Caractéristiques de notre Église

 

Vingt-et-unième dimanche du temps ordinaire; 21 aoĂ»t 1977; Lectures : IsaĂŻe 66,18-21; HĂ©breux 12,5-7.11-13; Luc 13,22-30.

 

Tâchons de nous situer dans la lignée de l’Église actuelle parce que la ligne que nous suivons actuellement dans l’archidiocèse n’est pas un caprice ni un lavage de cerveau comme plusieurs le disent. Nous tâchons simplement de nous situer dans la ligne de Vatican II et de Medellín qui sont les références autorisées et que le Pape a ratifiées dans son encyclique Evangelii Nuntiandi, où il nous parle d’une évangélisation du monde qui ne peut être séparée de la promotion humaine. Celle-ci a été la cause des difficultés et des conflits que l’Église a rencontrés. Il ne pourrait en être autrement lorsqu’on désire faire la promotion de la personne humaine en défendant sa dignité et en proclamant un Évangile qui ne peut tourner le dos au monde et qui se situe dans le monde non pas pour être mondain, mais pour le sanctifier. 21/08/77, p.183, I-II.

 

Les laïcs ce sont tous les baptisés qui ne sont pas clercs ni religieux, mais qui, par leur baptême, possèdent un sacerdoce. Lamentablement, ils n’exercent pas ce sacerdoce parce que plusieurs ont été baptisés sans savoir ce dont il s’agit. Mais, grâce à Dieu, du Concile Vatican II a surgi un grand mouvement pour réveiller cette conscience du Peuple de Dieu et lui faire sentir son sacerdoce, sa responsabilité d’Église. 21/08/77, p.184, I-II.

 

L’Église est le Christ qui poursuit sa marche vers Jérusalem en passant par les villes et les villages. N’est-ce pas fantastique de penser que cette Église missionnaire donne à la vie de tous ceux qui la composent un sens de pèlerinage? Personne ne doit s’installer. Nous devons tous marcher avec le bâton du pèlerin. Oui nous devons rendre ce monde heureux, mais en sachant que nous sommes de passage sur cette Terre. Aujourd’hui nous l’habitons, hier nos ancêtres qui ne sont plus parmi nous l’habitèrent et demain les générations futures l’occuperont alors que nous n’existerons plus.

 

L’humanitĂ© est un pèlerinage continuel. Et le Christ veut marcher avec cette histoire, avec l’Histoire de tous les temps. De telle sorte que le Christ qui fut avec nos ancĂŞtres et avec nous maintenant sera avec la postĂ©ritĂ©. Nous sommes en pèlerinage et l’un des buts principaux de l’Église doit ĂŞtre l’établissement de l’Église dans tous les endroits du monde. Comme dans la prĂ©cieuse phrase d’IsaĂŻe : « jusque sur ces cĂ´tes inconnues. Â» 21/08/77, p.186, I-II.

 

 

2) L’Église eschatologique

 

L’eschatologie est une caractéristique de cette Église qui par son espérance sait que l’Histoire ne se consomme pas sur cette Terre. Son espérance lui fait voir les cieux nouveaux, une Terre nouvelle où la justice, l’amour et la paix régneront. Le chrétien sait que, même si nous travaillons très dur au bien-être sur cette Terre, cela demeurera toujours provisoire, pèlerin, missionnaire, de passage, mais il faut tout de même continuer à travailler. Notre espérance ne trouve pas sa consommation sur cette Terre, mais dans l’éternité de Dieu, où le Règne de Dieu sera parfait. Cette perspective du Salut éternel, du Règne de Dieu qui se consume dans la gloire, cette Église de bras tendus vers l’avant, cette Église de regards tournés vers le Ciel, c’est cela, l’eschatologie, l’Église eschatologique.

 

Cette Église ne peut se faire complice d’aucune idĂ©ologie qui s’efforce de crĂ©er sur cette Terre un règne oĂą les humains seront complètement heureux. C’est pourquoi l’Église ne peut ĂŞtre communiste. L’Église ne peut davantage ĂŞtre capitaliste parce que le capitalisme est Ă©galement myope. Il regarde seulement son bonheur, sa passion, son ciel, sur ses terres, dans ses palais, avec son argent et ses biens de la Terre. Cette installation ne convient pas Ă  l’Église. L’Église est eschatologique. C’est ici que l’Église se tourne vers les pauvres pour leur dire : vous ĂŞtes les plus aptes Ă  comprendre cette espĂ©rance, cette eschatologie.

 

Nous nous tournons vers eux non pas pour les rendre conformistes, parce que l’eschatologie, l’attente du Ciel à venir, n’est pas pour s’endormir. Les communistes nous accusent faussement en affirmant que nous prêchons l’opium du peuple et qu’annonçant aux hommes un règne dans l’au-delà nous leur enlevons toute envie de lutter sur cette Terre. Qui sait ce qui donne le plus envie aux humains de lutter, le communisme ou l’Église? L’Église, parce que tout en annonçant une espérance dans le Ciel, elle dit aux humains que ce Ciel il faut le gagner et que c’est dans la mesure où nous travaillons ici-bas et que nous accomplissons nos devoirs que notre vie sera récompensée pour l’éternité. Ainsi, à un homme qui aura mieux accompli ses devoirs, correspondra une eschatologie, un Ciel plus vaste, plus riche. Personne n’est plus ambitieux que les saints et les chrétiens parce qu’ils n’ambitionnent pas d’un règne sur cette Terre où les hommes meurent, mais un Règne dans l’éternité, où les humains vivront pour toujours la joie d’avoir contribué en anticipant le Règne de Dieu en ce monde.

 

Les ennemis de l’Église du Salvador se scandalisent lorsqu’on leur dit que le Règne des cieux, l’Église qui est le commencement de ce Règne, doit s’établir dès maintenant en ce monde. Qu’il ne faut pas attendre la mort pour être heureux, que Dieu nous veut heureux sur Terre parce qu’Il veut que se reflète ce Règne des cieux nouveaux et de cette Terre nouvelle sur cette Terre de pèlerinage. On entrevoit déjà ce Ciel plus beau dont la Terre est déjà le reflet. La parole que le Christ nous a enseigné aujourd’hui (Lc 13,22-30), nous dit que ce Règne de Dieu est déjà à l’œuvre sur cette Terre et que seuls ceux qui lutteront pour passer par la porte étroite, iront à Lui, à sa base définitive, mais dès cette Terre, ceux qui ne se seront pas efforcés d’entrer dans son Royaume demeureront au-dehors. Cela veut dire que celui qui n’a pas travaillé au cours de sa vie pour entrer dans le Règne de Dieu, ne doit pas s’attendre à ce qu’on lui ouvre à l’heure de sa mort.

 

Écoutez bien l’Évangile d’aujourd’hui (Lc 13,25-27) : « Dès que le maĂ®tre de maison se sera levĂ© et aura fermĂ© la porte, et que, restĂ© dehors, vous vous serez mis Ă  frapper Ă  la porte en disant “Seigneur ouvre-nous!”, Il vous rĂ©pondra : “Je ne sais d’oĂą vous ĂŞtes!” Alors, vous vous mettrez Ă  dire : “Nous avons mangĂ© et bu avec toi, tu as enseignĂ© sur nos places.” Mais il vous rĂ©pondra : “Je ne sais d’oĂą vous ĂŞtes; Ă©loignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.” Â» Il ne suffit pas de porter le nom de chrĂ©tien et de vivre comme un paĂŻen pour se prĂ©senter au Ciel et dire : « JĂ©sus me connaĂ®t. Â» JĂ©sus dit ici qu’Il mĂ©connaĂ®t tous ceux qui n’ont pas voulu faire de leur titre de chrĂ©tien une profession de vie, un appel chrĂ©tien Ă  vivre cette eschatologie, cette espĂ©rance, ce Ciel.

 

Le Concile Vatican II et les documents de Medellín ont merveilleusement mis en lumière le sens eschatologique de l’Église, en invitant les humains, à partir de la Résurrection du Christ qui fait maintenant partie de l’Histoire du monde, à travailler sur cette Terre pour construire une réalisation de ce Règne qui se consommera dans l’éternité. Mais le Christ ressuscité dans lequel nous croyons rattache déjà les devoirs de cette Terre aux récompenses de l’éternité. Si nous croyons vraiment au Christ ressuscité qui nous attend et qui à sa venue dans la gloire récompensera selon leurs mérites ceux qui auront travaillé avec Lui, cela signifie qu’il faut effectivement travailler mes frères. Et tous ceux qui empêchent l’établissement de ce Règne trahissent également leur vocation d’être humain.

 

Le Concile dit cette phrase magnifique : « Tout chrĂ©tien qui nĂ©glige ses devoirs temporels, ses devoirs envers son prochain, ne peut prĂ©tendre qu’il aime Dieu, il met en danger son propre Salut. Â» Cela rĂ©pond Ă  la question qu’on fit Ă  JĂ©sus (Lc 13,23) : « Seigneur, est-ce le petit nombre qui sera sauvĂ©? Â» Pour JĂ©sus le nombre importe peu, parce que ce qui suit est un grand enseignement de la force stricte et de la nĂ©cessitĂ© d’accomplir la vie chrĂ©tienne. Nous dirions en nos mots qu’il importe peu que nous soyons nombreux ou non, ce qui importe c’est que nous accomplissons bien notre devoir sur la Terre. Que nous nous efforçons d’entrer par la porte Ă©troite et que nous ne marchions pas sur la large voie de l’égoĂŻsme et des injustices de cette Terre. 21/08/77, p.187-189, I-II.

 

 

3) L’Église en processus de conversion

 

Je ne me fatiguerais pas de crier cette parole : Conversion. La conversion c’est comme de faire demi-tour. La conversion, c’est se demander Ă  chaque instant : qu'est-ce que Dieu veut de ma vie? Et si Dieu veut le contraire de ce que dĂ©sire mon caprice? Faire ce que Dieu veut c’est me convertir, faire mon caprice c’est me pervertir. Qu’est-ce que Dieu attend du pouvoir politique par exemple? Il veut que ces forces s’unissent moralement, par des lois saines, les volontĂ©s de tous les citoyens au bien commun; mais Dieu ne veut pas qu’on utilise le pouvoir pour outrager, pour frapper les gens, les villes et les peuples. Cela c’est de la perversion. Qu’attend Dieu du capital, de l’homme riche? Qu’il se convertisse, c’est-Ă -dire qu’il sache donner aux choses crĂ©Ă©es par Dieu, qui lui appartiennent toujours, un sens orientĂ© vers le bien-ĂŞtre de tous. 21/08/77, p.189-190, I-II.

 

Tout passera, seule demeurera l’Église avec sa parole eschatologique qui dit que ce qui ne passe pas est éternel et ce qui vaut la peine c’est de se sauver en vérité. Le Salut débute déjà sur cette Terre parce que celui qui lutte pour implanter le Règne de Dieu dans la société et dans l’Histoire participera également au Règne de Dieu dans le Ciel. Et celui qui s’oppose, qui rejette ou qui répudie l’Église, le Règne de Dieu, ses ministres, ceux qui l’annoncent, sont des obstacles au Règne de Dieu et ils persécutent l’Église parce qu’ils l’empêchent de réaliser son ministère.

 

Ne nous installons pas sur cette Terre. Préoccupons-nous de marcher avec Jésus. Observez combien est significatif ce passage de l’Évangile de saint Luc qui nous a décrit la mission du Christ comme un chemin vers le Calvaire. L’Église marche aussi vers ce Calvaire, vers la Croix, mais elle sait que derrière la Croix, trois jours après, est la Résurrection, l’allégresse, le Règne, les Cieux nouveaux et la Terre nouvelle. Marchons donc avec Jésus. N’ayons pas peur des amertumes du calvaire. Sachons renoncer à tout ce qui constitue le péché et s’oppose au Règne de Dieu. Ne limitons pas la félicité et le Salut seulement à cette Terre, ni non plus en ce Ciel, mais dans la combinaison la plus sage et la plus merveilleuse qui consiste à bien accomplir la loi de Dieu sur cette Terre pour mériter la récompense en son Ciel. Sachons donc être de vaillants chrétiens, déjà que l’Église, grâce à ses trois caractéristiques, est celle qui maintient et qui sème l’espérance et l’allégresse dans le cœur de tous les Salvadoriens. 21/08/77, p.191, I-II.