Le Salut : Initiative de Dieu
Quatorzième dimanche du temps
ordinaire; 9 juillet 1978; Lectures : Zacharie 9,9-10; Romains 8,9,11-13;
Matthieu 11,25-30.
Tous les dimanches, le peuple
chrétien se réunit pour s’alimenter de la Parole de Dieu et de la participation
à l’Eucharistie. Ne venons pas seulement pour écouter la Parole, mais venons
pour que cette Parole devienne Vie, qu’elle se fasse célébration, Parole qui se
fait Pâques, qui se fait Corps et Sang du Christ qui nous rachètent. C’est
pourquoi nous devons apporter Ă ce torrent de la Parole de Dieu, le concret de
notre vie pour qu’ainsi, notre Eucharistie dominicale ne soit pas un acte
parallèle à notre vie, mais qu’il en soit véritablement l’âme, la force et
l’esprit de notre propre existence, de notre propre histoire.
C’est pourquoi je prends toujours
soin de vous donner quelques exemples de la réalité historique que nous vivons.
Cela n’est pas sortir du sujet de la Parole de Dieu. C’est une invitation Ă
vous tous pour qu’ainsi, comme nous le faisons ici le dimanche, illuminant les
réalités de la Patrie, les problèmes du pays, chacun essaie d’illuminer
également les problèmes de sa propre famille et ses problèmes personnels. Si
nous sommes chrétiens, nous devons le reconnaître, ces critères avec lesquels
nous illuminons la réalité de notre vie ne sont pas ceux du monde qui sont des
critères égoïstes, des critères matérialistes, des critères de haine, de
vengeance. Les nôtres au contraire doivent être des critères d’amour inspirés
par le Christ.
C’est pourquoi mes frères, les
réalités que nous signalons ici apparaissent illuminées par cette Parole de
Dieu, à l’autel de l’Eucharistie où toute vie de notre Patrie, de notre
famille, de notre propre ĂŞtre individuel, au plus intime qui soit, devient
sacrifice avec l’Hostie et le vin, fruit de la terre et du travail de toute la
semaine que nous apportons comme une gerbe d’épis pour notre autel. Ce sont nos
réalités, celles que nous voulons éclairer chaque semaine. La messe du dimanche
est merveilleuse parce que je viens y apporter au Seigneur le fruit de mon
travail : mes peines, mes espérances, mes échecs, mes joies, mes
tristesses. Et tout cela est Ă Lui!
« Celui qui se sent écrasé,
fatigué par ses soucis et ses peines, qu’il vienne et Je le soulagerai. »
Et nous quittons la messe en savourant véritablement que nous ne marchions pas
seuls dans la vie, qu’un pouvoir divin nous accompagne et qu’il donne sens Ă
nos souffrances, à notre espérance et à nos projets. 09/07/78, p.51-52, V
« On ne peut faire des choses
mauvaises pour obtenir des choses bonnes. »
On ne peut acheter aucune liberté ni
aucune dignité innocente en foulant au pied celles des autres. On ne peut
prétendre apporter une consolation aux familles des disparus en soumettant
d’autres familles à cette même angoisse. Jamais on ne peut utiliser un mal
comme moyen pour acquérir un bien. Lorsqu’on dit que l’Église est devenue
communiste, on oublie ce principe qui importe peu aux communistes, que l’Église
continue de proclamer : les fins ne justifient pas les moyens. Aussi noble
que soit une fin, jamais on ne peut mettre en Ĺ“uvre un moyen mauvais pour
l’acquérir. 09/07/78, p.52, V.
Cela est si certain, mes frères, que
là où se trouve un Évangile prêché en lien avec la promotion chrétienne de
l’humain, là surgiront des conflits. Il suffit de poser notre regard sur le
continent latino-américain où nous tentons de prêcher un Évangile qui réclame
un Règne de Dieu plus juste, dès maintenant sur cette Terre, parmi les
chrétiens, et là surgissent les conflits. Cela vient de se produire avec ce
prêtre assassiné au Guatemala pour avoir refusé qu’on pille l’eau de son
village pour pourvoir la
capitale. Partout où il y a des efforts pour défendre le
pauvre et promouvoir le peuple afin qu’il cesse d’être une masse et se
convertisse en une conscience critique, l’Église dérange. Voilà pourquoi le problème
du Salvador est le problème de plusieurs pays où l’on enseigne un Évangile qui
provoque ces conflits. Naturellement, il n’y a pas de conflit, et tout va bien
lorsque l’on ne prêche pas un Évangile engagé aux côtés du peuple, mais cela
n’est pas l’Évangile ni ce Christ qui s’est fait homme pour vivre avec eux
l’angoisse, et pour eux également, Il est monté jusqu’au calvaire. 09/07/78,
p.54, V.
1) L’Initiative est de Dieu
La foi est un don gratuit.
Bienheureux l’homme qui a la foi, ce n’est pas lui qui l’a mérité, c’est Dieu
qui lui a donnĂ©. Toute foi est un cadeau de Dieu. Qu’ils sont pauvres, ceux Ă
qui il n’arrive plus de regarder au ciel et de reconnaître l’œuvre du Créateur
sous les traits de la création naturelle. Saint Paul (Rm 8,9,11-13) disait en
parlant des Romains, que même sans que Dieu leur ait révélé le mystère profond
de sa personnalité divine, ils pouvaient le reconnaître par la création et par
la conservation du monde. Les humains sont responsables Ă©galement d’avoir, Ă
tout le moins, une foi naturelle : Dieu existe, du simple fait qu’existe
le soleil, que chaque année, à la même période, apparaissent les fleurs, les
fruits. Quel ordre merveilleux! Il existe un ĂŠtre qui donne un ordre et une vie
aux choses.
En plus de cela, comme le dit le
Concile, Dieu a voulu parler comme d’ami à ami, et Il a dit aux hommes et aux
femmes qu’il est possible d’entrer en contact avec Lui et de participer à sa
félicité divine, de faire naître dans le cœur de l’être humain l’espérance
d’une autre vie qui est déjà présente comme un Règne de Dieu où plus de justice
et d’amour se manifesteront parmi les hommes.
Travaillez avec foi et non seulement
pour revendiquer des libérations simplement humaines. Travaillez avec la
conviction que tous ceux qui portent la foi dans leur cœur sont déjà libérés.
C’est ce que l’on m’expliqua merveilleusement là -bas au Secrétariat de Justice
et Paix à Rome où on nous disait qu’il faut semer cette foi dans le peuple même
si nous n’arrivons pas à apercevoir une libération d’ordre social, politique ou
Ă©conomique. Ce n’est pas prĂŞcher un conformisme, mais c’est dire Ă l’homme et Ă
la femme qui ont la foi, qu’ils sont libres, que la Parole de Dieu n’est pas
attachée à aucun esclavage lorsque l’on possède l’amour et le sens de l’espérance
et de la liberté dans le cœur. Notre peuple salvadorien, malgré tant de
souffrances et d’oppression, lorsque s’éveillent dans son cœur la foi et
l’espérance, est déjà un peuple libre. […]
L’Église ne prêche aucun système
concret. L’Église n’offre aucune méthode, mais elle offre les principes de la
véritable liberté : croire dans le Dieu Libérateur. C’est de là que
surgira, pour chacun, sa propre option libre. Tout homme est libre d’opter pour
le chemin politique par lequel il désire aider sa Patrie, il a le droit de
s’organiser avec d’autres qui pensent comme lui vers les chemins de la
véritable libération. Ce que Dieu donne, c’est une foi profonde dans le cœur et
Il fait sentir aux hommes et aux femmes qu’il n’existe pas de voie sans issue
pour la Patrie. Aussi
obscure que devienne l’histoire, si elle parvient à s’illuminer dans le cœur de
l’homme, il continuera d’avoir des initiatives divines qui la sauveront. C’est
pourquoi, la première chose que je demande au Seigneur et dont tous peuvent
s’inspirer en ces jours du Sauveur du Monde, c’est que notre peuple ait la foi. La foi est un don de
Dieu et, grâce au Seigneur, elle nous a été donnée depuis notre enfance, ne
nous jouons pas de cela. 09/07/78, p.57-58, V.
2) En quoi consiste cette offre de
Dieu?
Dans les lectures d’aujourd’hui (Zc
9,9-10; Rm 8,9,11-13; Mt 11,25-30), en plus de l’initiative divine, apparaît en
quoi consiste cet Évangile. Selon le sens mentionné par saint Paul : Il
est force de Dieu, mystère caché, qui se révèle, mystère du Salut offert aux
hommes. En quoi cela consiste-t-il? C’est ce dont je voudrais vous parler avec
toute la clarté du langage afin que, jusqu’aux plus humbles qui m’écoutent,
puissent le comprendre.
En premier lieu, cela consiste en un
savoir. (Mt 11,27) : « Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et
nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le
révéler. » Avant tout, il s’agit d’un savoir, mais il ne s’agit pas d’un
savoir découlant d’une théorie difficile. Naturellement, c’est si profond que
cela donne des thèmes aux théologiens pour qu’ils creusent chaque fois
davantage, mais c’est également si simple que le Christ vient nous dire
maintenant (Mt 11,25) : « Tu l’as révélé aux humbles, aux gens les
plus simples, et par contre Tu l’as caché aux orgueilleux. »
C’est un savoir, mes chers frères, et
chacun d’entre nous, et jusqu’au plus humble peut connaître qu’existe le
Christ, Fils de Dieu qui est venu me révéler que Dieu m’aime, qu’il existe une
vie à laquelle Dieu me fait participer. Qu’il existe, au-delà de l’histoire
présente, l’Histoire définitive où le Père m’attend les bras ouverts, dans mes
moments d’angoisse je ne suis pas seul, à mes côtés il y a quelqu’un qui me
dit : Si tu es triste, si tu es fatigué, viens, Je vais t’aider.
Sentir cette compagnie, connaître ce
quelqu’un, même si je ne le vois pas, Il est si près de moi : c’est ce en
quoi consiste sentir son contact. Sentir que le Christ n’est pas un être
théorique, lointain. Il est un Être si présent qu’Il m’invite dans toutes les
circonstances de ma vie avec cette marguerite qu’est l’Évangile que nous avons
lu aujourd’hui et que grâce à Dieu, nous préservions toute notre vie (Mt
11,28) : « Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau
et je vous donnerai le repos. » Faites l’essai d’entrer, comme le dit le
Concile, dans ce sanctuaire intime de votre propre conscience oĂą Dieu vous
attend pour dialoguer avec vous. Racontez-lui toutes vos préoccupations et vos
problèmes, et vous verrez comment Il vous aide en respectant votre libertĂ©, Ă
ce que vous soyez l’artisan de votre propre destin.
Sentir Dieu présent qui m’envoie au
Père, qui a envoyé son Fils, Parole éternelle. J’ai rencontré, chers frères,
dans les pages du Concile, cette plénitude de la Révélation qui dit :
« Il envoya son Fils, Parole éternelle qui éclaire tout homme, pour qu’Il
habite parmi les humains et leur fasse connaître l’intimité de Dieu :
Jésus-Christ, Parole faite chair, Homme envoyé aux hommes, Il parle avec les
mots de Dieu et Il réalise l’œuvre du Salut dont le Père l’a chargé.
Qui voit Jésus-Christ, voit le Père.
Lui, par sa présence et par sa manifestation, par ses paroles et ses œuvres,
ses signes et ses miracles; surtout, par sa mort et sa glorieuse résurrection,
par l’envoi de l’Esprit de la Vérité qui amène à la plénitude toute la
révélation et la confirme par le témoignage divin. » Quelle chose plus
belle que de savoir que chaque fois que je viens Ă la messe dans le signe du
pain et du vin où le Christ se rend présent, Il me raconte l’intimité de la Vie
de Dieu et Il m’invite déjà en ce monde à être un citoyen de cette vie divine!
Il n’est pas nécessaire d’attendre la mort pour connaître le bonheur de la
fĂ©licitĂ© Ă©ternelle. Tous ceux qui vivent la saintetĂ© de la vie chrĂ©tienne dĂ©jĂ
sur cette Terre sont des bienheureux, ils vivent déjà dans le ciel. C’est
pourquoi je vous disais que la véritable libération provient d’ici, du cœur de
l’homme où la foi le rend déjà bénéficiaire de cette vie éternelle.
Et quoi d’autre encore? Dans la
seconde lecture d’aujourd’hui (Rm, 8,9,11-13), je vous supplie de méditer ce
qu’est la Rédemption.
Ici, saint Paul arrive au centre d’une grande discussion
lorsqu’il parle des origines des deux grands courants de l’humanité : le
mal et le bien. Le mal tire son origine de la chair et le bien de l’esprit.
Aujourd’hui, en toute clarté, saint Paul nous a dit (Rm 8,9) : « Vous
n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais de l’Esprit; puisque l’Esprit de
Dieu habite en vous. » Il est nécessaire pour comprendre cela de se mettre
en profondeur dans l’esprit de la théologie de saint Paul et de la Bible pour
pouvoir dire ce que signifie, au sens biblique, ce mot :
« chair ». La chair, c’est ce qui recouvre nos os, la chair peut
avoir Ă©galement un sens très Ă©levĂ© comme lorsque le Concile nous exhorte Ă
honorer notre corps et dit : « L’homme ne doit pas déprécier la vie
corporelle, mais au contraire, il doit la considérer comme un bien et honorer
son propre corps comme étant une créature de Dieu qui va ressusciter aux
derniers jours. Blessé par le péché, il expérimente cependant la rébellion du
corps. » La propre dignité humaine vous demande de glorifier Dieu dans
votre corps, et ne vous permet pas d’être esclaves des inclinaisons dépravées
de votre cœur.
Dans ce paragraphe du Concile, je
rencontre toute la théologie biblique de la chair. La chair est
créature de Dieu. Dieu a fait notre corps et il l’a fait merveilleusement,
jusqu’au point où le Concile put dire que : « Le corps humain est
comme la synthèse de tout le monde matériel où celui-ci rencontre l’expression
libre pour louanger et remercier Dieu qui a fait les merveilles de la
création. » Mais ce corps merveilleux, œuvre de Dieu, glorification de
Dieu, par le péché s’est fait esclave des passions, alors nous avons la chair
au sens péjoratif, chair dans le sens de provocation au mal, chair dans le sens
de faiblesse, chair dans le sens d’amour aux drogues, à l’alcool, à la gloutonnerie. Tout
ce qu’affectionne le corps sans tenir compte de l’esprit : chair, la
faiblesse humaine qui amène l’homme au péché.
La chair soumise au péché est un
instrument du mal, mais il faut la racheter! C’est cela l’effort de la
Rédemption dont nous parle Paul maintenant : « La chair aussi se
rachète! » Il ne faut plus simplement dire : « Le Salut de mon
âme. » Il faut dire, comme dit le Concile : « C’est tout l’homme
qu’il faut sauver : âme et corps, cœur et connaissance, intelligence et
volonté. C’est l’homme tout entier avec ses relations sociales; c’est l’homme
responsable et propriétaire de la nature; c’est l’homme qui doit administrer
sous l’empire de la Loi de Dieu les biens que Dieu a créés pour tous. C’est
l’homme, image de Dieu, qui s’étant rendu faible par le péché dans la chair,
peut compter également sur la Rédemption de l’Esprit. Ce dernier qui ressuscite
la chair de Dieu qui a fait d’une chair humaine, une chair éternellement jeune
dans la gloire de la RĂ©surrection.
Comme il serait utile en ce moment oĂą
la chair se rend maître des humains, surtout des jeunes, des couples, de ceux
qui veulent user de leurs biens pour satisfaire leur chair, de placer celle-ci
sous la domination de l’Esprit et devenir des humains véritablement rachetés
dans leur âme et dans leur corps, rachetés par l’Esprit en tout être humain et
en toutes ses relations avec la création. Parce que la création a été placée sous
la domination de l’homme et celui-ci s’il est dominé par la chair, soumet la
création au péché, il devient égoïste et idolâtre.
Par contre, l’homme qui se soumet Ă
l’Esprit, élève avec lui la nature entière et fait de la possession des biens
que Dieu a créés pour le bonheur de tous, une véritable harmonie et cette Terre
devient alors une antichambre de ce ciel où, disaient les saints Pères,
n’existe plus ni moi ni toi, mais où n’existe que l’unique volonté de mon Père
qui rend heureux tous les fils de Dieu. 09/07/78, p.59-61, V.
3) Ceux qui reçoivent et ceux qui ne
peuvent recevoir cette offre que Dieu nous apporte par sa propre initiative
La Parole de Dieu est aujourd’hui
bien évidente. Cela devait être un événement lorsque le Christ regardait ces
grandes multitudes qui le suivaient, mais parmi eux, que d’humbles gens :
paysans, pêcheurs. Si parfois quelqu’un de savant s’approchait, on le voyait
s’éloigner avec dédain, ridiculisant la doctrine qu’annonçait ce fou, et le
Christ lorsqu’Il était seul, levait ses yeux vers son Père en Lui exprimant la
tendresse, l’angoisse et l’affliction de son coeur : « Pourquoi, Père
annonçant une doctrine aussi belle, ne veulent-ils pas croire, alors que
d’autres, précisément les plus humbles, l’acceptent? Père, je te rends grâce
parce que tu as caché ces choses aux savants et aux orgueilleux et que tu les
as révélées aux gens simples. Oui, Père, c’est ainsi que Tu l’as voulu. »
Il s’agit de l’initiative de Dieu, Jésus-Christ n’en est pas responsable, ni
l’Église, ni le prêcheur. Et lorsqu’ils veulent rire parce que seulement les
humbles gens nous suivent, c’est ici dans l’Évangile que se trouve
l’explication.
Parce que, face Ă cette Parole de
Dieu, aujourd’hui se présentent comme deux beaux défilés. Le défilé de la
première lecture mentionne que le Christ entre sur un âne à Jérusalem.
Semblable à un roi bouffon, c’est le roi qui sauve. Et devant ce Roi, monté sur
un âne, le prophète s’exclame (Zc 9,10) : « Il retranchera d’Éphraïm
la charrerie et de Jérusalem les chevaux, l’arc de la guerre sera
retranché. » C’est ainsi que l’Évangile compare également à la multitude
des humbles, les sages et les autosuffisants, les grands de ce monde. Ce n’est
pas que Dieu rejette une classe d’hommes et en préfère une autre. C’est que
nous-mêmes, nous nous sélectionnons ou nous nous excluons : L’homme s’élit
lui-mĂŞme en acceptant la Parole de Dieu; il appartient Ă ce reste glorieux
d’Israël. Et l’homme s’exclut lorsque, par son orgueil, il pense que l’Église,
que le Christ prêche des imbécillités ou qu’il emploie des qualificatifs plus
répugnants encore contre cette doctrine, comme si tout se justifiait selon ce
qui semble digne aux sages de ce monde. Les humbles sont les fils des béatitudes.
Comme je voudrais que tous ceux qui,
avec moi, sont en train de faire cette réflexion de la Parole de Dieu, fassent
le dessein de ne pas laisser régner dans leur cœur l’égoïsme, l’orgueil et
l’autosuffisance, de sentir avec gratitude que le Salut vient de Dieu qui
accepte seulement ceux qui, les bras tendus, comme les mendiants, sentent leur
pauvreté. En ce sens, nous disons que c’est l’Église des pauvres, non pas celle
de ceux qui n’ont pas de fortune, mais qui sont ambitieux, non pas celle de ceux
qui ne possèdent pas de biens matériels, mais qui séquestrent pour voler de
l’argent, non pas celle des criminels qui soulagent leurs ressentiments en
haine contre ceux qui les renversent, non pas celle du terrorisme. La véritable
pauvreté c’est celle des Écritures d’aujourd’hui : « Réjouis-toi
fille de Jérusalem! » Qui ne sent pas ici le nom de Marie, la fille de
Sion, l’incarnation de la véritable pauvreté, l’humble vierge, celle qui dit
qu’elle n’est rien aux yeux de Dieu qui en posant les yeux sur elle l’a rendue
grande et puissante, elle qui sera louangée par toutes les générations, elle
par qui l’Église fera de grandes choses.
C’est cela la véritable pauvreté de
l’Église. C’est ce que j’ai tenté de vous enseigner aujourd’hui mes chers
frères. Pauvreté qui fait consister sa force dans sa propre faiblesse, dans son
propre péché, s’appuyant sur la miséricorde du Christ, dans le pouvoir du
Seigneur. Cette Église qui ne veut pas faire consister sa force dans l’appui
des puissants ou de la politique, mais qui veut se détacher avec noblesse afin
de marcher uniquement abritée par les bras du Crucifié qui est sa véritable
force. Cette pauvreté de l’Église qui prêche à ceux qui ont et à ceux qui n’ont
rien, seulement leur demande-t-on d’avoir une âme de pauvre, une âme détachée,
une âme de bras tendus qui espère tout de Dieu et qui ne se confie pas dans les
fausses idoles, dans les biens de ce monde.
Le message d’aujourd’hui est précieux
et cela vaut la peine maintenant de nous rappeler tout ce vécu de la semaine
(les pauvretés de notre vie, notre situation sans travail) non pas avec un
conformisme qui endort, mais avec la force de lutter que donne la foi, avec une
force qui s’appuie en Dieu. Nous approchons de l’autel du Seigneur, unis au
sacrifice du Christ, le Pauvre par excellence, l’Unique qui souffrit étant
riche, dénudé sur la croix et qui meurt dans la pauvreté absolue. La véritable
pauvreté de celui qui rencontre en Dieu sa protection : « En Toi
Seigneur, j’ai placé mon espérance et je ne demeurerai jamais confondu. »
C’est cela l’Eucharistie que nous allons célébrer. L’Eucharistie des pauvres,
l’Eucharistie de ceux qui attendent tout de Dieu, l’Eucharistie de ceux qui ne
savent pas haïr, mais pardonner, l’Eucharistie de ceux qui savent que nous avons
tous besoin de Dieu et qui prient les uns pour les autres, comme les pauvres du
Seigneur pour attendre de Dieu la richesse qu’Il donne seulement aux simples et
aux humbles, et qu’Il refuse aux orgueilleux et aux arrogants. 09/07/78,
p.61-63, V.