Un Flambeau qu’on élève, messe de
restauration pour Aguilares
Douzième dimanche du temps ordinaire;
19 juin 1977; Lectures : Zacharie 12,10-11; Galates 3,26-29; Luc 9,18-24.
C’est à moi que revient la pénible
tâche d’aller recueillir les cadavres, les outragés et tout ce que produit la
persécution de l’Église. Aujourd’hui, je viens recueillir cette église et ce
couvent profanés, un tabernacle détruit et surtout un peuple humilié, sacrifié
indignement.
Plan de l’homélie :
1) Parole de solidarité
2) Paroles d’encouragement
3) Paroles d’orientation
4) Parole de conversion
1) Parole de solidarité
Dieu nous commande de dire qu’Il
rejette toujours la violence. Dieu ne peut pas ĂŞtre avec celui qui tue, avec
celui qui persécute, avec celui qui frappe. Il y a cette parole sévère du
Seigneur qui dit : « Celui qui vécut par le glaive, périra par le
glaive. » Il s’agit là d’une terrible promesse si cela se produit avant
une conversion sincère du pécheur. Votre douleur est celle de l’Église. […]
Vous êtes l’image du Divin
Transpercé, dont nous parle la première lecture (Za 12,10-11) dans un langage
prophétique, mystérieux, mais qui représente le Christ cloué sur la croix et
transpercé par une lance. C’est l’image de tous les villages qui comme Aguilares,
seront transpercés, seront outragés, mais qui souffrent avec foi en sachant
donner à cela un sens rédempteur. Aguilares chante la strophe précieuse de la
Libération parce qu’en regardant celui qu’ils ont transpercé ils se repentiront
et ils verront l’héroïsme et l’allégresse de celui dont le Seigneur a béni la
douleur […]
Nous souffrons avec ceux qui sont
perdus, avec ceux dont on ne sait où ils sont parce qu’ils ont dû fuir sans
savoir ce qui adviendra de leur famille. Nous sommes témoins de cette douleur,
de cette séparation. Nous la vivons de très près comme pasteur, nous sentons
cette douloureuse inquiétude de ceux qui cherchent à travers l’Église un
contact avec ceux que la cruauté a dispersés. Mais sachez, très chers frères,
qu’aux yeux de Dieu ils ne sont pas perdus. Ils apparaissent plus près du cœur
du Seigneur. Combien davantage souffrent leurs familles qui ne peuvent les
trouver? Pour Dieu il n’y a pas de disparus, il n’existe rien d’autre que le
mystère de la douleur qui, si elle est acceptée dans un sens de sanctification
et de RĂ©demption, sera comme celle du Christ Notre Seigneur, une douleur
rédemptrice.
Nous sommes avec ceux qui souffrent
les tortures. Nous savons que plusieurs dans leurs foyers ont souffert ces
douleurs, ces humiliations. Le Seigneur leur donne leur valeur, sachez
pardonner. Sachez, frères, que la violence est reprochée par Dieu Notre
Seigneur, qu’Il ne peut la bénir, d’où elle provienne, surtout lorsqu’elle
provient de ces forces armées qui au lieu de défendre le peuple, l’outrage.
Sachez que la douleur et toutes les souffrances que vous avez endurées, sont
bien comprises et que l’Église l’interprète, dans cette première lecture comme
une douleur rédemptrice, comme une douleur d’où proviendra pour Aguilares, de
nouvelles sources de bénédiction. 19/06/77, p.97-99, I-II.
2) Paroles d’encouragement
Jésus-Christ dans son Évangile
d’aujourd’hui (Lc 9,18-24), nous a dit : que celui qui veut venir à sa
suite doit se renier lui-mĂŞme, prendre sa croix et Le suivre. Et celui qui
désire sauver sa vie, celui qui veut mettre sa vie à l’abri, souvent au moyen
d’intrigues, hypocritement, en livrant son frère pour rester bien – il y a eu
de nombreuses trahisons – celui-là se perdra. Celui qui veut sauver son âme
doit perdre sa vie, il doit la livrer sincèrement au Seigneur. Et ici
littéralement, il y a eu des prêtres et des laïcs qui ont offert leur âme au
Seigneur sans s’importer du martyr et des souffrances. Ceux-là donnent le
témoignage que nous avons recueilli à Aguilares pour l’offrir à toutes les
paroisses […]
Cet exemple d’Aguilares est
merveilleux. Il s’agit d’une avant-garde de l’Église, d’un compromis de ces
hommes et de ces femmes qui acceptent d’assumer le plus dangereux de sa
doctrine, mais cela est nécessaire.
Nous avons beaucoup mutilé
l’Évangile. Nous avons tenté de vivre un Évangile très commode, sans y livrer
notre vie. Uniquement un Évangile de piété qui nous satisfaisait nous-mêmes,
mais c’est ici à Aguilares qu’a été initié un mouvement audacieux d’un Évangile
plus engagé. […]
Se renier soi-mĂŞme, renier ses
commodités, renier ses opinions personnelles et suivre uniquement la pensée du
Christ qui peut nous conduire Ă la mort, mais qui certainement nous conduira
également à la résurrection. Tous ces héros : prêtres et catéchistes
d’Aguilares, morts au nom du Seigneur, participent déjà sans doute à la gloire
immarcescible de la RĂ©surrection. 19/06/77, p.99, I-II.
3) Paroles d’orientation
Ne confondez pas la Libération du
Christ avec les fausses libérations, uniquement temporelles. Vous, comme
chrétiens formés dans l’Évangile, avez le droit de vous organiser, de prendre
des décisions concrètes, inspirées de l’Évangile. Mais faites bien attention de
trahir ces convictions évangéliques, chrétiennes, surnaturelles, en fréquentant
d’autres libérations qui peuvent être simplement économiques, temporelles ou
politiques. Le chrétien, même en collaborant aux libérations qui possèdent
d’autres idéologies, se doit de conserver le sens de sa libération originelle,
à partir du Christ, inséparable du Christ.
Le baptême m’a incorporé au Christ et
en JĂ©sus-Christ je suis une seule chose avec Lui et je ne peux trahir ce qui
dérive de cette condition d’homme nouveau. Cette condition d’homme nouveau
purifie le cœur de tout péché. Cet homme nouveau ne peut pas parler avec le
ressentiment au cœur. Cet homme nouveau ne peut jamais proposer la violence, la
haine, le ressentiment. Comme le cœur du Christ, il aime, même lorsqu’il défend
ses droits, il le fait par amour. Qu’est-ce que la prétendue force des autres
libérations qui ne mènent en fait à aucune libération?
Le Concile a dit qu’il s’agit d’une
sorte d’athéisme moderne, attendre des efforts humains, un règne futur, dans
lequel les humains eux-mêmes seront plus heureux. Frères : Si on ne tient
pas compte de Jésus-Christ et de son Église, ce règne futur n’adviendra jamais.
Il n’y aura rien d’autre que des larmes. Il n’y aura rien d’autre que des
outrages. On n’entendra plus que la voix des mitraillettes et la réponse
violente de ceux qui se font massacrer. Cela ne nous conduit pas Ă la
construction. Mais mourir avec la foi en Jésus-Christ, et avoir travaillé à la
lumière du Christ, C’est cela, la libération authentique.
Tous ceux qui, déjà illuminés par la
lumière de l’Évangile et du magistère de l’Église, ont pris conscience de la
manière indigne dont est souvent traité l’être humain, image de Dieu sur Terre,
ceux qui ont découvert ces droits qu’ils se doivent de défendre à la lumière du
Christ, doivent continuer cette lutte. Soyez fidèles à cette illumination de la
foi, demeurez toujours fidèles au magistère de l’Église et vous ne vous
tromperez pas. Cela vous conduira à la véritable Libération.
C’est pourquoi j’admire et je veux
remercier, d’une manière spéciale, la compagnie de Jésus qui illumina ces
chemins d’Aguilares. Plusieurs peut-être ne le comprirent pas dès le départ,
ceux qui ont persécuté d’un même coup la subversion et l’Évangile n’ont rien
compris. L’Évangile des Jésuites est l’Évangile de Jésus-Christ, celui de
l’Église, et il n’y a pas de raison de le confondre avec d’autres choses. Je
voudrais remercier les pères jésuites d’avoir éclairé autant de paysans,
d’avoir organisé autant de communautés, avec l’esprit chrétien, avec ce cœur
généreux dont nous gardons un souvenir affectueux : le père Grande et ses
collaborateurs. Ils surent propager dans de nombreux cœurs la lumière de
l’Évangile qui ne s’éteint pas.
C’est pourquoi je prononce cette
parole d’encouragement, parce que la lumière du Seigneur continuera toujours
d’illuminer ces chemins. De nouveaux pasteurs viendront, mais ce sera toujours
le même Évangile. Nous demandons que les pasteurs qui vont venir continuer ce
travail aient cette mĂŞme illumination et cette valeur pour savoir orienter les
hommes par le véritable chemin de la libération chrétienne, comme le veut
l’Église actuelle, spécialement en ce continent latino-américain avec ses
documents lumineux de MedellĂn, qui sont la doctrine authentique de l’Église et
que nous ne devons pas craindre, sinon les comprendre, les vivre et les
traduire dans la pratique, parce qu’ils nous donnent les lumières qui
apporteront le Salut aux peuples d’Amérique latine.
Aguilares, en ce sens, est une lampe
placée en hauteur. Nous voulons vous féliciter sincèrement, malgré vos
souffrances, vous avez su porter bien haut ce flambeau de lumière et puisse
Dieu ne le laisser pas confondre avec ces autres feux factices. Soyez plutĂ´t la
lumière authentique du Christ qui brille au milieu de la confusion et des
ténèbres. 19/06/77, p.100-101, I-II.
4) Parole de conversion
Et finalement mes frères, une parole
de conversion. Lorsque JĂ©sus-Christ nous invite Ă perdre la vie pour la gagner,
en nous livrant à Lui, Il nous appelle à la conversion. Lorsque la première
lecture (Za 12,10-11) nous parle des regards posés sur Celui qu’ils ont
transpercé, repentis de leurs péchés et espérant de là la miséricorde, cela
nous dit quelle doit être notre attitude. Je voudrais vous inviter, très chers
frères, à pardonner. Je comprends qu’il est difficile de pardonner, après
autant d’outrages, et cependant c’est la parole de l’Évangile (cf. Mt
5,43-46) : « Aimez vos ennemis, faites le bien à ceux qui vous
haïssent et persécutent, soyez parfaits comme votre Père Céleste qui fait
tomber sa pluie et Ă©claire de son soleil les champs des bons et des
mauvais. »
Ne gardez pas de ressentiments dans
votre cœur. Que cette eucharistie soit un appel à la réconciliation avec Dieu
et avec vos frères, qu’elle laisse dans tous les cœurs la satisfaction d’être
chrétiens et qu’il ne demeure aucune trace de haine et de rancœur dans nos
âmes. Demeurons fermes dans la défense de nos droits, mais avec un grand amour
dans le cœur, parce qu’en nous défendant ainsi, avec amour, nous recherchons
également la conversion des pécheurs.
C’est cela, la vengeance du chrétien.
Nous demandons la conversion de ceux qui nous frappèrent. Nous demandons la
conversion de ceux qui ont eu l’audace sacrilège de profaner le Corps du
Christ. Nous demandons au Seigneur le pardon et de nouveau les repentirs de réparation
de ceux qui ont converti cette ville en une prison et en un lieu de torture.
Nous demandons que le Seigneur touche leur cœur. Avant que ne s’accomplisse
cette sentence terrible : « Celui qui tue par l’épée sera tué par
l’épée, » qu’ils se repentent en vérité et qu’ils aient le courage de
regarder Celui qu’ils ont transpercé. Et qu’il jaillisse de là un torrent de
miséricorde et de bonté, pour que nous nous sentions frères.
Bienheureux sera le jour oĂą
disparaîtra du Salvador cette terrible tragédie qui fait que tous ont peur de
tous, et où cesseront d’exister ces lieux de tortures, que le Seigneur fasse
disparaître par une pluie de miséricorde et de bonté, par un torrent de grâce
pour convertir tant de cœurs. Un paradis, une si belle patrie dont nous a fait
cadeau le Créateur que le Divin Sauveur lui a donné son Nom. Qu’il se
convertisse vraiment en un pays où nous nous sentirions tous frères et sœurs.
Comme dit saint Paul aujourd’hui (cf. Gal 3,26-29) : « sans
différence parce que nous sommes dorénavant une seule chose en Jésus-Christ
Notre Seigneur. »
Nous allons porter cette parole faite
chair, faite hostie qui se livre pour nous : l’Eucharistie. Nous allons la
célébrer, nous, les prêtres, qui possédons ce pouvoir mystérieux que Dieu nous
a donné. Nous allons convertir le pain et le vin en corps et en sang du
Seigneur. Nous allons replacer l’Eucharistie dans le Tabernacle d’où l’ont
retiré les mains sacrilèges et nous allons le faire passer sur tous les cœurs
d’Aguilares et de tous ceux qui y sont venus par solidarité. Dans l’amour de
cette hostie consacrée, nous voulons aimer. Nous sentons notre cœur si petit,
mais le Christ nous passe le sien pour qu’ainsi nous soyons un seul cœur sur
l’autel, unissons, tous, notre cœur pour rendre gloire à Dieu, reconnaissant
parce que nous vivons le pardon envers nos ennemis et nous supplions pour le
pardon de nos péchés et les péchés de notre peuple. 19/06/77, p.101-102, I-II.