L’Esprit de Dieu parmi les hommes

 

Seizième dimanche du temps ordinaire; 23 juillet 1978; Lectures : Sagesse 12,13.16-29; Romains 8,26-27; Matthieu 13,24-34.

 

Seul un maître divin comme Jésus-Christ pouvait gagner l’attention d’un auditoire à ses paraboles si simples, mais si certaines. Non seulement l’auditoire qui l’entourait il y a vingt siècles, sinon les multitudes qui, tous les dimanches, à travers les siècles, continuent d’apprendre ici sous forme d’anecdotes, de comparaisons, comme le faisaient les rabbins de son temps, une doctrine divine, merveilleuse comme l’est notre foi. Je me réjouis et je sens l’honneur immense d’être l’humble répétiteur de cette doctrine de Jésus-Christ. Je remercie mon cher auditoire pour l’attention qu’il accorde à ma prédication.

 

Dans les trois prĂ©cieuses lectures d’aujourd’hui (Sg 12,13.16-19; Rm 8,26-27; Mt 13,24-34), j’ai trouvĂ© ce titre pour mon homĂ©lie de ce matin : L’Esprit de Dieu parmi les hommes. Et comme de coutume, je vais le subdiviser en trois pensĂ©es :

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) L’Esprit de Dieu

2) La Vocation humaine

3) L’Église, signe de l’Esprit de Dieu parmi les hommes

 

 

1) L’Esprit de Dieu

 

À la lumière de ces trois réflexions de la Parole de Dieu, nous allons éclairer le contexte réel de notre histoire au cours de cette semaine. Mais avant tout, élevons notre foi jusqu’au sommet de Dieu pour écouter dans la première lecture du Livre de la Sagesse (12,13.16-19), l’Esprit de Dieu. Ce livre est probablement le plus récent de l’Ancien Testament, il est le produit d’un Israélite qui dut méditer l’ensemble de la Bible dans un contexte dangereux, celui d’Alexandrie des temps antérieurs et contemporains du Christ. La Parole de Dieu courait le danger d’être sécularisée, de perdre sa force pour n’être plus qu’une sagesse humaine, grecque, cosmopolite. Et nous avons de cet homme qui écrivit le Livre de la Sagesse, le modèle de celui qui fait une homélie. C’est un livre homilétique, tout au moins pour ce qui est de sa seconde partie parce qu’il narre l’histoire d’Israël, surtout l’Exode, mais non pas comme une histoire du passé, sinon en l’actualisant au temps d’Alexandrie. C’est ce que fait l’homélie, elle apporte la Bible à l’actualité, elle incarne la Parole Éternelle de Dieu dans l’histoire contemporaine des hommes. Dans le Livre de la Sagesse, nous avons un modèle d’homélie.

 

Tandis qu’il réfléchit sur la puissance de Dieu qui fait sortir Israël de l’esclavage en Égypte après les sept plaies et lui fait traverser le désert avec des signes merveilleux de sa présence jusqu’à ce qu’il parvienne à la Terre promise, l’auteur applique cela à l’Égypte de son temps. À l’époque quasi contemporaine du Christ où l’auteur exhorte le peuple d’Israël à ne pas perdre sa foi dans le Dieu véritable. Ici, nous rencontrons le Dieu de la Bible, celui qui appela Moïse pour conduire le peuple à la liberté. Celui qui inspira aux patriarches une espérance de Rédemption.. C’est ce même Dieu qui des siècles plus tard est adoré par les Israélites au milieu d’une cité païenne. Comme nous pourrions dire également, ce même Dieu d’aujourd’hui, de 1978, ici au Salvador, c’est le Dieu qui ne change pas, c’est le Dieu éternel. Regardons avec quels traits précieux nous le présentent les Saintes Écritures pour que, non pas de ma pauvre parole, mais de la grande homélie du Livre de la Sagesse, nous apprenions qui est notre Dieu.

 

En premier lieu, dit le Livre, c’est un Dieu unique. Il n’y a pas d’autre dieu. Comme la Bible affirme avec force ce cri d’unitĂ© de Dieu. On entend ici comme un des derniers Ă©chos de l’Ancien Testament, avec toute la vigueur de la rĂ©vĂ©lation. Il n’existe qu’un seul Dieu et tous ceux qui se disent dieux ou autre chose, pèchent, offensent, parce qu’ils se font idolâtres. Il est certain qu’ici, en 1978, le Livre de la Sagesse changerait quelque peu, ce n’est plus le danger de l’idolâtrie des temps de l’Alexandrie fleurissante, mais c’est le Dieu du Salvador qui est menacĂ© devant ces fausses idoles : Idoles de l’argent, idoles du pouvoir, idoles de la luxure et du plaisir. Combien d’idolâtries menacent notre civilisation, comme chez les IsraĂ©lites d’Alexandrie, qui nous enlèvent du cĹ“ur le Dieu vĂ©ritable. Tu n’adoreras pas d’autre dieu, ni ne serviras d’autre dieu, parce que ton Dieu est unique. Il possède, nous l’a rĂ©vĂ©lĂ© aujourd’hui le Livre de la Sagesse, une souverainetĂ© universel, un pouvoir total. Il peut ĂŞtre comme Il le veut : Puissant, souverain, tous ces qualificatifs que nous avons entendus aujourd’hui de ce Dieu de la rĂ©vĂ©lation.

 

Un autre titre de Dieu qui apparaĂ®t dans la première lecture : Il est un Dieu providence, un Dieu qui prend soin de tous, un Dieu qui nous gouverne. Comme il est prĂ©cieux de se sentir gouvernĂ©s par Dieu, sous la souverainetĂ© de Dieu. Ainsi s’explique quand la Sainte Bible nous dit qu’il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu et qu’il faut obĂ©ir au pouvoir parce qu’il vient de Dieu. Mais cela signifie aussi que le souverain, celui qui dirige, ne doit pas diriger en dehors de ce que Dieu veut et que si une autoritĂ© doit ĂŞtre respectĂ©e, c’est parce qu’elle reflète la sainte puissance de Dieu. Quand le pouvoir des hommes devient un abus contre la Loi de Dieu, contre le droit, la libertĂ©, la dignitĂ© humaine, alors c’est l’heure de crier comme saint Pierre dans la Bible qu’il faut obĂ©ir Ă  Dieu avant d’obĂ©ir aux hommes. Tout pouvoir vient de Dieu et c’est pourquoi le gouvernement ne doit pas user du pouvoir selon ses caprices, sinon selon la volontĂ© du Seigneur. C’est la providence de Dieu qui veut gouverner les peuples et les gouvernants sont ses ministres, serviteurs de Dieu comme toutes ses crĂ©atures.

 

Aussitôt après, la Bible nous dit qu’il est un Dieu juste. Il ne juge pas injustement, son pouvoir est un principe de justice. Voyez comme est riche ce concept de justice. La justice est une manifestation du pouvoir, un pouvoir n’est pas authentique s’il est injuste. Dieu lui-même peut faire ce qu’Il veut, Il n’abuse pas cependant de ce pouvoir parce qu’Il est juste, Il est la justice par excellence. Le pouvoir de Dieu est comme illuminé par sa justice infinie. Jugez avec modération, c’est la sainteté éternelle de Dieu, ne soyez pas impatient, c’est Dieu qui détient les rennes de tous les peuples et de tous les humains. C’est pourquoi sa justice est modérée, c’est une justice sereine et sainte.

 

Vient alors un autre titre dans la lecture d’aujourd’hui : Un Dieu de misĂ©ricorde. Ta souverainetĂ© universelle Te fait pardonner Ă  tous. Tu nous gouvernes avec une grande indulgence puisque Tu peux agir comme bon te semble. Cela semble paradoxal. PrĂ©cisĂ©ment pour cela, parce qu’Il pourrait faire comme bon lui semble. Il pourrait nous humilier, nous piĂ©tiner, nous torturer, nous traiter cruellement, mais non, prĂ©cisĂ©ment parce qu’Il peut faire ce qu’Il veut, Il nous aime. Il possède les ressources pour ĂŞtre misĂ©ricordieux et attendre que les ĂŞtres humains reviennent sur le bon chemin. Comme est diffĂ©rente la justice des hommes.

 

Combien d’hommes, lorsqu’ils parviennent Ă  obtenir du pouvoir, s’en servent pour outrager? Combien y a-t-il de tortures, de grossièretĂ©s? Vous pouvez faire ce que vous dĂ©sirez et c’est pourquoi vous me traitez ainsi. Comme ces mots ont dĂ» ĂŞtre dits dans ces antres horribles qui sont la honte de notre civilisation : chez la police, chez la Garde Nationale, partout oĂą ont lieu des tortures. Les puissants, ceux qui ont des armes, ceux qui ont des bottes pour frapper, parce qu’ils peuvent faire comme bon leur semble, mais le pouvoir des faibles se convertit en cruautĂ©. C’est un complexe d’infĂ©rioritĂ© conduit Ă  la grossièretĂ©. Dieu n’a pas de complexes d’infĂ©rioritĂ©. Lui seul peut faire ce qu’Il veut et ce Dieu nous gouverne avec bontĂ©. Dieu peut tout et c’est pourquoi Il juge avec bontĂ© et misĂ©ricorde ces pĂ©cheurs et ces accusĂ©s, mais ce Dieu juste et misĂ©ricordieux sanctionne Ă©galement parce que la misĂ©ricorde n’est pas de la faiblesse.

 

Dieu démontre sa force à ceux qui doutent de son pouvoir total et réprime l’audace de ceux qui ne le reconnaissent pas. Cela oui, quand l’homme insolent se retourne contre Dieu, pauvre de lui! Là la puissance de Dieu se fera sentir devant le vantard, devant l’orgueilleux, devant celui qui désobéit à ses Lois, la toute-puissance de son châtiment. Dieu châtie également, mais seulement quand sa patience s’est épuisée. Dieu est juste, mais avant tout, Il est infiniment miséricordieux.

 

Chers frères, voilà notre Dieu. Ne l’oublions pas, respectons-le et sachons que c’est de là que proviennent toute l’allégresse et la confiance de notre foi. Puisions-nous toujours servir ce Dieu qu’est venu nous révéler Jésus-Christ comme Père, comme Providence, comme bonté, non par peur, mais par amour.

 

Vous savez qu’il existe deux sortes de peur : la peur servile et la peur filiale. La peur servile, ou encore la peur des serviteurs, la peur de ceux qui craignent le châtiment, la peur de ceux qui font les choses pour ne pas ĂŞtre punis, est une peur mesquine, pauvre, hypocrite, souvent d’apparences. Mais la peur filiale est celle du fils, filiale parce qu’il a peur d’offenser son père. C’est une peur qui naĂ®t de l’amour, c’est la peur de la fille qui ne veut pas faire de la peine Ă  sa mère, c’est la peur de ceux qui s’aiment et ne veulent pas se faire du mal. C’est cette peur que nous devons avoir pour Dieu. C’est un Dieu d’amour, de bontĂ© et de misĂ©ricorde, c’est pour cela que je te sers, non pas parce que je crains le châtiment sinon parce que je te dĂ©sire. Comme dit cette belle poĂ©sie : « Tu n’as pas besoin de me donner quelque chose parce que je te dĂ©sire, parce que mĂŞme si le ciel n’existait pas je t’aimerais, et mĂŞme si l’enfer n’existait pas je te craindrais, de mĂŞme que je te veux, je te voudrais. Â»

 

Comme est précieux le cœur de l’être humain lorsqu’il parvient à cette indépendance et qu’il sait qu’il aime Dieu non pas par crainte et qu’il Le sert et Lui obéit non pas parce qu’une chose est péché ou une autre ne l’est pas. Le péché demeurerait comme un second frein. La peur de l’enfer serait une réserve qui demeure nécessaire, mais cela ne doit pas être la motivation première. Cette motivation doit d’abord provenir de notre relation avec Dieu, relation d’amour et de gratitude envers le Seigneur. 23/07/78, p.80-83, V.

 

 

2) La Vocation humaine

 

Passons maintenant au second point de notre rĂ©flexion. C’est le dessein de Dieu qui veut venir vivre au milieu des hommes et des femmes. Ce Dieu a crĂ©Ă© l’homme et la seconde pensĂ©e est la suivante : quelle est la vocation de l’être humain? Et je la vous rĂ©sume en ces mots : La vocation de l’homme c’est d’être Ă  l’image de Dieu. C’est de participer de sa vie et de sa gloire. C’est de collaborer au Salut de tous les hommes.

 

En premier lieu, je vous ai dit que la vocation de l’homme c’est d’être Ă  l’image de Dieu. La vocation Ă  la bontĂ© et ici je vais me prĂ©valoir de la parabole du blĂ© et de l’ivraie. Mais auparavant, Ă©coutons comment se termine la première lecture (Sg 12,19). Elle dit : « En agissant ainsi, tu as appris Ă  ton peuple que le juste doit ĂŞtre ami des hommes et que tu as donnĂ© le bel espoir Ă  tes fils qu’après les pĂ©chĂ©s tu donnes le repentir. Â»

 

Quand les apĂ´tres demandèrent au Christ de leur expliquer la parabole du blĂ© et de l’ivraie, JĂ©sus leur dit clairement (Mt 13,37-38) : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme; le champ, c’est le monde; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume; l’ivraie, ce sont les sujets du Mauvais. Â» Ce n’est pas que Dieu veuille avoir en ce monde des hommes bons et d’autres mauvais. Quand les semeurs demandèrent au propriĂ©taire (Mt 13,27-28) : « MaĂ®tre n’est-ce pas du bon grain que tu as semĂ© dans ton champ? D’oĂą vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie? Il leur dit : « C’est quelque ennemi qui a fait cela. Â»

 

J’ai rencontrĂ© le plus beau commentaire de ce texte Ă©vangĂ©lique, dans un texte du Concile Vatican II, dans la Constitution de l’Église dans le monde de ce temps qui dit (G.S.11.1) : « La foi, en effet, Ă©claire toutes choses d’une lumière nouvelle et nous fait connaĂ®tre la volontĂ© divine sur la vocation intĂ©grale de l’homme, orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines. Â» Il parle des valeurs que l’humanitĂ© actuelle valorise grandement. Entre autres, par exemple, comme ces valeurs sont apprĂ©ciĂ©es : le respect, la libertĂ©, la dignitĂ©, l’autoritĂ© bien comprise, la fraternitĂ©, etc. Ce sont lĂ  des valeurs que tout homme porte dans son cĹ“ur. (G.S. 11,2) : « Car, dit le Concile, ces valeurs, dans la mesure oĂą elles procèdent du gĂ©nie humain, qui est un don de Dieu, sont fort bonnes; mais il n’est pas rare que la corruption du cĹ“ur humain les dĂ©tourne de l’ordre requis; c’est pourquoi elles ont besoin d’être purifiĂ©es. Â»

 

C’est cela le commentaire du bon blé et de l’ivraie. Dieu a semé la bonté. Aucun enfant n’est né mauvais. Nous avons tous été appelés à la sainteté. Ces valeurs ont été semées par Dieu dans le cœur des humains, valeurs que nos contemporains estiment tant. Il ne s’agit pas là de pierres précieuses ou de choses qui naissent spontanément. Pourquoi y a-t-il donc alors autant de méchanceté?

 

Parce que ces valeurs ont été corrompues par la mauvaise inclination du cœur humain et elles besoins d’être purifiées. La vocation de l’homme, donc, première et originelle, c’est la bonté. Nous sommes tous nés pour la bonté. Personne n’est né avec des inclinaisons de séquestrer, d’être un criminel, un bourreau, un assassin, nous sommes tous nés pour être bon, pour nous aimer, pour nous comprendre. Pourquoi alors Seigneur, a-t-il poussé autant d’ivraie dans ton champ? C’est l’ennemi qui a fait cela, dit le Christ. L’être humain a laissé croître dans son cœur la méchanceté, les mauvaises fréquentations, les mauvaises inclinations, les vices.

 

Très chers jeunes, vous qui êtes sur le point de choisir votre vocation, avant de prendre votre décision, pensez que nous sommes tous appelés à la bonté et je déplore que nous, les plus âgés, nous vous laissions autant d’égoïsme et de méchanceté en héritage. Vous renouvelez, comme du blé nouveau, comme une semence nouvelle, les champs encore frais, avec la main de Dieu. Enfants et jeunes, tâchez d’être un monde meilleur. Obéissons tous par contre à cette seconde vocation qu’est la conversion.

 

Voyez, comme nous l’a dit la première lecture, que Dieu attend la conversion des hommes et dans la parabole du blé et de l’ivraie, le Christ, Dieu parmi les hommes, annonce qu’il ne faut pas arracher l’ivraie, qu’il faut attendre l’heure de la récolte. Même le plus vieux peut se convertir. Le bon larron condamné lui aussi à être crucifié sur le Calvaire, se convertit et à la dernière heure il reçoit le pardon et le ciel. Il n’est jamais trop tard pour se convertir. Je voudrais faire appel ici, avec la vocation de Dieu, aux pécheurs pour qu’ils se convertissent de leur mauvaise vie. Combien de fois, depuis cette cathédrale et dans les circonstances difficiles de notre prédication, cette voix a-t-elle été celle avec laquelle se terminaient les dénonciations de l’Église? Nous n’avons jamais dénoncé par ressentiment, nous n’avons jamais semé la haine. […]

 

L’amour du Christ exige des renoncements. L’amour du Christ exige des choses qui parfois dérangent et c’est pourquoi on nous accuse d’être subversifs et de semer la haine alors que nous ne faisons rien d’autre que de prêcher la conversion. Chaque fois que nous terminons une dénonciation, nous demandons que ceux qui ont commis ce mal se convertissent. Dieu ne veut pas les perdre, Dieu les espère.

 

Dans ces antres mystérieux où ont disparu tant de nos frères, combien savent ce terrible secret, combien ont les mains tachées de sang ou d’outrages, combien de mauvaises graines. Dieu les espère, ne les enlever pas, dit le Christ, attendez. Je voudrais dire à tous ses amis et ses frères qui ont une conscience inquiète parce qu’ils ont offensé Dieu et leur prochain qu’ils ne peuvent pas être heureux ainsi. Que le Dieu de l’amour les appelle, qu’Il veut leur pardonner, qu’Il veut les sauver.

 

C’est la parabole du blé et de l’ivraie et cela doit nous amener à comprendre le mystère de l’iniquité qui est à l’œuvre également dans l’Église. Si elle est la semence du blé de Dieu. Les évêques, les prêtres, les religieuses, les laïcs, les couples, les jeunes, les collèges catholiques ne devraient-ils pas tous être saints? C’est sûr que oui. Le sont-ils? Nous devons tristement reconnaître qu’ils ne le sont pas. Alors, l’Église est fausse? Non plus! S’il existait une Église qui se glorifie que tous ses membres soient saints, cela ne serait pas l’Église véritable, parce que le Christ a dit que son Église est semblable à ce champ où pousse côte à côte le blé et l’ivraie. Tant que nous vivrons dans cette Église en pèlerinage, nous aurons ensemble le blé et l’ivraie. Non pas pour que nous devenions tous de l’ivraie sinon pour que celle-ci devienne du blé afin que lorsqu’arrivera l’heure nous puissions tous être des citoyens du Règne de Dieu, pour que nous puissions tous apparaître semblables à des soleils dans le Royaume du Père. Tant que nous ne serons pas de bons chrétiens, nous ne serons rien de plus que de l’ivraie, même si nous sommes dans le temple et que nous célébrons la messe. Tant que nous ne serons pas ce que nous devons être, nous ne sommes pas l’idéal de Dieu, mais Dieu endure et espère.

C’est cela la voix authentique de l’Évangile. Celle qui ne tente pas de se dire meilleure que les autres, mais qui fait appel Ă  la conversion de tous. Parce que la conversion qui est juste aux yeux de Dieu, nous rĂ©pète l’Apocalypse, que non seulement les pĂ©cheurs doivent abandonner leurs pĂ©chĂ©s pour devenir saints, sinon, comme nous dit cette parole exigeante : « Que celui qui est saint se sanctifie davantage, et que celui qui est juste se justifie encore plus. Â» Qui sait quel est le degrĂ© de saintetĂ© que Dieu va nous demander, Ă  moi et Ă  chacun de vous? Et si nous ne l’avons pas atteint, nous devrons nous purifier avant d’entrer dans ce Royaume oĂą se rĂ©alisera la citoyennetĂ© des enfants de Dieu.

 

Il est temps, frères, que nous ne profitions plus de la vie pour faire ce dont nous avons envie. Tu détiens le pouvoir pour tout faire, dit la Bible en parlant de Dieu, mais précisément parce que tu as ce pouvoir, tu n’es pas libre de faire le mal. Dieu ne peut pas faire le mal, malgré le fait qu’Il soit libre, parce que la bonté, la liberté véritable, consiste toujours à faire le bien. Non par la force, sinon comme Dieu le fait, librement. L’homme aussi, que Dieu a fait à son image, possède la capacité de commettre le mal, mais non pour le réaliser. Oui, il possède des mains pour frapper et il peut frapper, mais il ne doit pas le faire. Tes mains doivent servir à donner avec amour. Si tu as des pieds, c’est pour marcher sur les chemins et si Dieu t’a donné la capacité d’aller sur les chemins du mal, mais tu ne dois pas y aller, ni ne dois te servir de tes pieds pour battre le pauvre torturé, mais pour marcher librement sur les chemins du bien. La liberté, Dieu l’emploie pour le bien absolu et ses fils, les images de Dieu, sont également libres et ils doivent user de cette liberté non pour pécher, non pour vivre dans le péché qui offense Dieu et qui est un abus de la liberté, sinon pour faire le bien.

 

Très chers frères, pour ĂŞtre citoyen du Règne, la vocation de l’humain est de participer Ă  la vie et Ă  la gloire de Dieu. Je me prĂ©vaudrais ici de la seconde lecture d’aujourd’hui (Rm 8,26-27). Saint Paul qui nous a offert l’épĂ®tre aux Romains, nous fait cette grande rĂ©vĂ©lation, puisions-nous ne pas l’oublier. La rĂ©vĂ©lation selon laquelle, dès cette vie le chrĂ©tien a Ă©tĂ© justifiĂ©, a Ă©tĂ© pardonnĂ©, quand il est devenu vĂ©ritablement chrĂ©tien par un baptĂŞme bien vĂ©cu. Que cette vie chrĂ©tienne qui nous a faits fils et filles de Dieu, crĂ©atures nouvelles, se rĂ©vĂ©lera et nous donnera aussi la gloire du corps que nous attendons. Ce corps porte dĂ©jĂ  en lui les germes de l’Esprit de la vie nouvelle et il va ressusciter. Ce que le Christ nous a dit aujourd’hui : « Vos corps et vos esprits brilleront aussi comme des soleils dans le Royaume du Père. Â» […]

 

En cette heure, il se peut que le plus pécheur brille plus en apparence que le plus saint, mais quand resplendiront les véritables valeurs qui valent aux yeux de Dieu, alors,  dit saint Paul, l’Esprit rendra témoignage qu’ils sont des fils de Dieu. Et cet Esprit de Dieu qui nous a été donné dans l’épître d’aujourd’hui nous offre une autre fonction très précieuse, celle de nous enseigner à prier.

Très chers frères, si nous voulons vraiment montrer cette crĂ©ation nouvelle que Dieu a faite en nous, qu’Il nous a donnĂ© son Esprit et qu’Il nous a rendus participants de son goĂ»t divin, laissons-nous conduire par l’Esprit pour ĂŞtre prière. Saint Paul l’a dit aujourd’hui (Rm 8,26-27) : « L’Esprit lui-mĂŞme intercède pour nous en des gĂ©missements ineffables, et Celui qui sonde les cĹ“urs sait quel est le dĂ©sir de l’Esprit et que son intercession pour les saints corresponds aux vues de Dieu. Â» Comment est-ce possible que Dieu, pour Ă©tablir un dialogue intime avec l’être humain, ait Ă©levĂ© ce dernier pour le mettre sur la mĂŞme plate-forme divine et pour parler son propre langage? Et, pour l’élever sur cette plate-forme divine, Il lui a donnĂ© son Esprit. Prier, c’est parler avec Dieu. Il existe une comparaison prĂ©cieuse du Concile Vatican II qui dit que Dieu a donnĂ© Ă  l’homme le sanctuaire intime de sa conscience pour qu’il puisse entrer dans cette cellule privĂ©e pour s’entretenir seul Ă  seul avec Dieu pour dĂ©cider de sa propre destinĂ©e. Nous avons tous une Ă©glise Ă  l’intĂ©rieur de nous : notre propre conscience. LĂ  se trouve Dieu, son Esprit. Bienheureux celui qui ne laisse pas ce sanctuaire abandonnĂ© et qui prie. Bienheureux celui qui entre souvent pour parler seul Ă  seul avec Dieu. Essayez cela, frères, et mĂŞme si vous vous sentez pĂ©cheur et souillez, entrez plus que jamais pour dire : Seigneur corriges-moi j’ai pĂ©chĂ©, je t’ai offensĂ©; ou lorsque vous sentez l’allĂ©gresse d’une bonne action : Seigneur, je te rends grâce parce que ma conscience est heureuse et Tu me fĂ©licites; quand vous ĂŞtes angoissĂ© et que vous ne rencontrez personne pour vous dire une parole de rĂ©confort, entrez dans votre sanctuaire intime pour que Dieu vous oriente; quand vous ĂŞtes tristes, comme tant de mères qui ne retrouvent plus leurs fils disparus, entrez seul Ă  seul avec Dieu et dites-Lui : « Seigneur, Tu sais oĂą il se trouve, Tu sais comment on le traite, parlez-Lui-en. Â» Comme est belle la prière quand elle se fait vraiment avec l’Esprit de Dieu Ă  l’intĂ©rieur de nous, participants de la vie de Dieu.

 

Il y a dans le Livre de la Sagesse une prĂ©cieuse prière du gouvernant qui demande Ă  Dieu sa sagesse et que nous pourrions tous dire : « Dieu de nos pères, Seigneur de misĂ©ricorde qui par ta parole fit tout, Toi qui par ta sagesse donna Ă  l’homme le pouvoir de dominer les crĂ©atures sorties de tes mains pour qu’il gouverne le monde avec saintetĂ© et justice, donne-moi la sagesse qui partage ton trĂ´ne et ne me rejette pas du nombre de tes enfants. Â» Après il dit : « Envoie ta sagesse pour qu’elle travaille avec moi et que je sache te rendre grâce. Elle me guidera prudemment dans mes entreprises et me protĂ©gera par son pouvoir. Mes Ĺ“uvres te rendront grâce et je gouvernerai ton peuple avec justice. Â»

 

Lorsque je lis cette prière, cela me rappelle Ă©normĂ©ment celle que disent les Alcooliques anonymes qui semble ĂŞtre un rĂ©sumĂ© de cette prière du Livre de la Sagesse : « Oh, Dieu! Enseigne-moi la sĂ©rĂ©nitĂ© pour accepter les choses que je ne peux changer, le courage pour changer celles que je peux et la sagesse pour reconnaĂ®tre la diffĂ©rence. Â» Je crois que maintenant cette prière devrait ĂŞtre non seulement celle des groupes d’Alcooliques anonymes, mais qu’elle devrait ĂŞtre une prière pour tous ceux qui dĂ©sirent le changement dans le monde. Donne-moi la sagesse pour avoir le courage de changer ce qui doit changer et la sĂ©rĂ©nitĂ© pour supporter ce qui ne peut pas l’être. Combien de bien cette prière a-t-elle produit chez les alcooliques? Il sait qu’il peut changer cette vie et moi qui ai entendu tant de tĂ©moignages, je vous dis la joie que donne la sagesse de Dieu lorsqu’elle prend possession d’un homme, mĂŞme s’il s’agit du plus viciĂ©, il se convertit en l’artisan de son propre changement. Ce n’est dĂ©jĂ  plus un alcoolique, il est dorĂ©navant la joie de sa famille. Pourquoi chacun de nous, pĂ©cheur, n’en ferait-il pas autant?

 

L’égoïste qui pense qu’il ne peut pas vivre en partageant avec les autres, tous ceux qui croient qu’ils ne peuvent rien changer, que les choses doivent demeurer ainsi. Des changements sont nécessaires, mais non pas des changements sans sagesse. Donne-moi la sagesse pour connaître la différence. L’homme qui a été appelé pour participer à la vie, à la pensée, à l’intelligence de Dieu, comment ne serait-il pas capable de faire un monde meilleur? Les Salvadoriens qui se lamentent parce qu’ils sentent qu’ils marchent sur un chemin sans issu, pourquoi ne prient-ils pas? et ne font-ils pas leur possible pour changer les choses dans la mesure de leurs moyens. Pourquoi ne demandons-nous pas au Seigneur le courage de changer ce qui peut l’être et la sérénité aussi de supporter ce qui ne peut l’être immédiatement.

 

Je dis Ă©galement que la vocation de l’homme est la vocation Ă  cette vie Ă©ternelle. Ils brilleront comme des soleils dans le Règne de mon Père. N’oublions pas cette dimension eschatologique, cet au-delĂ  de la mort. Nous ne devons pas rechercher le Salut de l’être humain seulement sur la Terre. Un monde meilleur doit ĂŞtre illuminĂ© par cet au-delĂ  qui ne sera jamais atteint dans cet en-deçà, parce qu’ici les choses demeureront toujours imparfaites, mais le cĹ“ur humain doit lutter pour les rendre moins imparfaites, pour qu’elles soient un chemin vers la perfection infinie de l’absolu de Dieu qui nous espère. Je dis Ă©galement que la vocation de l’homme est une vocation Ă  collaborer. Collaborer dans le Salut des autres et ici vient la parabole qui a Ă©tĂ© lue Ă©galement aujourd’hui (Mt 13,33) : « Le Règne des Cieux est semblable Ă  du levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout ait levĂ©. Â» C’est cela le chrĂ©tien selon le Christ : un ferment. Les boulangères savent ce qu’est ce petit morceau que l’on met au milieu de la pâte et qui permet Ă  celle-ci de fermenter. Et le chrĂ©tien devrait ĂŞtre comme cela, un ferment qui aussitĂ´t transforme sa famille, transforme son quartier, sa communautĂ©, son peuple, le pays entier, le monde entier. Nous sommes un ferment sans force, c’est pourquoi nous ne faisons pas fermenter la pâte. Cette rĂ©flexion nous amène Ă  comprendre cette responsabilitĂ© qu’est la nĂ´tre, de notre vocation chrĂ©tienne pour que nous soyons aussi des apĂ´tres, des ferments au cĹ“ur de notre sociĂ©tĂ©. 23/07/78, p.83-89, V.

 

 

3) L’Église, signe de l’Esprit de Dieu parmi les hommes

 

(Mt 13,31-32) « Le Règne des Cieux est semblable Ă  un grain de sĂ©nevĂ© qu’un homme a pris et semĂ© dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais, quand il a poussĂ©, c’est la plus grande des plantes potagères, qui devient mĂŞme un arbre, au point que les oiseaux du ciel viennent s’abriter dans ses branches. Â» C’est une image de l’Église, comme signe dans le monde. Ainsi comme le petit arbre qui est un signe de protection pour l’oiseau qui vole en recherchant l’ombre, l’Église c’est cela : un signe oĂą les hommes rencontrent la plĂ©nitude des moyens apportĂ©s par Dieu. Je disais avant que nous ne devons pas espĂ©rer de tous ceux qui rĂ©partissent la vie de Dieu, la saintetĂ© qu’ils devraient avoir – que nous devrions savoir –, mais oui, sachons, comme disait Manssonni, ce grand Ă©crivain italien : « Quand je m’agenouille devant un confesseur, peu m’importe de savoir si cet homme a davantage besoin que moi du pardon de Dieu. Ce qui m’importe c’est qu’à ce moment il est le signe du pardon.» Je t’absous, mĂŞme si c’est un pĂ©cheur qui m’absout au nom de Celui qui me pardonne et qui veut convertir les humains. C’est un signe.

 

Cette cathédrale, par exemple, avec vous ici à l’intérieur, est le signe de ceux qui cherchent la Parole, l’Eucharistie du Seigneur. Signe de toute manifestation de l’Église. Chers frères, soyons comme le grain de sénevé et faisons croître ce signe. Soyons de véritables instruments, des signes par où l’homme rencontre son Salut. Que tout homme d’Église, tout citoyen du Règne, soit vraiment, au milieu du monde comme une invitation du blé à l’ivraie pour qu’il se convertisse et que chaque jour la récolte du Règne des Cieux soit mieux remplie. 23/07/78, p.89, V.