L’Amour, Loi de la Nouvelle Alliance

 

Jeudi saint, 12 avril 1979; Lectures : Exode 12,1-14; I Corinthiens 11,23-26; Jean 13,1-15.

 

La Semaine sainte est la cĂ©lĂ©bration de cette Alliance Nouvelle que Dieu annonça par les prophètes : « Je serai votre Dieu et vous serez mon Peuple. Â» Il s’établit alors une relation d’amour entre Dieu et les hommes, qui devaient rĂ©pondre aussi Ă  une relation d’amour des humains envers Dieu et des humains entre eux parce que celui qui ne sait pas aimer ne peut prĂ©tendre vivre la Nouvelle Alliance de l’amour.

 

 

L’Amour, loi de la Nouvelle Alliance

Plan de l’homĂ©lie :

1) Pâques, fête de l’Alliance

2) Le Commandement de la Nouvelle Alliance

3) Humilité et service, chemins du véritable amour chrétien

 

 

1) Pâques, fête de l’Alliance

 

A) Pâques, mĂ©morial de la misĂ©ricorde libĂ©ratrice de Dieu : le passage du Seigneur. En cette fĂŞte de Pâques, on se rappelait le passage de Dieu et de sa misĂ©ricorde libĂ©ratrice, parce que ce fut cette nuit oĂą Dieu passa par le territoire Ă©gyptien pour libĂ©rer le peuple d’IsraĂ«l qui se distinguait par les linteaux de ses portes marquĂ©s du sang de l’agneau, tandis que tous les foyers Ă©gyptiens pleuraient la mort de leurs premiers-nĂ©s. Et chaque annĂ©e, depuis, comme nous venons de l’entendre (Ex 12,1-14), Dieu leur avait prescrit qu’ils dussent cĂ©lĂ©brer ce passage du Seigneur : Pâques.

 

 

Rénovation de l’Alliance Mosaïque

 

Le Seigneur passa comme une fĂŞte au cours de laquelle les Juifs rĂ©novaient la loi, l’Alliance avec Dieu; l’Alliance que, ensemble au pied du mont SinaĂŻ, Dieu avait faite avec son peuple et oĂą celui-ci avait rĂ©pondu Ă  Dieu : « Nous ferons comme Il dit. Â» Ils se rĂ©unissaient comme nous le faisons ce soir, en cette rĂ©union de Pâques, pour manger l’agneau pascal, et lorsque les fils et les jeunes demandaient Ă  leurs parents et Ă  leurs grands-parents : pourquoi nous rĂ©unissons-nous? L’histoire se transmettait de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration : « nous Ă©tions esclaves et Dieu nous libĂ©ra. Â»

 

Renoncement à l’idolâtrie (Égypte) et fête en l’honneur du Seigneur

C’est une fête de gratitude qui a les caractéristiques propres d’une alliance d’amour.

 

« Renoncez aux idolâtries parce que Dieu est un Dieu jaloux, disait MoĂŻse, et Il ne tolère pas d’autres dieux. Â» En ce jour ils renouaient leur foi dans un Dieu unique. Dans la lecture d’aujourd’hui (Ex 12,1-14) apparaĂ®t la fĂŞte de Pâques comme une fĂŞte en l’honneur du Seigneur. L’unique Seigneur, il n’existe pas d’autres seigneurs. C’est pour cela que Dieu punit aussi l’Égypte et tous les idolâtres, parce qu’ils ont dĂ©prĂ©ciĂ© le vĂ©ritable Dieu et adorent les crĂ©atures.

 

Le Sacrifice… l’agneau

 

C’est aussi une célébration du sacrifice où l’agneau est le symbole de l’innocence offerte au Créateur en réparation des péchés du peuple.

La Nourriture

 

C’est une fête, une nourriture, un repas parce que c’est autour d’une table de famille que se vit l’alliance de l’amour familial. Qu’est-ce que le mariage, qu’est-ce que l’amour des parents et des enfants, sinon le reflet de l’Alliance Nouvelle de Dieu avec les hommes? Et à chaque table où une famille se réunit pour manger, il y a là un reflet de l’amour de Dieu qui partage le pain avec les humains.

 

 

Unité de la Patrie… amour de famille

 

C’est une fĂŞte d’unitĂ© nationale. Tous les foyers pensaient Ă  l’unique IsraĂ«l. MoĂŻse qui avait donnĂ© un sens d’identitĂ© nationale Ă  ce peuple nomade du dĂ©sert parvint Ă  imprimer dans Pâques chaque annĂ©e un sens patriotique de telle sorte que Pâques Ă©tait la fĂŞte nationale d’IsraĂ«l. D’une patrie qui reconnaissait la souverainetĂ© de Dieu et qui, dans MoĂŻse ou dans les hommes qui la guidaient, ne voyait rien d’autre que la main de Dieu qui marche avec l’histoire du peuple. Quel sens magnifique que celui de Pâques chez les IsraĂ©lites! Â» 12/04/79, p.271-273, VI.

 

 

B) Pâques pour les chrĂ©tiens : l’Eucharistie

 

Tout cela, toute cette densitĂ© d’histoire, de religion, d’amour, de famille, de patrie, de retour Ă  Dieu, d’obĂ©issance Ă  l’amour misĂ©ricordieux qui libère; le Christ portait tout cela dans son cĹ“ur lorsqu’en cette nuit, Il nous dit dans son Évangile (Lc 22,15) : « J’ai ardemment dĂ©sirĂ© manger ces Pâques avec vous. Â» Pâques, ce n’est dĂ©jĂ  plus les Pâques juives. Cette nuit-lĂ , le Christ reprend toute la prophĂ©tie annoncĂ©e dans les Pâques d’IsraĂ«l et lui donne son vĂ©ritable sens, sa rĂ©alitĂ© : la Nouvelle Alliance est dĂ©jĂ  ici.

Ceci est la célébration de la Nouvelle Alliance

 

Il ne s’agit plus d’une prophĂ©tie, d’une figure; ce n’est plus l’Agneau, il ne s’agit plus de pĂ©rĂ©grination au dĂ©sert, de la libĂ©ration d’un peuple de l’esclavage, il s’agit ici de la vĂ©ritable libĂ©ration chrĂ©tienne : C’est l’Eucharistie!

 

Nous avons entendu aujourd’hui, dans la seconde lecture (I Cor 11,23-26) et dans l’Évangile (Jn 13,1-15), le sens qu’a pour nous, chrĂ©tiens, cette rĂ©union de ce soir. C’est une rĂ©union oĂą nous venons recueillir un hĂ©ritage prĂ©cieux, comme saint Paul nous disait (I Cor 11,23) : « J’ai reçu une tradition qui procède du Seigneur et qu’à mon tour, je vous ai transmise. Â» Nous autres, en cette nuit, très chers frères, ici, dans cette CathĂ©drale, nous sommes comme le maillon d’une chaĂ®ne de vingt siècles. Nous avons reçu une tradition oĂą, dans le pain, le Christ se rend prĂ©sent et oĂą dans le calice, son sang qui est versĂ© comme Alliance Nouvelle nous est donnĂ© comme une rubrique de l’amour, du sacrifice de Dieu. Et cette tradition que nous recevons, nous la transmettons aussi aux gĂ©nĂ©rations postĂ©rieures.

Qu’il est merveilleux de voir des enfants ici! Des enfants qui vont entendre ce que leurs parents leur enseignent, ce que signifie le Jeudi saint. C’est le maillon de la chaĂ®ne qui reçoit toute l’histoire de la tradition pour projeter ces enfants vers le futur. C’est la foi pour qui le Christ est prĂ©sent dans cette eucharistie dont nous cĂ©lĂ©brons l’institution ce soir. « Ceci est la tradition que j’ai reçue du Seigneur Â», dit toujours Paul au cours du premier siècle du christianisme.

Passage de JĂ©sus de la mort Ă  la RĂ©surrection

 

Le Seigneur JĂ©sus, dans la nuit oĂą on allait le livrer, prit le pain et rendit grâce, il le rompit en disant (Lc 22,19-20) : « Ceci est mon corps qui sera livrĂ© pour vous… Cette coupe est la Nouvelle Alliance de mon sang. Â» Voyez ce qu’est la cĂ©lĂ©bration chrĂ©tienne, nos Pâques. Pâques pour les IsraĂ©lites Ă©tait le passage de Dieu qui libère son peuple. Pour nous, chrĂ©tiens, c’est le passage du Christ au travers d’une mort douloureuse vers la RĂ©surrection glorieuse. Passage beaucoup plus difficile que les quarante ans au dĂ©sert et le passage Ă  travers la Mer rouge; c’est le passage du Seigneur. La Nouvelle Alliance que nous cĂ©lĂ©brons ce soir sur l’autel de notre messe en cathĂ©drale.

 

 

Amour de Jésus jusqu’à l’extrême

 

C’est l’amour de JĂ©sus. Tout cela a un ton d’amour si profond, que nous pourrions dire : dans l’hostie et dans le calice de cette nuit, comme le calice de toutes les messes qui se cĂ©lèbrent, comme si bouillonnait le sang vivant qui arracha l’amour au cĹ“ur du Christ afin d’être donnĂ© pour nous. Aimer c’est se livrer. Aimer, c’est ne rien garder pour soi. Aimer, c’est se donner complètement, jusqu’à la mort si nĂ©cessaire. Aimer, c’est ĂŞtre clouĂ© sur une croix et dire Ă  ses ennemis qu’on leur pardonne. Aimer, c’est ne pas savoir haĂŻr, c’est savoir pardonner, c’est rendre des sourires de bĂ©nĂ©dictions comme le Christ en croix.

 

 

Pâques est aussi nourriture

 

Le Corps du Seigneur, ce n’est plus l’agneau avec de la laitue amère, c’est le pain d’azyme, la présence de Jésus-Christ qui s’immole pour nous, rendons grâce pour tout ce par quoi le Père nous bénit et nous aime.

 

 

Action de grâce du Christ au Père

 

Qui peut remercier mieux que JĂ©sus-Christ au nom de nous tous? L’amour est gratitude et le Christ recueille tous les bĂ©nĂ©fices de l’humanitĂ© pour dire au Père : Je te rends grâce parce que Tu as bĂ©ni mes frères, les humains. Quel cĹ“ur plus grand que celui de JĂ©sus-Christ! Quelle Alliance Nouvelle que celle du sang versĂ© pour pouvoir signer avec son sang d’amour, le pacte d’amour que Dieu a fait avec l’humanitĂ©! 12/04/79, p.273-274, VI.

 

 

2) Le Commandement de la Nouvelle Alliance

 

 

A) Le nouveau Peuple de Dieu qui surgit de la Nouvelle Alliance, a pour loi le nouveau commandement de l’amour, comme le Christ lui-même nous aima.

 

Lorsque le Concile veut dĂ©finir quelles sont les vĂ©ritables caractĂ©ristiques du nouveau Peuple de Dieu, de ce nouveau peuple qui est nĂ© de l’Alliance de Dieu avec l’humanitĂ©, il emploie ces mots très beaux : « Ce peuple nouveau a pour tĂŞte le Christ qui fut livrĂ© pour nos pĂ©chĂ©s et ressuscita pour notre Salut. La condition de ce peuple nouveau possède comme Ă©tat la dignitĂ© et la libertĂ© des enfants de Dieu. Â» Nulle part ailleurs, ne se vivent avec une telle profondeur la dignitĂ© et la libertĂ© humaine comme dans l’Alliance de l’amour de Dieu avec les hommes. Personne ne dĂ©fend autant les droits humains que Dieu qui s’unit aux ĂŞtres humains par ce pacte. C’est pourquoi, celui qui dĂ©sire vĂ©ritablement ĂŞtre libre, celui qui veut vivre vĂ©ritablement la dignitĂ© humaine, se doit de ratifier ce soir, cette Alliance avec le Seigneur. 12/04/79, p.274, VI.

 

 

B) Puebla : message aux peuples… la civilisation de l’amour

 

Ă€ la lumière de cette parole divine, je voudrais que nous recueillions aujourd’hui ce riche concept du message que les pasteurs rĂ©unis Ă  Puebla, nous dirigions aux peuples d’AmĂ©rique latine. Dans ce message, nous disons : « Nous vous invitons… Â» Je sens ici que ma parole n’est plus seulement la pauvre parole d’un seul Ă©vĂŞque, c’est la parole de tout le magistère Ă©piscopal d’AmĂ©rique latine, ayant maintenant reçu l’aval du Pape (Jean-Paul II). Entendez donc cet appel, non pas comme cette pauvre voix qui est actuellement la proie des pirates de l’air qui brouillent notre Ă©mission, mais comme celle des pasteurs rĂ©pandus par tout le continent, celle du Pasteur SuprĂŞme. Si on interfère prĂ©sentement notre radio, ce n’est pas la voix de l’archevĂŞque qu’on offense, mais celle des pasteurs de tout le continent et du Pape lui-mĂŞme qui adresse ce message au diocèse de San Salvador, depuis la cathĂ©drale : « Nous vous invitons Ă  ĂŞtre les bâtisseurs dĂ©vouĂ©s de la civilisation de l’amour, inspirĂ©e par la parole, par la vie et par le don entier du Christ, et basĂ©e sur la justice, la vĂ©ritĂ© et la libertĂ©. Â»

 

Quelles belles paroles! « Nous vous invitons Ă  construire la civilisation de l’amour. Â» C’est cela la vĂ©ritable civilisation! C’est cela la civilisation de l’Alliance Nouvelle. C’est celle-lĂ  qui nous fait vĂ©ritablement humains, chrĂ©tiens, fils de Dieu parce que Dieu est amour et la civilisation que Dieu veut parmi les ĂŞtres humains, c’est la civilisation de l’amour qui comprend Ă©galement la justice, la vĂ©ritĂ© et la libertĂ©.

 

Nous voulons étudier avec vous quelle est la structure de cette civilisation de l’amour. L’amour chrétien surpasse les catégories de tous les régimes et de tous les systèmes. C’est pour cela que l’Église ne s’identifie avec aucun système politique. L’Église ne peut pas être un système, elle est au-dessus de tous les systèmes parce qu’elle a en elle la force insurpassable du Ministère Pascal ou encore, la mort et la résurrection du Christ.

 

Le message de l’Église, la civilisation que l’Église prĂŞche, porte la valeur de la souffrance de la Croix et les signes de victoire et de rĂ©surrection. « L’amour produit le bonheur de la communion et inspire les critères de la participation. Â»

 

Nous disions que cette civilisation de l’amour n’est pas un sentimentalisme, c’est la justice et la vĂ©ritĂ©. « La justice est le droit sacrĂ© de tous les ĂŞtres humains, confĂ©rĂ© par Dieu et elle est insĂ©rĂ©e dans l’essence mĂŞme du message Ă©vangĂ©lique. Â» Une civilisation de l’amour, qui n’exigerait pas aux hommes la justice, ne serait pas vĂ©ritablement une civilisation. Elle n’indiquerait pas les vĂ©ritables relations entre les hommes. C’est pour cela qu’il s’agit d’une caricature de l’amour lorsque l’on veut raccommoder par des aumĂ´nes ce que l’on doit par justice. Raccommoder avec des apparences de bonne volontĂ© alors que l’on manque au niveau de la justice sociale. Le vĂ©ritable amour commence par exiger dans les relations de ceux qui s’aiment, le juste. Mais cela ne suffit pas, il faut exiger aussi la vĂ©ritĂ©. « La vĂ©ritĂ© illuminĂ©e par la foi est la source du discernement pour notre conduite Ă©thique. Â» S’il n’y a pas de vĂ©ritĂ© dans l’amour, il y a de l’hypocrisie. Souvent on prononce de belles paroles, on se prend par les mains, et on se donne parfois un baiser, mais dans le fond il n’y a pas de vĂ©ritĂ©. VoilĂ  pourquoi nous vivons dans une civilisation oĂą s’est perdue la confiance des hommes entre eux, oĂą il y a tant de mensonges; lĂ  oĂą il n’y a pas de vĂ©ritĂ©, il n’y a pas de fondement pour l’amour. Il ne peut pas y avoir d’amour lĂ  oĂą il y a du mensonge. La vĂ©ritĂ© manque Ă  notre environnement. Et lorsque la vĂ©ritĂ© se dit : on l’offense et on fait taire les voix de ceux qui disent la vĂ©ritĂ©, on se scandalise de l’entendre. C’est aussi pourquoi, les ondes d’une radio scandalisent lorsque cette radio se caractĂ©rise par la vĂ©ritĂ© qu’elle dit au peuple.

 

C’est grâce Ă  Dieu que, dans cette ambiance de mensonge oĂą nous vivons, l’Église a pu conserver cette caractĂ©ristique de l’amour : la vĂ©ritĂ©; et on la croit. L’Église demeure crĂ©dible! Je veux remercier le peuple de cet immense honneur que vous faites Ă  votre Église de prĂŞcher la civilisation de l’amour. N’ayez pas peur de dĂ©masquer et de dĂ©noncer les injustices et les outrages pour devoir toujours dire la vĂ©ritĂ© et la justice.

 

« La civilisation de l’amour rĂ©pudie la violence. Â» Nous n’avons jamais prĂŞchĂ© la violence. En ce Jeudi saint, lorsque le Seigneur nous dit : « Aimez-vous les uns les autres Â», Il nous dit la philosophie de la vĂ©ritable Église. C’est l’amour, ce n’est pas la violence, la force qui va changer le monde (en mieux). RĂ©pudiez la violence, l’égoĂŻsme, le gaspillage, l’exploitation et les sottises morales. « Ă€ première vue, Â», Ă©coutez bien cela, surtout ceux qui n’ont plus la foi dans l’amour, surtout ceux qui ont davantage confiance dans la violence, dans la guĂ©rilla, dans la force armĂ©e, dans la sĂ©questration, dans le terrorisme, lĂ  n’est pas le Salut. « Ă€ première vue, il semble qu’en parlant de la civilisation de l’amour, nous utilisions une expression qui ne possède pas l’énergie nĂ©cessaire pour affronter les graves problèmes de notre Ă©poque. Cependant, je vous assure qu’il n’existe pas une parole plus puissante que celle-ci – l’amour – dans le dictionnaire chrĂ©tien. Elle se confond avec la propre force du Christ. Â» Si nous ne croyons pas dans l’amour, nous ne croyons pas non plus en Celui qui dit (Jn 13,34) : « Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres. Â»

 

Mes chers frères, lorsque l’Église prĂŞche la non-violence, ce n’est pas par lâchetĂ©. Le Pape Paul VI a dit que : « le chrĂ©tien sait combattre, mais il sait que la violence n’est pas un remède efficace. Â» La non-violence, la force de l’amour est la seule que le Christ nous ait offerte; mĂŞme en ayant les capacitĂ©s de combattre, nous combattons avec la non-violence, avec la force de l’amour. « Aimez-vous les uns les autres Â» exige davantage que de se conformer, c’est autre chose que de tolĂ©rer les injustices avec une passivitĂ© de mort. L’Église, non plus, ne veut pas cette passivitĂ©. C’est pourquoi elle enseigne Ă  l’être humain sa propre dignitĂ©, la valeur de l’égalitĂ© de tous, afin que nul ne se laisse rĂ©duire au rang d’objet, pour que tous nous soyons des personnes, pour que tous, nous donnions sa vĂ©ritable dignitĂ© Ă  notre personnalitĂ© humaine, non pas par orgueil nous imposer avec violence et avec force, mais pour savoir donner Ă  notre personnalitĂ© la caractĂ©ristique propre du chrĂ©tien.

 

Le Christ fut fort lorsque clouĂ© sur la Croix, Il dit au Père Â« Pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Â» C’est la force Ă©vangĂ©lique du pardon et de l’amour; c’est aussi la potentialitĂ© de notre Salut, la libĂ©ration mĂŞme des humains. Et le message continue, mais je ne veux pas vous fatiguer davantage. Ce que j’ai dit suffit pour comprendre la structure du nouveau mandat que le Christ nous demande par la bouche des pasteurs d’AmĂ©rique latine. Ils ont fait un appel que je rĂ©pète ce soir : « Soyons bâtisseurs de la civilisation de l’amour! Â» Sachons, nous pardonner. La civilisation de l’amour condamne les divisions absolues, les radicalismes. Je crois que c’est cela le grand mal de notre sociĂ©tĂ©. Nous nous sommes polarisĂ©s, nous nous sommes radicalisĂ©s en deux extrĂŞmes et ceux qui sont dans l’extrĂŞme droit, regardent tous ceux qui sont Ă  gauche comme Ă©tant rĂ©prĂ©hensibles, communistes et terroristes et ils se disent qu’ils doivent en finir avec eux, qu’ils doivent les rĂ©primer. Rien n’est moins sĂ»r cependant, il existe de nombreuses voix de justice, de revendications nĂ©cessaires, urgentes et il faut les entendre. Ce ne sont pas toutes les revendications de justice sociale qui sont communistes ou terroristes. Nous avons Ă©coutĂ© cette Ă©thique du discernement de l’amour pour entendre dans la voix du paysan qui se meurt de faim, qu’il ne s’agit pas lĂ  d’un terroriste, mais d’un frère qui a besoin de la voix et de l’aide de celui qui peut les lui apporter.

 

De mĂŞme, les groupes qui se sont aliĂ©nĂ©s Ă  la gauche, ne regardent vers la droite que comme s’il s’agissait lĂ  que de rĂ©actionnaires, comme si tout n’était que rĂ©pression et haine. Observez que lĂ  aussi il y a des distinctions. Il existe des groupes qui cherchent des solutions Ă  cette situation. Il y en a qui veulent dialoguer; il existe des groupes dans tous les secteurs humains de notre patrie qui veulent et qui cherchent. C’est la civilisation de l’amour qui fait appel aux deux extrĂŞmes les plus opposĂ©s. Et, en cette nuit oĂą le Christ visite concrètement les Salvadoriens si problĂ©matiques, placĂ©s dans un chemin sans issue, nous rĂ©pĂ©tons, comme nous l’avons dit tant de fois : il existe une solution Ă  cette situation et ce chemin, c’est l’amour, c’est de nous entendre, de nous comprendre! Il y a des fanatiques dans l’un et l’autre extrĂŞme parce qu’à droite aussi, il existe des extrĂ©mistes qui font appel Ă  la violence et qui voudraient que le gouvernement ne fasse que rĂ©primer et frapper. De tous cĂ´tĂ©s, il y a des fanatiques et ce sont eux qui causent tant de mal. Le fanatisme est antagoniste Ă  l’amour. Le vĂ©ritable amour dĂ©couvre jusque dans le pĂ©chĂ©, comme Dieu sait le faire, le bon qui doit ĂŞtre sauvĂ©. Tant que nous ne serons pas en enfer – puisse Dieu que nous n’y soyons jamais –, il y aura toujours quelque chose de bon, jusque dans le cĹ“ur du plus mĂ©chant. Sauvons ce qui est bon, comme le Christ qui de sa Croix nous aime et veut nous sauver. En ce Jeudi saint, une conversation avec plusieurs personnes prĂ©occupĂ©es par la situation du pays m’a semblĂ© très significative. Je leur ai dit, chers frères, que cette construction de la civilisation de l’amour est très possible si nous savons nous dĂ©faire de nos attitudes agressives et nous asseoir, si possible, avec un sourire. L’homme est toujours capable de sourire. Seulement en enfer, on ne sourit pas. C’est peut-ĂŞtre pour cela que plusieurs portent l’enfer, la haine et la violence fanatique dans leur cĹ“ur. Combien laids sont les visages de ceux qui haĂŻssent! Combien est beau le visage de celui qui sourit et donne un espoir dans l’amour! 12/04/79, p.275-278, VI.

 

 

3) Humilité et service, chemins du véritable amour chrétien

 

Le geste du Christ, que d’une certaine manière je vais tâcher d’imiter en m’agenouillant pour laver les pieds à ceux qui nous rappellent les apôtres, est le geste qui nous invite à emprunter le chemin de l’amour. On ne peut aimer si on n’est pas humble. On ne peut aimer si on n’a pas le sens du service dans le cœur. On ne peut pas construire la civilisation de l’amour sans base d’humilité et de service au frère. Ouvrir le cœur au frère! Frère, qu’est-ce qui te manque, en quoi puis-je te servir?

 

Ou comme le Christ qui dit en se relevant après avoir lavĂ© les pieds des disciples (Jn 13,13) : « Je vous ai donnĂ© un exemple, vous m’appelez MaĂ®tre et Seigneur, faites ce que je vous ai enseignĂ©, lavez-vous les pieds les uns les autres Â», non dans le sens matĂ©riel, mais dans le sens du service, parce que laver les pieds au temps de JĂ©sus Ă©tait le travail de l’esclave. Lorsqu’arrivait un hĂ´te, un invitĂ©, l’esclave devait lui laver les pieds, c’était la tâche de l’esclave et JĂ©sus nous enseigne que rien n’est humiliant lorsque l’on aime. Pierre se scandalise : « Comment toi, Seigneur, peux-tu me laver les pieds alors que tu es si grand et moi, si petit! Â» « Laisse-toi faire, lui dit JĂ©sus, parce que si je ne te lave pas les pieds tu n’auras pas part avec moi. Â» (Cf. Jn 13,6-9) Alors, Pierre comprend que ce geste d’humilitĂ© est une clĂ© pour entrer en communion avec JĂ©sus.

 

Frères, c’est seulement avec cette clĂ© de l’humilitĂ© et du service, que nous pourrons entrer dans la civilisation de l’amour. Il dĂ©teste l’orgueilleux, l’avare et l’imbu de lui-mĂŞme. Il aime l’humble, celui qui est dĂ©tachĂ© des biens de la Terre. Nous pouvons possĂ©der des biens et ĂŞtre heureux. Nous pouvons ĂŞtre saints lorsque nous avons l’amour et l’humilitĂ© dans notre cĹ“ur. Puisse Dieu qu’en cette Semaine sainte, je le demande au Seigneur, cette pauvre parole que moi, interprĂ©tant la Parole de Dieu, je vous ai adressĂ©e ce soir, et puisse Dieu qu’on la laisse passer sur les ondes de la radio, soit une parole qui ne porte pas ni l’éloquence ni la sagesse d’un homme. Puisse Dieu que vous oubliez ma personne et mon accent et qu’arrive au cĹ“ur de chaque auditeur l’accent doux et tendre de JĂ©sus lui-mĂŞme qui, en cette nuit, se fait prĂ©sent dans cette assemblĂ©e. C’est lui que nous Ă©coutons et, si ma personne vous rĂ©pugne et que pour cela vous vouliez faire taire ma voix, ne vous prĂ©occupez pas de moi, mais de Celui qui nous a dit : « Aimez-vous les uns les autres. Â» Ce n’est pas moi que vous Ă©coutez aujourd’hui, mais le Seigneur, l’Amour qui nous veut sien, par cette caractĂ©ristique de l’amour. 12/04/79, p.278-279, VI.