂ©dication ne dĂ©range pas, ce christianisme est bĂ©ni des puissants parce qu’il ne remet pas en cause les fondements de notre sociĂ©tĂ©. Mais au contraire, une prĂ©dication qui dit de la Parole de Dieu : « Le Seigneur dit ceci Â», la Bible dit ceci aujourd’hui.

 

C’est cela la Parole de Dieu qui est une semence et qui fait germer la vie. C’est pourquoi l’Église, lorsqu’elle assume cette Parole, elle l’applique et la vit au travers de ses sacrements. Ceux-ci ne sont qu’un autre aspect de la Parole de Dieu. La distinction qu’il y avait autrefois entre évangélisation et diffusion des sacrements, a été surmontée. Par disgrâce, nous avons longtemps donné les sacrements sans la Parole de Dieu. Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous exigeons une initiation pré-sacramentelle. Soyez dociles à assister à ces rencontres qui préparent le baptême, qui vous préparent à recevoir les sacrements, parce que c’est uniquement lorsqu’on arrive à comprendre un sacrement comme Parole de Dieu, expliquée dans la révélation de Dieu, qu’a un sens l’acte de verser de l’eau sur la tête d’un enfant dans les fonds baptismaux. S’il n’y a pas d’évangélisation, quel sens cela a-t-il?

 

Quel sens cela a-t-il d’apporter un enfant pour que l’évĂŞque lui fasse une croix sur le front avec de l’huile si on ignore ce que l’Évangile dit de cet Esprit saint qui se donne dans la Confirmation.  Ă€ quoi cela sert-il que ceux qui se dĂ©sirent et se marient aillent Ă  l’Église pour accomplir un acte social sans en comprendre le grand mystère que saint Paul explique dans la Bible, du Christ qui se marie avec l’Église et qui meurt pour elle et d’une Église qui Lui demeure fidèle?

 

Les sacrements sans l’Évangile, les sacrements sans la Parole de Dieu, se convertissent presque en magie, en une coutume, en une routine, en une tradition de famille. Ne baptisons pas parce que tout le monde est baptisĂ© dans la famille. Ils sont peu nombreux ceux qui disent : Parce que nous voulons qu’il soit chrĂ©tien. Le sacrement est aussi un aspect de la Parole semence. La grâce de Dieu, dans cette Eucharistie par exemple, ne provient pas seulement du fait que vous ayez Ă©coutĂ© mon sermon. Si j’ai prononcĂ© l’homĂ©lie, je sais dans ma conscience que mon devoir pastoral est de conduire le peuple Ă  l’autel oĂą nous allons participer dans la foi Ă  la prĂ©sence de ce Christ, qui est la Parole que je prĂŞche, prĂ©parant cette Parole qui parle, qui sanctifie, qui rachète, qui devient vie de celui qui communie ou qui l’adore. L’Eucharistie de chaque dimanche ne peut ĂŞtre sĂ©parĂ©e de la Parole de Dieu. Après l’homĂ©lie, nous allons Ă  l’autel et dans le corps du Christ, nous adorons cette Parole qui s’est dĂ©jĂ  fait silence parce qu’elle s’est introduite très profondĂ©ment dans le cĹ“ur de tous ceux qui l’ont mĂ©ditĂ©e, de tous ceux qui mettent dans le Christ toutes leurs espĂ©rances et qui Le rendent prĂ©sent dans notre sociĂ©tĂ©.

 

Si l’Église prĂŞche et dit : « Ceci est la Parole de Dieu. Â» Est-elle folle, ou en vertu de quel principe peut-elle dire cela? Frères, il est très intĂ©ressant que vous sachiez que cet Esprit qui inspira le Christ et qui le ressuscita d’entre les morts et lui donna la vie Ă©ternelle, l’Esprit de Dieu, est le mĂŞme Esprit que le Christ ressuscitĂ© souffla sur son Église dans la nuit de Pâques. Il leur donna en disant : « Recevez l’Esprit saint. Â» Et qui dans la PentecĂ´te sous la forme d’un ouragan et de langues de feu, prit possession de cette Église qui grâce Ă  cette vie du Christ dans l’Esprit saint continue de prĂŞchĂ© la Parole de Dieu.

Quelle différence y a-t-il entre prêcher ici, en ce moment, que de parler comme des amis à chacun de vous? En cet instant, je sais que je suis un instrument de Dieu dans son Église pour orienter le peuple.

 

Et je peux dire comme le Christ : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, Il m’a envoyĂ© pour Ă©vangĂ©liser les pauvres. L’Esprit qui anima le Christ et qui donna la force Ă  ce corps nĂ© de la Vierge, pour qu’Il soit la victime du Salut du monde, est le mĂŞme Esprit qui donne force et inspiration Ă  ma gorge, Ă  ma langue et Ă  mes faibles membres. Et Ă  vous, Peuple de Dieu, ce mĂŞme Esprit vous donne la capacitĂ© d’entendre comment doit ĂŞtre entendue la Parole de Dieu. Je sais que plusieurs ne m’entendent pas avec cet Esprit surnaturel, et nous pouvons dire d’eux comme ceux de la parabole, ils sont la graine qui tombe au bord du chemin et que le malin emporte. Mais je sais que plusieurs m’écoutent Ă©galement comme ceux qui dans la parabole d’aujourd’hui sont de la bonne terre qui reçoit la semence. Que l’esprit de Dieu donne Ă  cette terre qu’est votre cĹ“ur, la capacitĂ© d’entendre d’une manière surnaturelle, la grâce de pouvoir entendre.

 

Je vous disais que non seulement le prédicateur enseigne, il apprend, vous m’enseignez vous aussi. Votre attention est pour moi une inspiration de l’Esprit saint et votre rejet serait pour moi un rejet de Dieu. C’est pourquoi je vous disais que le peuple a un sens d’infaillibilité qui se nomme le sens de la foi. L’Esprit saint le donne aux plus humbles d’entre vous tous pour qu’ils écoutent un prêtre ou un évêque en sachant discerner ou tout au moins soupçonner que cette doctrine ne doit pas être de l’Évangile.

 

Frères, quand j’observe cette attention, cette foi, et surtout cette conversion, cette recherche de l’Église et de Dieu, je me dis avec joie : « Digitus Dei est hic Â» â€“ ici est le doigt de Dieu. C’est Ă©galement dans cette ambiance d’application que j’apporte les dĂ©nonciations qui doivent ĂŞtre faites et les joies que nous devons avoir. Le Concile dit que le Peuple de Dieu illuminĂ© par la foi, doit tenir compte des aspirations, des exigences, et des idĂ©aux du peuple. Et avec cette foi il sait discerner ce que Dieu veut au travers des signes des temps. Il est sĂ»r cependant que tout ce que dĂ©sirent les hommes n’est pas Parole de Dieu, mais dans les exigences de notre temps, il y a une bonne part de Dieu. C’est ici que nous devons user de discernement.

C’est pourquoi quand je dis, à la lumière de ces paroles, que je vous signale les événements de la semaine, vous découvrez vous-mêmes où est Dieu et ou est le diable. Où est le Seigneur qui conduit son peuple par des chemins de bonté et où se trouve le refus de Dieu qui ne veut pas le Salut dans le Christ. L’Église prêche à partir des circonstances concrètes, non seulement ici, mais dans toute l’Amérique latine.

 

Soixante-dix cardinaux, archevĂŞques et Ă©vĂŞques se sont rĂ©unis Ă  Bogota pour partager les inquiĂ©tudes de tout le continent. Celles-ci ont Ă©tĂ© manifestĂ©es au cours de la consultation qui a Ă©tĂ© menĂ©e afin de prĂ©parer le document d’étude qui va ĂŞtre amenĂ© Ă  Puebla au mois d’octobre prochain. Cette Ă©tude fait rĂ©fĂ©rence Ă  l’injustice sociale disproportionnĂ©e qui se reflète particulièrement dans la concentration de la richesse entre quelques mains. En effet, 10 % de la population d’AmĂ©rique latine accapare l’ensemble des richesses, tandis que l’immense masse populaire souffre de toutes les carences. On va dire que ce sont des communistes, moi je dis qu’il s’agit lĂ  d’une rĂ©flexion de l’Église.

 

Les évêques qui représentent l’Épiscopat latino-américain disent également que le manque d’emploi juste et bien rémunéré a permis une croissance dramatique de la délinquance. Oui,le terrorisme existe et il faut en finir avec cela, mais la manière, ce n’est pas par la répression. Il faut arranger les fondements désordonnés et injustes d’où proviennent les violences terroristes. Ils parlent aussi de l’injustice sociale qui existe dans l’hémisphère et qui peut provoquer un véritable cataclysme par l’insurrection des masses populaires contre les privilégiés. Ils parlent des entreprises multinationales qui n’ont pas apporté de bénéfices aux pays latino-américains, mais qui sont au contraire une source de corruption et d’immoralité même dans leur propre nation. L’Église exprime sa préoccupation pour la propagation des dictatures militaires en Amérique latine, mais elle signale comme facteurs propices à la propagation desdites dictatures, la corruption et l’incapacité des politiciens traditionnels d’établir une démocratie authentique. Dans les régimes militaires, disent les évêques en Colombie, les droits humains sont fragilisés, même si l’on reconnaît dans le document que l’Église a joui de certaines libertés. Grâce à Dieu, l’Église du Salvador peut encore parler, mais il ne s’agit pas d’éteindre cette voix. Si elle parle, elle se doit de dire la vérité, sinon, il serait meilleur qu’elle se taise. L’Église exprime sa préoccupation pour la détérioration du syndicalisme en Amérique latine et spécialement dans les pays gouvernés par les militaires. 16/07/78, p.70-73, V.

 

Je voudrais vous prĂ©senter ici la prĂ©cieuse synthèse que Paul VI fit de l’évangĂ©lisation en recueillant les voix des Ă©piscopats du monde entier rĂ©uni Ă  l’occasion du Synode de 1974. Le Pape se demandait alors dans ce merveilleux document, qu’est-ce que l’évangĂ©lisation? Et il disait que c’était lĂ  une rĂ©alitĂ© très complexe et très dynamique Ă  laquelle il fallait inclure tous ses Ă©lĂ©ments si on voulait avoir une idĂ©e complète de ce dont il s’agissait. Le Pape proposait ces trois Ă©lĂ©ments :

1) Apporter la Bonne Nouvelle au monde entier pour qu’il soit ferment de toutes les cultures, pour qu’il convertisse les consciences des êtres humains, individuellement et collectivement, pour que ceux-ci aient des critères non pas selon ce monde, mais selon l’Évangile. C’est cela en premier lieu, évangéliser, apporter les critères de l’Évangile du Christ à toute l’humanité pour la rénover dans ses propres engagements.

 

2) C’est un tĂ©moignage de vie. ÉvangĂ©liser ce n’est pas seulement prononcer des paroles. PrĂŞcher est relativement facile, mais vivre ce qu’on enseigne, comme je l’ai dit au Saint-Père Ă  Rome : « Saint-Père observer les doctrines du Saint-Siège, du Magistère, en faire l’éloge, les vanter, les dĂ©fendre thĂ©oriquement c’est très facile, mais lorsqu’il s’agit d’incarner cette doctrine et de la vivre dans un diocèse, dans une communautĂ©, en signalant les faits concrets qui vont contre cette doctrine, c’est Ă  ce moment que les conflits surgissent. Â» Et c’est cela, la vie de notre archidiocèse, c’est pourquoi tous ne sont pas disposĂ©s Ă  vivre l’engagement du tĂ©moignage, que tous ne sont pas prĂŞts Ă  souffrir la persĂ©cution. Il est facile de dire qu’il n’y a pas de persĂ©cution lorsqu’on n’en est pas victime. Mais tous ces prĂŞtres, ces religieuses ou fidèles qui veulent annoncer l’Évangile du Christ en vĂ©ritĂ©, doivent souffrir la persĂ©cution. Le tĂ©moignage de la vie est nĂ©cessaire, et ici je fais un appel pour que la vie de vous tous, ainsi que la mienne, soit vraiment une prĂ©dication silencieuse.

 

Le Saint-Père m’a dit au cours d’une conversation intime : « Il ne suffit pas de prĂŞcher, il est nĂ©cessaire de vivre ce que nous prĂŞchons. Â» Aidez-moi par vos prières pour que je puisse moi aussi donner le tĂ©moignage de ce que je prĂŞche.

 

3) Le troisième élément de l’évangélisation ou de la semence, c’est l’annonce explicite. Il ne suffit pas de donner le bon exemple et de se taire alors qu’il faut parler. Il faut prêcher le contenu de cette révélation de Dieu. Que Dieu nous aime, que Dieu nous veut bons, que le Christ est mort sur la croix pour la vérité et pour la justice, que cette Rédemption du Christ nous amène à des conséquences libératrices. Ce document de l’Église contient ici une belle doctrine sur la véritable libération à laquelle l’Église ne peut tourner le dos.

 

Ainsi, l’adhésion vitale à l’Église et la manifestation de l’appartenance à une communauté qui, si elle est du Christ, n’a pas honte de l’Église et accepte comme signe d’appartenance à celle-ci, les Sacrements de l’Église.

Voyez comment le Pape rompt cette dichotomie entre l’évangĂ©lisation et les sacrements et en vient Ă  dire que : « Les Sacrements deviennent comme le sceau de l’évangĂ©lisation. Quand un homme entend uniquement l’Évangile sans recevoir les sacrements, il n’est pas vĂ©ritablement Ă©vangĂ©lisĂ©. Mais quand dans la cathĂ©drale nous voyons que la Parole de Dieu est mĂ©ditĂ©e et qu’elle est aussitĂ´t alimentĂ©e par l’Eucharistie par des consciences qui regrettent leurs pĂ©chĂ©s et qui se sont placĂ©es sous la grâce de Dieu, des consciences qui ont fait bĂ©nir leur union, qui s’efforcent de sortir de leur Ă©tat d’ébriĂ©tĂ©, qui tentent de surmonter leur attrait pour les drogues, pour la prostitution, qui essayent de devenir le Peuple de Dieu et qui sont vĂ©ritablement capables de recevoir la grâce de Dieu, nous avons alors une Ă©vangĂ©lisation qui parvient Ă  faire converger les coutumes avec les lois du Seigneur.

 

Et finalement, mes frères, une impulsion nouvelle pour évangéliser. Celui qui a été évangélisé doit évangéliser. La communauté s’évangélise pour évangéliser. Une communauté de base doit être un groupe de réflexion de la Parole de Dieu pour apprendre à la vivre, mais aussi pour la transmettre, pour l’irradier. C’est ce que doit être le foyer, le couple, la communauté. Nous devons tous être des apôtres, des semeurs. Le semeur est sorti pour semer sa semence. De nous tous, nous devrions dire cette belle parole que nous sommes en train de méditer (Mt 13,1-23).

 

Je vais conclure ma troisième rĂ©flexion qui est la plus stimulante dans les lectures d’aujourd’hui. Il s’agit de la seconde lecture de saint Paul (Rm 8,18-23) qui nous parle de la rĂ©colte. Cette semence doit produire une rĂ©colte. Saint Paul nous parle de la glorification qui nous sera donnĂ©e un jour et qui est supĂ©rieure Ă  toutes les douleurs et Ă  toutes les souffrances qu’il peut y avoir sur cette terre. J’entends cette phrase de saint Paul, mais traduite dans la souffrance d’un torturĂ© qui a Ă©tĂ© attachĂ© par les doigts durant trois jours et tandis qu’il souffrait il disait : « Les espĂ©rances et la gloire que j’attends sont plus grandes que cette souffrance. Â» Courage, chers persĂ©cutĂ©s. Courage aux torturĂ©s ainsi qu’à tous ceux qui espèrent une patrie meilleure et qui ne voient pas d’horizon. Les souffrances sont des conditions de la RĂ©demption qui ne se gagne pas, mais qui nous est offerte par le Christ clouĂ© sur la croix. Après vint la RĂ©surrection et dans le cĹ“ur du Christ ne s’est jamais Ă©teinte la certitude que le monde allait ĂŞtre rachetĂ© malgrĂ© ses Ă©checs apparents. Les chrĂ©tiens n’échoueront pas parce qu’ils portent l’Esprit qui ressuscita le Christ.

 

Un autre fruit de cette rĂ©colte est de voir comme est merveilleuse la crĂ©ation entière qui est soumise Ă  l’être humain et que saint Paul, dans une phrase tragique, arrive Ă  nous dire dans cette lecture d’aujourd’hui (Rm 8,19-21) : « Car la crĂ©ation en attente aspire Ă  la rĂ©vĂ©lation des fils de Dieu : si elle fut assujettie Ă  la vanitĂ© – non qu’elle l’eut voulu, mais Ă  cause de celui qui l’y a soumise –, c’est avec l’espĂ©rance d’être elle aussi libĂ©rĂ©e de la servitude de la corruption pour entrer dans la libertĂ© de la gloire des enfants de Dieu. Â» Voyez que cette libĂ©ration que les chrĂ©tiens espèrent n’est pas seulement pour les ĂŞtres humains. Ce n’est pas une libĂ©ration oĂą ceux qui sont opprimĂ©s aujourd’hui vont se mettre demain Ă  opprimer les autres parce que la crĂ©ation gĂ©mit elle aussi sous le poids du pĂ©chĂ©. Cela se produit souvent, lorsque des mouvements libĂ©rateurs accèdent au pouvoir, ils se mettent Ă  opprimer plus grossièrement encore que ceux dont ils prĂ©tendaient nous racheter. Au contraire, la libĂ©ration que le Christ nous offre et que saint Paul amène jusqu’aux limites cosmiques de la crĂ©ation alors que celle-ci est maintenant soumise Ă  l’égoĂŻsme, Ă  l’orgueil, Ă  l’envie, Ă  la corruption. La crĂ©ation n’est pas mauvaise, l’argent n’est pas mauvais, les plantations ou les fermes ne sont pas mauvaises en soi. Dieu vit ce qu’Il avait fait et Il vit que cela Ă©tait bon, nous dit la Bible. Qui l’a soumise Ă  la mĂ©chancetĂ©? L’être humain par le pĂ©chĂ©, l’homme qui veut s’approprier du bonheur des autres. L’homme Ă©goĂŻste qui veut tout possĂ©der pour lui-mĂŞme et pour qui les autres sont de trop. AussitĂ´t, le marginal devient violent et il se met Ă  haĂŻr, ainsi il soumet son corps et sa vie au pĂ©chĂ© sous lequel il gĂ©mit maintenant.

 

Quelle belle comparaison que celle-ci : Elle gĂ©mit dans les douleurs de l’enfantement. Comme la femme qui est parvenue Ă  son heure, mais avec la certitude qu’elle va donner naissance Ă  un nouvel ĂŞtre humain. La nature et l’humanitĂ© gĂ©missent. Nous souffrons l’heure de l’accouchement au Salvador, mais cela est très douloureux! Et cela fait mal parce que l’homme est contre l’homme, le paysan contre le paysan, le citoyen contre son concitoyen. C’est l’heure oĂą un monde nouveau doit naĂ®tre, mais la RĂ©demption viendra, nous dit saint Paul, dans la mesure oĂą nous faisons nĂ´tre cette semence de l’Évangile. C’est pour cela que le Christ compare les diffĂ©rentes catĂ©gories de champs oĂą tombe la semence.

 

Il semble que cette réflexion n’en soit pas une qui provienne directement du Christ, mais qu’elle soit le fruit d’une réflexion de la communauté chrétienne primitive. Lorsque les premiers chrétiens commencèrent à ressentir l’heure que nous aussi vivons actuellement, à savoir que ce ne sont pas tous qui reçoivent la Parole du Christ avec le même enthousiasme. Certains la recevaient avec enthousiasme, mais aussitôt après, devant la persécution, ils étaient effrayés et fuyaient comme des lâches. Ou bien encore, ceux qui voulaient recevoir une parole qui grandirait dans leur cœur, en même temps qu’ils continueraient d’adorer leurs richesses. C’est à ceux-ci que se dirige la catégorie de terre dans cette parabole, lorsqu’une graine tombe dans une terre rocailleuse, au bord du chemin, parmi les épines. Frères quel merveilleux examen de conscience pour chacun d’entre nous. Quelle sorte de cœur est le mien? Quel type de chrétiens suis-je? Terre bonne ou terre inconstante, lâche ou préférant les avantages de la terre.

 

Que croissent les charlatans, les épines des plaisirs de ce monde, je ne veux pas les laisser, mais je veux aussi être chrétien. Je vais à la messe, mais je voudrais entendre une parole qui soit douce à mes oreilles et qui ne me remet pas en cause. Maintenant je ne peux plus aller à la messe parce que partout on nous importune. C’est certain! Celui qui voudrait que grandissent ensemble, dans son cœur, la Parole de Dieu et les vices, avec son égoïsme. Cela ne peut être! On ne peut servir deux maîtres. Et l’Église authentique doit prêcher le véritable et l’unique Seigneur, la véritable et l’unique Parole. La seule qui sauve, celle qui germe, celle que le Christ a plantée, non pas celle que le démon et les convenances des hommes voulurent planter. C’est pourquoi je termine en évoquant la créature qui se rendit plus féconde de la Parole de Dieu.

 

En ce jour de la Vierge du Carmel, comment ne pas penser Ă  Elle, alors que tout notre peuple la regarde avec espoir, mais non pas en s’attendant Ă  un Salut facile? Marie est la première qui nous dit comme aux serviteurs lors des noces de Cana : « Faites ce qu’Il vous dit. Â» Marie nous dit : « Je ne peux pas sauver personne si ce n’est en obĂ©issant Ă  la Parole de Dieu. Moi-mĂŞme, lorsqu’une femme dans la foule fĂ©licita le Christ pour la mère qu’Il eut, le Christ dit que je n’étais pas seulement heureuse parce que j’étais sa mère, cela n’importe quelle femme aurait pu l’être, je suis grande parce que j’ai entendu la Parole de Dieu et que je l’ai mise en pratique. Â» C’est ce qui est admirable chez Marie. Sa saintetĂ©, la fĂ©conditĂ© de la Parole de Dieu, par exemple, lorsqu’elle retrouva l’enfant JĂ©sus perdu dans le temple, l’Évangile nous rapporte cette phrase magnifique qui pourrait ĂŞtre la devise de tout chrĂ©tien : « Elle gardait et mĂ©ditait toutes ces choses dans son cĹ“ur. Â» De mĂŞme quand les bergers vinrent adorer l’enfant Ă  BethlĂ©em et qu’ils lui racontèrent ce qu’ils avaient entendu, Marie mĂ©ditait la Parole de Dieu dans son cĹ“ur. C’est cela la saintetĂ© du chrĂ©tien, que la Parole de Dieu tombe dans une bonne terre. Puisse Dieu que moi qui tente de la semer ce matin, je ne sois pas seulement semeur, mais que je sois aussi une terre fĂ©conde pour cette Parole. Aidons-nous mutuellement, faisons une communautĂ© Église oĂą la Parole du Seigneur produise non seulement trente et soixante fois plus, mais cent pour un. Levons-nous pour professer notre foi. 16/07/78, p.76-78, V.