Ce que Dieu donne est pour tous les
humains
Vingt-sixième dimanche du temps
ordinaire, 30 septembre 1979; Lectures : Nombres 11,25-29; Jacques 5,1-6;
Marc 9,37-47.
Plan de l’homélie :
1) Les biens spirituels, magnanimité
de Dieu et mesquinerie des ĂŞtres humains
2) Les biens matériels, justice de
Dieu et Ă©goĂŻsme des hommes
3) La transcendance, clé pour
comprendre la volonté de Dieu et force pour la réalise (sans transcendance, il
ne peut y avoir une véritable lutte de libération en ce monde.)
1) Les biens spirituels, magnanimité
de Dieu et mesquinerie des ĂŞtres humains
A) Miracles hors des apĂ´tres
(mesquinerie)
Le passage de l’Évangile est
pittoresque parce que sans doute, lorsque Marc (9,37-47) Ă©crivit cet Ă©pisode,
des choses comme celles-là se produisaient dans l’Église primitive, où il
écrivait l’Évangile dicté par Saint Pierre à Rome ou à Jérusalem. C’est le
passage où ils disent au Christ (Mc 9,38) : « Nous avons vu que
certains réalisent des miracles en ton nom, qu’ils chassent des démons en ton
nom. Interdis-le-leur! »
Réponse de Jésus (magnanimité)
La réponse magnanime de Jésus est
celle que nous allons apprendre (Mc 9,39) : « Ne le leur interdisez
pas parce que si quelqu’un fait des miracles en mon nom, il ne peut parler mal
de moi aussitôt après. Celui qui n’est pas contre moi est en notre
faveur. » Les charismes, ces merveilleux dons que Dieu donne pour le bien
de toute son Église, ne sont le monopole de personne. Personne ne doit se
sentir jaloux parce que d’autres prêchent mieux qu’eux, parce qu’il y a
quelqu’un d’autre qui possède les dons du Seigneur. Ce serait la plus absurde
mesquinerie que de vouloir couper, de vouloir mutiler ce que Dieu a donné,
peut-être au plus humble d’entre nous. Combien belle est la réponse de
Jésus : « S’il fait des miracles en mon nom, même s’il vous semble
qu’il n’est pas avec nous, il est avec nous. »
B) Épisode de la prophétie et Moïse
C’est encore plus évident dans la
première lecture, l’épisode où Moïse reçoit de Dieu le don de prophétie et
qu’il le partage avec les soixante-dix anciens. Quelqu’un lui dit (Nb
11,27) : « Il en manque deux, Eldad et MĂ©dad, ils ne sont pas venus Ă
la rencontre et ils prophétisent dans le camp. »
Mesquinerie humaine
Et Josué, le collaborateur de Moïse lui
dit (Nb 11,28) : « Moïse, empêche-les! »
Magnanimité de Moïse
Moïse lui répondit (Nb 11,29) :
« Serais-tu jaloux pour moi? Puisse tout le peuple de Yahvé être prophète,
Yahvé leur donnant son Esprit! » Ainsi sont les cœurs magnanimes. Ceux qui
savent que Dieu donne ses charismes, ses dons, non pour l’usage capricieux des
hommes et des femmes qui les ont reçus, mais pour construire avec eux le Règne
de Dieu.
Saint Paul dit : « À
d’aucuns Il donna des dons de docteurs, à d’autres de conseillers, à d’autres
le don des langues, d’interprétation, divers charisme qui convergent tous vers
l’édification du Corps du Christ qu’est l’Église. » C’est la doctrine que
nous apporte la première phrase de notre réflexion d’aujourd’hui.
C) Esprit et Institution
Ici nous prenons connaissance, au
passage, des institutions et de l’Esprit. Aujourd’hui il est à la mode de voir
un antagonisme entre l’Église en tant qu’institution et l’Église comme
charisme, comme Esprit. Il y a ceux qui veulent voir comme une opposition entre
l’Esprit et l’institution, de telle manière qu’ils ne veulent rien savoir de
tout ce qui a à voir avec la hiérarchie, avec l’institution. Ils veulent
uniquement connaître l’Esprit tel qu’eux le conçoivent. D’autres, au contraire,
désirent se prévaloir de la hiérarchie de telle sorte que sans elle, il devient
impossible d’utiliser les dons que l’Esprit saint nous a donnés. L’harmonie de
ces deux dons, le charisme et l’institution est ce qui constitue l’Église.
Le Christ déborde l’Église. À
l’extérieur d’elle, il y a des éléments de vérité et de grâce.
Cela est si vrai que le Concile
Vatican II contient des choses révélatrices pour plusieurs. Sans doute,
lorsqu’il dit : « Le Christ, avec ses dons, ne se limite pas Ă
l’Église Catholique; qu’en dehors de ses limites, parmi les nombreuses
confessions protestantes, musulmanes, juives, et dans le monde entier, il
existe de nombreux Ă©lĂ©ments de la grâce et de la vĂ©ritĂ© que l’on doit Ă
l’unique Rédempteur des hommes : le Christ Jésus. » Nous ne voulons
pas dire que le Christ n’est présent seulement qu’à l’intérieur de l’Église
Catholique. Nous nous devons de dire que le Christ est venu pour sauver tous
les humains, même ceux qui n’ont pas connu le baptême chrétien, mais qui, avec
une bonne volonté, accomplissent leur religion à leur manière.
Il est certain, comme le Concile le
dit, « que dans l’Église fondée par le Christ, sur la base des apôtres, Il
laissa tous les moyens nécessaires au Salut, de telle sorte qu’une personne qui
doute qu’en l’Église catholique puisse exister la plénitude du Salut et qui ne
fait pas l’effort pour la connaître et pour devenir un de ses membres, cette
personne se trouve en situation de péché. » Il pèche parce qu’il doute et
le doute, il faut l’extirper en s’efforçant de connaître la vérité. Mais,
même si une personne de bonne volonté adore Dieu à sa manière, là existent des
éléments de vérité et de grâce parce que sans la grâce, personne ne peut se
sauver. Qui sait, chers frères catholiques, si au-dehors des limites de
l’Église catholique, il n’y a pas des gens plus saints que ceux qui y
appartiennent? Qui sait, si ceux qui se glorifient d’appartenir à la hiérarchie
de l’Église catholique, nous-mêmes, les hiérarques, ne sommes-nous pas moins
saints que ceux qui vivent au-dehors de l’Église avec, peut-être, un cœur plus
sensible, avec un respect plus grand de la personne, avec un sens de Dieu et
d’esprit, d’action de grâce au Seigneur. C’est cela la grande leçon des biens
spirituels.
Exemples d’institutions et d’esprit
Quelle harmonie plus fantastique que
celle de Dieu! Ici nous avons ces apparitions ou révélations que Dieu a faites
au cours de l’Histoire. Généralement, Il ne les fait pas à l’Église
institution, mais à l’humble peuple de Dieu. Là -bas à Lourdes, une petite
fille, Bernadette Soubirous, qui a été envoyée à l’évêque par la Vierge, pour
lui demander d’édifier un temple. Et sur le Tepeyac, au Mexique, à l’Indien
Juan Diego qui a reçu l’Esprit de la Vierge. Mais il demeure nécessaire que la
hiĂ©rarchie analyse et confirme la validitĂ© de cette inspiration, et l’ordonne Ă
la construction du Règne de Dieu. C’est ce qui est merveilleux, afin que le
hiérarque ne s’enorgueillisse pas de l’Esprit. Ce dernier se présente chez un
humble membre du Peuple de Dieu, et pour que ces membres du Peuple de Dieu
n’errent pas dans l’Esprit, ils doivent faire valider cette inspiration par la hiérarchie. Les
deux : Institution et Esprit forment l’Église véritable.
Dans notre diocèse
C’est pourquoi, mes chers frères, je
suis descendu dans la réalité de notre archidiocèse pour admirer et rendre
grâce au Seigneur parce qu’en vous, Peuple de Dieu, communautés religieuses,
communautés ecclésiales de base, humbles gens, paysans, se trouvent de nombreux
dons de l’Esprit! Si j’étais jaloux comme les personnages de l’Évangile et de
la première lecture d’aujourd’hui (Nb 11), je dirais :
« Interdisez-leur, qu’ils se taisent, qu’ils ne disent rien, seul moi
l’évêque peux parler! » Non! Je dois écouter ce que dit l’Esprit au moyen
de son peuple; et alors, oui, recevoir le peuple et analyser ensemble avec le
peuple pour construire l’Église.
C’est ainsi que nous devons
construire notre Église : en respectant le charisme hiérarchique de celui
qui discerne, de celui qui unit, de celui qui conduit vers l’unité les divers
charismes et nous, les hiérarques et les prêtres, en respectant tout ce que
l’Esprit dépose dans le Peuple de Dieu. Parce qu’il se produit souvent ce
qu’avait souhaité Moïse (Nb 11,29) : « Puisse, Dieu, tout le peuple
du Seigneur être prophète et recevoir l’Esprit du Seigneur. » Je crois que
c’est ce qui se passe actuellement dans notre archidiocèse : c’est le
Peuple de Dieu qui reçoit l’Esprit saint. Lorsque je visite les communautés, je
les respecte et j’essaie d’orienter la grande richesse spirituelle que j’ai
rencontrée chez les gens les plus humbles et les plus simples. Cette
construction dans l’harmonie est ce que le Seigneur nous demande.
Je voudrais relier ces considérations
à la situation de notre patrie. Chers frères, personne ne possède à lui seul la
clé pour résoudre les problèmes de notre pays. Si une organisation politique
populaire ne veut pas entrer en dialogue avec les autres forces libératrices de
la nation, elle commet le péché de mesquinerie et elle dit à Moïse :
« Interdis-leur, les autres ont tort, c’est moi seul qui possède la
vérité! » En une heure aussi grave de notre histoire, personne ne peut
prétendre posséder toute la vérité! Un effort est nécessaire, un effort auquel
tous doivent participer : demandez à Dieu! Et ce qu’Il nous inspire en
tant qu’individu, que groupe, qu’organisation, apportons-le au bien de tous, au
bien commun. C’est cela la leçon que nous devons apprendre de ceux qui, dans
leur mesquinerie, critiquaient les prophètes. La fin de tous ces dons que nous
offre le Seigneur est la construction du Règne.
Esprit apostolique et organisation
pastorale
Dans ma lettre pastorale, dans la
quatrième partie, je fais la distinction entre l’esprit apostolique et
l’organisation pastorale. Il m’importe que cela soit bien compris. Il y a au
sein de notre Église plusieurs mouvements : charismatiques, cours de
chrétienté, mouvements conjugaux; une série d’inspirations divines pour
lesquelles je rends grâce à Dieu. Ne ressentons pas de la jalousie pour ces
dons magnifiques que Dieu nous offre. Je voudrais vous dire, comme dans ma
lettre pastorale, que l’esprit apostolique est une chose qui surgit là où
l’Esprit désire se manifester, et une autre chose est l’organisation pastorale.
Un esprit évangélique, apostolique, sans pastorale, est semblable à ces
torrents qui ne sont pas canalisés; au lieu de faire le bien, souvent ils
nuisent aux autres courants. C’est le pasteur qui est responsable de
l’organisation de tout cet Esprit que Dieu nous donne, celui qui doit organiser
la pastorale d’ensemble; où personne ne doit se sentir supérieur aux autres, où
nous devons tous sentir que nous avons reçu une parcelle de Dieu. Cette
parcelle divine, nous devons la mettre ensemble avec tous les biens qu’Il nous
a donnés et qui constituent une Église particulière.
L’Église particulière n’est pas toute
l’Église, la physionomie de notre archidiocèse nous est propre, et il en existe
d’autres au Salvador, et au-delà de l’Amérique centrale qui possèdent leur
physionomie particulière, comme dit le Concile : « De la variété des
Églises particulières, surgit la beauté de la grande Église universelle,
unifiée dans le magistère du Pape, dans son autorité qui donne la coordination,
qui donne une pastorale Ă toute la richesse spirituelle du don charismatique du
Seigneur. »
En d’autres mots, ceci est le premier
point de ma méditation, cherchez à voir quels sont vos charismes. Vos charismes
de groupes; lorsque vous regardez autour de vous et que vous apercevez d’autres
charismes peut-ĂŞtre plus attrayants, plus flamboyants que ceux que Dieu vous a
donnés, ne sentez pas de l’envie comme les disciples de Jésus ou de
Moïse : Interdis-leur! D’aucune manière! Écoutez plutôt ce que dit
Jésus : « S’ils prophétisent en mon nom, ils ne peuvent être contre
nous, laissez-les. » « Puisse Dieu, dit Moïse, tout le peuple se
sentir inondé de l’Esprit saint. » En vérité, c’est la prophétie qui
s’accomplit lors de notre baptême. Par le baptême, tous ceux qui y participent
s’incorporent au grand charisme de l’Église. Vocations, charismes, manière
d’être. Quelle énorme différence! À certains, Il donne une vocation de prêtre,
Ă d’autres de religieux, Ă d’autres du mariage, Ă d’autres de cĂ©libat, Ă
certains d’être professionnels et à d’autres d’être journaliers. Le mal n’est
pas d’être dans tel ou tel métier, mais de savoir apporter au bien de la communauté. Si Dieu
vous a donné une vocation politique pour l’organisation du bien du peuple,
profitez du don du Seigneur, il s’agit là aussi d’une vocation. C’est une
vocation politique, ce ne sont pas tous qui l’ont et c’est pourquoi ce ne sont
pas tous qui désirent s’organiser. De même, je ne peux forcer personne à être
prĂŞtre ou Ă se marier. Respectons ce que Dieu a dit Ă cet homme, Ă cette femme,
dans leur apport à l’unité merveilleuse et multiforme du Règne du Dieu de
l’Église. 30/09/79, p.299-303, VII.
2) Les biens matériels, justice de
Dieu et Ă©goĂŻsme des hommes
A) Condamnation de l’abus de la
propriété
Cela est encore plus grave ou
autrement dit, plus visible, les biens matériels. Quelqu’un m’a dit une
fois : « Au lieu de vos discours incendiaires, pourquoi ne lisez-vous
pas simplement l’Évangile? » Et aujourd’hui je ne ferai pas d’autre
homélie que de lire le texte de saint Jacques. Écoutez s’il existe quelque chose
de plus incendiaire que saint Jacques lorsqu’il nous dit (5,1-6) :
« Eh bien maintenant, les riches! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui
vont vous arriver. Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés par
les vers. Votre or et votre argent sont rouillés, et leur rouille témoignera
contre vous : elle dévorera vos chairs; c’est un feu que vous avez
thésaurisé dans les derniers jours! Voyez le salaire dont vous avez frustré les
ouvriers qui ont fauché vos champs, crie, et les clameurs des moissonneurs sont
parvenues aux oreilles du Seigneur des Armées. Vous avez vécu sur Terre dans la
mollesse et le luxe, vous vous ĂŞtes repus au jour du carnage. Vous avez
condamné, vous avez tué le juste : il ne vous résiste pas. » Ici, je
n’ai qu’à ajouter aux commentaires de saint Jacques, les trois grands maux de
la richesse lorsqu’on abuse d’elle. Il ne condamne pas la richesse, mais l’abus
de la richesse.
Le premier, c’est se faire un absolu
d’un bien limité. Son abondance injuste témoigne contre son propriétaire.
Le second, c’est de pervertir le but
de la richesse.
Lorsqu’il parle de l’or qui rouille et d’une abondance de
vêtements qui sont rongés par les vers, au lieu de les donner aux pauvres, il
dit que cette abondance est le témoignage qu’il ne faut pas rendre absolu ce que
l’on a, mais le partager avec les travailleurs qui vous aident dans vos
récoltes.
Et le troisième point concerne ce que
j’affirme dans ma lettre pastorale, à savoir qu’il faut détruire la propriété
injuste. L’idolâtrie de la richesse non seulement offense Dieu, mais elle
détruit celui-là même qui la possède. C’est ce que dit saint Jacques dans
l’épître d’aujourd’hui : « Vous avez vécu sur Terre dans la mollesse
et le luxe, vous vous êtes repus au jour du carnage. »
Dimanche dernier, je ne me souvenais
pas de cette phrase que j’ai citée en italien. Lorsque nous sommes sortis de la
cathédrale, la télévision italienne qui était présente parmi nous me dit :
« Cette phrase est du Cardinal Montini, lorsqu’il était évêque de
Milan. » Le Pape Paul VI, cardinal d’alors, fit appel à tous les
entrepreneurs de Milan et leur dit cette phrase célèbre : « Spogliatevi, se non, vi spoglieranno »,
c’est-à -dire « Dépouillez-vous, sinon on vous dépouillera. » Je crois
qu’avant qu’on nous enlève par le sang et la violence ce que nous avons, nous
devrions le donner par amour.
B) Discours de Jean-Paul II Ă Puebla
Puisque nous rendons Ă©galement
hommage Ă Jean-Paul II, je voudrais que nous fassions la promesse, Ă tous ceux
qui sont ici et à ceux qui nous écoutent par la radio, d’accepter tout ce que
dira le Pape aux Nations Unies, mais que nos journaux n’exposent pas uniquement
un côté de l’information. Dès maintenant, je veux vous dire que je désire être
fidèle au Pape jusqu’à la mort et ce que dira le Pape devant les Nations Unies
sera pour moi aussi une orientation. J’essayerai de répéter et de faire
coïncider ma pensée avec celle du Pape qui parle au nom de Dieu.
Regardez comment Ă Puebla, le Pape,
lorsqu’il dit aux évêques : « Vous êtes les défenseurs et les
promoteurs de la dignité humaine. » Il rappelle comment l’histoire de
l’Église contient les figures d’évêques profondément imprégnés dans la défense
courageuse de la dignité humaine, de ceux dont le Seigneur leur a confié la garde. Il dit :
« Naît la constante préoccupation de l’Église pour la délicate question de
la propriété. » Une preuve de cela, ce sont les écrits des Pères de
l’Église au cours du premier millénaire du christianisme. Qui fait la lecture
des Pères des premiers siècles peut franchement les traiter de communistes,
alors qu’ils ne sont que les interprètes de la doctrine traditionnelle de
l’Église.
Ici, citant saint Ambroise et
d’autres papes, il dit : « C’est ce que démontre clairement la
vigoureuse doctrine de Saint Thomas, répétée tant de fois : le grand
théologien du Moyen âge affirme que la propriété privée n’est pas un droit
absolu, mais relatif. À notre époque, comme le dit le Pape, l’Église a fait
appel aux mêmes principes dans ces documents de si grande portée que sont les
encycliques sociales des derniers papes. » Avec une force et une
profondeur particulière, le Pape Paul VI développa ce thème dans son encyclique
Populorum Progressio.
« Cette voix de l’Église, écho
de la voix de la conscience humaine qui ne cessa jamais de réfléchir à travers
les siècles, au milieu des systèmes et des conditions socioculturelles les plus
variées, mérite et nécessite d’être entendue aussi à notre époque, alors que la
richesse croissante de quelques-uns progresse parallèlement à la misère
grandissante de la
majorité. Ainsi, poursuit le Pape, lorsque l’enseignement de
l’Église acquiert un caractère urgent, toute propriété est grevée d’une
hypothèque sociale. »
L’autre jour, quelqu’un m’a dit qu’il
n’avait pas compris exactement le sens de cette expression. Le Pape veut dire
par cela que, lorsque quelqu’un possède une maison hypothéquée, elle ne lui
appartient pas entièrement et s’il ne paie pas sa dette, on va la lui enlever.
Le Pape dit la même chose de la propriété privée; même si, au sens de la loi
elle t’appartient, cela ne constitue pas un droit absolu, elle est hypothéquée
au bien social, et le bien commun est la règle de la propriété privée. C’est
pourquoi nous disons qu’une restructuration de notre système économique et
social est nécessaire, parce que cet absolu, cette idolâtrie de la propriété
privée ne doit pas être; c’est franchement du paganisme. Le christianisme ne
peut admettre une propriété privée absolue.
« En considération de cela, dit
Jean-Paul II, l’Église a une mission à accomplir : elle doit prêcher,
éduquer les personnes et les collectivités, former l’opinion publique, orienter
les responsables des peuples. Ainsi, elle travaillera en faveur de la société,
à l’intérieur de laquelle ce principe chrétien et évangélique finira par porter
les fruits d’une distribution plus juste et équitable des biens, non seulement
à l’intérieur de chaque nation, mais également dans le monde international en
général, évitant que les pays plus puissants utilisent leur pouvoir au
détriment des plus faibles. » C’est l’épître de saint Jacques mise à jour
pour l’Amérique latine par le Pape Jean-Paul II.
Par conséquent, lorsqu’on nous accuse
de prêcher des choses incendiaires, nous disons : « Nous ne faisons
rien de plus que de rappeler un principe qui a été oublié et qui doit être à la
base de la transformation de notre société. » Si nous voulons que cesse la
violence et que cesse tout ce malaise, il faut aller Ă la racine. Et la racine
est ici : l’injustice sociale.
Il est nécessaire d’éduquer, comme
dit le Pape, et ici, Ă partir de la Parole de Dieu, je fais un appel Ă tous mes
frères salvadoriens, surtout à ceux qui ont perverti dans leur cœur et dans
leur esprit la véritable doctrine chrétienne de la propriété : qu’ils
révisent et ils verront qu’ils sont plus heureux lorsque, par amour, ils se
dépouillent pour leurs frères et qu’ils partagent avec tous, parce que savourer
seuls les biens matériels ne rend pas heureux. 30/09/79, p.308-310, VII.
3) La transcendance, clé pour
comprendre la volonté de Dieu et force pour la réalise
A) Le but
J’ai répété plusieurs fois cette
parole de la transcendance et je crois que chaque jour elle devient plus
nécessaire parce que c’est seulement ici que nous pouvons trouver l’explication
rationnelle de ce que nous disons. La transcendance, comme je l’ai souvent
répété, est la perspective non seulement de la vie éternelle, mais également
des horizons du Créateur, du Seigneur, et c’est ce que nous invitent à regarder
les lectures d’aujourd’hui.
Au-dessus des biens, le Bien suprĂŞme
Il nous indique un but. Il parle des
biens et du Bien suprême. Lorsqu’il parle des deux pieds, des deux mains, des
deux yeux, ce sont les biens, mais lorsqu’Il dit (Mc 9,42-47) que s’il est
nécessaire de se couper un pied ou une main pour le bien suprême du Règne, il
faut préférer entrer borgne, manchot ou estropié au Règne des cieux que de
s’enfoncer avec les deux yeux, les deux mains et les deux pieds dans la géhenne. Les
biens doivent être subordonnés au Bien et l’homme ne doit pas perdre de vue
l’Unique Absolu, le Transcendant, Dieu, le Bien Suprême. Il faut avoir comme
but d’entrer dans la vie éternelle, d’entrer dans le Règne et comme motivation
pour marcher vers ce but; le Christ nous a donné son Nom.
Reconnaître chez le plus petit
quelqu’un qui représente le Christ.
Nous revenons ici à l’option
préférentielle pour les pauvres. Ce n’est pas de la démagogie, c’est le pur
Évangile; nous devons nous préoccuper des intérêts du pauvre, du plus
vulnérable, pour la seule et simple raison qu’il représente le Christ. Par la
foi qui nous ouvre à l’humble, au marginal, au pauvre, à l’infirme, y
reconnaître Jésus, c’est cela la transcendance. Lorsque
je n’y vois rien d’autre qu’un rival, qu’un imprudent, que quelqu’un qui vient
troubler mes réjouissances, naturellement, le pauvre dérange. Mais lorsqu’on
l’embrasse comme le Christ embrassa le lépreux, et lorsque le bon Samaritain
relève le blessé au bord du chemin, c’est au Christ qu’on le fait. C’est cela
la transcendance sans laquelle il est impossible d’avoir une perspective de
justice sociale, sans le Christ présent chez les plus petits.
RĂ©flexion sur le transitoire
La seconde lecture (Jc 5,1-6) nous
parle aussi du caractère transitoire de la vie. « Maintenant, vous
accumulez des richesses, alors qu’arrive le jugement final. » Selon la
croyance des apĂ´tres, le jugement Ă©tait Ă nos portes et il semblait ridicule
que les humains, devant le caractère transitoire de l’Histoire et du temps,
accumulent des biens matériels qui vont demeurer ici après leur mort. Ah! Si
nous pensions davantage au caractère transitoire des choses de la Terre, nous
ne serions pas tant aliénés et nous saurions donner leur juste valeur relative
aux biens de la Terre pour acheter avec eux, comme dit l’Évangile, les amitiés
du Ciel et ne pas nous enfoncer avec eux dans les oubliettes de l’abîme. C’est
pourquoi le Christ nous signale aujourd’hui ce qui gêne. L’embarras de ceux qui
ne veulent pas entendre; c’est cela, lorsqu’on s’éloigne des critères
chrétiens, lorsqu’on se scandalise de voir des pauvres.
Mes chers frères, je voudrais faire
allusion ici à ces idéologies politiques qui ont empoisonné l’esprit de tant de
chrétiens. Je voudrais dire à tous ceux qui sentent la vocation politique qui
les incorpore à cette transcendance du Christ qu’ils ne tentent pas de tuer
l’esprit surnaturel et transcendant de ces jeunes, de ces hommes qui sentent
véritablement la nécessité de lutter. Parce que, comme le disait Jean-Paul I
dans sa célèbre lettre à Chesterton : « Le Dieu que nous confessons
n’est pas un Dieu aliénant; au contraire, Il veut donner également, à ceux qui
travaillent pour la libération de la Terre, la récompense éternelle, si nous
savons incorporer cet effort à la transcendance. »
Les signes actuels : « On
vous prendra par le sang ce que vous ne donnerez pas par amour. »
Lorsque la tentation redouble
au-dedans de nous, c’est alors qu’il nous faut accomplir cette parole
paradoxale, orientale de l’Évangile (Mc 9,43-47) : « si ton pied te
scandalise, coupe-le; si ta main est pour toi une occasion de péché, coupe-la;
si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le, » c’est-à -dire
si tu désires tant les biens de la Terre qui sont pour toi une occasion de
chute, n’hésite pas à t’en défaire pour ne pas t’aliéner le Bien Suprême. Si tu
désires sauver tes yeux, tes mains, tes biens et que tu ne veux pas partager ni
les soumettre à la justice selon la volonté de Dieu, tu perdras tout. Donnons
par amour pour ne pas avoir Ă les donner plus tard par la force et devoir
entrer sans les biens matériels et sans le Bien Suprême dans l’éternité.
Les signes actuels nous pressent de
construire une société selon la volonté de Dieu. Puisse Dieu que nous ne soyons
pas mesquins de nos dons spirituels, dĂ©sirons au contraire, qu’ils viennent Ă
tout le peuple de Dieu! 30/09/79, p.313-315, VII.