Jésus est le véritable Messie

 

Vingt-quatrième dimanche du temps ordinaire; 16 septembre 1979; Lectures : IsaĂŻe 50,5-10; Jacques 2,14-18; Marc 8,27-35.

 

 

L’Évangile d’aujourd’hui (Mc 8,27-35), point culminant de Marc

 

Les huit premiers chapitres Ă©claircissent le mystère du Messie et la seconde partie, du huitième Ă  la suite, saint Marc veut Ă©claircir le mystère du Fils de l’Homme. Ce sont lĂ  deux qualificatifs du Christ qu’Il se chargea lui-mĂŞme de relier. Ce lien est prĂ©cisĂ©ment celui que nous avons aujourd’hui, quand culmine la première partie de la confession de Pierre : « Tu es le Messie Â»; et la seconde partie s’initie lorsque le Christ commence Ă  expliquer quelle sorte de Messie Il est : un Messie souffrant. Et Il enseigne Ă  saint Pierre et aux apĂ´tres comment est son messianisme.

 

 

Confessons comme saint Pierre : « Tu es le Messie! Â»

 

Aujourd’hui nous rencontrons ce sommet de l’Évangile de saint Marc. Il est intĂ©ressant, si nous venons chaque dimanche Ă  la messe pour apprendre le mystère du Christ, qu’aujourd’hui nous sortions d’ici avec la mĂŞme conviction que Pierre : « Tu es le Messie! Â», mais en corrigeant par la mĂŞme occasion, nos faux concepts que nous avons en nous faisant Ă  nous-mĂŞmes cette question que nous pose JĂ©sus : « Quelle sorte de Messie suis-je? Â»

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Le Messie véritable

2) Faux messianismes

3) Les disciples du vrai Messie

 

 

1) Le Messie véritable

 

 

A) Un épisode sans lequel le christianisme n’existerait pas aujourd’hui.

 

 

« Qui suis-je au dire gens? Â» (Mc 8,27)

 

« Les hommes Â», chez saint Marc, est une expression qui fait allusion Ă  trois cercles distincts.

 

C’est en premier lieu son cercle intime : ses apĂ´tres, les disciples.

Au-delĂ  de ce cercle existe celui des gens qui ne s’intĂ©ressent pas au Christ. Les indiffĂ©rents de toujours, dans toutes les religions. Et c’est Ă  ceux-lĂ  que semble se rĂ©fĂ©rer le Seigneur : « Que disent “les hommes”, ceux qui ne sont pas avec nous? Â»

 

Plus loin encore de ce cercle se trouve un troisième cercle, celui des ennemis. Comme le Christ dira Ă  Pierre (Mc 8,33) : « Passe derrière moi, Satan! car tes pensĂ©es ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes! Â» Ceux Ă  qui Il fait allusion ici sont ceux qui vont l’outrager, ceux qui vont le tuer.

 

À ce second cercle, immense cercle de gens indifférents qui, ni n’aiment, ni ne haïssent le Christ, mais qui vivent dans l’inquiétude – tous avaient connaissance de l’événement du Jésus historique et jusqu’aux plus indifférents pensaient à Lui, avaient conscience de son existence.

 

 

« Les uns… les autres Â»

 

C’est dans ce contexte qu’on entend ces rĂ©ponses que les disciples ont recueillies des commentaires qu’ils ont entendu ici et lĂ  (cf. Mc 6, 14-16) : « Certains disent que tu es Jean-Baptiste qui est ressuscitĂ©. Â» HĂ©rode lui-mĂŞme fut surpris lorsqu’il apprit que le Christ enseignait et prĂŞchait. Il dit : « C’est Jean que j’ai fait dĂ©capiter qui est ressuscitĂ©. Â» D’autres disent : « C’est Élie! Â» Parce que selon les anciens, Élie qui avait Ă©tĂ© enlevĂ© dans les nuĂ©es devait revenir pour prĂ©parer la venue du Messie. « D’autres disent que tu es l’un des prophètes. Â» Quand le Christ faisait des miracles, ils disaient : « C’est le grand prophète que nous attendions Â», parce que MoĂŻse avait dit que Dieu allait leur donner un autre prophète semblable Ă  lui. C’étaient les opinions qui courraient sur JĂ©sus.

 

« Mais pour vous! Â» ResponsabilitĂ© de la vocation chrĂ©tienne

JĂ©sus se rĂ©fère alors Ă  son cercle intime (Mc 8,29) : « Mais pour vous, leur demanda-t-il, qui suis-je? Â» Alors surgit la rĂ©ponse qui est le thème de notre homĂ©lie. Pierre dit au Christ : « Tu es le Christ, le Messie! Â» Une simple parole qui veut dire beaucoup. « Tu es le Messie! Â» c’est comme le fruit de tous les enseignements des huit premiers chapitres de Marc : tous les miracles, toutes les prĂ©dications, tout ce qu’ils ont vu en JĂ©sus leur fait suspecter cela, sinon ils n’auraient pas tout abandonnĂ© pour Le suivre : « Il existe quelque chose de grand en l’être humain! Â» Ils voient ses rĂ©vĂ©lations, son amour, son affection, sa tendresse, sa puissance. Il existe une grâce de Dieu dans le cĹ“ur de Pierre comme le dit l’Évangile de saint Matthieu (Mt 16,17) : « Cette rĂ©vĂ©lation t’est venue non pas de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Â» Personne ne connaĂ®t le vrai sens du Christ si mon Père ne le rĂ©vèle.

 

 

B) Qu’est-ce que le Messie?

 

« Tu es le Messie! Â» Cela signifie : « Tu es l’attendu! Â» Qu’est-ce que les juifs entendaient par ce mot : « Messie Â»? Qu’est-ce que le Messie?

 

 

Oint… le Christ

 

Le Messie est un terme d’origine araméenne qui, traduit en grec, est le Christ et qui, traduit en français, signifie l’Oint. Le Christ est le Messie, c’est la même chose que de dire l’Oint.

 

Les oints dans l’Ancien Testament étaient les rois, les prêtres, les patriarches, les hommes que Dieu avait choisis pour une mission spéciale, spécialement le roi qui était une présence de Dieu dans la communauté. Et malheur à celui qui touchait à l’oint du Seigneur. Assez tôt, les prêtres furent oints également, ils espéraient du Christ ces dignités de prophète, de prêtre, de roi.

Un libĂ©rateur du pouvoir Ă©tranger… Toute l’espĂ©rance d’IsraĂ«l… « Celui qui doit venir. Â»

 

Un homme extraordinaire, quelqu’un qui allait révéler la présence de Dieu parmi les hommes, qui apporterait la libération au peuple. L’humble peuple où le Christ est né vivait toujours sous la menace d’une invasion étrangère, ce qui fait que chaque jour ce besoin de libération devenait plus pressant.

 

Ă€ l’époque oĂą le Christ vĂ©cut, la Palestine Ă©tait une province romaine. Ponce Pilate Ă©tait le reprĂ©sentant de l’empire qui subjuguait le pauvre peuple de Palestine. C’est de lĂ  que provenait ce dĂ©sir ardent d’un libĂ©rateur : « Celui qui doit venir! Â» Souvenez-vous comment la Samaritaine rĂ©pond au Christ : « Nous savons que quelqu’un doit venir! Â» C’était l’attente du peuple. Quelqu’un doit venir pour nous apporter les biens que nous ont annoncĂ©s les prophètes : la paix, la libertĂ©, l’unitĂ©, l’allĂ©gresse, le bien-ĂŞtre, le bonheur. Un peuple qui manque de ces biens aspire Ă  la venue d’un Messie.

 

Ce qui fait que, lorsque Pierre dit « Tu es le Messie! Â», il donne une parole au peuple qui est toute une espĂ©rance. C’est pourquoi, le Christ a reçu dans sa chair l’impression de cette attente, on avait voulu le faire roi alors qu’Il multipliait les pains. « C’est le grand Messie, faisons-le roi! Â» Il se cacha. Une autre fois aussi, le dĂ©mon qui suspectait qu’Il Ă©tait le Christ, le Messie, voulut le soumettre Ă  l’épreuve, le subjuguer par ses tentations. Le Christ a vaincu les tentations d’un vain messianisme. Il fuit les acclamations d’un messianisme populaire, mal compris.

 

 

C) Précisions importantes

 

C’est pourquoi dĂ©butent Ă  la fin du chapitre 8 les Ă©claircissements du Christ (Mc 8,30) : « Alors, il leur enjoignit de ne parler de lui Ă  personne. Â» Parce qu’ils ne le comprirent pas encore. « Vous allez un jour annoncer que Je suis le Messie, mais pour l’instant continuer d’apprendre. Â» C’est ce que disait IsaĂŻe dans la première lecture (50,5) : « Le Seigneur m’a ouvert l’oreille. Â»

 

Premièrement, Il voulait des disciples. Avant de proclamer le Messie, il faut apprendre à la connaître. C’est pour cela que celui qui prêche doit premièrement former son âme, se faire disciple qui écoute, qui médite, qui réfléchit, qui prie.

 

La prĂ©caution d’un malentendu et le temps pour prĂ©ciser ces concepts sont ce qui oblige le Christ Ă  dire : « Attendez, ne dites Ă  personne ce que vous venez d’entendre. Parce que je veux entreprendre une tâche avec vous. Â» C’est que la vĂ©ritable tâche du Messie n’est pas aussi facile que la population veut l’entendre.

Un Messie souffrant avec le caractère souffrant du « Serviteur de YahvĂ© Â»

 

Le Messie que Dieu a crĂ©Ă© et a envoyĂ© au monde est un Messie qui fut dĂ©jĂ  annoncĂ© au temps d’IsaĂŻe : « le Serviteur de YahvĂ©. Â» Il est bien que, de nos jours, la liturgie moderne Ă©tablisse toujours le parallèle avec l’Ancien Testament. Sept siècles avant que Pierre fasse cette confession, IsaĂŻe avait soulignĂ© en un personnage mystĂ©rieux qui se nomme le « Serviteur de YahvĂ© Â», une caractĂ©ristique qui semble inconcevable pour un Messie. Il semble qu’on ne puisse relier cette prophĂ©tie de quelqu’un qui offre sa joue pour qu’on lui arrache la barbe, de quelqu’un qui offre son dos pour ĂŞtre frappĂ©, quelqu’un qui va ĂŞtre couronnĂ© d’épines, insultĂ©, Ă  qui on va cracher au visage. Comment est-ce possible si on annonçait un grand roi-Messie? IsaĂŻe parle des caractĂ©ristiques d’une victime.

 

 

Messie, Fils de l’homme : annonce de la passion

 

C’est lĂ  le travail du Christ dans l’Évangile de saint Marc, du chapitre 8 jusqu’à la fin. Pour le moins, apparaissent trois fois les annonces qui sont apparues dans l’Évangile d’aujourd’hui (Mc 10,33-34) : « Voici que nous montons Ă  JĂ©rusalem, et le Fils de l’Homme sera livrĂ© aux grands prĂŞtres et aux scribes; ils le condamneront Ă  mort et le livreront aux paĂŻens, ils le bafoueront, cracheront sur lui, le flagelleront et le tueront, et après trois jours il ressuscitera. Â» Il est le symbole de la destinĂ©e de l’ÉvangĂ©lisation. Il dit : « Il souffrira beaucoup, Â» non seulement lorsqu’il vĂ©cut les jours du jeudi et du Vendredi saint. Il souffrit beaucoup parce que tout son service est d’humilitĂ©, d’humiliation, ne sera pas compris.

 

Il sera rejeté par les dirigeants d’Israël, tant dans le domaine civil que religieux, les grands prêtres et les gouvernants civils le rejetèrent. Il est le symbole de la persécution de l’Église qui a toujours existé et qui continuera d’exister.

 

 

Le rejet de Dieu

 

Mais dĂ©jĂ  ce rejet annonce le triste destin de celui qui rejette Dieu. Saint Jean nous dit (cf. 12,23-24) : « Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyĂ©. En vĂ©ritĂ©, en vĂ©ritĂ© je vous le dis, celui qui Ă©coute ma parole et croit en celui qui m’a envoyĂ© la vie Ă©ternelle et ne vient pas en jugement. Â» Puisse Dieu que nous n’appartenions jamais Ă  ce troisième cercle des hommes qui existent toujours dans l’histoire, qui rejettent le Christ, qui diffament l’Église, qui persĂ©cutent, qui transforme son message, qui ne veulent pas la comprendre. Ils agissent mal non seulement parce qu’ils rejettent Dieu, sinon que c’est Ă  eux-mĂŞmes qu’ils se font du mal.

 

 

ĂŠtre exĂ©cutĂ© et ressuscitĂ© : le KĂ©rygme

 

(Mc 9,31) : « Le Fils de l’homme est livrĂ© aux mains des hommes et ils le tueront, et quand il aura Ă©tĂ© tuĂ©, après trois jours il ressuscitera. Â» Il s’agit lĂ  d’une synthèse prĂ©cieuse de ce que nous appelons aujourd’hui le KĂ©rygme, l’annonce que le Christ a sauvĂ© le monde par sa mort et sa rĂ©surrection. Le Christ nous donne l’exemple de ce qu’est l’essentiel de la prĂ©dication : faire connaĂ®tre au peuple que le Messie, qui sauve le monde par la puissance de Dieu, doit supporter premièrement les humiliations, la croix, l’assassinat, la torture, la violence envers lui-mĂŞme. Mais c’est de lĂ  qu’il ressuscitera.

 

Le Plan de Dieu est la rĂ©paration du pĂ©chĂ©. « Sans effusion de sang, il n’y a pas de RĂ©demption Â», nous dit saint Paul. Il est nĂ©cessaire que le Messie qui sauve le monde souffre, et la souffrance sera une caractĂ©ristique de l’Église et des vĂ©ritables disciples du Christ. 16/09/79, p.255-259, VII.

 

 

2) Faux messianismes

 

Qu’il soit bien clair que le véritable Messie est un Messie puissant parce qu’Il est Dieu, mais souffrant et humble, parce qu’Il est le Serviteur de Yahvé, le Fils de l’Homme. Ne nous scandalisons pas, sachons comprendre pour ne pas faire de nous de faux disciples d’un faux messie.

 

Quelles sont les caractĂ©ristiques du faux messianisme? Nous en retrouvons trois dans les lectures d’aujourd’hui. Premièrement : dans l’incident de Pierre : un messianisme sans croix, sans souffrance. Deuxièmement : dans la rĂ©primande du Christ Ă  Pierre « Tu penses comme les hommes et non comme Dieu. Â» Un messianisme politique d’intĂ©rĂŞts humains, sans penser Ă  Dieu. Troisièmement : la seconde lecture (Jc 2,14-18) un messianisme de vaine spiritualitĂ©, une religion sans les Ĺ“uvres. Je crois qu’il est bien opportun que nous mĂ©ditions cette parole de Dieu afin de voir quel est le messianisme que nous voulons.

 

A) L’incident de Pierre

 

 

Un messianisme triomphaliste, sans croix. Une religion sans engagement.

 

Si ce matin, nous pouvons dire comme Pierre au Christ : « Seigneur, Tu es le Messie! Â» Que le Seigneur ne vienne pas nous reprendre en disant : « Vous n’avez pas compris, vivez comme des disciples du vĂ©ritable Messie. Â» Vous ĂŞtes de faux disciples si comme Pierre vous appelez le Christ Ă  part pour le rĂ©primander parce qu’Il vous scandalise. « Cela ne peut pas ĂŞtre, Seigneur! Comment pourrais-tu souffrir tout cela? Â» Sans doute qu’il s’agissait lĂ  de la bonne volontĂ© de Pierre que suivait le Christ dès le dĂ©but en vivant de nombreux sacrifices matĂ©riels; nĂ©anmoins, malgrĂ© le fait que ses lèvres venaient de prononcer la proclamation du messianisme que tant de gens espĂ©raient, il n’avait pas compris. Quelle dĂ©sillusion, il ne m’a pas compris! et Il dut lui dire ses dures paroles (Mc 8,33) : « Passe derrière moi, Satan! Â» Cela est pour le Christ tous ceux qui veulent prĂŞcher sans croix, sans sacrifice.

 

Satan fut celui qui tenta le Christ au dĂ©sert : « Si tu es le Messie, convertis ces pierres en pains. Â» Comme il te serait facile qu’ils te croient et tu n’aurais pas Ă  endurer ainsi la faim! « Si tu es le Messie, tire-toi en bas du pinacle du Temple et les anges vont te recevoir. Si tu veux dominer le monde, prosterne-toi et adore-moi. Â» Le Christ rejette ces tentations du malin. Tous ceux qui voudront rejeter la croix du vĂ©ritable Messie sont de faux disciples, ils n’ont pas compris le sens du vĂ©ritable messianisme. C’est un messianisme triomphaliste, c’est dire : « Je suis chrĂ©tien, mais je ne veux pas me mĂŞler de ces histoires. Â» C’est celui qui faisait partie des communautĂ©s ou qui Ă©tait catĂ©chiste, mais lorsqu’il a vu arriver l’heure de la persĂ©cution, il a couru se cacher. « Nous serions mieux d’attendre des temps plus propices. Â» C’est ceux qui disent : « Prudence! Ne vous impliquez pas autant, faites attention! Â» Combien abondent ces Pierre, ces Satan, Ă  notre Ă©poque? Mais, grâce Ă  Dieu, il existe aussi ceux qui comme l’autre disciple disent : « Suivons-le et si cela est nĂ©cessaire, nous mourons avec Lui. Â» Ceux-lĂ  sont ceux qui ont compris qu’un Messie ne peut terminer sa vie sur un lit de roses, sinon qu’il doit parcourir le chemin du calvaire avec sa croix sur le dos, couronnĂ© d’épines, offrant son dos pour ĂŞtre flagellĂ© et mourir sur une croix, pauvre, dĂ©prĂ©ciĂ©, mĂ©connu.

 

Le messianisme sans croix est très Ă  la mode parmi nous. Messianisme sans engagement, messianisme facile que cherchent Ă  faire reculer mĂŞme ceux qui sont engagĂ©s. Laissez-les! Si vous ĂŞtes lâches, laissez les vaillants continuer en avant. Et que ceux-ci, qui ont compris le sens vĂ©ritable du messianisme, nous convertissent nous les lâches et nous donnent la vraie clĂ© que le Christ va nous donner Ă  la fin quand Il rĂ©tribuera ses disciples. Mais regardons-le, Lui, Il ne nous conseille pas de demeurer rĂ©fugiĂ© dans les tranchĂ©es sinon qu’Il nous dit plutĂ´t : « Suis-moi, prend ta croix! Â» 16/09/79, p.259-260, VII.

 

 

B) Messianisme politique

 

 

« Tu penses comme les hommes! Â» IntĂ©rĂŞts humains

 

Un autre faux messianisme qui est aujourd’hui Ă©galement très Ă  la mode est lorsque le Christ dit Ă  Pierre : « Tu penses comme les hommes et non comme Dieu. Â» Peut-ĂŞtre existe-t-il une bonne volontĂ© dans les libĂ©rations revendicatrices du peuple, les organisations politiques populaires, tous ceux qui se prĂ©occupent de justice sociale, tous ceux qui trouvent les injustices Ă©videntes, les outrages de toutes parts et peut-ĂŞtre la lutte, parce que cela ne peut ĂŞtre ainsi. Aujourd’hui, personne ne peut demeurer insensible Ă  ce qui se passe. Nous devons tous poser un geste, mais que ce ne soit pas un geste comme celui que le Christ reproche Ă  Pierre : se prĂ©occuper uniquement des intĂ©rĂŞts humains sans penser aux projets de Dieu. C’est pour cela que de nombreuses initiatives et stratĂ©gies politiques actuelles Ă©chouent, parce qu’ils ne pensent qu’aux hommes, sans transcendance, sans regarder le projet de Dieu comme le Christ le regardait : « Oui, Je suis le libĂ©rateur. Je suis le Messie que Dieu a envoyĂ©, mais avant tout je veux respecter la volontĂ© de mon Père. Â» (Mc 14,36) : « Père! Tout t’est possible : Ă©loigne de moi cette coupe; pourtant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux! Â» C’est cela la vĂ©ritable libĂ©ration : celle qui provient de la volontĂ© de Dieu et qui demeure les yeux fixĂ©s en Dieu pour ne pas se laisser prendre par un faux messianisme, par une fausse libĂ©ration.

 

 

Diverses attentes

 

Combien d’opinions politiques y avaient-ils au temps du Christ? Souvenez-vous lorsqu’ils voulurent le faire roi! C’était une vision du Christ. Rappelez-vous quand, au moment de monter au Ciel Ă  l’Ascension, ses disciples lui dirent encore : « Est-ce maintenant que tu vas restaurer le pouvoir du royaume d’IsraĂ«l? Â» Il y a la vision de cette femme qui est la mère des deux apĂ´tres, Jacques et Jean qui lui dit : « Quand tu Ă©tabliras ton règne, je te demande que tu Ă©tablisses mes deux fils, l’un Ă  ta droite, l’autre Ă  ta gauche. Â» C’est-Ă -dire qu’Il les fait ministres de son règne. Visions politiques!

Les visions politiques c’est tout ce qui fait passer le Christ comme un libĂ©rateur de la Terre. C’est ainsi qu’elles apparurent au temps du Christ. Comme les temps actuels au Salvador de 1979 sont semblables au temps de JĂ©sus. Il y avait alors plusieurs courants politiques, il y avait des groupes politiques populaires, il y avait Ă©galement des groupes armĂ©s de libĂ©ration, les zĂ©lotes, dont un apĂ´tre qui vint de cette organisation pour se joindre Ă  l’équipe du Christ. Ces temps Ă©taient bien semblables aux nĂ´tres. En ce temps si politisĂ© d’un peuple opprimĂ© par l’Empire Romain, oĂą existaient des visions d’hommes, rien de plus, oĂą le Christ dut annoncer le Règne de Dieu. Prenons cela en compte, que le Christ, pour avoir incarnĂ© une parole de Dieu chez un peuple politisĂ©, fut traitĂ© de politique, de subversif, on dit qu’Il troublait l’ordre de la GalilĂ©e jusqu’à JĂ©rusalem. Cela fut la sentence qui en dĂ©finitive prĂ©occupa les politiciens et le roi. Pour arracher sa sentence Ă  Ponce Pilate, ils donnèrent une raison politique : « Si tu le libères, tu n’es pas un ami de CĂ©sar et tous ceux qui ne sont pas les amis de CĂ©sar, nous allons les dĂ©noncer. Â» Comme est terrible la tentation politique! Comme est effrayante l’heure oĂą l’on perd de vue la perspective de Dieu! Et le Christ, mĂŞme s’Il perd sa popularitĂ© devant ces organisations qui sans doute cherchaient Ă  le manipuler pour l’attirer vers leur parti, prĂ©fĂ©ra demeurer seul. Mais n’est pas seul celui qui est avec Dieu. Le dessein de l’histoire, c’est Dieu qui l’apporte et c’est celui-lĂ  qui sera victorieux Ă  long terme, non pas les « immĂ©diatismes Â» politiques, ni les revendications de portĂ©e immĂ©diate.

 

Aujourd’hui, on fait de nombreux appels à la justice et l’Église appuie ces revendications comme le Christ les appuya. Le droit d’organisation, nul n’a le droit de le violer. La répression qui veut déstructurer les groupes organisés agit très mal, parce que l’organisation est un droit humain que personne ne peut violer. Les revendications que ces organisations demandent, quand elles sont justes, doivent être entendues. On ne devrait pas réprimer une manifestation qui va réclamer des choses justes, mais plutôt l’écouter pour savoir répondre au bien commun que porte la clameur d’un grand secteur du peuple. C’est pour cela que le Christ appuie le juste, qu’Il le défend. Tout ce qui est un droit humain, que Dieu nous a donné, doit être défendu, mais le Christ ne se laisse pas manipuler, Il n’est pas partial.

 

Je voudrais faire ici appel aux chrĂ©tiens : il ne vous est pas interdit de vous organiser. C’est un droit et en certaines circonstances, comme aujourd’hui, il s’agit aussi d’un devoir. Parce que les revendications sociales, politiques, doivent ĂŞtre non pas celles des hommes isolĂ©s, sinon la force d’un peuple qui clame uni pour ses droits lĂ©gitimes. Le pĂ©chĂ© ce n’est pas de s’organiser, le pĂ©chĂ© c’est, pour un chrĂ©tien, perdre la perspective de Dieu. Si les chrĂ©tiens s’organisent, qu’ils ne vendent pas leur foi en Dieu au profit des intĂ©rĂŞts politiques de l’organisation! Maintenez votre foi limpide dans le Seigneur.

 

Ă€ partir de cette foi, Ă©clairez dans le dialogue avec l’organisation les stratĂ©gies pour qu’on ne piĂ©tine pas les sentiments religieux et la noblesse du peuple. Sachez ĂŞtre de vĂ©ritables voix du peuple Ă©vangĂ©lisant pour le Christ lorsque vous parlez au sein de vos organisations. C’est ce que nous attendons des chrĂ©tiens qui, prĂ©cisĂ©ment, peut-ĂŞtre, par leur rĂ©flexion de la Parole de Dieu, rencontrèrent la vocation politique, comme j’ai dĂ©couvert ma vocation sacerdotale. L’homme politique est une vocation et si Dieu vous a donnĂ© cette vocation, vous devez y donner suite parce que Dieu vous demandera des comptes pour ce don qu’Il vous a fait. Mais agissez selon Dieu, comme le Christ l’a dit Ă  Pierre : « Ne pense pas seulement en homme, pense comme Dieu, toi, chrĂ©tien. Â» Je me dirige ici Ă  tous, mĂŞme Ă  ceux qui ne sont pas organisĂ©s.

 

Le Concile dit que le laïc vit dans le monde avec d’autres qui ne sont ni chrétiens, n’ont ni foi, ni espérance, mais le chrétien doit témoigner de l’espérance qu’il porte à l’intérieur de lui, de la foi qu’il porte en lui. Notre baptême nous a engagés avec des critères évangéliques et nous ne pouvons juger le monde avec les péchés du monde, avec les injustices du monde. Un chrétien qui se solidarise avec ceux qui oppriment n’est pas un véritable chrétien, un christianisme qui défend des situations injustes qui ne peuvent être défendues, seulement pour maintenir les choses comme elles sont, n’est pas un véritable christianisme. Il recherche les choses humaines, il ne parle, ni ne pense déjà plus aux choses de Dieu.

 

C’est difficile, très chers frères, mais c’est nĂ©cessaire. Le Seigneur l’a dit Ă  Pierre avec sĂ©vère rĂ©primande. Il pose un geste, de ces gestes que saint Marc recueille finement dans un sens psychologique. Il nous rapporte que lorsque Pierre prit le Christ Ă  part pour Lui faire des remontrances, le Christ se retourna vers les apĂ´tres, Il tourna le dos Ă  Pierre et se dirigea aux apĂ´tres et aux gens prĂ©sents pour leur dire ce qu’Il reprochait alors Ă  Pierre : « Tu es pour moi Satan, tu es un disciple des critères de ce monde, tu ne veux pas que je souffre. Mais mon Père m’envoie pour boire le calice de la souffrance et de la passion. Tu ne parles pas selon la pensĂ©e de Dieu, sinon selon la pensĂ©e du monde. Éloigne-toi de moi Satan! Â» Et Il commence Ă  enseigner Ă  la foule la façon dont doit ĂŞtre le vĂ©ritable disciple du Christ.

 

Le premier messianisme, ne l’oublions pas, est un messianisme sans croix, sans sacrifice. Le second messianisme est un messianisme politique, sans perspective divine. On souffre beaucoup! AĂŻe, qu’on y souffre! Combien de morts y a-t-il en ces temps oĂą on lutte pour les revendications du peuple! Puisse Dieu que de tous nous puissions dire : « Ils moururent en pensant comme Dieu. Â» Comme il serait triste de dire : « Ils moururent, mais ils ne pensaient que comme des hommes! Â» Je voudrais la couronne la plus belle pour tant de hĂ©ros de notre heure, si sensible aux questions sociales et politiques. BĂ©ni sois Dieu qu’il y ait tant de gens sensibles en ce moment. Mais je voudrais Ă©lever cette sensibilitĂ© comme le Christ voulut Ă©lever Pierre en le reprenant sĂ©vèrement.

 

Ce n’est pas de la mauvaise volontĂ© que de reprendre quelqu’un. DĂ©noncer est un acte de charitĂ©, c’est une correction pour dire : « Regarde, ne perds pas le meilleur pour le bien. Â» C’est bien ce que tu es en train de faire, mais si tu l’incorpores Ă  Dieu, au Christ, c’est encore meilleur. Comme je voudrais que vous ne me compreniez pas de travers, sinon que vous sentiez que ma pauvre voix est la voix du Christ, d’une Église qui se veut Ă©galement solidaire des efforts des revendications politiques. Mais comme le Christ, je ne pourrais vous dire : manipulez tout au service des fins immĂ©diates que vous poursuivez. Il vous dirait plutĂ´t : « Voyez, soyez patient et ordonnez toute votre stratĂ©gie, toute votre politique, toute votre manière de procĂ©der vers une grande politique : celle du Christ, vers une grande revendication, vers une grande RĂ©demption; celle qui arrache l’humain au pĂ©chĂ©, de l’égoĂŻsme, celle qui va nous donner des hommes et des femmes nouvelles pour faire fonctionner des structures nouvelles. Â»

 

Nous ne voulons pas, comme disait le Christ, raccommoder de vieux tissus avec des morceaux neufs. C’est souvent ce en quoi consistent les revendications de la Terre lorsqu’on ne renouvelle pas l’homme tout entier. C’est l’homme tout entier qu’il faut refaire pour que lorsque viendront les nouvelles structures faites pour des hommes nouveaux, nous ayons de vĂ©ritables vĂŞtements neufs fait de tissus nouveaux, ou mieux encore, « du vin nouveau dans des outres neuves. Â» Construisons en vĂ©ritĂ© un Salvador nouveau, mais ne faisons pas que changer les structures avec haine et violence dans notre cĹ“ur, cela ne nous conduira nulle part. Commençons pas regarder ce que Dieu veut. RĂ©novons-nous de l’intĂ©rieur et nous serons des hommes mieux prĂ©parĂ©s pour cette sainte rĂ©volution que le Christ nous a apportĂ© : celle des bĂ©atitudes, celle de l’amour, celle de la rĂ©novation, celle de la paix fondĂ©e sur la justice vĂ©ritable. 16/09/79, p.260-263, VII.

 

 

C) Un messianisme de foi morte

 

Le troisième faux messianisme est celui de la seconde lecture (Jc 2,14-18), l’épître de saint Jacques, le messianisme à la foi morte, le messianisme qui seulement conseille, mais ne fait rien. Le messianisme sans les œuvres. […]

 

Quand je me rĂ©fère prĂ©cisĂ©ment au pĂ©chĂ© Ă  l’intĂ©rieur de notre Église, le manque d’unitĂ© entre les chrĂ©tiens, je prends de Puebla cette pensĂ©e qui nous donne le remède : « le remède se trouve dans l’option prĂ©fĂ©rentielle pour les pauvres. Â» Et Puebla ajoute : « En AmĂ©rique latine, nous ne nous sommes pas tous engagĂ©s suffisamment avec les pauvres, nous ne nous sommes pas toujours prĂ©occupĂ©s pour eux, ni n’avons Ă©tĂ© toujours solidaires avec eux.

 

Leur service exige, en effet, une conversion et une purification constante chez tous les chrĂ©tiens pour en arriver Ă  une identification chaque jour plus pleine avec le Christ pauvre avec les pauvres. Â» La conversion que Puebla nous exige n’est pas authentique si ce n’est une conversion radicale Ă  la justice et Ă  l’amour afin de transformer de l’intĂ©rieur de cette sociĂ©tĂ© pluraliste, les structures qui respectent et fassent la promotion de la dignitĂ© de la personne humaine et lui ouvrent la possibilitĂ© d’atteindre sa vocation suprĂŞme de communion avec Dieu et des hommes entre eux. Autrement dit, ce qui nous divise Ă  l’intĂ©rieur, et encore davantage, Ă  l’extĂ©rieur de l’Église, ce sont ces trois cercles que le Christ nous a tracĂ©s aujourd’hui, c’est une foi morte. La division est rĂ©elle parce que les humains ne se sont pas encore convertis au vĂ©ritable idĂ©al du Christ.

 

Et le vĂ©ritable idĂ©al est prĂ©cisĂ©ment celui que nous signale la seconde lecture d’aujourd’hui (Jc 2,14-18) : l’option. C’est-Ă -dire le fait de choisir une portion importante de ma vie, de m’engager Ă  dĂ©fendre des intĂ©rĂŞts comme s’il s’agissait de mes propres intĂ©rĂŞts, les intĂ©rĂŞts des pauvres. C’est cela que saint Jacques appellerait : les Ĺ“uvres qui prouvent ta foi. Ne dites pas que vous avez la foi si vous ne vous prĂ©occupez pas de ces conversions sincères de l’Évangile. Ne dites pas que vous avez la foi chrĂ©tienne si votre façon de vivre ne se sacrifie pas un peu pour vous donner, comme se consacrer Ă  une cause pour faire un pays nouveau en vĂ©ritĂ©. Il ne suffit pas de critiquer, comme la comparaison que fait saint Jacques (2,14-18) : « Ă€ quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu’un dise “J’ai la foi”, s’il n’a pas les Ĺ“uvres? La foi peut-elle le sauver? Â» Si un frère ou une sĹ“ur sont nus, s’ils manquent de nourriture quotidienne, et que l’un d’entre vous leur dit : « Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous Â», sans leur donner ce qui est nĂ©cessaire Ă  leur corps, Ă  quoi cela sert-il? Ainsi en est-il de la foi : si elle n’a pas les Ĺ“uvres, elle est tout Ă  fait morte. Les bons conseils ne nous manquent pas. Ce que nous voulons, ce sont des hommes qui incarnent le conseil et le rĂ©alisent vraiment. Hommes, comme le Christ disait, si tu as deux chemises, donnes-en une Ă  celui qui n’en a pas. Si tu vois arriver un pauvre Ă  ta porte, ne le traite pas avec mĂ©pris. Vois ce que tu peux faire pour lui et reconnais en lui le dĂ©fi de Dieu qui arrive Ă  ta porte. Ne dĂ©prĂ©cie personne, parce que tout ce que tu fais pour lui c’est Ă  moi que tu le fais.

 

Ce messianisme de foi morte est un messianisme très pernicieux qui souvent pour se justifier diffame l’Église : « Elle est devenue communiste! Â» Parce qu’à chaque fois que nous touchons Ă  la question de la justice sociale on nous qualifie de communistes. Mais la justice sociale est ce que nous rĂ©clame saint Jacques dans son Ă©pĂ®tre. C’est une Ă©pĂ®tre qu’il vaudrait la peine de lire tout haut, sans commentaire; et vous verriez comment saint Jacques parle bien plus fort que ce qui se dit la plupart du temps aux chaires de notre Église. 16/09/79, p.263-264, VII.

 

 

D) L’Antéchrist

 

Je voudrais ajouter cette considĂ©ration aux faux messianismes, une rĂ©ponse Ă  quelqu’un qui me demanda, il y a peu de temps, et qui me suppliait que j’en parle dans une de mes homĂ©lies de ce qu’est l’AntĂ©christ. L’AntĂ©christ c’est ce dont nous venons de parler. C’est un faux messianisme, c’est un faux christianisme. C’est dans les Ă©pĂ®tres de saint Jean qu’apparaĂ®t ce terme de l’AntĂ©christ, c’est comme un personnage ou quelque chose qui personnifie une idĂ©ologie, qui Ă  la fin des temps va entamer une lutte avec le Christ pour Lui ravir tous ces fidèles. Et malheur Ă  celui qui se laisse tromper. Mais il n’est pas nĂ©cessaire pour cela d’attendre Ă  la fin du monde, les exĂ©gètes de ce terme, l’AntĂ©christ, ont plusieurs opinions. Saint Paul dĂ©jĂ , disent-ils, fit allusion Ă  la prĂ©sence d’un AntĂ©christ et il se rĂ©fère probablement aux persĂ©cutions romaines contre les premières communautĂ©s chrĂ©tiennes. L’Apocalypse mentionne Ă©galement les forces du Mal. Mais l’incarnation, la personnification de ces forces du Mal, c’est que le Christ dit Ă  Pierre : « Tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les hommes. Â» Cette pensĂ©e tourne le dos Ă  Dieu, cette pensĂ©e du monde, c’est ce que nous appellerions l’AntĂ©christ.

 

Il existe des personnes, des organisations qui l’incarnent très bien. Dans notre patrie, l’AntĂ©christ est très bien connu. L’AntĂ©christ est celui qui dĂ©nonce le travail pastoral de notre Église, l’AntĂ©christ est celui qui dĂ©nonce son frère paysan pour ĂŞtre bien avec ceux d’en haut. L’AntĂ©christ c’est tous ceux qui espionnent nos rĂ©unions pour aller le rapporter. N’attendons pas un personnage mythologique. Luther et quelques-uns de ses frères sĂ©parĂ©s plus furibonds nommèrent le Pape et la hiĂ©rarchie catholique d’AntĂ©christ. Cela signifie qu’AntĂ©christ est un terme qui se prĂŞte Ă  de nombreuses interprĂ©tations, mais je crois que la vĂ©ritable est celle que nous ont donnĂ©e ces deux grands commentateurs de la Bible quand ils nous disent tout ce que je viens de vous exprimer : tout ce qui s’oppose au Dieu vĂ©ritable, tout ce qui s’oppose au vrai Messie. N’oubliez pas que ce qui m’intĂ©resse davantage ce matin c’est que demeure bien claire Ă  votre esprit l’idĂ©e du vrai Messie, Dieu qui vient nous sauver, mais qui vient nous sauver dans la douleur. 16/09/79, p.264-265, VII.

 

 

3) Les disciples du vrai Messie

 

« Appelant Ă  Lui la foule… Celui qui veut venir Ă  ma suite… Â»

 

C’est vous tous, très chers frères! (Mc 8,34) : « Appelant Ă  Lui la foule… et Il commença Ă  les instruire sur ce que doit ĂŞtre un vĂ©ritable disciple. Â» Et Il leur dit : « Si quelqu’un veut venir Ă  ma suite, qu’il se renie lui-mĂŞme, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Â» Trois paroles incisives, aussi difficiles Ă  accomplir que d’escalader une montagne.

 

« Renoncer Ă  soi-mĂŞme Â», c’est ne pas se satisfaire de soi, ne pas suivre ses caprices, c’est se dire non Ă  soi-mĂŞme. « Prendre sa croix Â», cela ne signifie pas exactement de prendre la croix matĂ©rielle et de la porter, ou simplement d’accomplir le devoir qui conduit au sacrifice, sinon qu’Il veut dire Ă©galement de nous laisser marquer par l’idĂ©al chrĂ©tien. Un peu comme on marquait les esclaves au fer rouge pour qu’ils ne s’échappent pas. Ainsi comme une marque sur le front qu’on ne peut effacer. Se marquer de la croix comme signe de repentir, de conversion et d’appartenance Ă  Dieu de qui je ne veux pas me sĂ©parer. C’est cela, suivre la croix.

 

«… et suis-moi! Â» Comme il est fantastique de savoir que dans chaque sacrifice que je fais, le Christ marche au-devant de moi! Lisez dans le catĂ©chisme une petite histoire qui m’émut beaucoup quand on y dit qu’un roi de France très saint appela son petit page pour que celui-ci l’accompagne, au cours des nuits d’hiver, pour aller visiter les temples, parce qu’il Ă©tait très fervent. Mais le page, le serviteur, avait froid aux pieds. Et qu’est-ce que lui dit le roi « Regarde, essaie de mettre tes pieds oĂą j’ai mis les miens. Â» C’est ce que fit le page et il se mit Ă  sentir une chaleur agrĂ©able, lĂ  oĂą le roi avait mis les pieds, il ne sentait plus le froid, mais il sentait la chaleur de quelqu’un qui accomplissait un miracle. S’agit-il d’un miracle ou d’une lĂ©gende? En JĂ©sus-Christ, cela devient la pure vĂ©ritĂ©. Le voir et Le suivre, marcher derrière Lui en suivant ses pas, oĂą je mets mes pieds je sais que le Christ les a posĂ©s avant moi et qu’Il a laissĂ© une grande chaleur d’amour, parce que mĂŞme si j’y vois les signes du sang, des Ă©pines, de la poussière, de la douleur, je sais que je ne suis pas un tyran, que je suis le Sauveur, le vrai Messie. C’est cela que le Christ veut dire aux chrĂ©tiens lorsqu’Il dit : « Renonce Ă  toi-mĂŞme, prend ta croix et suis moi. Â»

 

 

Celui qui veut sauver sa vie

 

En voulant rĂ©pondre au commentaire de Pierre, Il leur dit (Mc 8,35) : « Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie Ă  cause de moi et de l’Évangile la sauvera. Â» C’est lĂ  une phrase profonde du Christ qui nous avertit que le but de l’existence humaine est un horizon eschatologique. Ta vie ne terminera pas par la mort, ta vie n’est pas circonscrite uniquement aux limites de l’histoire, c’est au-delĂ  de l’histoire que se situe le principal. Pour celui qui sait obtenir cet horizon eschatologique, cela vaut la peine qu’il risque jusqu’à sa propre vie parce qu’ainsi il ne la perdra pas. Par contre, celui qui ne s’aventure pas, qui veut ĂŞtre bien, celui qui veut sauver sa propre vie, c’est ce que signifie l’expression : ĂŞtre bien, sauver la vie, ne pas s’engager, ne pas se mĂŞler des histoires, des problèmes qui nous concernent tous, celui-ci perdra sa vie. Frères, ceci est une phrase du Christ. Je crois qu’il vaut la peine d’appartenir Ă  une Église.

 

Je veux terminer ma rĂ©flexion homilĂ©tique avec cette parole du Concile Vatican II qui m’a toujours Ă©mue. Lorsqu’il parle de l’Église, Peuple de Dieu (L.G. 8) : « Le Christ a accompli son Ĺ“uvre rĂ©demptrice dans la pauvretĂ© et la persĂ©cution, ainsi l’Église est-elle appelĂ©e Ă  prendre la mĂŞme voie pour communiquer aux hommes les fruits du Salut. Â» Le Christ JĂ©sus, « possĂ©dant la nature divine…. s’est anĂ©anti lui-mĂŞme en prenant la nature de l’esclave Â» (Ph 2,6) et pour nous « s’est fait pauvre, de riche qu’il Ă©tait Â» (II Cor 8,9). Telle est aussi l’Église et mĂŞme si elle a besoin de ressources humaines pour remplir sa mission, elle n’est pas Ă©tablie pour rechercher la gloire terrestre, mais pour prĂŞcher, mĂŞme par son exemple, l’humilitĂ© et l’abnĂ©gation. […]

 

L’Église « va de l’avant, marchant parmi les persĂ©cutions du monde et les consolations de Dieu Â», annonçant la croix et la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne (cf. I Cor 11,26). C’est la puissance du Seigneur ressuscitĂ© qui la fortifie pour lui faire surmonter par la patience et la charitĂ© ses peines et ses difficultĂ©s intĂ©rieures aussi bien qu’extĂ©rieures, et, malgrĂ© tout, lui faire rĂ©vĂ©ler fidèlement au monde le mystère du Seigneur, mystère encore cachĂ© jusqu’à la fin dans sa pleine lumière. Â»

 

Le vĂ©ritable Messie ne s’est pas encore rĂ©vĂ©lĂ©. Le Messie que nous connaissons est insĂ©rĂ© dans l’histoire, Il est celui que l’Église s’efforce d’imiter dans la souffrance et dans la pauvretĂ©. La vĂ©ritable gloire du Messie viendra lorsque Dieu recueillera toute la gloire que le Christ a semĂ©e et qu’Il jettera tout le superflu, la pensĂ©e de l’homme sans Dieu, pour devenir le Roi glorieux qui avec son Église glorieuse se glorifiera pour toujours dans la fĂ©licitĂ©. Puisse Dieu, frères, et c’est lĂ  mon ardent dĂ©sir : faire une Église qui rĂ©ponde vĂ©ritablement aux angoisses de JĂ©sus-Christ, qui lorsqu’Il se sentit sur le point d’être proclamĂ© Messie, affirma en quoi consiste le vĂ©ritable messianisme et dĂ©nonça les faux messianismes. 16/09/79, p.265-267, VII.