Ce que Dieu donne est pour tous les humains

 

Vingt-sixième dimanche du temps ordinaire, 30 septembre 1979; Lectures : Nombres 11,25-29; Jacques 5,1-6; Marc 9,37-47.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Les biens spirituels, magnanimité de Dieu et mesquinerie des êtres humains

2) Les biens matériels, justice de Dieu et égoïsme des hommes

3) La transcendance, clé pour comprendre la volonté de Dieu et force pour la réalise (sans transcendance, il ne peut y avoir une véritable lutte de libération en ce monde.)

 

 

1) Les biens spirituels, magnanimité de Dieu et mesquinerie des êtres humains

 

 

A) Miracles hors des apĂ´tres (mesquinerie)

 

Le passage de l’Évangile est pittoresque parce que sans doute, lorsque Marc (9,37-47) Ă©crivit cet Ă©pisode, des choses comme celles-lĂ  se produisaient dans l’Église primitive, oĂą il Ă©crivait l’Évangile dictĂ© par Saint Pierre Ă  Rome ou Ă  JĂ©rusalem. C’est le passage oĂą ils disent au Christ (Mc 9,38) : « Nous avons vu que certains rĂ©alisent des miracles en ton nom, qu’ils chassent des dĂ©mons en ton nom. Interdis-le-leur! Â»

 

 

Réponse de Jésus (magnanimité)

 

La rĂ©ponse magnanime de JĂ©sus est celle que nous allons apprendre (Mc 9,39) : « Ne le leur interdisez pas parce que si quelqu’un fait des miracles en mon nom, il ne peut parler mal de moi aussitĂ´t après. Celui qui n’est pas contre moi est en notre faveur. Â» Les charismes, ces merveilleux dons que Dieu donne pour le bien de toute son Église, ne sont le monopole de personne. Personne ne doit se sentir jaloux parce que d’autres prĂŞchent mieux qu’eux, parce qu’il y a quelqu’un d’autre qui possède les dons du Seigneur. Ce serait la plus absurde mesquinerie que de vouloir couper, de vouloir mutiler ce que Dieu a donnĂ©, peut-ĂŞtre au plus humble d’entre nous. Combien belle est la rĂ©ponse de JĂ©sus : « S’il fait des miracles en mon nom, mĂŞme s’il vous semble qu’il n’est pas avec nous, il est avec nous. Â»

 

 

B) Épisode de la prophétie et Moïse

 

C’est encore plus Ă©vident dans la première lecture, l’épisode oĂą MoĂŻse reçoit de Dieu le don de prophĂ©tie et qu’il le partage avec les soixante-dix anciens. Quelqu’un lui dit (Nb 11,27) : « Il en manque deux, Eldad et MĂ©dad, ils ne sont pas venus Ă  la rencontre et ils prophĂ©tisent dans le camp. Â»

 

 

Mesquinerie humaine

 

Et JosuĂ©, le collaborateur de MoĂŻse lui dit (Nb 11,28) : « MoĂŻse, empĂŞche-les! Â»

 

 

Magnanimité de Moïse

 

MoĂŻse lui rĂ©pondit (Nb 11,29) : « Serais-tu jaloux pour moi? Puisse tout le peuple de YahvĂ© ĂŞtre prophète, YahvĂ© leur donnant son Esprit! Â» Ainsi sont les cĹ“urs magnanimes. Ceux qui savent que Dieu donne ses charismes, ses dons, non pour l’usage capricieux des hommes et des femmes qui les ont reçus, mais pour construire avec eux le Règne de Dieu.

 

Saint Paul dit : « Ă€ d’aucuns Il donna des dons de docteurs, Ă  d’autres de conseillers, Ă  d’autres le don des langues, d’interprĂ©tation, divers charisme qui convergent tous vers l’édification du Corps du Christ qu’est l’Église. Â» C’est la doctrine que nous apporte la première phrase de notre rĂ©flexion d’aujourd’hui.

 

 

C) Esprit et Institution

 

Ici nous prenons connaissance, au passage, des institutions et de l’Esprit. Aujourd’hui il est à la mode de voir un antagonisme entre l’Église en tant qu’institution et l’Église comme charisme, comme Esprit. Il y a ceux qui veulent voir comme une opposition entre l’Esprit et l’institution, de telle manière qu’ils ne veulent rien savoir de tout ce qui a à voir avec la hiérarchie, avec l’institution. Ils veulent uniquement connaître l’Esprit tel qu’eux le conçoivent. D’autres, au contraire, désirent se prévaloir de la hiérarchie de telle sorte que sans elle, il devient impossible d’utiliser les dons que l’Esprit saint nous a donnés. L’harmonie de ces deux dons, le charisme et l’institution est ce qui constitue l’Église.

 

 

Le Christ déborde l’Église. À l’extérieur d’elle, il y a des éléments de vérité et de grâce.

 

Cela est si vrai que le Concile Vatican II contient des choses rĂ©vĂ©latrices pour plusieurs. Sans doute, lorsqu’il dit : « Le Christ, avec ses dons, ne se limite pas Ă  l’Église Catholique; qu’en dehors de ses limites, parmi les nombreuses confessions protestantes, musulmanes, juives, et dans le monde entier, il existe de nombreux Ă©lĂ©ments de la grâce et de la vĂ©ritĂ© que l’on doit Ă  l’unique RĂ©dempteur des hommes : le Christ JĂ©sus. Â» Nous ne voulons pas dire que le Christ n’est prĂ©sent seulement qu’à l’intĂ©rieur de l’Église Catholique. Nous nous devons de dire que le Christ est venu pour sauver tous les humains, mĂŞme ceux qui n’ont pas connu le baptĂŞme chrĂ©tien, mais qui, avec une bonne volontĂ©, accomplissent leur religion Ă  leur manière.

 

Il est certain, comme le Concile le dit, « que dans l’Église fondĂ©e par le Christ, sur la base des apĂ´tres, Il laissa tous les moyens nĂ©cessaires au Salut, de telle sorte qu’une personne qui doute qu’en l’Église catholique puisse exister la plĂ©nitude du Salut et qui ne fait pas l’effort pour la connaĂ®tre et pour devenir un de ses membres, cette personne se trouve en situation de pĂ©chĂ©. Â» Il pèche parce qu’il doute et le doute, il faut l’extirper en s’efforçant de connaĂ®tre la vĂ©ritĂ©. Mais, mĂŞme si une personne de bonne volontĂ© adore Dieu Ă  sa manière, lĂ  existent des Ă©lĂ©ments de vĂ©ritĂ© et de grâce parce que sans la grâce, personne ne peut se sauver. Qui sait, chers frères catholiques, si au-dehors des limites de l’Église catholique, il n’y a pas des gens plus saints que ceux qui y appartiennent? Qui sait, si ceux qui se glorifient d’appartenir Ă  la hiĂ©rarchie de l’Église catholique, nous-mĂŞmes, les hiĂ©rarques, ne sommes-nous pas moins saints que ceux qui vivent au-dehors de l’Église avec, peut-ĂŞtre, un cĹ“ur plus sensible, avec un respect plus grand de la personne, avec un sens de Dieu et d’esprit, d’action de grâce au Seigneur. C’est cela la grande leçon des biens spirituels.

 

 

Exemples d’institutions et d’esprit

 

Quelle harmonie plus fantastique que celle de Dieu! Ici nous avons ces apparitions ou rĂ©vĂ©lations que Dieu a faites au cours de l’Histoire. GĂ©nĂ©ralement, Il ne les fait pas Ă  l’Église institution, mais Ă  l’humble peuple de Dieu. LĂ -bas Ă  Lourdes, une petite fille, Bernadette Soubirous, qui a Ă©tĂ© envoyĂ©e Ă  l’évĂŞque par la Vierge, pour lui demander d’édifier un temple. Et sur le Tepeyac, au Mexique, Ă  l’Indien Juan Diego qui a reçu l’Esprit de la Vierge. Mais il demeure nĂ©cessaire que la hiĂ©rarchie analyse et confirme la validitĂ© de cette inspiration, et l’ordonne Ă  la construction du Règne de Dieu. C’est ce qui est merveilleux, afin que le hiĂ©rarque ne s’enorgueillisse pas de l’Esprit. Ce dernier se prĂ©sente chez un humble membre du Peuple de Dieu, et pour que ces membres du Peuple de Dieu n’errent pas dans l’Esprit, ils doivent faire valider cette inspiration par la hiĂ©rarchie. Les deux : Institution et Esprit forment l’Église vĂ©ritable.

 

 

Dans notre diocèse

 

C’est pourquoi, mes chers frères, je suis descendu dans la rĂ©alitĂ© de notre archidiocèse pour admirer et rendre grâce au Seigneur parce qu’en vous, Peuple de Dieu, communautĂ©s religieuses, communautĂ©s ecclĂ©siales de base, humbles gens, paysans, se trouvent de nombreux dons de l’Esprit! Si j’étais jaloux comme les personnages de l’Évangile et de la première lecture d’aujourd’hui (Nb 11), je dirais : « Interdisez-leur, qu’ils se taisent, qu’ils ne disent rien, seul moi l’évĂŞque peux parler! Â» Non! Je dois Ă©couter ce que dit l’Esprit au moyen de son peuple; et alors, oui, recevoir le peuple et analyser ensemble avec le peuple pour construire l’Église.

 

 

C’est ainsi que nous devons construire notre Église : en respectant le charisme hiĂ©rarchique de celui qui discerne, de celui qui unit, de celui qui conduit vers l’unitĂ© les divers charismes et nous, les hiĂ©rarques et les prĂŞtres, en respectant tout ce que l’Esprit dĂ©pose dans le Peuple de Dieu. Parce qu’il se produit souvent ce qu’avait souhaitĂ© MoĂŻse (Nb 11,29) : « Puisse, Dieu, tout le peuple du Seigneur ĂŞtre prophète et recevoir l’Esprit du Seigneur. Â» Je crois que c’est ce qui se passe actuellement dans notre archidiocèse : c’est le Peuple de Dieu qui reçoit l’Esprit saint. Lorsque je visite les communautĂ©s, je les respecte et j’essaie d’orienter la grande richesse spirituelle que j’ai rencontrĂ©e chez les gens les plus humbles et les plus simples. Cette construction dans l’harmonie est ce que le Seigneur nous demande.

 

Je voudrais relier ces considĂ©rations Ă  la situation de notre patrie. Chers frères, personne ne possède Ă  lui seul la clĂ© pour rĂ©soudre les problèmes de notre pays. Si une organisation politique populaire ne veut pas entrer en dialogue avec les autres forces libĂ©ratrices de la nation, elle commet le pĂ©chĂ© de mesquinerie et elle dit Ă  MoĂŻse : « Interdis-leur, les autres ont tort, c’est moi seul qui possède la vĂ©ritĂ©! Â» En une heure aussi grave de notre histoire, personne ne peut prĂ©tendre possĂ©der toute la vĂ©ritĂ©! Un effort est nĂ©cessaire, un effort auquel tous doivent participer : demandez Ă  Dieu! Et ce qu’Il nous inspire en tant qu’individu, que groupe, qu’organisation, apportons-le au bien de tous, au bien commun. C’est cela la leçon que nous devons apprendre de ceux qui, dans leur mesquinerie, critiquaient les prophètes. La fin de tous ces dons que nous offre le Seigneur est la construction du Règne.

 

 

Esprit apostolique et organisation pastorale

 

Dans ma lettre pastorale, dans la quatrième partie, je fais la distinction entre l’esprit apostolique et l’organisation pastorale. Il m’importe que cela soit bien compris. Il y a au sein de notre Église plusieurs mouvements : charismatiques, cours de chrĂ©tientĂ©, mouvements conjugaux; une sĂ©rie d’inspirations divines pour lesquelles je rends grâce Ă  Dieu. Ne ressentons pas de la jalousie pour ces dons magnifiques que Dieu nous offre. Je voudrais vous dire, comme dans ma lettre pastorale, que l’esprit apostolique est une chose qui surgit lĂ  oĂą l’Esprit dĂ©sire se manifester, et une autre chose est l’organisation pastorale. Un esprit Ă©vangĂ©lique, apostolique, sans pastorale, est semblable Ă  ces torrents qui ne sont pas canalisĂ©s; au lieu de faire le bien, souvent ils nuisent aux autres courants. C’est le pasteur qui est responsable de l’organisation de tout cet Esprit que Dieu nous donne, celui qui doit organiser la pastorale d’ensemble; oĂą personne ne doit se sentir supĂ©rieur aux autres, oĂą nous devons tous sentir que nous avons reçu une parcelle de Dieu. Cette parcelle divine, nous devons la mettre ensemble avec tous les biens qu’Il nous a donnĂ©s et qui constituent une Église particulière.

 

L’Église particulière n’est pas toute l’Église, la physionomie de notre archidiocèse nous est propre, et il en existe d’autres au Salvador, et au-delĂ  de l’AmĂ©rique centrale qui possèdent leur physionomie particulière, comme dit le Concile : « De la variĂ©tĂ© des Églises particulières, surgit la beautĂ© de la grande Église universelle, unifiĂ©e dans le magistère du Pape, dans son autoritĂ© qui donne la coordination, qui donne une pastorale Ă  toute la richesse spirituelle du don charismatique du Seigneur. Â»

 

En d’autres mots, ceci est le premier point de ma mĂ©ditation, cherchez Ă  voir quels sont vos charismes. Vos charismes de groupes; lorsque vous regardez autour de vous et que vous apercevez d’autres charismes peut-ĂŞtre plus attrayants, plus flamboyants que ceux que Dieu vous a donnĂ©s, ne sentez pas de l’envie comme les disciples de JĂ©sus ou de MoĂŻse : Interdis-leur! D’aucune manière! Écoutez plutĂ´t ce que dit JĂ©sus : « S’ils prophĂ©tisent en mon nom, ils ne peuvent ĂŞtre contre nous, laissez-les. Â» « Puisse Dieu, dit MoĂŻse, tout le peuple se sentir inondĂ© de l’Esprit saint. Â» En vĂ©ritĂ©, c’est la prophĂ©tie qui s’accomplit lors de notre baptĂŞme. Par le baptĂŞme, tous ceux qui y participent s’incorporent au grand charisme de l’Église. Vocations, charismes, manière d’être. Quelle Ă©norme diffĂ©rence! Ă€ certains, Il donne une vocation de prĂŞtre, Ă  d’autres de religieux, Ă  d’autres du mariage, Ă  d’autres de cĂ©libat, Ă  certains d’être professionnels et Ă  d’autres d’être journaliers. Le mal n’est pas d’être dans tel ou tel mĂ©tier, mais de savoir apporter au bien de la communautĂ©. Si Dieu vous a donnĂ© une vocation politique pour l’organisation du bien du peuple, profitez du don du Seigneur, il s’agit lĂ  aussi d’une vocation. C’est une vocation politique, ce ne sont pas tous qui l’ont et c’est pourquoi ce ne sont pas tous qui dĂ©sirent s’organiser. De mĂŞme, je ne peux forcer personne Ă  ĂŞtre prĂŞtre ou Ă  se marier. Respectons ce que Dieu a dit Ă  cet homme, Ă  cette femme, dans leur apport Ă  l’unitĂ© merveilleuse et multiforme du Règne du Dieu de l’Église. 30/09/79, p.299-303, VII.

 

 

2) Les biens matériels, justice de Dieu et égoïsme des hommes

 

 

A) Condamnation de l’abus de la propriété

 

Cela est encore plus grave ou autrement dit, plus visible, les biens matĂ©riels. Quelqu’un m’a dit une fois : « Au lieu de vos discours incendiaires, pourquoi ne lisez-vous pas simplement l’Évangile? Â» Et aujourd’hui je ne ferai pas d’autre homĂ©lie que de lire le texte de saint Jacques. Écoutez s’il existe quelque chose de plus incendiaire que saint Jacques lorsqu’il nous dit (5,1-6) : « Eh bien maintenant, les riches! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver. Votre richesse est pourrie, vos vĂŞtements sont rongĂ©s par les vers. Votre or et votre argent sont rouillĂ©s, et leur rouille tĂ©moignera contre vous : elle dĂ©vorera vos chairs; c’est un feu que vous avez thĂ©saurisĂ© dans les derniers jours! Voyez le salaire dont vous avez frustrĂ© les ouvriers qui ont fauchĂ© vos champs, crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur des ArmĂ©es. Vous avez vĂ©cu sur Terre dans la mollesse et le luxe, vous vous ĂŞtes repus au jour du carnage. Vous avez condamnĂ©, vous avez tuĂ© le juste : il ne vous rĂ©siste pas. Â» Ici, je n’ai qu’à ajouter aux commentaires de saint Jacques, les trois grands maux de la richesse lorsqu’on abuse d’elle. Il ne condamne pas la richesse, mais l’abus de la richesse.

 

Le premier, c’est se faire un absolu d’un bien limité. Son abondance injuste témoigne contre son propriétaire.

 

Le second, c’est de pervertir le but de la richesse. Lorsqu’il parle de l’or qui rouille et d’une abondance de vêtements qui sont rongés par les vers, au lieu de les donner aux pauvres, il dit que cette abondance est le témoignage qu’il ne faut pas rendre absolu ce que l’on a, mais le partager avec les travailleurs qui vous aident dans vos récoltes.

 

Et le troisième point concerne ce que j’affirme dans ma lettre pastorale, Ă  savoir qu’il faut dĂ©truire la propriĂ©tĂ© injuste. L’idolâtrie de la richesse non seulement offense Dieu, mais elle dĂ©truit celui-lĂ  mĂŞme qui la possède. C’est ce que dit saint Jacques dans l’épĂ®tre d’aujourd’hui : « Vous avez vĂ©cu sur Terre dans la mollesse et le luxe, vous vous ĂŞtes repus au jour du carnage. Â»

 

Dimanche dernier, je ne me souvenais pas de cette phrase que j’ai citĂ©e en italien. Lorsque nous sommes sortis de la cathĂ©drale, la tĂ©lĂ©vision italienne qui Ă©tait prĂ©sente parmi nous me dit : « Cette phrase est du Cardinal Montini, lorsqu’il Ă©tait Ă©vĂŞque de Milan. Â» Le Pape Paul VI, cardinal d’alors, fit appel Ă  tous les entrepreneurs de Milan et leur dit cette phrase cĂ©lèbre : « Spogliatevi, se non, vi spoglieranno Â», c’est-Ă -dire « DĂ©pouillez-vous, sinon on vous dĂ©pouillera. Â» Je crois qu’avant qu’on nous enlève par le sang et la violence ce que nous avons, nous devrions le donner par amour.

 

 

B) Discours de Jean-Paul II Ă  Puebla

 

Puisque nous rendons également hommage à Jean-Paul II, je voudrais que nous fassions la promesse, à tous ceux qui sont ici et à ceux qui nous écoutent par la radio, d’accepter tout ce que dira le Pape aux Nations Unies, mais que nos journaux n’exposent pas uniquement un côté de l’information. Dès maintenant, je veux vous dire que je désire être fidèle au Pape jusqu’à la mort et ce que dira le Pape devant les Nations Unies sera pour moi aussi une orientation. J’essayerai de répéter et de faire coïncider ma pensée avec celle du Pape qui parle au nom de Dieu.

 

Regardez comment Ă  Puebla, le Pape, lorsqu’il dit aux Ă©vĂŞques : « Vous ĂŞtes les dĂ©fenseurs et les promoteurs de la dignitĂ© humaine. Â» Il rappelle comment l’histoire de l’Église contient les figures d’évĂŞques profondĂ©ment imprĂ©gnĂ©s dans la dĂ©fense courageuse de la dignitĂ© humaine, de ceux dont le Seigneur leur a confiĂ© la garde. Il dit : « NaĂ®t la constante prĂ©occupation de l’Église pour la dĂ©licate question de la propriĂ©tĂ©. Â» Une preuve de cela, ce sont les Ă©crits des Pères de l’Église au cours du premier millĂ©naire du christianisme. Qui fait la lecture des Pères des premiers siècles peut franchement les traiter de communistes, alors qu’ils ne sont que les interprètes de la doctrine traditionnelle de l’Église.

 

Ici, citant saint Ambroise et d’autres papes, il dit : « C’est ce que dĂ©montre clairement la vigoureuse doctrine de Saint Thomas, rĂ©pĂ©tĂ©e tant de fois : le grand thĂ©ologien du Moyen âge affirme que la propriĂ©tĂ© privĂ©e n’est pas un droit absolu, mais relatif. Ă€ notre Ă©poque, comme le dit le Pape, l’Église a fait appel aux mĂŞmes principes dans ces documents de si grande portĂ©e que sont les encycliques sociales des derniers papes. Â» Avec une force et une profondeur particulière, le Pape Paul VI dĂ©veloppa ce thème dans son encyclique Populorum Progressio.

 

« Cette voix de l’Église, Ă©cho de la voix de la conscience humaine qui ne cessa jamais de rĂ©flĂ©chir Ă  travers les siècles, au milieu des systèmes et des conditions socioculturelles les plus variĂ©es, mĂ©rite et nĂ©cessite d’être entendue aussi Ă  notre Ă©poque, alors que la richesse croissante de quelques-uns progresse parallèlement Ă  la misère grandissante de la majoritĂ©. Ainsi, poursuit le Pape, lorsque l’enseignement de l’Église acquiert un caractère urgent, toute propriĂ©tĂ© est grevĂ©e d’une hypothèque sociale. Â»

 

L’autre jour, quelqu’un m’a dit qu’il n’avait pas compris exactement le sens de cette expression. Le Pape veut dire par cela que, lorsque quelqu’un possède une maison hypothéquée, elle ne lui appartient pas entièrement et s’il ne paie pas sa dette, on va la lui enlever. Le Pape dit la même chose de la propriété privée; même si, au sens de la loi elle t’appartient, cela ne constitue pas un droit absolu, elle est hypothéquée au bien social, et le bien commun est la règle de la propriété privée. C’est pourquoi nous disons qu’une restructuration de notre système économique et social est nécessaire, parce que cet absolu, cette idolâtrie de la propriété privée ne doit pas être; c’est franchement du paganisme. Le christianisme ne peut admettre une propriété privée absolue.

 

« En considĂ©ration de cela, dit Jean-Paul II, l’Église a une mission Ă  accomplir : elle doit prĂŞcher, Ă©duquer les personnes et les collectivitĂ©s, former l’opinion publique, orienter les responsables des peuples. Ainsi, elle travaillera en faveur de la sociĂ©tĂ©, Ă  l’intĂ©rieur de laquelle ce principe chrĂ©tien et Ă©vangĂ©lique finira par porter les fruits d’une distribution plus juste et Ă©quitable des biens, non seulement Ă  l’intĂ©rieur de chaque nation, mais Ă©galement dans le monde international en gĂ©nĂ©ral, Ă©vitant que les pays plus puissants utilisent leur pouvoir au dĂ©triment des plus faibles. Â» C’est l’épĂ®tre de saint Jacques mise Ă  jour pour l’AmĂ©rique latine par le Pape Jean-Paul II.

Par consĂ©quent, lorsqu’on nous accuse de prĂŞcher des choses incendiaires, nous disons : « Nous ne faisons rien de plus que de rappeler un principe qui a Ă©tĂ© oubliĂ© et qui doit ĂŞtre Ă  la base de la transformation de notre sociĂ©tĂ©. Â» Si nous voulons que cesse la violence et que cesse tout ce malaise, il faut aller Ă  la racine. Et la racine est ici : l’injustice sociale.

 

Il est nĂ©cessaire d’éduquer, comme dit le Pape, et ici, Ă  partir de la Parole de Dieu, je fais un appel Ă  tous mes frères salvadoriens, surtout Ă  ceux qui ont perverti dans leur cĹ“ur et dans leur esprit la vĂ©ritable doctrine chrĂ©tienne de la propriĂ©tĂ© : qu’ils rĂ©visent et ils verront qu’ils sont plus heureux lorsque, par amour, ils se dĂ©pouillent pour leurs frères et qu’ils partagent avec tous, parce que savourer seuls les biens matĂ©riels ne rend pas heureux. 30/09/79, p.308-310, VII.

 

 

3) La transcendance, clé pour comprendre la volonté de Dieu et force pour la réalise

 

 

A) Le but

 

J’ai répété plusieurs fois cette parole de la transcendance et je crois que chaque jour elle devient plus nécessaire parce que c’est seulement ici que nous pouvons trouver l’explication rationnelle de ce que nous disons. La transcendance, comme je l’ai souvent répété, est la perspective non seulement de la vie éternelle, mais également des horizons du Créateur, du Seigneur, et c’est ce que nous invitent à regarder les lectures d’aujourd’hui.

 

 

Au-dessus des biens, le Bien suprĂŞme

 

Il nous indique un but. Il parle des biens et du Bien suprême. Lorsqu’il parle des deux pieds, des deux mains, des deux yeux, ce sont les biens, mais lorsqu’Il dit (Mc 9,42-47) que s’il est nécessaire de se couper un pied ou une main pour le bien suprême du Règne, il faut préférer entrer borgne, manchot ou estropié au Règne des cieux que de s’enfoncer avec les deux yeux, les deux mains et les deux pieds dans la géhenne. Les biens doivent être subordonnés au Bien et l’homme ne doit pas perdre de vue l’Unique Absolu, le Transcendant, Dieu, le Bien Suprême. Il faut avoir comme but d’entrer dans la vie éternelle, d’entrer dans le Règne et comme motivation pour marcher vers ce but; le Christ nous a donné son Nom.

 

Reconnaître chez le plus petit quelqu’un qui représente le Christ.

Nous revenons ici à l’option préférentielle pour les pauvres. Ce n’est pas de la démagogie, c’est le pur Évangile; nous devons nous préoccuper des intérêts du pauvre, du plus vulnérable, pour la seule et simple raison qu’il représente le Christ. Par la foi qui nous ouvre à l’humble, au marginal, au pauvre, à l’infirme, y reconnaître Jésus, c’est cela la transcendance. Lorsque je n’y vois rien d’autre qu’un rival, qu’un imprudent, que quelqu’un qui vient troubler mes réjouissances, naturellement, le pauvre dérange. Mais lorsqu’on l’embrasse comme le Christ embrassa le lépreux, et lorsque le bon Samaritain relève le blessé au bord du chemin, c’est au Christ qu’on le fait. C’est cela la transcendance sans laquelle il est impossible d’avoir une perspective de justice sociale, sans le Christ présent chez les plus petits.

 

 

RĂ©flexion sur le transitoire

 

La seconde lecture (Jc 5,1-6) nous parle aussi du caractère transitoire de la vie. « Maintenant, vous accumulez des richesses, alors qu’arrive le jugement final. Â» Selon la croyance des apĂ´tres, le jugement Ă©tait Ă  nos portes et il semblait ridicule que les humains, devant le caractère transitoire de l’Histoire et du temps, accumulent des biens matĂ©riels qui vont demeurer ici après leur mort. Ah! Si nous pensions davantage au caractère transitoire des choses de la Terre, nous ne serions pas tant aliĂ©nĂ©s et nous saurions donner leur juste valeur relative aux biens de la Terre pour acheter avec eux, comme dit l’Évangile, les amitiĂ©s du Ciel et ne pas nous enfoncer avec eux dans les oubliettes de l’abĂ®me. C’est pourquoi le Christ nous signale aujourd’hui ce qui gĂŞne. L’embarras de ceux qui ne veulent pas entendre; c’est cela, lorsqu’on s’éloigne des critères chrĂ©tiens, lorsqu’on se scandalise de voir des pauvres.

 

Mes chers frères, je voudrais faire allusion ici Ă  ces idĂ©ologies politiques qui ont empoisonnĂ© l’esprit de tant de chrĂ©tiens. Je voudrais dire Ă  tous ceux qui sentent la vocation politique qui les incorpore Ă  cette transcendance du Christ qu’ils ne tentent pas de tuer l’esprit surnaturel et transcendant de ces jeunes, de ces hommes qui sentent vĂ©ritablement la nĂ©cessitĂ© de lutter. Parce que, comme le disait Jean-Paul I dans sa cĂ©lèbre lettre Ă  Chesterton : « Le Dieu que nous confessons n’est pas un Dieu aliĂ©nant; au contraire, Il veut donner Ă©galement, Ă  ceux qui travaillent pour la libĂ©ration de la Terre, la rĂ©compense Ă©ternelle, si nous savons incorporer cet effort Ă  la transcendance. Â»

 

 

Les signes actuels : « On vous prendra par le sang ce que vous ne donnerez pas par amour. Â»

 

Lorsque la tentation redouble au-dedans de nous, c’est alors qu’il nous faut accomplir cette parole paradoxale, orientale de l’Évangile (Mc 9,43-47) : « si ton pied te scandalise, coupe-le; si ta main est pour toi une occasion de pĂ©chĂ©, coupe-la; si ton Ĺ“il est pour toi une occasion de pĂ©chĂ©, arrache-le, Â» c’est-Ă -dire si tu dĂ©sires tant les biens de la Terre qui sont pour toi une occasion de chute, n’hĂ©site pas Ă  t’en dĂ©faire pour ne pas t’aliĂ©ner le Bien SuprĂŞme. Si tu dĂ©sires sauver tes yeux, tes mains, tes biens et que tu ne veux pas partager ni les soumettre Ă  la justice selon la volontĂ© de Dieu, tu perdras tout. Donnons par amour pour ne pas avoir Ă  les donner plus tard par la force et devoir entrer sans les biens matĂ©riels et sans le Bien SuprĂŞme dans l’éternitĂ©.

 

Les signes actuels nous pressent de construire une société selon la volonté de Dieu. Puisse Dieu que nous ne soyons pas mesquins de nos dons spirituels, désirons au contraire, qu’ils viennent à tout le peuple de Dieu! 30/09/79, p.313-315, VII.